Le 29 juin 2017

Sécurité sociale menacée : mobilisons-nous !

Cet article donne un aperçu de la manière dont le gouvernement  – et plus particulièrement sa ministre de la santé Maggie De Block – multiplie les attaques contre notre système de sécurité sociale.

Ces deux dernières années, le secteur de la santé s’est massivement mobilisé. En novembre 2016 et mars 2017, les travailleurs du non-marchand, ainsi que de nombreux patients et usagers de leurs services ont traversé les rues de Bruxelles lors de deux grandes manifestations de quasi 20 000 personnes. Les manifestants venaient des institutions de soins, des hôpitaux, des maisons de repos, des institutions d’accueil des handicapés, des crèches, du secteur social et culturel… bref majoritairement du secteur de la santé. Ce sept avril, à nouveau, une série d’acteurs à travers l’Europe se sont mobilisés pour interpeller les gouvernements nationaux et l’Union européenne sur le phénomène de la commercialisation de la santé. Le 28 avril c’était déjà reparti pour le non-marchand pour dénoncer l’immobilisme du gouvernement wallon dans le cadre des négociations censées aboutir à un nouvel accord social pour le secteur. Et ce n’est pas fini… Pourquoi donc tant de mobilisations autour de la santé ?

Sur le terrain, une dégradation progressive de la qualité des soins
 

Si les travailleurs du secteur de la santé se mobilisent d’une telle façon c’est parce qu’ils constatent quotidiennement la dégradation de la qualité des soins aux patients et celle de leurs conditions de travail. Ces deux éléments sont intimement liés. Dans sa charte, la Plate-forme d’action Santé et Solidarité rappelle le rôle central du personnel soignant et insiste sur l’importance de conditions de travail adéquates : 

Le personnel soignant et médical occupe une place centrale dans l’organisation des soins de santé. Une offre de soins de qualité nécessite un personnel en suffisance, bien formé, et ce de manière continue. Étant donné les évolutions démographiques, la gestion, la planification et la rémunération des travailleurs de la santé seront un défi majeur. Pour garantir des revenus et des conditions de travail adéquats, il faudra consentir un financement suffisant des soins de santé ainsi qu’un mode de financement approprié et veiller à une répartition plus efficiente du budget (point 5.2).

Tout le monde a affaire, de près ou de loin, personnellement ou dans son entourage, au secteur non-marchand et a entendu ou vu des situations consternantes. Dans des maisons de repos, par exemple : certaines ont un budget maximum de trois euros par jour et par personne pour tous les repas, d’autres réutilisent des langes pour réduire les coûts, etc. En Flandre, 15 000 personnes lourdement dépendantes vivent dans des lieux où les lits (places) sont sous-financés, et où le personnel soignant a à peine le temps d’exécuter les tâches indispensables. Des personnes âgées sont parfois mises au lit à 18 heures parce que l’équipe de nuit est insuffisante pour les coucher plus tard dans la soirée.

Un projet de loi qui transforme la sécurité sociale et met la concertation sociale sous tutelle
 

Parmi toutes les réformes mises en place par le gouvernement actuel en matière de santé, le dernier projet de loi du gouvernement fédéral portant réforme du financement de la sécurité sociale est sans doute le plus emblématique et le plus dangereux. D’après Jean Hermesse[1], secrétaire général des mutualités chrétiennes, cette réforme constitue un recul social. En effet, elle provoque davantage d’instabilité budgétaire pour les matières de sécurité sociale (pension, incapacité de travail, soins de santé, chômage…). Elle ne tient nullement compte des conséquences du vieillissement de la population. De plus, elle met la concertation sociale encore plus hors-jeu. Devant ces nouvelles insécurités qui mènent à une diminution de la protection collective, les assurances privées ne manqueront pas de prendre le relais pour ceux qui en auront les moyens… 

Jusqu’ici, la différence entre le financement de la sécurité sociale par les cotisations et les dépenses était comblée par une « dotation d’équilibre »[2]. Depuis des années, la sécurité sociale est sous-financée alors que les besoins de la population augmentent.

Le projet de loi voté le 30 mars 2017 prévoit de ne plus boucher systématiquement les trous dans les budgets de la sécu. Ce trou que par ailleurs le gouvernement provoque en réduisant les cotisations sociales. Ce faisant, le gouvernement fédéral porte l’espoir que les entreprises créeront de l’emploi en contrepartie, entrainant ainsi une augmentation des ressources en cotisations sociales. C’est ce que l’on appelle l’effet retour. Mais il s’agit d’un pari sur le comportement de ces acteurs qui peuvent tout aussi bien augmenter le bénéfice de leurs actionnaires, réduire la voilure de leur activité…Ainsi, les recettes compensatoires, pour combler l’éventuel manque à gagner de ces réductions de cotisations sociales ne sont pas garanties. Autre incertitude dans le financement : la dotation de l’État ne sera pas augmentée si la croissance du PIB n’atteint pas au moins 1,5 pourcent. Or, depuis dix ans la croissance du PIB n’a pas dépassé les 1,2 pourcent. Ici aussi, le gouvernement s’appuie sur un pari – celui d’une croissance plus élevée que par le passé. Sans qu’un plan B ne vienne assurer les arrières. En bref, la réforme s’appuie sur un modèle où les recettes de la sécurité sociale deviennent instables et incertaines.

« Le gouvernement s’arroge subtilement le droit de dessiner l’avenir de la sécurité sociale, là où originellement celui-ci devait être co-construit avec l’ensemble des acteurs de la santé. »

La sécurité sociale devient ainsi une variable politique d’ajustement budgétaire. Sans une augmentation des recettes de la sécurité sociale, celle-ci s’expose à une diminution de ses dépenses à l’avenir et donc à une sélectivité accrue dans l’accès aux droits ou une diminution des prestations (de chômage, d’invalidité, de pension, de soins de santé…). Ce sont les principes mêmes de la protection sociale qui sont menacés : la sécu n’est plus supposée s’adapter aux besoins de protection des citoyens, mais c’est la protection qui va devoir s’adapter aux choix financiers de l’État.

Un dernier impact de cette loi est qu’elle affaiblit significativement la concertation sociale à divers niveaux (remise en question des accords sociaux, mise sous tutelle des Comités de gestion…). Le gouvernement achève d’institutionnaliser un mode de fonctionnement qui consiste à ignorer les accords des partenaires sociaux par la mise sur pied d’une Commission Finances et Budget composée exclusivement de fonctionnaires et de représentants des ministres. Les partenaires sociaux sont les grands absents de cette commission qui est chargée de contrôler mensuellement les dépenses de la sécurité sociale. Si des déficits risquent de se présenter, cette commission peut imposer des ajustements ou mesures au Comité de gestion de la sécurité sociale. À travers cette commission, le gouvernement met la main sur une partie importante des décisions politiques, du financement et de la gestion de la sécurité sociale. Il s’arroge subtilement le droit de dessiner l’avenir de la sécurité sociale, là où originellement celui-ci devait être co-construit avec l’ensemble des acteurs de la santé.

Une politique budgétaire versus une politique de santé publique

À y regarder d’un peu plus près, on doit en venir à la conclusion que la Ministre et le gouvernement veulent démanteler notre système de sécurité sociale basé sur la solidarité pour pouvoir confier les soins de santé à des acteurs commerciaux.

« Nous sommes en présence d’une ministre de la santé qui ne s’intéresse pas de façon prioritaire à la santé. »

Lors du conclave budgétaire du mois d’octobre 2016, la ministre de la santé Maggie De Block a accepté que 900 millions d’euros soient ponctionnés dans son secteur. Déjà en 2015, des économies avaient été décidées au sein de ce secteur, auxquelles s’additionne maintenant ce montant[3].

Dans le contexte austéritaire du gouvernement, la ministre De Block peine à cacher que son objectif principal est budgétaire et non de santé publique. Beaucoup de mesures récemment mises sur la table par le gouvernement visent à diminuer les dépenses en soins de santé ou ont de répercussions sur celle-ci. Nous en avons retenu quelques-unes. Elles mettent en évidence que nous sommes en présence d’une ministre de la santé qui ne s’intéresse pas de façon prioritaire à la santé.

Diminution des remboursements de certains médicaments

La Ministre a décidé de changer certains médicaments de catégorie de remboursement. Ainsi, par exemple, l’Augmentin, l’antibiotique le plus prescrit, coûtera presque 7 euros au lieu de 3,50 euros. On passe de la catégorie B (75% de remboursement) à la catégorie C (55%). La Ministre appuie sa décision sur l’argument selon lequel les Belges consomment trop d’antibiotiques. Or, aux Pays-Bas, les antibiotiques sont bien meilleur marché, et nos voisins du nord en utilisent deux fois moins. Le prix et l’utilisation n’ont donc rien à voir l’un avec l’autre. Il aurait été préférable d’ajouter un mécanisme qui permette de maintenir un prix abordable lorsque la prescription est justifiée, pour éviter que les personnes les plus pauvres reportent leur recours aux soins. 

Suppression des jours de congé supplémentaires pour les travailleurs-euses du non-marchand de plus de 45 ans

En 2000, en échange de la limitation de l’augmentation salariale, des jours de congés spéciaux ont été instaurés pour les plus de 45 ans afin d’alléger leur carrière. Le gouvernement veut les supprimer alors que la pression du travail n’a cessé de s’intensifier depuis lors.

Réintégration des malades de longue durée sous menace de sanctions financières

Fin mars, le gouvernement s’est également mis d’accord sur son projet de « responsabilisation » des malades de longue durée. Dans les faits, cela veut dire sanctionner les personnes malades de longue durée si celles-ci ne collaborent pas au parcours de réintégration.

À l’occasion d’une journée d’étude sur le sujet organisée par la centrale générale de la FGTB, au cours de laquelle ont notamment témoigné un médecin conseil de mutuelle, un médecin généraliste et un médecin-inspecteur des affaires sociales, tous se sont accordés pour dire que la réintégration n’a rien de nouveau. Ils soulignent l’importance du rôle de l’employeur dans ce processus. En effet, celui-ci est-il vraiment prêt à explorer les possibilités de réintégration des travailleurs malades et donc à participer activement à la réintégration de ceux-ci ? Si oui, alors cette nouvelle législation peut vraiment être une plus-value pour les travailleurs malades. Mais à l’heure où les employeurs semblent principalement préoccupés par la productivité et la flexibilité, force est de constater que c’est une logique qui ne respecte pas les travailleurs.euses en incapacité de travail.

Cette politique s’intègre en réalité dans toute la logique des mesures de la ministre De Block et du gouvernement pour organiser la chasse aux travailleurs malades de longue durée et pratiquer l’austérité sur leur dos. Si l’on veut vraiment résoudre le problème de l’augmentation du nombre de malades de longue durée, c’est une politique de prévention qu’il faut mettre en place en s’attaquant aux causes de la maladie (pensons notamment au report de l’âge de la pension et au stress chronique).

Des mobilisations pour la santé dans plusieurs pays européens
 

Nous ne sommes pas seuls à être confrontés à de telles politiques qui s’attaquent au système de santé et favorisent la prise en charge de secteurs importants des soins par les entreprises commerciales. Un peu partout en Europe, des organisations sociales diverses descendent dans la rue pour dénoncer les coupes budgétaires dans ce secteur et revendiquer un accès universel à des soins de santé de qualité, de bonnes conditions de travail et un financement du système de santé par l’État à hauteur des besoins.

Aux Pays-Bas, 250 personnes réclament une assurance-maladie nationale publique[4]. Chez nos voisins du Nord, cela fait déjà un moment que l’assurance-maladie publique telle qu’elle a cours en Belgique n’existe plus. Les primes des assurances privées explosent, et il y a en plus une franchise, à payer personnellement avant l’intervention de l’assurance privée. De plus en plus de Néerlandais doivent reporter des soins médicaux à cause du coût de ceux-ci. Entre 2010 et 2013, le pourcentage de gens qui ont reporté des soins pour raisons financières a augmenté de manière spectaculaire, passant de six à treize pourcents.

À Londres, le quatre mars, 250 000 personnes – médecins des soins de santé publics, syndicalistes et simples citoyens britanniques – sont descendues en rue pour protester contre le démantèlement du National Health Service (NHS), le système public des soins de santé obtenu par le mouvement ouvrier après la Deuxième Guerre mondiale. Le NHS est actuellement sous très forte pression suite à la énième vague d’économies du gouvernement conservateur.

« Appliquant froidement les politiques d’austérité dictées par l’Union européenne, nos gouvernements […] sous couvert de moderniser le système, défendent en réalité d’autres intérêts… »

En Allemagne, le personnel des hôpitaux doit mener une action… pour pouvoir prendre sa pause.  » Tu as déjà pris ta pause aujourd’hui ? » La question peut sembler très ordinaire entre collègues mais, dans les hôpitaux allemands, prendre sa pause n’est pas du tout une évidence. Il y a trop peu de personnel et, donc, une très forte pression de travail. Le 21 février, le syndicat des services publics Ver.di a mené une action précisément intitulée « Tu as déjà pris ta pause aujourd’hui ? », et il a appelé chacun à prendre sa pause ce jour-là. Les hôpitaux étant en sous-effectifs, le personnel ne peut en effet généralement pas se permettre de pause s’il veut arriver à soigner tous les patients. On estime que les hôpitaux allemands ont besoin de 162 000 travailleurs supplémentaires, dont 70 000 pour les soins.

Le droit à la santé, un droit fondamental à défendre
 

Immanquablement ces politiques budgétaires s’attaquent au droit à la santé. Par ailleurs, ce sont les personnes aux revenus les plus faibles qui sont peu à peu exclues du système.

Appliquant froidement les politiques d’austérité dictées par l’Union européenne, nos gouvernements ne semblent pas prendre la mesure de leurs décisions qui, sous couvert de moderniser le système, défendent en réalité d’autres intérêts…

Face à ces attaques, nous devons nous organiser et revendiquer un système de sécurité sociale digne du XXIème siècle. Rappelons-nous que la sécurité sociale est ce système extraordinaire mis en place après la Seconde Guerre mondiale, après de nombreuses années de luttes sociales et qui a fortement contribué au développement du bien-être de la population. Ce système a prouvé que la santé crée de la richesse et n’est pas une charge pour la société.

En Belgique, la Plate-forme d’action Santé et Solidarité réunit une série d’acteurs d’horizons divers (syndicats, mutualités, associations et ONG), qui ont décidé d’unir leurs forces pour défendre la santé. Dans sa charte, elle rappelle que la santé est un droit fondamental et dénonce la commercialisation des soins de santé : 

Les soins de santé sont des biens publics et doivent être traités comme tels dans tous les accords internationaux. La Belgique doit s’engager ici, tout comme au niveau européen et international, en faveur du maintien et du développement de services de soins et de mutualités exclusivement à finalité sociale. La santé doit échapper à toute logique de commerce et de privatisation. Elle doit être exclue de la directive de l’Union européenne relative aux services dans le marché intérieur (dite directive Bolkestein) ainsi que de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) (point 3.2).

En 2015, la plate-forme publiait une revue en collaboration avec la Fédération des maisons médicales qui montrait que le processus de marchandisation de la santé et des soins est un phénomène européen et faisait écho des nombreuses résistances qui s’organisent aux quatre coins de l’Europe. Pour créer un réel rapport de force à l’égard des politiques européennes qui encouragent cette commercialisation, il est nécessaire d’organiser un mouvement à l’échelle européenne. C’est pourquoi la plate-forme est membre du Réseau européen contre la commercialisation de la santé et de la protection sociale qui organise notamment chaque année une journée d’action dans de nombreuses villes en Europe le sept avril, à l’occasion de la journée mondiale pour la santé.

Notes :

  • [1] En Marche, édito du 6 avril 2017

    [2] La dotation d’équilibre est une dotation de l’Etat qui comble l’écart entre le financement et les dépenses. « Afin de garantir l’équilibre financier des prestations sociales, le Roi détermine chaque année, par arrêté royal, la dotation d’équilibre de la sécurité sociale, de telle sorte que la sécurité sociale n’ait pas de déficit » Plus d’explication p.5 du droit de l’employé (https://cne.csc-en-ligne.be/Images/LeDroitFEV17-tcm222-403280.pdf)

    [3]  En 2015, les coupes annoncées dans le budget de la santé étaient de l’ordre de 355 millions d’euros. En 2017, elles sont de l’ordre de à hauteur de 902 millions d’euros en 2017.