Peindre, pour ne pas se laisser « dé-border »
La peinture me permet de « mettre des bords à ma vie », en sublimant tout ce que je ne peux pas être ou faire. Je suis une grande rêveuse. J’ai toujours envie de vivre mille vies, et en même temps j’ai choisi une orientation à ma vie. Maintenant, comme un arbre, je me laisse le temps de prendre racine, d’habiter mes choix. Cela implique de se laisser traverser par certaines vies sans les retenir, les laisser mourir ou parfois les sublimer.
La peinture, c’est aussi la condition de mon existence avec les autres. Ma mission d’aumônière de prison est merveilleuse de Vie, de liberté et d’espérance et en même temps éprouvante ; sans la peinture, je le sais, je deviens un monstre – celle que l’on montre du doigt. Je deviens autre chose que moi, un moi à l’écart de la société. Je ne suis plus en accord, en équilibre. Certaines parties de moi-même se déforment pour prendre trop de place comme une excroissance monstrueuse. Ne pas prendre de temps pour soi, pour se ressourcer, nous transforme, dans mon imaginaire, en figures molles des tableaux de Salvator Dali qui se déplacent à l’aide d’une canne – peut-être à force de trop courir dans l’action – et qui ont une tête allongée – comme si elles ne pouvaient plus en sortir à force de toujours penser. « Peindre » est avant la pensée ; cela fait parfois du bien de retrouver d’autres façons d’être au monde.
Lorsque je vis cette réalité de mes propres limites, je pense encore au tableau « La Madeleine à la veilleuse » de Georges de La Tour. D’une main, Marie Madeleine tient son visage et de l’autre un crâne posé sur ses genoux. Elle s’interroge, à la lumière de la résurrection, sur le passage par la mort. Récemment j’ai acheté un appartement. Je suis dans cette nouvelle phase de ma vie, où je m’installe dans un nid confortable, où je me construis un refuge avec mon mari. Cela m’a posé beaucoup de questions d’accéder à la propriété, de lier ma vie à des pierres. Je ne voulais pas que ces pierres deviennent le tout de ma vie, c’est pourquoi j’ai décidé d’accrocher une « vanité » dans mon hall d’entrée, pour signifier avec humour, ma propre finitude.