Le 01 décembre 2017

Et si on remplaçait le lundi de Pentecôte par l’Aïd?

Pourquoi le lundi de Pentecôte est-il férié alors qu’il ne fait pas sens pour grand monde ? Et pourquoi la fête de l’Aïd ne l’est-elle pas alors qu’elle est signifiante pour l’importante communauté musulmane ? Une citoyenne ouvre le débat. Objectifs : donner du sens et créer du lien.

Ma fille, qui vient de terminer ses humanités dans un grand collège catholique bruxellois, s’y est fait des amis de toutes origines. En juin, alors qu’il faisait si chaud et que les jeunes de sa classe étaient préoccupés, qui par les examens, qui par les vacances à venir, qui par le bal de fin d’année, plusieurs de ses amis jeûnaient. Au début de ce mois de juin, tous ont eu un lundi de congé. Le lundi de Pentecôte. Ce lundi de congé ne faisait sens pour personne parmi eux. La Pentecôte, c’est le dimanche. Et de toute façon, un dimanche début juin, les étudiants ont autre chose à faire.

En revanche, le 1er septembre dernier, jour de la fête de l’Aïd, personne n’a eu congé. Cela aurait pourtant fait sens pour nombre de jeunes comme pour nombre de leurs parents, qui sont aussi nos concitoyens. Mais non, en Belgique, pour les enfants de primaire, ce 1er septembre était jour de rentrée des classes.

Question : pourquoi les enfants de convictions et de tradition musulmanes n’ont-ils pas l’occasion de vivre sereinement les fêtes et évènements importants de leur religion alors que leurs camarades catholiques en ont l’occasion ? En Belgique, la religion musulmane est reconnue légalement. Mais dans les faits, elle l’est si peu.

A une époque où il est plus que jamais question d’intégration, d’ouverture à l’autre, de respect mutuel et de compréhension, il me semble qu’un tout petit pas pourrait être celui-là : revoir (à la marge, il n’est pas question de faire la révolution !) la liste des jours fériés établie par l’arrêté royal du 18 avril 1974[1] déterminant les modalités générales d’exécution de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés[2].   

Rêvons un peu plus loin. Pourquoi la proposition d’une telle révision ne pourrait-elle pas émaner non pas du politique mais bien de l’Eglise catholique ? De sa part, ne serait-ce pas un beau pas vers l’Autre de proposer que le lundi de Pentecôte soit rayé de la liste des jours fériés et qu’en contrepartie soit inscrit le jour de la fête de l’Aïd ?

En procédant de la sorte, personne ne perdrait ni ne gagnerait de jours fériés. Les employeurs ne devraient pas s’y opposer. Les travailleurs non plus. La religion musulmane gagnerait en visibilité et en reconnaissance. Les non-musulmans s’intéresseraient peut-être au pourquoi de ce jour de congé et apprendraient dès lors sa signification, ce qui pourrait être un pas vers le « vivre ensemble ». Ce serait l’occasion, dans les écoles, les bureaux et les médias, d’expliquer la signification de cette fête. Ce serait faire sens. Et faire lien. Deux choses dont notre société a tant besoin.

De même, l’Eglise pourrait peut-être réfléchir à « offrir » un autre jour férié – le lundi de Pâques par exemple – pour rendre fériée une fête importante de la religion juive. A nouveau, ce serait l’occasion, pour chacun, de s’intéresser à l’Autre, dont la religion, bien que reconnue, demeure encore peu reconnue dans les faits. Ce serait faire sens. Ce serait faire lien.

Agir ainsi serait beaucoup plus porteur, me semble-t-il, que d’offrir à chacun un quota de jours de congé à prendre quand il le veut, en fonction de sa religion ou de ses convictions. Car les jours fériés ont aussi une portée symbolique et rassembleuse. Tout le monde a congé le 25 décembre, même ceux qui ne croient pas en Dieu né homme. Tout le monde a congé à Pâques, même ceux qui voient en la résurrection une des supercheries les plus réussies de l’histoire. Tout le monde a congé le 1er mai, même ceux qui vont à la pêche ou restent au lit plutôt que de faire la fête sur la place Rouppe. Ainsi, tout le monde aurait congé le jour de l’Aïd, même ceux pour qui cette fête n’évoque rien.

Bien sûr, pour les adultes, cela ferait un peu bizarre, au début. Mais après tout, je connais beaucoup de parents qui, cette année, n’auraient pas vu d’inconvénient à échanger leur 5 juin contre un 1er septembre. En revanche, pour les générations à venir, cela ferait partie de leur histoire. Cela ferait sens. Ce serait une manière de dire aux jeunes non-musulmans et non-juifs : « aujourd’hui, il n’y a pas école car vos camarades fêtent quelque chose d’important ». Ce serait une manière de dire aux jeunes musulmans et juifs, belges et nés en Belgique pour la plupart, grandissant dans les croyances et convictions de leurs parents : « votre religion est aussi importante que celle de vos camarades catholiques. C’est pourquoi, lorsque c’est la fête chez vous, tout le monde a congé. Exactement comme quand c’est la fête chez nous ».

Qu’en pensez-vous ?

Les jours fériés légaux en Belgique

En Belgique, le calendrier civil actuel comporte dix jours fériés légaux. Six d’entre eux sont liés à des fêtes chrétiennes (le lundi de Pâques, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, l’Assomption, la Toussaint et Noël). Les autres sont le Nouvel An, la fête du travail, la fête nationale et l’Armistice du 11 novembre. De longue date, la prépondérance historique des fêtes chrétiennes est mise en question par certains cercles de la laïcité. La présence dans notre société de personnes d’autres traditions, en particulier la forte présence musulmane, rend la question plus urgente. Jusqu’à présent, le plus souvent, on s’en est tiré de façon pragmatique. En acceptant ou en tolérant l’absence d’élèves musulmans le jour de l’Aïd, par exemple.

La Commission du Dialogue Interculturel (2005) avait jugé légitime « que les jours de fête de groupes culturels autres que le groupe indo-européen soient pris en compte dans l’organisation de l’agenda culturel ». Il n’avait pas pour autant proposé d’alternative concrète. Le Comité de pilotage des Assises de l’Interculturalité (2010) a tenté d’aller plus loin en proposant une réforme en trois points :
1. Conserver les cinq jours fériés suivants : 1er janvier, 1er mai, 21 juillet, 11 novembre et 25 décembre ;
2. Permettre à chacun de choisir librement deux jours flottants, selon sa culture ou sa religion ;
3.Créer trois nouveaux jours fériés non religieux. Ceux-ci pourraient tenir compte de journées telles que la journée internationale des femmes (8 mars), la journée mondiale contre le racisme (21 mars) ou la journée mondiale de la diversité culturelle (21 mai).

La principale innovation de cette proposition consiste en la suppression de cinq des six fêtes chrétiennes et dans l’introduction de trois commémorations civiles ou sociétales. En même temps, l’ouverture aux autres religions reste de l’ordre de la tolérance, pour ne pas dire du bricolage : elle laisse à chacun (sic) le choix de deux jours fériés.    

La proposition de Bernadette Renauld a une tout autre portée. Inscrire l’Aïd et le Rosh Hashana parmi les jours fériés légaux serait une belle manière de reconnaître que les Belges musulmans ou juifs, dans leur spécificité, font partie intégrante de la Belgique. D’un point de vue pratique, elle a aussi l’avantage de ne supprimer aucune fête mais de seulement réduire l’ampleur de la fête – encore que les longs week-ends de Pâques et de Pentecôte soient sans doute fort appréciés.