[1] Marc JACQUEMAIN et Nadine ROSA-ROSSO, Du bon usage de la laïcité. Bruxelles, Aden, 2008.

[2] Il s’agit d’un des « critères d’insertion » définis par ce rapport : « conformément aux principes sociaux fondamentaux soutenant la culture du pays d’accueil et tenant à la « modernité », à l’ « émancipation » et au « pluralisme confirmé » dans le sens donné par un État occidental moderne ». COMMISSARIAT ROYAL À LA POLITIQUE DES IMMIGRÉS, L’intégration : une politique de longue haleine. Volume I : Repères et premières propositions, Bruxelles, novembre 1989, pp. 38-39.

[3] COMMISSION du DIALOGUE INTERCULTUREL, (Edouard DELRUELLE et Rik TORFS, rapporteurs), Rapport final, 2005, p. 27.

[4] Citons encore le Rapport de la Commission du Dialogue interculturel : « Le pluralisme n’est pas une simple coexistence d’opinions et de croyances diverses mais la construction d’un espace commun de dialogue et d’émancipation, où la diversité fait l’objet de débats collectifs et se traduit dans des institutions spécifiques », Ib.

[5] Xavier MABILLE, Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, nouvelle édition, Bruxelles, CRISP, 1997, p. 116 et 119.

[6] Caroline SÄGESSER et Vincent  de COOREBYTER, Cultes et laïcité en Belgique, Dossiers du CRISP, 51, février 2001, p. 5.

[7] Nous tirons ces informations de l’ouvrage cité plus haut de Xavier MABILLE, Histoire politique…, pp. 12 et 140.

[8] X. MABILLE, op.cit., pp.321-322.

[9] Tony DHANIS, « Une église dans l’imbroglio belge ? » dans Jean E. HUMBLET et Tony DHANIS, Église-Wallonie .Chances et risques pour un peuple,  Bruxelles, Vie Ouvrière, 1983, p.145.

[10] Ce régime de l’enseignement peut provoquer l’étonnement d’observateurs extérieurs au même titre que le régime des cultes. Voir note 5.

[11] C. SÄGESSER et V. de COOREBYTER, o.c., p. 17.

[12] Sur le pacte culturel, voir Vincent de COOREBYTER, Le pacte culturel. Dossiers du CRISP, 60, décembre 2003.

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Le 02 septembre 2008

Le « pluralisme confirmé » de la société belge

Des controverses récentes secouent le monde de la laïcité. Elles sont surtout suscitées par la présence et la visibilité dans notre société de la communauté musulmane. Sans entrer dans ces controverses, il nous a paru utile de « revisiter » en quelque sorte la laïcité et de nous demander ce qu’elle signifie dans la société belge. Il est apparu pourtant que cette notion recouvrait mal notre spécificité. Un parcours historique fait apparaître la genèse et les caractéristiques de ce que nous appelons un « pluralisme confirmé », non seulement vécu par les personnes mais coulé dans les institutions et les textes légaux : régime des cultes et de la laïcité organisée, « piliers », cours philosophiques dans les écoles publiques, pacte scolaire et pacte culturel… Au terme on s’interroge sur les raisons qui pourraient militer en faveur d’un maintien du statu quo, quels qu’en soient les aménagements souhaitables. 
 

En 2006, il y eut la polémique autour de l’interdiction d’une conférence de Tariq Ramadan par les autorités de l’Université Libre de Bruxelles. Tout récemment, en réaction à une pétition pour l’interdiction de signes religieux à l’école, un ouvrage collectif, publié sous le titre « Du bon usage de la laïcité », rassemble une dizaine de contributions qui défendent une laïcité compatible avec l’expression publique des religions et de la diversité culturelle[1]. Il est lui-même en butte à de sévères critiques. On voit bien que ces divergences concernent de près le vivre ensemble dans notre société et la qualité de notre démocratie ; elles ne peuvent nous laisser indifférents. Mais avant de prendre éventuellement position sur ces questions controversées, il nous a paru nécessaire de « revisiter » en quelque sorte la laïcité et de nous demander ce que cette notion signifie dans la réalité belge. « Laïcité à la belge » aurait pu être le titre de cette analyse mais il nous est apparu précisément au cours de la recherche que le recours à cette notion recouvrait mal la spécificité de notre pays et que notamment le terme même n’apparaissait dans aucun texte légal. C’est pourquoi nous avons choisi pour titre une autre expression qui nous a paru plus appropriée, le « pluralisme confirmé ».

Pluralisme confirmé  
 

L’expression est empruntée au premier Rapport du Commissariat Royal à la Politique des Immigrés de 1989 qui voyait là un des « principes sociaux fondamentaux soutenant la culture » (de notre pays)[2] . Le texte précise qu’il faut comprendre ce pluralisme « dans le sens donné par un État occidental moderne ». Seize ans plus tard, la Commission du Dialogue Interculturel, dans son Rapport final, définit la Belgique : « Une démocratie fondée sur le pluralisme ». Elle estime que « notre histoire a … assuré, au terme de crises et de tensions, la promotion d’un triple pluralisme : le pluralisme politique (et syndical) qui a notamment permis l’émancipation de la classe ouvrière et la construction d’un équilibre social fondé sur la concertation ; le pluralisme philosophique (sur lequel nous allons revenir) ; le pluralisme communautaire, issu des mouvements flamand puis wallon, qui a donné naissance à l’État fédéral dans lequel nous vivons aujourd’hui »[3]. Le Rapport déploie cette vision de notre histoire et de notre société pour situer sa réflexion spécifique qui concerne « une quatrième forme de pluralisme, le pluralisme culturel » qu’il s’agit de gérer en transformant en « pluralité active la diversité culturelle issue des courants d’immigration ». La question qui nous occupe dans cette analyse est le deuxième pluralisme, celui que la Commission, du Dialogue appelle le pluralisme philosophique. Il nous paraissait éclairant de le situer d’emblée dans le contexte plus large que ce Rapport, à notre sens, décrit remarquablement.

Qui dit pluralisme, dit trois choses : diversité d’opinions et de croyances ; opposition et conflit entre ces opinions ; enfin débat et recherche de compromis en vue de permettre leur coexistence harmonieuse[4]. Clivage, conflit, compromis. Dans l’histoire de la Belgique indépendante, le clivage le plus ancien et longtemps récurrent fut certainement le clivage philosophique ; il traversait la bourgeoisie censitaire et francophone qui a créé la Belgique. La question sociale est née plus tard avec la progressive émancipation de la classe ouvrière. La question communautaire, latente dès le début mais fortement contenue, s’est surtout imposée au XXe siècle.

De la chrétienté à l’État démocratique
 

Le clivage philosophique s’inscrit dans l’évolution de l’Occident, qui se dégage progressivement de la culture et de la structure de la chrétienté pour s’ouvrir aux Lumières. La spécificité belge s’explique par la manière dont la crise de la Réforme au XVI e siècle s’est terminée par la réunification catholique de la Contre-Réforme triomphante dans les Pays-Bas espagnols. Contrairement aux pays devenus partiellement protestants (ou à minorités protestantes importantes), la Belgique a connu un clivage défini en termes d’opposition frontale : parti du clergé et des structures d’Église et parti anticlérical, essentiellement motivé par le désir de limiter le pouvoir de l’Église sur les consciences et sur la vie sociale.

Dans le courant du XVIIIe siècle, les pouvoirs publics, les souverains autrichiens d’abord (Marie-Thérèse et surtout Joseph II), la République française ensuite, Guillaume Ier enfin prennent des initiatives pour limiter l’influence de l’Église. Celle-ci est sur la défensive. Mais elle apparaît aussi comme un foyer de résistance nationale et populaire à un pouvoir étranger. Ce qui est de nature à la rapprocher des « libéraux », attachés aux idées nouvelles de la révolution et qui explique l’union sacrée contre le pouvoir hollandais et le succès de la Révolution de 1830.

Comme le note Xavier Mabille, la Constitution belge de 1831 « instituait un régime de libertés remarquable pour l’époque » ; il ajoute : « La reconnaissance des libertés s’opéra sous la forme de compromis de façon que catholiques et libéraux y trouvent également satisfaction ». La liberté des cultes et la liberté d’enseignement étaient garanties en des termes qui donnaient satisfaction aux catholiques, les libertés de la presse, de réunion, d’association et de pétition en des termes qui donnaient satisfaction aux libéraux[5]. Mabille cite in extenso la lettre du cardinal de Méan, archevêque de Malines, aux Constituants dans laquelle celui-ci précise la position de l’Église en matière de régime constitutionnel des libertés. Échaudé par les diverses vexations subies sous les régimes précédents, s’appuyant sur la conviction que « les catholiques forment la presque totalité de la nation », il réclame une « parfaite liberté avec toutes ses conséquences » : aucune restriction à l’exercice public du culte, aucune ingérence de l’État dans son régime (nomination des ministres, relations avec le Saint Siège), liberté d’enseignement, liberté d’association. Une dernière revendication toutefois se fonde sur un tout autre argument : il s’agit des traitements ecclésiastiques. La référence est ici le Concordat napoléonien de 1801, par lequel le Saint Siège a ratifié l’aliénation des biens du clergé par la révolution sous la stipulation que l’État pourvoirait convenablement aux frais du culte et à l’entretien des ministres. Pourtant l’accord sur cette disposition fut obtenu sans difficulté au sein du Congrès national, ce qui provoqua « l’étonnement d’observateurs étrangers qui ne pensaient pas qu’il fût possible d’éviter l’alternative entre une Église salariée et contrôlée par l’État et une Église libre mais ne bénéficiant d’aucun financement public »[6].

La question scolaire
 

À travers le XIXe siècle et jusqu’aux années 1960, la pomme de discorde concerne l’école. Dans les premières années après l’indépendance, la liberté d’enseignement revendiquée par l’Église confinait au privilège. Une loi de 1842 rendait obligatoire dans les écoles primaires l’enseignement de la religion donné par le curé. En 1845, les deux tiers des 74 établissements d’enseignement secondaire étaient dirigés par le clergé ou des religieux. On ne s’étonne pas de trouver en bonne place dans le programme du parti libéral qui se constitue en juin 1846 la revendication suivante : « l’organisation d’un enseignement public, à tous les degrés, sous la direction exclusive de l’autorité civile, en donnant à celle-ci les moyens constitutionnels de soutenir la concurrence contre les établissements privés, et en repoussant l’intervention des ministres des cultes, à titre d’autorité, dans l’enseignement organisé par le pouvoir civil »[7]. Ce programme sera réalisé pour l’essentiel par le gouvernement libéral homogène venu au pouvoir en 1878. Les lois Van Humbeek (du nom du ministre de l’Instruction publique) provoquèrent une vive réaction des catholiques, qui se traduisit notamment par l’instauration  d’un réseau complet d’écoles primaires catholiques. Les deux réseaux coexistent jusqu’à ce jour, avec des effectifs sensiblement équivalents, dans une concurrence qui, selon les temps et les lieux, a oscillé de la saine émulation à l’affrontement ouvert. Le dernier moment chaud de cette guerre scolaire eut lieu autour de 1955, sous le gouvernement socialiste-libéral Van Acker IV et conduisit, après le retour du PSC (Parti Social Chrétien) au pouvoir, par la conclusion en 1958 entre les trois grands partis nationaux, du « pacte scolaire » qui « établit les règles appelées à régir les rapports entre les réseaux d’enseignement »[8]. À travers tous les aléas de la politique belge depuis ce jour, et en dépit de diverses critiques, le pacte tient toujours bon.

Le « pilier » catholique
 

Avant d’aller plus loin dans l’examen de ce Pacte, il importe de noter ici que l’existence d’un puissant réseau d’enseignement catholique n’est qu’un des éléments, le plus impressionnant sans doute, de ce qu’on appelle le « pilier catholique ». Usant de la liberté d’association que lui reconnaissait la Constitution, l’Église catholique (ou certains de ses membres) a créé un ensemble d’organisations au label catholique qui répondent à tous les besoins de la vie en société de la naissance à la mort. Comme le note Tony Dhanis, « acceptant les institutions nouvelles de la démocratie politique et de la liberté d’association, les catholiques belges ont structuré une sorte de chrétienté parallèle aux institutions publiques et aux mouvements et organisations nés dans d’autres milieux »[9]. Expression de la forte présence historique de l’Église catholique dans la société belge, souvent porté au point de départ par un engagement très militant, le « pilier » survit à la sécularisation et au recul de la foi et de la pratique religieuse depuis 40 ans. Est-ce positif ou négatif ? Dans le monde catholique, certains constatent avec regret, voire amertume, que ces institutions (écoles, établissements hospitaliers, mutuelle, syndicat, mouvements de jeunesse…) n’ont plus de chrétien que le label. D’autres, de l’autre bord, dénoncent dans la persistance du pilier un anachronisme, voire une ruse cléricale pour perpétuer l’influence de l’Église. Il s’agit là, en tous les cas, d’un  élément incontournable et original de la complexité belge.

Pour en revenir à l’enseignement, le Pacte scolaire a consacré une situation qui, par rapport à la conception d’une stricte séparation entre l’Église et l’État, comporte deux corrections (ou déviations) majeures. D’une part, les écoles publiques organisent, dans leur programme, l’enseignement religieux : selon les termes de la Constitution, « les écoles… offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non-confessionnelle » (article 24, 3e al.). D’autre part, l’État (aujourd’hui les communautés) subsidie aussi l’enseignement libre, c’est-à-dire pratiquement l’enseignement catholique, même s’il existe quelques écoles d’autres appartenances[10]. Face à cette situation historiquement privilégiée de l’Église catholique, l’impartialité de l’État s’exprime par la reconnaissance des autres principales religions présentes sur notre sol et de ce que l’article 24 de la Constitution appelle « la morale non confessionnelle ».

La laïcité organisée
 

C’est cette situation de fait qui a amené les nombreuses associations de libre pensée actives en Belgique depuis l’indépendance à se structurer au niveau national afin de défendre et promouvoir leur conception de la vie et de la société. L’Unie Vrijzinnige Verenigingen (UVV) a été créée en 1965, le Centre d’Action Laïque (CAL) en 1969 ;  depuis 1973, les deux associations ont donné naissance à une instance commune, le Conseil Central Laïque (CCL) destiné à les représenter dans leurs initiatives pour la reconnaissance par les pouvoirs publics. Sans renoncer nécessairement à leur revendication d’un État laïque, les tenants d’une vision du monde « philosophique non confessionnelle » prenaient ainsi le parti de s’insérer résolument dans le régime belge de compromis en acceptant un statut équivalent à celui des cultes. Ainsi s’est constituée la laïcité organisée. En 1993, un paragraphe second a été ajouté à l’article 181 de la Constitution qui concerne la rétribution des ministres des cultes. En vertu de ce paragraphe, l’État prend en charge les traitements et pensions des délégués des « organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ». Même si, pas plus ici qu’en aucun autre endroit de la Constitution n’apparaissent les mots « laïque » ni « laïcité », on peut dire que cette disposition de la Constitution « met en quelque sorte la laïcité organisée sur le même plan que les six cultes reconnus »[11]. C’est l’originalité de la laïcité « à la belge », bien reconnue et reflétée par l’article 4 des statuts du CAL qui définit la laïcité, « d’une part » comme « la volonté de construire une société juste… assurant à chacun la liberté de pensée et d’expression… » et « d’autre part », comme « l’élaboration personnelle d’une conception de vie qui se fonde sur l’expérience humaine, à l’exclusion de toute référence confessionnelle, dogmatique ou surnaturelle ».   

Dans cette esquisse rapide du paysage religieux et philosophique de notre pays et des compromis qui le caractérisent, il faut encore dire un mot du « pacte culturel », conclu entre pratiquement tous les partis en 1972 et entériné par la loi du 16 juillet 1973, « garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques ». Au moment où la Belgique commence à se communautariser, cette loi est un dernier effet de la solidarité interrégionale des « familles philosophiques ». Pour éviter que la prédominance du parti chrétien en Flandre, celle des partis anticléricaux en Wallonie ne se traduisent en hégémonie, le pacte culturel a voulu garantir (selon les termes de l’article 11 de la Constitution) « les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques » et dans ce but assure la représentation de toutes les « tendances » dans les organes de gestion des matières culturelles. Dans la pratique, cette représentation est assurée à travers le filtre des partis politiques, ce qui attire au pacte le reproche de politiser la culture. Malgré les critiques, ce pacte aussi tient bon, 35 ans plus tard. C’est une autre expression de la volonté de pluralisme[12].

Laïcité ou pluralisme confirmé ?
 

Il faut reconnaître honnêtement que la laïcité politique institutionnelle n’existe pas dans une Belgique qui subsidie les ministres des cultes et l’enseignement confessionnel. Le Rapport du Commissariat Royal de 1989 auquel le titre  de cette analyse a été emprunté ne précise pas en quoi le pluralisme est « confirmé ». Cela veut probablement dire qu’il est inscrit, non seulement dans la pratique et les esprits mais dans les institutions et la législation. Faut-il regretter cet état de choses, se battre pour le modifier ?  Faut-il bannir avec plus de rigueur les manifestations religieuses du domaine public ?  Ne faudrait-il pas, par exemple, comme l’a récemment suggéré un ministre, supprimer les cours dits philosophiques de l’enseignement public pour donner plus de place à l’éducation physique et au sport ?  Peu importe que ces propos aient été tenus après les faibles résultats de notre pays aux Jeux Olympiques : que penser de l’argument qui renvoie la religion à la vie privée ?

On répondra à cette question de trois points de vue successifs. Le premier serait celui du pragmatisme. La société belge est une société compliquée. Dans cette situation, les équilibres sont délicats et les accords, advenus au terme de longues négociations, sont précieux. Les exemples du Pacte scolaire, conclu il y a cinquante ans, et du Pacte culturel, qui en compte trente-cinq et auxquels, malgré leurs défauts, on préfère ne pas toucher, sont éclairants. On peut regretter la pesanteur des institutions et l’enlisement auquel le retard des décisions peut quelquefois conduire. Mais cette sorte de prudence est sans doute inévitable et au moins le moindre mal.

On peut aller plus loin et se demander si cette complexité ne serait pas aussi une richesse. Le clivage confessionnel a perdu de son acuité. De nouveaux éléments complexifient le paysage, comme l’importance croissante des communautés musulmanes que nous avons évoquée en commençant. À l’intérieur de chaque camp, les nuances, les « chapelles » sont nombreuses, tandis que, de l’un à l’autre, des collaborations fécondes se nouent. Certains regrettent cette pluralité qu’ils considèrent comme un gaspillage, une dispersion des ressources. De bons esprits prônent un réseau scolaire unique, gage à leurs yeux, d’une meilleure éducation civique. D’autres s’interrogent sur le sens d’un pilier catholique largement déconfessionnalisé. Mais, du point de vue, cette fois, de ce qu’on pourrait appeler la santé démocratique du pays, la persistance des piliers peut très bien être considérée comme un facteur positif, un moteur d’initiative et de créativité. Et on peut penser raisonnablement la même chose de la reconnaissance de plusieurs cultes et, sur pied d’égalité, de la laïcité organisée. Une saine et loyale émulation entre ces institutions et mouvements divers peut favoriser, plus qu’une unification forcée, « la construction d’une société juste, progressiste et fraternelle… assurant à chacun la liberté de pensée ou d’expression ». Nous citons à dessein ici la première partie de la définition de la laïcité selon le Centre d’Action Laïque (CAL), pensant que, sur cette formule, incroyants et croyants de toutes tendances peuvent se retrouver.

Le troisième point de vue concerne directement et spécifiquement la place des religions et convictions philosophiques dans le domaine public. N’ont-elles pas le droit, n’ont-elles pas même un devoir pressant de se faire entendre dans tous les débats qui concernent le bien commun de la société ?  Une société n’est pas seulement un tissu de rapports de forces  économiques, politiques et culturelles, elle ne peut faire abstraction des questions de sens. Chaque choix politique est finalement fondé sur une vision du monde, de la vie et des personnes. L’affirmation que « l’homme ne vit pas seulement de pain » ne vaut pas seulement   pour les croyants. C’est ce que reconnaît un article peu connu de la Constitution belge que nous citerons en terminant. L’article 24, paragraphe 3, alinéa 2 de la Constitution affirme : « Tous les élèves soumis à l’obligation scolaire  ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou religieuse ». Cet article ne répond pas seulement à ceux qui voudraient renvoyer cette éducation à l’initiative privée ; il inscrit dans la Constitution de notre pays un principe fondamental,  la nécessité de la recherche du sens, le caractère spirituel de la personne humaine.    

Notes :

  • Des controverses récentes secouent le monde de la laïcité. Elles sont surtout suscitées par la présence et la visibilité dans notre société de la communauté musulmane. Sans entrer dans ces controverses, il nous a paru utile de « revisiter » en quelque sorte la laïcité et de nous demander ce qu’elle signifie dans la société belge.