Le 06 décembre 2006

Les élections communales belges : Une extrême droite toujours présente

Une lecture un peu rapide des résultats électoraux au soir du 8 octobre pouvait laisser croire à un recul considérable de l’extrême droite. Certes les scores d’Anvers et de Schaerbeek sont encourageants, mais le combat en faveur la démocratie n’est pas encore gagné : l’extrême droite reste en effet bien implantée dans le paysage belge. Les actions doivent donc être poursuivies. La plate-forme Extrême droite, non merci ! est pour cela un outil essentiel, dont Bernard Hubien souligne toute la pertinence.

Des résultats attendus…

Au soir du 8 octobre dernier, les défenseurs de la démocratie dans notre pays commençaient à se réjouir. On annonçait une défaite du Vlaams Belang (extrême droite flamande) à Anvers, ville où depuis le scrutin municipal de 2000, il était le premier parti, en nombre de voix et de sièges. Une coalition de tous les partis démocratiques l’avait empêché de prendre le pouvoir dans la métropole, alors qu’il se serait bien allié à l’un ou l’autre pour gouverner la ville.

Pour ces élections d’octobre dernier, ce parti croyait occuper encore cette première place enviée et pensait devenir, par là même, un acteur incontournable de la majorité future.

Toutefois, Filip Dewinter devait très vite déchanter. Son parti n’est plus le premier à Anvers, puisque la liste socialiste du bourgmestre sortant, Patrick Janssens, l’a devancé d’une courte tête. En effet, avec 35,28 %[1] des votes et 22 sièges, la liste socialiste et l’action de Patrick Janssens, à la tête de la ville depuis six ans, est plébiscitée par plus d’un Anversois sur trois, tandis que la Vlaams Belang obtient 33,51 % des votes et conserve les 20 sièges qu’il avait déjà conquis en 2000. En terme de voix de préférence, Patrick Janssens se place aussi en tête avec 71.289 voix tandis que Filip Dewinter en obtient 62.642. Curieux désenchantement quand on sait que la Vlaams Belang venait pourtant de 32.95 % des votes, ce qui, tout compte fait, est une progression de 0,56 % des voix. C’est que le Vlaams Belang avait fait d’Anvers sa ville emblématique et était quasiment certain de ravir le fauteuil mayoral. Les sondages le prédisaient et l’ambiance au sein du parti était déjà à la victoire.

Un autre résultat était aussi attendu par ce parti extrémiste. Celui de la commune de Schaerbeek dans la Région de Bruxelles-Capitale. En effet, depuis 1994, le Vlaams Belang, à l’époque Vlaams Blok, voulait pénétrer dans la Région en commençant par cette commune, parce qu’un ancien commissaire de police, Johan Demol, y était une figure marquante dans les milieux extrémistes de droite. Se présentant avec une liste sous son nom, il avait obtenu 5 sièges. En 2000, avec une présence sur la même liste de candidats issus du Front national, il avait déjà perdu un siège. Et avec ce scrutin, l’extrême droite est réduite à peau de chagrin, puisqu’elle n’a plus qu’un seul siège au conseil communal.[2]

Une tendance de fond

Toutefois, ces résultats à Anvers et Schaerbeek ne doivent pas nous mettre trop vite en joie. En effet, l’extrême droite est bien implantée dans le paysage politique belge et les résultats de ce dernier scrutin le manifestent clairement.

Tous les observateurs pensaient que, en Flandre, le Vlaams Belang se maintiendrait à un haut niveau de votes exprimés en sa faveur. Dans deux communes flamandes, ce parti dépasse ou se maintient largement au-dessus des 30 % : comme on l’a dit, à Anvers, avec 33,51 % et à Schoten avec 34,71 %. Dans d’autres villes, il se retrouve avec des scores au-dessus des 20 %: à Aalst (Alost), 22,81 % ; à Beveren, 27,1 % ; à Ronse (Renaix), 23,89 % ; à Sint-Niklaas (Saint-Nicolas), 26,55 % ; à Temse (Tamise), 24,18 % et Vilvoorde, 21,86 %. A Dendermonde (Termonde), il frôle ces 20 % en obtenant 19 % des suffrages. Dans cette ville, il fait un bond de 8,1 %, ce qui ne peut être négligé. Pour l’ensemble des communes où il se présentait, le Vlaams Belang est passé de 439 à 794 conseillers élus[3].

Si, jusqu’au scrutin d’octobre 2000, le Vlaams Blok, devenu depuis Vlaams Belang, avait peu pénétré les campagnes et les petites villes provinciales, les résultats qui viennent d’être donnés montrent clairement que son assiette électorale s’est élargie jusque là. Toutefois, si l’on compare ces résultats d’élections communales au dernier vote exprimé en 2003 aux dernières élections régionales, la progression du parti extrémiste est négative. En effet, en totalisant l’ensemble des voix qui se sont portées sur ce parti aux deux scrutins, il y a un recul de 2,6 %. L’enracinement extrême s’est fait entre 2000 et 2004… De plus, aux élections provinciales qui avaient lieu le même jour, ce parti obtient 21,4 % des voix sur l’ensemble des provinces flamandes.

Les résultats en région flamande n’étonnent pas. Les scores au Sud du pays, eux, ont de quoi inquiéter.

Jusqu’à présent, les forces d’extrême droite en Wallonie restent largement divisées et rien ne semble indiquer qu’il faille s’attendre à une unification des partis qui les composent.

Si le Front national (FN) avait obtenu 6 sièges en 2000, à ce scrutin 2006, il en a gagné 28 (dont deux dans la Région Bruxelles-Capitale). Cela veut dire que 26 nouveaux conseillers FN siègeront dans les nouveaux conseils communaux. Beaucoup de partis seraient envieux d’une telle progression ! Dans des communes où il était absent en 2000, le FN fait des résultats exceptionnels pour lui. À Mons, il engrange 8,37 % des voix ; à Fleurus, 9,07 % ; à Courcelles, 10,69 % ; à Quaregnon, 11,31 % et à Pont-à-Celles, 12,59 %. A Charleroi, ville au passé chargé d’affaires longtemps occultées, le FN fait un résultat de 9,51 %. Dans cette ville dominée par le Parti Socialiste, l’ensemble des trois listes d’extrême droite (FN (9,51 %), Force nationale (2,70 %) et Front Nouveau de Belgique (0,92 %)) obtiennent tout de même un score de 13,13 %. Autre résultat décevant, au regard de la lutte contre l’extrême droite, est celui de La Louvière. Alors que, en 2000, le FN n’avait eu qu’à peine 3,14 % des voix et n’obtenait aucun siège de conseiller, il arrive aujourd’hui à 8,57 % et décroche trois sièges. Pourtant, dans cette ville, le bourgmestre sortant, Willy Taminiaux, se targuait d’avoir réduit l’extrême droite à néant.

Cependant, si l’on compare ces résultats en Wallonie à ceux des dernières élections de 2004, le FN recule dans l’ensemble de 4,9 %. Là où il a le plus progressé, c’est là où des gestions communales se sont montrées défaillantes.

Les résultats de Bruxelles étaient attendus. Ils sont assez encourageants pour la démocratie. En effet, sur l’ensemble des 19 communes de la région, il y a une perte globale de 3 sièges, le nombre d’élus extrémistes passant de 19 à 16. Cependant dans certaines communes, l’extrême droite atteint des scores devant lesquels il convient de rester vigilant. En effet, avec 11,79 % à Anderlecht et 10,58 % des voix à Molenbeek-Saint-Jean, l’extrême droite passe la barre des 10 % qu’elle frôle à Bruxelles-Ville et à Evere. Ceci, sans compter les voix qui se sont portées sur l’une ou l’autre liste « démocratiques » pour des candidats d’origine étrangère ayant des attaches fortes avec des partis ou mouvements d’extrême droite de leur pays d’origine. Qu’il suffise d’évoquer la présence sur la liste socialiste d’un candidat proche des Loups Gris, mouvement nationaliste d’extrême droite en Turquie. Ce candidat, élu le 8 octobre, a décidé de renoncer à son mandat.

Un combat à poursuivre

Sur le terrain des démocrates, le combat contre l’extrême droite doit se poursuivre. S’il est difficile d’évaluer l’influence des campagnes comme Extrême droite, non, merci ! ou Pour que vive la démocratie [4], on ne peut nier que ce genre de campagne aient sa raison d’être.

D’une part, par l’influence qu’elles peuvent avoir sur les électeurs indécis, tentés par un vote pour un parti d’extrême droite. En lisant, par exemple, le texte de la lettre distribuée par la plate forme Extrême droite, non merci ! à plus de 180.000 exemplaires dans cinq communes bruxelloises (Anderlecht, Bruxelles-Ville, Berchem Ste-Agathe, Molenbeek et Schaerbeek), des électeurs peuvent avoir entendu l’appel qui leur était fait de ne pas porter leur choix sur un parti extrémiste[5]. En étant interpellé par une action de la plate forme Pour que vive la démocratie, des électeurs ont sans doute pesé davantage la portée de leur vote.

D’autre part, par leur capacité à interroger les responsables politiques et mandataires publics sur leurs pratiques de lutte contre l’extrême droite et leur gestion des questions qui concernent directement les électeurs. C’est que, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner[6], il y a aussi une responsabilité des élus dans la progression de l’extrême droite. Qu’il suffise d’évoquer une fois encore la ville de Charleroi avec ses 13,13 % de votes pour un parti d’extrême droite. Un an avant le scrutin, une série d’affaires ont commencé à éclabousser plusieurs échevins et même le bourgmestre sortant. Et cette série de scandales n’est aujourd’hui pas encore close. C’est le parti socialiste de la ville qui était aux commandes, tout puissant puisqu’il détenait la majorité absolue au conseil communal (51,37 %). Et cette situation de majorité a duré des décennies. Aujourd’hui, s’il reste le premier parti de la ville, il a quand même perdu 12,94 %. Les électeurs ont donc sanctionné ce qu’il faut nommer une mauvaise « gouvernance ».

Il n’est pas étonnant que la mise en place du nouveau conseil communal de cette ville ait connu un incident majeur. Un élu FN, Olivier Delcourt, a effectué un salut fasciste au moment de prêter serment, la main gantée, et sous les huées de la foule. Il se sentait sans doute fort des résultats engrangés.

Devant ces situations, les associations membres de la plate forme ont, entre autres, demandé aux mandataires et responsables politiques « de renouer le contact avec les citoyens, de les reconnaître comme interlocuteurs et d’encourager leur participation dans la gestion de la cité en organisant davantage de rencontres et de débats dans les quartiers ; de prendre le temps de dialoguer avec les citoyens sur le fondement et les objectifs des décisions politiques et des nouvelles lois ; et de s’engager à se questionner sur leur fonctionnement et à proposer des normes, règles et modes d’action novateurs en termes de transparence, de contrôle et d’évaluation des politiques menées et des pratiques mises en œuvre ».[7]

Si la responsabilité des responsables publics dans la lutte contre l’extrême droite est grande, si le rôle des associations et des organisations auxquelles appartiennent bon nombre de citoyens est primordial, la responsabilité de chacun est engagée. Par nos choix sociaux et économiques, par les solidarités vécues ou non, nous protégerons notre démocratie ou ferons le lit de l’extrême droite. C’est que, souvenons-nous en, la bête n’est pas encore morte…

Notes :

  • [1] Sources : sites officiels des résultats en Flandre (http://www.vlaanderenkiest.be), en Wallonie (http://elections2006.wallonie.be/apps/spip) et à Bruxelles (http://elections.belbone.be/rb/fr/local_brussels/home.html).

    [2]

    ​ 

    [3] Source : www.resistances.be

    [4] Voir Évangile et Justice n° 76, (Mars 2006) pp. 10-14).

    [5] « Chèr(e) Bruxellois(e),

    Vous habitez Bruxelles et aimez cette ville. Mais vous vous dites peut-être que les logements sont chers, que le chômage est élevé, que les rues sont sales, que les transports publics sont inefficaces. Vous vous sentez isolé ou insécurisé… Et l’avenir de vos enfants vous préoccupe.

    Nous aussi, citoyens de Bruxelles, nous trouvons que tout est loin d’être parfait et sommes inquiets pour le futur !

    Mais nous voyons aussi des changements positifs qui nous rendent fiers de notre ville : on rénove davantage et il y a moins de maisons abandonnées, l’espace public est embelli, les transports en commun sont désormais gratuits pour les personnes âgées et les bénéficiaires des revenus d’intégration, des monuments sont restaurés et attirent de nombreux visiteurs, des projets sociaux sont soutenus et la culture et le sport ne sont pas pour autant oubliés, la vie associative est développée et il y a des fêtes de quartier.

    Tout cela est possible parce qu’il y a des hommes et des femmes qui prennent au sérieux les gens comme vous et nous, des hommes et des femmes qui travaillent pour améliorer la vie dans leur commune et dans leur ville.

    C’est à eux que nous voulons accorder notre soutien lors des élections de ce 8 octobre 2006.

    Sachez qu’il y a des partis qui profitent de notre inquiétude. Quand on a peur, on part à la recherche de boucs émissaires.

    L’extrême droite le sait très bien. Ils répandent la haine et veulent faire éclater la Belgique. L’extrême droite, avec, entre autres, le Vlaams Belang ou le Front National, propose des solutions trop simples pour être vraies… Ils prétendent nous donner de l’espoir, mais c’est un espoir trompeur.

    Mais que se passera-t-il si l’extrême droite gagne les élections ? Dans d’autres pays, des villes et des communes en ont fait l’expérience : on ferme des garderies, on supprime des maisons de jeunes, on retire des livres dans les bibliothèques publiques, la vie associative et culturelle disparaît des quartiers, la vie devient plus dure pour les plus démunis, les personnes âgées, les isolés, les étrangers, les personnes handicapées…

    Nous, nous voulons des communes où chaque habitant peut vivre librement et dignement, des communes où chacun a un revenu suffisant, trouve un logement décent, a un cadre de vie agréable, a son mot à dire, des communes ouvertes sur le monde.

    Et il y a encore beaucoup à faire pour y arriver.

    Pour cela, ne nous laissons pas aveugler.

    Disons NON à l’extrême droite!

    Le 8 octobre 2006, votons pour un parti démocratique et bougeons pour mieux vivre ensemble !

    [6] Voir Évangile et Justice n° 76 (Mars 2006) pp. 10-14.

    [7] Le texte complet du manifeste est disponible à l’adresse suivante : http://www.vivelademocratie.be/manifeste.php