Le 07 avril 2005

Retraites sociales : un outil pour combattre le repli sur soi ?

Dans de nombreuses écoles du réseau libre, il est proposé aux élèves de 5ème ou de 6ème humanités un temps de 3 jours d’expérience sociale et d’ouverture à d’autres réalités. Ces temps sont communément appelés « retraites sociales ».

Pourquoi ont-elles la voix en poupe ? Quels sont les intérêts des parties prenantes ? Les retraites sociales sont-elles un bon outil pour sensibiliser les jeunes à la justice sociale ? Voilà ce que propose d’éclairer cette analyse.
 

Une retraite sociale c’est quoi ?

La retraite sociale est un temps, souvent de trois jours, où les jeunes sont envoyés (la plupart du temps en petits groupes) dans des associations ou institutions qui peuvent offrir des cadres sociaux différents des leurs. L’objectif est d’amener le jeune à confronter son expérience habituelle à une situation sociale différente de la sienne. Les lieux sont soigneusement choisis, ils sont de types divers et font rencontrer des populations diverses avec lesquelles le jeune ne serait jamais entré en relation autrement. Le souci premier est de sensibiliser les jeunes à un engagement citoyen pour plus de justice sociale. Dans ce cadre, les retraites sociales sont un des moyens mis en œuvre par les écoles du secondaire de l’enseignement libre.

Voici quelques exemples de lieux où sont envoyés les jeunes :

  • maisons de repos, services gériatriques
  • hôpitaux
  • centres de jour pour personnes handicapées
  • écoles où se vit l’interculturel
  • associations de quartiers, d’alphabétisation, écoles de devoirs, de promotion communautaire
  • organisations de défense des droits fondamentaux (exemple : mouvements contre le Racisme, …)
  • associations offrant des services aux plus démunis : restaurants sociaux, maisons d’accueil pour sans-logis,…

La liste est longue et variée.

La retraite sociale, un partenariat

La retraite sociale est un partenariat entre les écoles et des associations, institutions de terrain. Parfois des associations intermédiaires (comme le Centre Avec par exemple ou un service social généraliste) servent de relais pour organiser la retraite et trouver des lieux d’insertion.

Du côté des établissements scolaires

Pour les établissements scolaires, c’est un moyen d’ouvrir les jeunes à la diversité, à des réalités sociales différentes. C’est un moyen de faire prendre conscience aux jeunes des difficultés sociales rencontrées par une partie de la population vivant en Belgique. Les retraites sociales sont également un moyen de faire tomber les barrières, de dépasser les peurs en entrant en contact direct, en partageant le quotidien, des pauvres, des vieux, des étrangers.

Les retraites sociales sont organisées par les professeurs de religion, ou/et par les directions des écoles, ou/et par des professeurs motivés et sensibilisés aux questions sociales. Ils se décarcassent pour trouver un panel de lieux d’expériences aussi large et varié que possible, pouvant répondre aux attentes des élèves.

Du côté des associations et institutions

Il est étonnant de constater que beaucoup d’associations, institutions accueillent volontiers les élèves en retraites sociales. Un moyen pour elles de donner aux jeunes l’occasion de faire l’expérience de lieux d’engagement citoyen ? Un moyen de sensibiliser aux causes qu’elles défendent, de sortir de l’ombre les populations avec lesquelles elles travaillent ? A mon avis, un peu tout cela à la fois.

Recevoir des élèves en retraite sociale demande du temps et de l’énergie aux associations qui sont déjà bien souvent peu fournies en salariés et bénévoles pour mener à bien leur objet social mais elles prennent le temps d’accueillir cette jeunesse. Faire découvrir aux élèves les difficultés du public, de la population avec lesquelles, les associations travaillent, est pour moi une forme d’éducation permanente. Les associations et institutions sont de plus en plus sollicitées à certaines périodes de l’année et ne peuvent répondre à toutes les demandes.

Du côté des jeunes

Tout d’abord, la retraite sociale, c’est trois jours en dehors de l’école. Trois jours avec les copains et copines. Les jeunes peuvent avoir des attentes par rapport à l’expérience proposée, parfois, c’est juste un moment différent dans le rythme scolaire. Quelque soit la motivation, les retraites sociales sont porteuses de fruits et ceux-ci sont parfois inattendus.

Quelques exemples tirées d’expériences vécues : deux jeunes après une expérience dans un centre de jour pour personnes âgées, se sont engagées à revenir tous les mercredis après-midi jusqu’à la fin de l’année scolaire pour passer du temps gratuit avec les personnes accueillies dans ce lieu.

Une autre a témoigné combien son expérience dans une association de lutte contre le racisme, l’a bouleversée. Il y a encore un an, elle était, disait-elle, raciste, écrivant des sigles nazis sur ses cahiers. Elle avait commencé à changer avant sa retraite sociale mais cette expérience l’a confortée dans son choix d’ouverture à la différence et lui a permis de comprendre en profondeur combien elle s’était leurrée.

Pour les 6ème secondaires, l’expérience sociale peut être un tournant décisif quant à leur choix d’étude. Cela a été le cas pour une jeune qui a décidé de devenir psychologue pour travailler dans le monde de la rue.

Souvent les jeunes ont le choix du lieu où ils vont être envoyés. Ils ne tombent pas toujours sur leur premier choix mais ils n’ont pas l’impression d’être « forcés ». Parfois, le fait d’aller dans un lieu qu’on aurait moins désiré, permet une ouverture là où le jeune ne s’y attendait pas.

L’importance de la relecture

Pour que la retraite sociale apporte un maximum aux jeunes, elle doit être évaluée, mais aussi et surtout relue avec une personne compétente.

Faire le récit de ce que le jeune a vécu durant sa journée, pouvoir mettre des mots sur son expérience, sur ce qui l’a choqué, étonné, sur les questions qu’ils se posent est, pour moi, essentiel. Si l’on n’aide pas le jeune à décoder certains comportements des personnes rencontrées, certaines paroles, les actions menées par telle ou telle association, il risque de mal interpréter certains comportements ou plus simplement de ne pas comprendre les réalités qu’il rencontre dans son lieu d’insertion. Certains éléments, comportements sont incompréhensibles sans l’aide d’informations. Par exemple, un Sans-logis refuse d’être logé dans une maison d’accueil alors qu’il gèle, pourquoi ?

Sans donner d’explications simplistes et unilatérales, il est important d’éclairer le jeune et de lui apporter des pistes de réflexion et de compréhension.

La relecture permet aussi au jeune de prendre conscience des déplacements qui s’opèrent en lui. Elle lui permet aussi d’aller plus loin dans sa réflexion.

Lors de relectures de retraites sociales, l’accompagnateur peut aider le jeune à aller plus loin en interrogeant l’expérience sociale dans un cadre plus large. Cette interrogation permet d’ancrer ce que vivent les populations en difficultés dans un contexte et en particulier dans la société dans laquelle nous vivons. Elle permet ainsi à l’animateur d’avancer certains concepts tels que la fracture sociale, la justice sociale, la démocratie, le rôle des services publics (soins de santé, enseignement, transports…). C’est amené le jeune à se demander si les réalités découvertes lors de l’expérience sociale interrogent la société dans laquelle nous vivons, oui, non, pourquoi ? C’est aussi l’interpeller : et à toi, en tant que jeune, qu’est-ce que cela pose comme question, qu’est-ce que cela entraîne comme prise de conscience, en quoi cela interroge-t-il ta vie et ton avenir ?

Parfois, l’expérience du jeune est négative. Il est alors encore plus essentiel de l’aider à comprendre ce qui s’est passé : l’aider à dépasser ce qui a été vécu sans rester sur des rancœurs, des échecs, l’aider à ne pas généraliser, aider le jeune à dépasser sa déception. La retraite sociale, même difficile, peut l’aider à grandir, à prendre du recul, à se positionner de façon adulte.

Malheureusement, la relecture est souvent le parent pauvre dans l’organisation des retraites sociales. Le plus souvent, les élèves reçoivent une feuille d’évaluation mais souvent pas beaucoup plus. L’évaluation se fait souvent pas écrit, un peu à la va-vite sans retour de la part des professeurs accompagnateurs.

Se pose alors la question de la formation des accompagnateurs de retraites sociales. Mais peut-être plus que des outils tout fait de formation, c’est surtout des échanges d’expériences entre accompagnateurs et la diversité des apports qui permettront au concept « retraites sociales » de trouver sa juste mesure et toute sa richesse.

Oui, les retraites sociales sont un bon outil

Alors que de plus en plus, l’autre, le différent est présenté comme un ‘danger’, les retraites sociales sont un bon outil d’ouverture pour combattre l’individualisme ambiant. L’expérience de retraite sociale permet de CONNAITRE, et cela est essentiel, pour dépasser la peur de l’autre, de celui qui est différent de moi. En partageant quelques jours avec lui, elle, dans un cadre bien déterminé et encadré par des professionnels, le jeune peut faire une expérience le plus souvent positive de la différence, de l’altérité. Le chômeur ne sera plus vu comme ‘bon à rien’, l’étranger comme ‘terroriste potentiel’ ou ‘envahisseur’, les personnes âgées comme ‘personnes à charge, inutiles’…

C’est pourquoi, les retraites sociales sont, à mon avis, un outil riche pour dépasser le repli sur soi ambiant et les stéréotypes qui habitent notre quotidien.

Mais c’est un outil qui demande encore à être travaillé, interrogé. Un outil peut-être pas encore suffisamment élaboré où le dialogue et la relecture ne tiennent pas encore assez de place. La société a tout à gagner de faire vivre des expériences comme celles-ci à sa jeunesse. Les retraites sociales sont pour moi de l’ordre de l’éducation permanente.