Le 15 octobre 2024

La prison fait-elle justice ?

Dans ce dossier, différentes voix expertes et impliquées se sont exprimées sur les prisons : un ancien détenu, un directeur de prison, une commissaire de surveillance, une médiatrice, des conseillers moraux et religieux en prison, ainsi que des chercheuses en droit et en anthropologie. Toutes – avec des accents différents – ont mis en lumière les multiples scandales, aberrations et dysfonctionnements du système carcéral. Au point de se demander : La prison rend-elle vraiment justice ? Le système pénal est-il réellement juste ? Tentons d’extraire de ce dossier quelques pistes de réflexion et d’action pour sortir de l’impasse.

Close up d'un visage derrière un flou. crédit : Alexander Grey - unspalsh
crédit : Alexander Grey – unspalsh

1.Reconnaitre la dignité intrinsèque de chaque être humain

« Nous sommes quand même tous des êtres humains, non ? » Ce cri du cœur d’une personne détenue à la prison de Forest, rapportée par Despina Psymarnou, en dit beaucoup. Le principal enjeu en prison, comme en témoignent les conseillers moraux et religieux, consiste ainsi à réaffirmer sa dignité humaine à toute personne emprisonnée, en lui offrant un contact humain, une écoute, une valeur, de la confiance… De la même manière, Vincent Spronck encourage toute personne exerçant des responsabilités en milieu pénal à « incarner une autorité pleine de bienveillance, de compréhension, d’humour, de sollicitude, de pitié parfois, pour nous mettre en position non de vis-à-vis mais de côte-à-côte ». « Tout le monde peut être important » pour la personne détenue, confirme Despina Psymarnou. Par ailleurs, la saturation du système pénitentiaire dans son ensemble ne constitue-t-il pas aussi une atteinte à la dignité des personnes qui y travaillent, comme les agents pénitentiaires, le personnel de direction, le greffe, le personnel médical, psycho-social, etc. ? Selon Marie-Hélène Rabier, « la prison est un grand corps malade. […] Il y a une souffrance au travail en prison ». Enfin, et avant tout, il conviendrait également de mieux considérer et prendre en charge les personnes victimes, comme le proposent les démarches de justice restauratrice. Finalement, en paraphrasant Marie-Hélène Rabier, le système carcéral concerne sans doute tout autant « ma dignité », « votre dignité », « notre dignité à tous et toutes ».

2.Respecter l’État de droit

« Qu’est-ce qu’une société qui accepte que ses lois ne soient pas respectées, comme nous le constatons quotidiennement pour de nombreuses dispositions de la Loi de principes [de 2005] ? », nous interpelle Geneviève Frère. « Pourtant, cette loi est courageuse, elle introduit des droits pour la personne détenue, là où auparavant n’existaient que des faveurs », défend Marie-Hélène Rabier. De même, si la réforme de 2024 du code pénal nourrit l’espoir d’une amélioration, on est en droit de se demander si nos gouvernements honoreront ces promesses. Car, quand on s’intéresse aux prisons et au système judiciaire de manière générale, il saute aux yeux que les moyens manquent cruellement pour faire appliquer les lois belges et internationales, et mener une justice digne de ce nom. Selon Léa Teper, ce manque d’investissement structurel est « imputable à tous les échelons de pouvoir ». Au moment où les gouvernements se forment aux niveaux fédéral, régional, communautaire, provincial et communal, il est urgent de rappeler au respect des principes déclarés et des lois votées. Il en va de la démocratie et de l’État de droit.

3.Développer les alternatives à la prison

Prisonniers de la logique carcérale (« la prison […] est la peine la plus fréquemment prononcée », rappelle ainsi Léa Teper), nous oublions trop souvent qu’il existe une série d’alternatives, qui font leur preuve et ne demandent qu’à être soutenues. Un premier exemple, ce sont les maisons de détention. « Pour moi, ce n’est même pas une bonne idée, c’est L‘idée ! », soutient Julien. Ces établissements de plus petite taille devraient notamment permettre un meilleur accompagnement des personnes détenues ; l’accompagnement qui est, selon Marie-Hélène Rabier, « un des principaux enjeux de la réinsertion ». Un deuxième exemple, ce sont les programmes de médiation dans le cadre de la justice restauratrice. Certes, « il faut stopper certains comportements (et bien des détenus m’ont dit leur soulagement d’avoir été arrêtés) », clarifie Vincent Spronck, mais « la prison comme peine doit être l’exception […] et non le premier choix comme aujourd’hui », insiste Marie-Hélène Rabier. Attention, cependant, à ce que ces alternatives ne « finissent par étendre le champ total des condamnations, sans réduire le recours à la prison », alerte Delphine Pouppez qui, en paraphrasant Angela Davis, propose « de renverser la question : plutôt que de chercher des traitements de substitution, il faudra se demander comment ne plus avoir besoin du carcéral – travailler à rendre la prison obsolète ».

4.Passer d’une logique punitive à une logique restaurative

Puisque « les tentatives d’améliorer la détention échouent toutes à protéger et réhabiliter, on peut estimer que ce n’est pas tant la prison qu’il faut réformer, mais le système pénal lui-même », nous dit Delphine Pouppez, qui plaide pour « repenser fondamentalement notre conception du ‘faire justice’ […] en plaçant les besoins des victimes au centre d’une logique non répressive ». Les différentes analyses lucides du système carcéral « manifestent la nécessité d’un changement de paradigme », abonde Geneviève Frère. Ainsi, ce dossier aura mis en évidence le besoin de passer d’une logique essentiellement punitive à une logique restaurative (restauratrice ou transformatrice). « La justice restauratrice propose ainsi une approche alternative, centrée sur les relations entre victimes, auteurs et communauté, en mettant l’accent sur la réparation des torts et la responsabilisation des auteurs », explique Anne Lemonne. « Cela n’éradiquera pas la délinquance. Mais ça aura le mérite d’en atténuer l’ampleur et les effets – peut-être même de la rendre constructive », selon Delphine Pouppez. « Au cours de l’histoire, le grand changement aura été de passer des châtiments corporels à l’emprisonnement. À l’avenir, le grand changement sera de passer de l’emprisonnement industriel à une justice pénale intelligente, constructive et individualisée », conclut Marie-Hélène Rabier.

5.Mener une approche globale

 « La population carcérale n’est pas un corps étranger, elle fait partie du corps social », interpelle Despina Psymarnou. D’une part, la prison est souvent « le résultat d’une exclusion sociale », poursuit-elle. Elle arrive en bout de course lorsqu’une série d’autres institutions ont failli, comme le démontre Vincent Spronck, qui déplore qu’on y « enferme [surtout] des pauvres ». « Il s’agit avant tout d’une population particulièrement vulnérable, marginalisée », confirme Delphine Pouppez. D’autre part, après avoir purgé leur peine, les personnes détenues sont censées être (ré)insérées dans la société. Il est dès lors indispensable d’adopter une approche globale, intégrale et intégrée de la justice, en envisageant la prison « au sein même de la société, et non comme quelque chose en dehors », comme l’affirme Geneviève Frère. « La société, tout un chacun, doit s’intéresser à la prison », abonde Marie-Hélène Rabier, qui appelle à renforcer « sérieusement » les politiques sociales « pour empêcher que les plus précaires d’entre nous soient ceux qui se retrouvent majoritairement en prison ». C’est également la conviction de Delphine Pouppez, pour qui « investir dans les services publics et sociaux – accès à l’enseignement, aux soins, à l’emploi, au logement, à l’aide sociale… », c’est « s’attaquer aux facteurs criminogènes ». En guise de conclusion, Geneviève Frère met en priorité le combat contre les inégalités, car celles-ci ont « des conséquences si désastreuses sur l’ensemble de la société, au point d’influencer […] les peines et l’incarcération ».