Le 22 janvier 2015

Roms, Voyageurs, violences policières et devoir de mémoire

Raymond Gurême, ancien résistant et déporté tabassé par les forces de l’ordre: chronique et analyse

Le 23 septembre 2014, Raymond Gurême, 89 ans, ancien résistant et déporté est tabassé sur son terrain par la police française. Cet événement, en sus d’une politique de répression et de stigmatisation des Roms et des voyageurs de la part du gouvernement, va faire remonter en lui le souvenir d’une déportation et d’une persécution douloureuses.

Avant-propos
 

Que s’est-il passé, le 23 septembre, au numéro 14 du Chemin Saint Michel à Saint-Germain-lès-Arpajon, en Essonne ? Deux versions des faits sont en présence. Raymond Gurême, 89 ans, prétend avoir été frappé brutalement lors d’une descente de police opérée sur le terrain dont il est propriétaire. La commissaire de police d’Arpajon dément toute violence sur la personne de Raymond Gurême. Les explications des deux parties concernant les causes et le déroulement de cette opération de police sont également divergentes.

Une chose cependant est certaine : Raymond Gurême présente, depuis cette date, des traces de coups, des contusions et des vertiges constatés par son médecin traitant. Même si M. Gurême a fait obstruction à l’action de la police, verbalement ou physiquement en barrant le chemin ou l’accès à sa caravane, il était certainement possible de l’écarter sans pour autant rouer de coups un homme pesant moins de 40 kg et âgé de 89 ans.

Dans ce document, vous trouverez une présentation résumée des deux versions des événements du 23 septembre et la chronologie des jours suivants. Viennent ensuite les témoignages de Raymond Gurême et de sa famille. J’ai trouvé utile d’ajouter une notice sur la vie de Raymond Gurême, témoin de l’internement des nomades[1] pendant la deuxième guerre mondiale. En 1940, âgé de quinze ans, il est enfermé dans un camp d’internement de nomades, il s’en évade et rejoint la résistance. En 2004, après de longues années de silence, il prend la parole pour témoigner de l’histoire volontairement oubliée de l’internement des familles tsiganes en France et du génocide projeté par Hitler. Par la suite, il dénoncera aussi la continuation des discriminations subies jusqu’à nos jours par les gens du voyage après la libération ainsi que les menaces qu’il sent planer depuis 2010 sur les Roms[2] et les Voyageurs, ce qu’il appelle « le retour de Vichy ».

Il faut replacer ces événements du 23 septembre dans le cadre du climat de suspicion et de répression développé lors de la réunion tenue à l’Elysée, le 28 juillet 2010, pour faire le point « sur la situation des gens du voyage et des Roms, et les problèmes que posent les comportements de certains ressortissants de ces communautés au regard de l’ordre public et de la sécurité ». Sarkozy y stigmatisa l’ensemble de ces deux populations à partir d’un fait divers[3] et créa l’amalgame entre les Voyageurs (citoyens français), les migrants Roms et la délinquance. Dans le même élan, le discours de Grenoble du 30 juillet 2010 mit au centre de l’actualité le démantèlement des « campements Roms ». Ce démantèlement est toujours fortement médiatisé et il a même pris une ampleur croissante sous la présidence de François Hollande et la gestion de Manuel Valls.

Les évacuations forcées des Roms sont passées de 8.455 en 2011 à 21.537 en 2013. Ce chiffre « représente plus de la totalité de la population habitant en bidonville ou en squat, évaluée à 16.949, en majorité des Roms étrangers. Autrement dit, l’ensemble de la population rom vivant en bidonville et en squat en France aurait été évacuée de force au moins une fois durant l’année 2013. »[4] Nous pouvons dès lors conclure que certains Roms ont subi plusieurs évacuations forcées durant cette année.

La stigmatisation et la criminalisation des Roms et des Voyageurs, martelées sans interruption, malgré l’alternance politique, depuis 2010 dans les discours tenus par les plus hautes autorités de la République, sans oublier ceux de certains maires et élus locaux, déterminent la représentation que les forces de l’ordre se font de ces populations. Ce qui ne manque pas de provoquer un usage disproportionné de la force et de la violence ainsi qu’un sentiment d’impunité chez certains policiers et gendarmes.

Cette rhétorique extrêmement agressive alimente la haine collective de la population, conforte les opinions et les actions racistes allant des attaques verbales aux jets de cocktails Molotov, aux violences physiques et même, le 13 juin 2014, au lynchage d’un mineur Rom dans la région parisienne.

Evénements du 23 septembre et des jours suivants[5]
 

Version de Raymond Gurême
 

Selon Raymond Gurême, le mardi 23 septembre, plusieurs dizaines de policiers envahissent son terrain à la recherche d’un jeune des environs… Vers 15h30, un policier pénètre dans sa caravane. Mr. Gurême lui demande s’il possède un mandat de perquisition. Cette question déclenche une volée de coups de matraque, suivie de coups de pieds et de la mise à sac de la caravane. Quatre membres de sa famille tentent de s’interposer entre lui et les policiers. Ils subissent également des violences, sont arrêtés et sont placés en garde à vue pour « outrage et rébellion ». La fouille continue. La violence devient générale. A la fin de l’opération, les policiers lancent des gaz lacrymogènes ; Raymond en reçoit en plein dans les yeux.

Version de la police
 

Selon un rapport officiel[6], l’intervention de la police se serait déroulée en deux temps.

Vers 12h50, deux agents en patrouille auraient repéré un membre de la famille Gurême recherché pour vol en bande organisée avec arme dans le cadre d’une information judiciaire. L’homme aurait pris la fuite en direction de son terrain, situé à plusieurs centaines de mètres de celui de Raymond Gurême. Comme le secteur est habité presque exclusivement par des gens du voyage, hostiles à la police, la commissaire décide de réunir un maximum de policiers avant d’intervenir et demande des renforts.

Vers 15h30, selon la commissaire, les policiers investissent les deux « camps » situés aux numéros 14 et 36 du chemin Saint Michel. « Les habitants s’opposaient fermement à notre présence, nous indiquant ne rien avoir à faire chez eux, nous reprochant même de tuer leurs enfants[7], proférant des menaces de mort et des propos de plus en plus injurieux. Malgré l’état de nervosité des individus, la visite s’opère sans incident jusqu’à la visite de la caravane du patriarche

La commissaire qui se trouve au numéro 36 est alertée par des cris venant du terrain de Raymond Gurême. Elle s’y rend avec d’autres policiers et constate que « les policiers sont victimes de jets de pierre, d’insultes, et de menaces de mort de la part des habitants au nombre d’une trentaine environ ».

Dans leurs procès-verbaux rédigés le jour même, les agents n’évoquent à aucun moment le déroulement de la perquisition chez Raymond Gurême.

Dans son rapport du 29, la commissaire qui n’était pas sur place, mais à plusieurs centaines de mètres, affirme : « à aucun moment cette personne (Raymond Gurême) n’a été victime de violence de la part des policiers intervenants. (…) Alors qu’ils allaient pénétrer dans sa caravane, Raymond Gurême s’interposait et demandait aux policiers de sortir, n’ayant pas de mandat de perquisition. Il était simplement mis de côté par un gardien de la paix qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre. Toutefois cette intervention dans la caravane du patriarche était très mal perçue par les autres membres de la famille et engendrait des tensions de plus en plus importantes.(…) Quelques minutes plus tard, alors que la situation dégénérait sur le camp et que les policiers procédaient aux interpellations pour outrages et rébellion, Raymond Gurême se tenait en retrait, vers le fond du camp », assure la commissaire qui dit avoir vu « des mamans tenant des enfants dans les bras ainsi qu’une jeune femme enceinte, complètement hystérique, venant au contact des policiers qui tentaient de les repousser, nous insultant et nous jetant des pierres. »

La commissaire conclut dans son rapport qu’il n’y a eu aucune faute commise.

Reconstitution des événements des jours suivants
 

Le 24 septembre, les deux enfants et les deux petits-enfants de Raymond qui se sont interposés, la veille, entre lui et la police paraissent en comparution immédiate pour « outrage et rébellion ». Ils sont condamnés respectivement à deux mois de prison ferme, quatre mois avec sursis, une amende de près de 600 euros ainsi qu’une amende assortie de 110 heures de travail d’intérêt général pour le dernier. Ils décident tous de faire appel pour le principe, même s’ils savent qu’ils risquent des condamnations plus lourdes. Ils estiment que ce sont les policiers qui ont maltraité une personne âgée qui devraient être pénalisés. Ils arguent que les procédures pour « outrages et rébellion » sont systématiquement appliquées pour les faire taire lorsque les forces de l’ordre ne se comportent pas correctement. Ce même jour, Raymond Gurême qui présente des marques de coups et des contusions multiples, constatées par son médecin, porte plainte auprès de la gendarmerie d’Egly.

Le 29 septembre, suite à des vertiges et à des fortes douleurs cervicales et oculaires, Raymond Gurême retourne chez le docteur qui lui prescrit le port d’une minerve et rédige un nouveau certificat médical constatant des « cervicalgies avec vertige et perte d’équilibre » dont le patient n’avait jamais souffert avant le 23 septembre.

M. Gurême a également entrepris des démarches auprès de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) et du Défenseur des droits.

L’avocat de Mr. Gurême s’étonne que son client n’ait pas encore reçu de réquisition pour un rendez-vous à l’unité de consultations médico-psychologiques d’Evry alors que certains des policiers ayant participé à l’opération du 23 septembre se sont vu immédiatement délivrer un rendez-vous.

Fin septembre, suite à la plainte de Raymond Gurême, le parquet d’Evry ouvre une enquête préliminaire, confiée aux policiers de la cellule de déontologie de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de l’Essonne. Une décision de la procureure est attendue dans un délai de trois mois.

Le 14 octobre, Raymond Gurême est entendu pendant plus de deux heures au commissariat d’Evry dans le cadre de la plainte pour violences policières qu’il a déposée à la gendarmerie d’Egly.

L’officier en charge de l’enquête demande avec insistance à Raymond Gurême s’il maintient ses accusations de coups portés à l’intérieur de sa caravane, alors que la commissaire d’Arpajon assure qu’il n’y a eu aucune violence. M. Gurême confirme ses accusations et exprime son incompréhension devant l’absence de mandat de perquisition alors que la police fouillait des caravanes et des baraques reconnues comme les seuls domiciles de ses enfants, de ses petits-enfants et de lui-même. L’officier explique que la police n’a pas besoin de mandat lorsqu’elle agit « en flagrant délit », sans donner d’autre précision.

A l’issue de cette audition, une réquisition pour un rendez-vous à l’Unité de consultations médicojudiciaires (UCMI) d’Evry est enfin délivrée à M. Gurême. Le rendez-vous est fixé pour le 18 novembre, soit 8 semaines après les faits.

Réactions
 

La nouvelle du traitement infligé à Raymond Gurême, lors de l’opération de police du 23 septembre, a été rapidement connue. Une page de soutien sur Facebook a été créée le 24 septembre, l’information circule sur internet et le monde associatif se mobilise.

Une telle violence exercée sur une personne presque nonagénaire est particulièrement choquante. De plus la personnalité de Raymond Gurême ajoute une résonance particulière à ces faits.

Depuis 2010, il témoigne inlassablement de la persécution des Tsiganes en France pendant la dernière guerre et des discriminations envers les Voyageurs encore existantes aujourd’hui. Il est bien connu du monde associatif, aussi bien des Voyageurs que des Gadgés (les non-Roms). « Dernièrement, déclare l’artiste gitan, Gabi Jiménez, j’ai été profondément choqué par l’agression policière à l’égard de Raymond Gurême. Ce sujet est en train de mûrir dans ma tête. C’est intolérable. Quand on est fonctionnaire de police, quand on porte les valeurs de la République française, je ne vois pas ce qui peut animer la personne qui frappe un homme de 89 ans. (…) Pour nous, c’est un symbole de courage et de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Le frapper, c’est aussi grave que si on profanait un monument »[8].

Une pétition circule pour soutenir Raymond Gurême. Elle réclame notamment une enquête impartiale et approfondie sur les violences policières décrites par Raymond et condamne les discriminations institutionnelles dont les Voyageurs sont victimes. Elle sera adressée au gouvernement de la République Française.[9]

Le 26 septembre, « Dépêches tsiganes » s’est rendu sur le terrain familial pour recueillir le témoignage direct, le plus exhaustif possible, de Raymond Gurême et des membres de sa famille qui étaient présents lors des événements du 23.

Raymond Gurême :

Il était autour de 15h30. Je me reposais dans ma camping. J’ai entendu crier. Je me lève pour voir ce qui se passe. C’est alors que la porte s’ouvre. Un flic entre chez moi, la matraque en l’air. Il avait la trentaine. Je ne l’avais jamais vu sur mon terrain. Il était baraqué, les cheveux blonds coupés en brosse et avait de grandes oreilles. Je n’étais pas très réveillé, c’était comme un cauchemar. Il me repousse vers le fond de la caravane.

Je lui dis « pourquoi tu viens chez moi ? », il me répond pas. Je laisse pas tomber et le questionne encore : « t’as un mandat pour perquisitionner ? », il me dit : « on n’en a pas besoin, on n’est pas en Amérique ici ». Je lui dis : « moi non plus je suis pas en Amérique et ma caravane non plus alors sors de chez moi ». Il a crié « ferme ta gueule ! » plusieurs fois et puis c’est comme s’il avait pété les plombs, il a commencé à me taper dessus avec la matraque, une matraque en fer, télescopique. Ca faisait très mal et puis, comme j’ai que la peau sur les os, ça résonnait comme une grosse caisse.

Il y a un policier plus âgé qui lui a crié « attention, vas-y doucement c’est un vieux ! », mais le jeune flic qui s’acharnait sur moi ne l’a pas écouté et l’autre a paru avoir peur et s’est mis en retrait. J’avais très mal partout mais le pire, c’est quand il a tapé sur l’arrière de l’épaule, presque derrière le cou. Ca m’a comme paralysé. C’est à ce moment là que ça m’a fait repenser… [la voix de Raymond Gurême se brise dans un début de sanglot vite étouffé par un raclement de gorge] … ça m’a fait repenser au trajet de la gare de Brétigny au camp de Linas-Montlhéry [dans l’ancienne Seine-et-Oise, aujourd’hui en Essonne] que des policiers français nous ont forcé à faire à coups de matraque et de crosse quand j’avais 15 ans [le 27 novembre 1940]. J’ai revu le visage de mes parents et de mes frères et soeurs frappés comme moi, sans raison, par la police française. On en a pris tellement de coups ce jour-là ! On les comptait même plus. A la fin tu ne sens plus rien tellement la douleur est forte.

Et ça recommence, 74 ans après, alors que j’ai presque 90 ans, j’ai été frappé sans raison par un policier français. J’ai eu peur qu’il me tue dans ma caravane, cette caravane que j’ai installée face à la colline où nous avons souffert. Ce policier a aussi cassé des objets auxquels je tenais et a tout renversé dans ma camping. J’ai essayé de sortir de la caravane, de m’évader, comme je me suis nachave [« sauvé, enfui » en romanes] du camp. Quand je suis arrivé vers la porte, il m’a pris par le cou et la peau des reins et il m’a jeté du haut de la caravane vers le bas [la caravane de Raymond Gurême est située en hauteur et trois marches servent à y accéder, le terrain familial étant ensuite en pente jusqu’au portail ndlr]. Je partais pour m’écraser le nez par terre mais comme je suis acrobate depuis que je suis petit j’ai donné un coup de rein et j’ai réussi à retomber sur les pieds. Le flic m’a regardé partir en vrille. Comme il a vu que je retombais sur les pieds, il est revenu, il m’a retapé à l’extérieur et après, ils étaient à deux sur moi. J’ai reçu des coups de pieds en plus des coups de matraque.

C’est là que certains de mes enfants ont cherché à me défendre. Mais un tas de policiers leur sont tombés dessus et ne leur ont laissé aucune chance. Ils étaient déchaînés. Moi je me suis mis dans la maison [qui est au centre du terrain et dans laquelle se trouve notamment la cuisine collective et la pièce ou dormait la femme de Raymond avant son décès, en 2011 ndlr]. Les flics ont même fouillé la pièce qui est à la mémoire de Pauline[10]. Ils ne respectent même pas nos morts. Ils ont tapé sur tout le monde, même des femmes, qu’ils ont traitées de « salopes » et « d’ordures ». Avant de partir, comme on était sur le pas de la porte, ils ont commencé à lancer des gaz lacrymogènes. Ils m’en ont mis en pleine figure, pleins les yeux. Je ne pouvais plus respirer. Mais heureusement au moins le vent était avec nous car il leur en a renvoyé aussi.

Quand j’ai pu aller vers le portail, j’ai demandé à une femme policier qui est la supérieure de tout ce monde-là si elle avait vu dans quel état m’avaient mis ses hommes. Je lui ai demandé aussi de les calmer pour qu’ils arrêtent de frapper mes enfants. Elle n’a rien fait et elle m’a dit alors qu’elle n’était pas sur place quand j’ai été tabassé « on ne vous a pas frappé, on vous a juste un peu molesté ». Mes enfants ont été embarqués et condamnés alors qu’ils n’ont fait que me défendre. Ca pour moi c’est inacceptable.

J’ai la couenne dure mais le premier soir j’avais tellement mal partout que je n’ai pas pu enlever mes habits pour dormir et m’allonger. Je suis resté sur une chaise toute la nuit. J’ai encore du mal à bouger plusieurs jours après et surtout à tourner la tête. J’ai aussi les boyaux qui me font mal. Et puis c’est comme si je perdais l’équilibre par moments. J’avais jamais eu ça avant. J’ai été chez mon docteur qui m’a fait un certificat médical.

Je suis allé porter plainte à la gendarmerie d’Egly, où ils ont été très gentils mais ils m’ont demandé de laisser l’original du certificat médical en me disant qu’ils me le ramèneraient. En tout cas je veux porter plainte et que ces policiers soient punis pour ce qu’ils m’ont fait. Il faut que ça cesse. Depuis que j’ai 15 ans, j’ai des képis sur le dos. J’ai presque 90 ans, je voudrais pouvoir vivre tranquillement sur mon terrain et que la police me laisse en paix.

Un des fils de Raymond Gurême :

(Il présente des traces de coups reçus en défendant son père, notamment une blessure proche du cou et une large ecchymose à la cuisse.)

Quand les flics sont arrivés, mon père dormait dans sa camping. Ils étaient nombreux, plusieurs dizaines et nous on dit qu’ils cherchaient un jeune de chez nous, qui a autour de 13 ans, et qui n’habite pas sur ce terrain mais beaucoup plus haut. Ca n’avait donc rien à voir avec nous et encore moins avec mon père. Mais les flics fouillaient tout le secteur. L’un d’entre eux est monté en haut du terrain de mon père, jusqu’à ma camping. Heureusement mes gamines n’étaient pas là mais à l’école. Je lui ai dit : « tu cherches quoi ». Il me dit « ça te regarde pas ». Pour ne pas lui chercher chicane à lui, je suis allé voir un autre flic qui est monté et qui était plus calme.

L’autre est alors redescendu vers la camping de mon père comme un enragé. Fallait pas qu’ils repartent au commissariat sans personne, alors ils ont provoqué pour ne pas repartir bredouille. Ils savaient qu’en s’attaquant au père, on réagirait. J’ai essayé de le défendre mon père. L’un de mes frères est venu avec l’un de mes neveux, puis après une gamine de 18 ans de chez nous mais on a eu tout de suite trois ou quatre flics chacun qui nous ont sauté dessus. On s’est pris des coups, on a été plaqués au sol et puis traînés jusqu’au camion de police. La mère de la jeune a essayé de la défendre mais elle s’est fait embarquer aussi. Ma femme qui est enceinte, ils l’ont tapée aussi et c’est elle qui a dû protéger son ventre. Sinon… On a été placés en garde à vue pour « outrage et rébellion ».

Avant de nous embarquer, les flics ont dit pour nous narguer « ça fait 4-0, quatre pour nous, zéro pour vous ». Ils marchent par but. Ils croient que c’est un match de foot. C’est abuser. Moi j’ai eu bonne conduite quand j’ai fait l’armée, je cherche de chicane à personne mais j’ai déjà trois condamnations pour « outrage et rébellion » à chaque fois c’est ici sur notre terrain et la plupart du temps avec les mêmes flics. C’est pas à Brétigny ou à Paris que je suis supposé « agresser » les policiers. C’est eux qui nous maravent [frapper en romanes ndlr]. Je lui ai dit à la juge parce que dès le mercredi, on nous a fait passer en comparution immédiate.

J’aurais dû reculer l’audience, j’ai pas eu le temps de réfléchir mais je voulais pas aller en cabane. Moi je sais pas bien lire et écrire, mon frère pas du tout et sur nos deux papiers de comparution, il y a des trucs dont on nous a jamais parlé [une mention « ne souhaite pas d’avocat » et ne « souhaite pas consulter le dossier » ajoutée à la main ndlr]. On n’avait pas d’avocat quand l’audience a commencé. C’est mon père qui a été demander un avocat commis d’office. Il a été très bien d’ailleurs. Surtout qu’il y avait un tas de flics en face pour témoigner contre nous. Moi c’est toujours les mêmes noms de flics qui sont à l’origine de mes trois condamnations. Alors elle est où la justice? Mercredi, j’ai été condamné à plus de 100 heures de travail [d’intérêt général] et à des amendes pour les insultes que j’ai lancées aux policiers mais ils nous ont insultés aussi et mon père a été frappé ! Et dans quel état ils l’ont mis ! Comment je vais faire pour payer les amendes alors que j’ai déjà du mal à m’en sortir ? Il va falloir faire quoi ? Voler pour payer tout ça ? Franchement, c’est à ça qu’on veut nous pousser non ?

Je suis très en colère, surtout pour ce qui s’est passé avec mon père. J’ai des insomnies. Je vais faire appel de ma condamnation. « Outrage et rébellion», c’est déjà avec ça que mon père a été envoyé en cabane.

Une des filles de Raymond :

« C’est un flic de 29 ans qui a frappé mon père de 89 ans. Il faut vraiment être une crapule pour taper sur des personnes âgées. A 29 ans, c’est courageux de matraquer un homme de 89 ans ! Quand j’ai trouvé mon père dans cet état, j’ai dit au flic qui l’avait frappé « t’as pas honte ?». Il m’a rigolé en pleine figure. Mon père a été interné, déporté, résistant. Il en a déjà assez vu, la police pourrait peut-être le laisser tranquille non ? Et mes frères, vous croyez que c’est juste qu’ils soient embarqués et condamnés ? N’importe qui se serait énervé de voir traiter son père comme ça ».

Un autre fils de Raymond :

(Intervenu pour défendre son père, il a été placé en garde à vue et condamné pour « outrage et rébellion ».) « Une fois qu’il y aura plus mon père, on va casquer encore plus avec la police. Ca va jamais finir.»

Notice biographique[11]
 

Avant guerre, la famille de Raymond Gurême circule en roulotte, à travers la France, de villes en villages avec un petit cirque familial et un cinéma ambulant. Raymond joue de la trompette, est clown et acrobate. En général, ils sont bien accueillis.

Le 4 octobre 1940, Raymond, 15 ans, est arrêté avec ses parents et ses 8 frères et soeurs par des gendarmes français. Ils sont les premiers à pénétrer dans le « camp de rassemblement des nomades » de Darnétal, près de Lyon, où ils succèdent aux réfugiés espagnols. Pour son père, ancien combattant, gazé, blessé et médaillé de la guerre 14-18, être arrêté et gardé dans un camp par des Français « ça dépasse l’entendement ». Il envoie une lettre au préfet, restée sans réponse.

Le 27 novembre 1940, les 200 tsiganes de Darnétal sont transférés en camions, puis en wagons à bestiaux à la gare de Brétigny-sur-Orge. Après une marche forcée de plusieurs km sous les coups de crosse et de matraque des policiers et des gendarmes français, ils arrivent au «camp d’internement pour nomades de Linas-Montlhéry»[12]. Les internés y crèvent de faim, sont couverts de vermine, n’ont pas d’éclairage, pas de chauffage, pas de couvertures. Les plus faibles meurent. Au bout de quelques mois, les vêtements et les chaussures sont usées, beaucoup de gens marchent pieds nus.

Raymond Gurême, s’évade à deux reprises du camp de Linas-Montlhéry. Engagé dans la résistance, il est emprisonné au « Pré-Pigeon » d’Angers pour le vol d’un camion de vivres allemand. Condamné, envoyé en Allemagne dans deux camps disciplinaires, il s’échappe grâce à la complicité de cheminots français. Il entre à nouveau dans la résistance et participe à la libération de Paris.

La guerre terminée, Raymond n’a plus aucune nouvelle de sa famille ; il ne sait même pas s’ils sont vivants.

Après la libération, les « nomades » restent des citoyens de deuxième zone. La libération de la France n’a pas pour autant mis fin à l’internement des Tsiganes. Le Gouvernement provisoire de la République française maintient les mesures d’internement dans les « camps pour nomades ». Le dernier camp fermera en juin 1946 (!). Quand ces personnes sont finalement libérées, elles sont complètement démunies et ne reçoivent aucune aide ou compensation pour leurs biens confisqués par l’Etat français. Elles sont à nouveau soumises aux tracasseries et aux contrôles réguliers par la police, du carnet anthropométrique ou du carnet forain, selon le cas (loi de 1912).

Les réformes apportées par la loi de 1969 qui abroge celle de 1912 et qui crée une nouvelle catégorie administrative, « les gens du voyage », sont insuffisantes pour garantir une réelle égalité avec les autres citoyens français. Les discriminations les plus criantes concernent l’exercice du droit de vote et le carnet de circulation à faire viser tous les trois mois par la police ou par la gendarmerie.

La présence des « nomades » dans la résistance est ignorée. La mémoire des « camps d’internement des nomades » s’estompe dans l’oubli.

Après 1945, ni le statut de rescapé de la Grande guerre du père de Raymond, ni l’engagement de ce dernier dans la résistance n’ont été reconnus. C’est seulement au début des années 80 que des membres de la famille Gurême reçoivent une « carte d’interné politique », délivrée par le ministre des Anciens Combattants et Victimes de la guerre. Refusée, en 1983, à Raymond Gurême qui, de rage, brûle son brassard FFI[13], elle lui sera finalement attribuée en 2009.

En 1948, à l’occasion d’un contrôle de papiers, il est conduit à la gendarmerie de Linas-Montlhéry où il reconnaît un des anciens gardes du camp d’internement qu’il traite aussitôt de « collabo » ; il se retrouve une main menottée à un radiateur et accusé de « rébellion et outrage », comme cela lui arrivera souvent par la suite. L’ancien régisseur du camp qui a affamé les internés, devenu maire de Linas en mars 1944 (sous Vichy), l’est resté jusqu’en 1959. « Le maire, je lui ai dit ses quatre vérités, j’ai fini à Fleury après un coup de poing. Il y a eu huit naissances dans le camp. Six bébés sont morts de faim. Il n’y a pas d’humanité [14]».

En 1950, Raymond retrouve enfin sa famille en Belgique, à Vielsalm. Les parents ont tout perdu pendant la guerre : roulotte, camion, animaux, chapiteau et gradins de cirque, matériel de cinéma. Les trois filles aînées ne veulent plus entendre parler de la France où elles ont trop souffert bien que de nationalité française. Elles ont été successivement internées dans les camps de Darnétal, Linas-Montlhéry, Mulsanne et Montreuil-Bellay. Raymond Gurême réussit à convaincre le restant de la famille de retourner vivre en France avec lui. D’artistes ambulants, ils deviennent ouvriers agricoles itinérants. Cette nouvelle vie est rude, c’est la dégringolade dans la pauvreté et la déchéance sociale. En 1951, il se marie avec une ancienne internée du camp pour nomades de Jargeau, ils auront quinze enfants.

A partir des années soixante, il devient de plus en plus difficile de trouver des lieux de stationnement pour la caravane. Il faut déguerpir à peine arrivé. En 1968, Gurême achète un terrain à Saint-Germain-lès-Arpajon, situé au 14, Chemin St Michel. Il y pose sa caravane et bâtit une maison en dur. Sur la colline d’en face, il a vue sur l’emplacement du « camp pour nomades » de Linas-Monthléry qui symbolise pour lui toute la souffrance des siens. « Quand je sors de chez moi, j’aperçois la colline du camp. Le soir, quand je vais dormir dans ma caravane, je la regarde aussi. Je suis resté fixé là-bas, ma mémoire aussi. »

Toute la famille de Raymond Gurême, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants vit sur son terrain et aux alentours. D’autres voyageurs se sont installés dans la région pour travailler dans le maraîchage. Ces arrivées ont été observées avec méfiance. Une pétition demandant leur départ a été lancée, mais ceux qui connaissaient Raymond ont refusé de la signer. Il n’a pas été facile d’inscrire les enfants à l’école. Plusieurs hôpitaux du secteur ont refusé de soigner la femme de Raymond, atteinte d’une grave maladie des poumons. Le Samu a été obligé de la transférer dans un hôpital plus éloigné. Des rumeurs négatives circulent. La tension, la méfiance et la provocation règnent réciproquement entre les Gurême et les forces de l’ordre.

Le double combat de Raymond : lutte pour la reconnaissance officielle de l’internement des nomades en 1940-1946 et lutte pour les droits des Voyageurs.
 

Pendant des années, même en famille, Raymond, comme tant d’autres Voyageurs et tant d’autres rescapés des camps, garde le silence sur les persécutions subies pendant la guerre.

« Personne ne parlait de la guerre dans la famille… Chez nous, personne n’avait oublié mais on se taisait. Cela faisait longtemps qu’on ne croyait plus à l’idée de justice et, au fond de nous, dormait la peur de souffrir en remuant inutilement le couteau dans les plaies. » D’ailleurs, « il n’y avait pas grand monde pour écouter ». A commencer par l’Etat français qui ne reconnaissait pas avoir interné des citoyens français. Les victimes des camps d’internement sont jetées dans les « oubliettes de la mémoire collective». Les témoins directs disparaissent les uns après les autres. Les traces des camps s’effacent. En 1988, Jacques Sigot, instituteur et historien fait ériger, contre vents et marées, une stèle commémorative sur le site du camp d’internement de Montreuil-Bellay. A l’époque cela reste un exemple isolé. Il faut savoir que l’ouvrage « Les lieux de mémoires », publiés de 1984 à 1992 sous la direction de Pierre Nora, n’évoque pas les camps d’internement des Tsiganes. Par la suite, à partir de 1991, d’autres stèles et des monuments sont peu à peu érigés dans différents sites de camps de rassemblement ou d’internement pour nomades (Jargau en 1991, Arc-et-Senans en 1999, Linas-Montlhéry en 2004, Angoulême et Lannemezan en 2006, Barenton en 2008 …).

En 2004, Raymond Gurême prend la parole pour la première fois, près de 65 ans après l’arrestation de sa famille, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ADGV (Association départementale gens du Voyage).

En 2010, Raymond Gurême rejoint un collectif d’associations, d’historiens et de témoins comme lui qui organise des commémorations et réclame la reconnaissance officielle de l’internement des « nomades » par l’Etat Français. « Pour que la mémoire ne s’échappe pas et que l’histoire ne se répète pas », explique le Centre d’études Tsiganes. Raymond témoigne plusieurs fois en public.

Au niveau local, Raymond est au centre du travail de témoignage et de transmission du « Collectif pour la commémoration et l’internement des Tsiganes et gens du voyage au camp de Linas-Monthléry ». Depuis novembre 2010, une marche et un rassemblement sont organisés chaque année en mémoire des internés de Linas-Monthléry.

Le 18 juillet 2010, dans le cadre de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français, Hubert Falco, le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens combattants, a pour la première fois reconnu officiellement que des « nomades » avaient été internés pour des motifs raciaux sur le territoire français, grâce au concours des autorités françaises. « Nous nous souvenons aussi des Tsiganes, en ce jour où nous rendons hommage à la mémoire des victimes des crimes racistes de l’Etat français. Il est temps que leur souvenir prenne place dans la mémoire nationale (…) Ils furent plus de 6.000 à être internés dans des conditions horribles, souvent sans hygiène et sans assez de nourriture, enfants et vieillards mourant les uns après les autres (…) Plusieurs centaines finirent dans les camps de concentration. »[15]

Cette reconnaissance de l’internement des Tsiganes par l’Etat français n’eut guère le temps de porter des fruits. Dix jours plus tard, le discours de Falco est balayé par les décisions de la réunion à l’Elysée du 28 juillet et par le discours de Grenoble du Président Sarkozy qui n’hésite pas à livrer les Voyageurs à la vindicte populaire. « Je suis partagé entre la peur et la colère », déclare Raymond, « lorsque j’entends les gens qui détiennent le pouvoir enchaîner des clichés négatifs. Pour moi, à travers leurs paroles et leurs actes, c’est vraiment Vichy qui refait surface ».[16]

Depuis l’ouverture de la chasse aux Roms en juillet 2010, il est plus déterminé que jamais à témoigner du passé. Il ne cesse de parcourir la France pour prendre la parole : écoles, collèges, expositions, studios de radio, festivals, forums, rassemblements citoyens ainsi que manifestations pour les droits des Roms et des Voyageurs et inauguration de stèles commémoratives des camps d’internement. Ainsi, le 8 novembre 2014, fidèle à la tâche qu’il s’est donnée, il participe avec le maire, Christian Lecerf, à l’inauguration de la plaque commémorative du camp de rassemblement des nomades de Darnétal.

Il parle de « ceux que la France a broyés et oubliés ». Il témoigne pour que cela ne se reproduise plus, pour que ses enfants, ses petits-enfants soient à l’abri de ce qu’il sent comme une menace. Il cherche systématiquement, écrit Isabelle Ligner, à faire le lien entre les persécutions passées et les discriminations actuelles. « J’aimerais, dit-il, contribuer à ce que les manuels scolaires s’ouvrent à cette histoire oubliée ou « boycottée », comme le dit Tony Gatlif. La faire entrer directement dans les écoles en allant témoigner, pour que les jeunes mesurent combien les préjugés sont dangereux ».[17]

En 2011, avec Isabelle Ligner, journaliste de « Dépêches Tsiganes », il publie « Interdit aux Nomades », le récit de sa vie. Il y témoigne de l’internement des tsiganes par l’Etat français sous l’occupation allemande. Il dénonce les discriminations encore existantes vis-à-vis des voyageurs, il réclame l’abrogation des livrets de circulation.

Le 19 avril 2012, Raymond Gurême est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par Frédéric Mitterand, ministre de la Culture et de la Communication.

En mars 2014, Raymond Gurême figure sur une liste pour les élections municipales et est assesseur dans un bureau de vote, « une manière de faire gagner du terrain aux Voyageurs » déclare-t-il. « J’ai voulu essayer de faire changer les regards sur les Voyageurs, participer, faire savoir qu’on est des Français comme les autres et qu’on n’a pas à être traités moins bien que les autres. » Raymond a voté pour la première fois en 2011 aux cantonales après avoir obtenu sa carte d’électeur. Un droit qui lui avait été dénié pendant des décennies.[18]

En août 2014, Raymond est à Cracovie et à Auschwitz-Birkenau à l’occasion du 70ème anniversaire du génocide des Roms[19], commémoré par un millier de jeunes, Roms et non-Roms, originaires de 25 pays.

En attendant les suites données à la plainte introduite par Raymond Gurême…
 

Il faut à présent attendre la réponse qui sera donnée par la justice à la plainte de Raymond Gurême.

Même s’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions, les éléments rassemblés dans ce document donnent lieu à réflexion.

Il est difficile de ne pas tenir compte de la violence injustifiable exercée contre Raymond Gurême par les « forces de l’ordre » qui rejoint les violences qui se sont multipliées, ces dernières années, vis-à-vis des Voyageurs et des Roms en France comme dans les autres Etats membres de l’Union européenne. Une violence policière qui fait écho aux discours de haine et aux nombreuses attaques racistes.

Difficile aussi de ne pas se rendre compte des obstacles rencontrés par celui qui porte plainte contre les forces de l’ordre. Pas seulement en France, pas seulement lorsqu’on est Voyageur, Rom ou étranger. Pensons aux difficultés rencontrées par le père de Jonathan Jacob, battu à mort il y a quatre ans dans une cellule de Mortsel (Anvers).

L’extrait suivant de la réaction à l’affaire Raymond Gurême du Collectif pour la commémoration et l’internement des Tsiganes et Gens du voyage au camp de Linas-Montlhéry[20] appuie notre questionnement : « fait divers ordinaire adossé au silence social, administratif, politique ordinaire ? Ou événement appelant à un sursaut, à un redressement, comme Raymond – 89 ans, 40 kilos – retombant sur ses pieds après avoir été jeté comme une poubelle de sa caravane ? ».

Novembre 2014, une chose est certaine, Raymond est à nouveau en première ligne. Le 8 novembre, il participait à l’inauguration de la plaque commémorative du camp de rassemblement des nomades de Darnétal. Le 30 novembre, entouré des membres de sa famille, il ouvrait à nouveau la marche jusqu’à la gare de Brétigny où une cinquantaine de personnes les attendaient sur le parvis de la gare, autour d’une stèle inaugurée en 2011.

Dernières nouvelles
 

Le 16 janvier 2015, Raymond Gurême reçoit l’avis de classement sans suite de sa plainte pour violence déposée en septembre contre des policiers à la suite de leur intervention sur son terrain. Le procureur de la République d’Evry estime que « les faits ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n’ont pu être clairement établis par l’enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l’affaire soit jugée par un tribunal ». Raymond Gurême juge cette décision d’enterrer l’affaire « révoltante ». « J’ai 89 ans et j’ai reçu des coups de la part de jeunes policiers, j’avais des traces qui ont effrayé tout le monde, sauf la justice apparemment ». Il est déterminé à faire aboutir sa plainte et « à continuer le combat pour une vraie justice qui ne se mette pas systématiquement du côté de la police ». Son avocat Me Henri Braun, a affirmé à Dépêches tsiganes « Nous irons jusqu’au bout pour que les responsables soient jugés ».

Voir Dépêches tsiganes du 18 janvier 2015,  www.depechestsiganes.fr/violences-policieres-classement-sans-suite-de-la-plainte-deraymond-gurreme-89-ans

Notes :

  • [1] « Nomades » est le terme utilisé par l’administration française dans le cadre de la loi du 16 juillet 1912 pour désigner les Tsiganes et d’autres populations nomades. La loi du 3 janvier 1969 le remplace par « gens du voyage ».

    [2] Le terme « Roms » initialement utilisé en Europe centrale et dans les Balkans, a été adopté en 1971 par l’Union romani internationale pour désigner l’ensemble des populations ayant en commun une origine indienne (Tsiganes, Roms, Manouches, Sinti, Gitans, …).

    [3] Le 16/07/2010, à Saint Aignan, un jeune Voyageur était abattu alors qu’il forçait un barrage policier. En représailles, la gendarmerie est attaquée par un groupe de gens du voyage, des voitures sont incendiées et des feux de signalisation sont saccagés dans le centre de la ville.

    [4] « Recensement des évacuations forcées de lieux de vie occupés par des Roms étrangers en France », publié le 5 janvier 2014 par la Ligue des droits de l’homme et le ERRC (European Roma Rights Center).

    [5] Reconstitués principalement à partir des informations publiées régulièrement sur le site de Dépêches tsiganes, www.depechestsiganes.fr et plus particulièrement à partir des témoignages de Raymond Gurême et de sa famille, recueillis le 26 septembre par Dépêches tsiganes que nous reproduisons in extenso aux pages 7 et suivantes.

    [6] Le rapport officiel de la police n’est pas disponible en accès libre. Néanmoins plusieurs sources médiatiques, parmi lesquels l’article du 3 octobre 2014 d’Isabelle Ligner « La police affirme ne pas avoir frappé M. Gurême qui maintient ses accusations » (www.depechestsiganes.fr/la-police-affirme-ne-pas-avoir-frappe-m-gureme-qui-maintient-ses-accusations/), ont vraisemblablement eu accès au contenu de ce rapport.

    [7] Sans doute, s’agit-il des événements suivants : En 2008, Joseph Guerdner, un jeune gitan est abattu de sept balles dans le dos, alors qu’il essayait de s’enfuir, menotté et pieds entravés. La Cour d’assises de Draguignan avait acquitté le gendarme. Le 17 avril 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme (Strasbourg) a condamné la France « en vertu de l’article 2 de la Convention en raison de force manifestement excessive employée contre Joseph Guerdner ». Le 16 juillet 2010, un jeune voyageur est abattu à St Aignan alors qu’il tente de forcer un barrage policier (cf. supra, note 3).

    [8] Gabi Jiménez, « La peinture comme ‘’acte de courage’’ et ‘’engagement politique’’ », in Dépêches tsiganes, 31 octobre 2014, www.depechestsiganes.fr/gabi-jimenez-la-peinture-comme-acte-de-courage-et-engagement-politique/.

    [10] A savoir, la femme de Raymond.

    [11] Cette notice est écrite principalement à partir du livre de Raymond Gurême avec Isabelle Ligner, Interdit aux nomades, Calman-Lévy, Paris, 2011.

    [12] Entre 1940 et 1946 une trentaine de camps de rassemblement ou d’internement pour nomades sont créés, administrés et gardés par l’administration et la gendarmerie françaises. Zone libre et zone occupée confondues, plus de 6.000 personnes y ont été internées dont 90% de nationalité française. On y comptait 30 à 40% d’enfants.

    [13] Forces françaises de l’Intérieur, nom donné en 1944 au regroupement des mouvements de la résistance.

    [14] « Raymond Gurême : la mémoire et la révolte » in Lutopik, 25 sept. 2014. Lutopik est un magazine trimestriel réalisé en grande partie sur les routes (cfr. www.lutopik.com).

    [15] Raymond Gurême et Isabelle Ligner, Interdit aux nomades, Calman-Lévy, Paris, 2011, pp.221-222.

    [16] Ibidem, pp.222-223.

    [17] Ibidem, p.230.

    [18] « Municipales : la leçon de civisme d’un Voyageur octogénaire », in Dépêches Tsiganes, le 20 mars 2014, www.depechestsiganes.fr/municipales-la-lecon-de-civisme-dun-voyageur-octogenaire/.

    [19] Le 2 août 1944 est la date choisie pour la commémoration du génocide des Roms. Ce jour-là, 2.987 internés du Zigeunerlager du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau ont été assassinés dans la chambre à gaz n°5.

    [20] Publié le 3 octobre dans Dépêches tsiganes, www.depechestsiganes.fr/reaction-de-saimir-mile-president-de-la-voix-des-rroms/. Ce communiqué peut servir de synthèse de « l’affaire Gurême ».