Le 01 août 2011

L’éducation à l’environnement pour faire face aux défis actuels ?

Les différentes crises financières, économiques, énergétiques, sociales et environnementales que nous traversons doivent nous pousser à nous questionner aussi bien sur notre rapport à la terre que sur nos relations aux autres, qu’ils soient voisins, amis, ou inconnus d’ici et d’ailleurs. Une vision fragmentée de la réalité ne suffit plus, nous le sentons dans bien des domaines. Dans « Le temps des crises »[1], Michel Serres insiste sur le fait que doit émerger une préoccupation majeure pour ce qu’il appelle la « Biogée » (concept rassemblant la Terre et la Vie), ce qui impliquerait l’essor de nouvelles sciences, de nouvelles technologies mais aussi de nouvelles formes d’éducation.

L’Education relative à l’environnement (ErE), dont il est de plus en plus question depuis les années 1970, pourrait-elle constituer une réponse ? Afin de répondre à cette question, nous nous interrogerons ici sur cette notion, en en envisageant aussi bien les origines et l’évolution que les opportunités qu’elle présente et les outils dont elle dispose.

Depuis quand existe la notion d’Education relative à l’environnement au niveau international ?
 

Après une première approche de la question lors de la conférence de Carson City dans le Nevada en 1970, la première Conférence mondiale sur l’environnement se tint à Stockholm, en 1972, et fut suivie, en 1975, du Colloque international pour l’éducation à l’environnement. C’est au cours de ce dernier que fut rédigée la « Charte de Belgrade », où l’objectif de l’éducation à l’environnement fut défini pour la première fois au niveau international : « Former une population mondiale consciente et préoccupée de l’environnement et des problèmes qui s’y rattachent, une population qui ait les connaissances, les compétences, l’état d’esprit, les motivations et le sens de l’engagement qui lui permettent de travailler individuellement et collectivement à résoudre les problèmes actuels, et à empêcher qu’il s’en pose de nouveaux » (Charte de Belgrade, 1975)[2]. On le voit, l’ErE est encore à l’époque cantonnée à un rôle d’outil pour la sauvegarde de l’environnement et on y insiste surtout sur les problèmes à résoudre.

En 1977, la conférence de Tbilissi fait apparaître un intérêt pour l’environnement en dehors de cet aspect « problème ». On commence à percevoir que l’environnement peut être intéressant en soi : « L’objectif fondamental de l’éducation relative à l’environnement est d’amener les individus et les collectivités à saisir la complexité de l’environnement, tant naturel que créé par l’homme – complexité qui tient à l’interaction de ses aspects biologiques, physiques, sociaux, économiques et culturels – ainsi qu’à acquérir les connaissances, les valeurs, les comportements et les compétences pratiques nécessaires pour participer de façon responsable et efficace à la prévention et à la solution des problèmes de l’environnement et à la gestion de la qualité de l’environnement » (Déclaration de Tbilissi, 1977[3]).

Ce n’est qu’en 1992, avec la conférence de Rio, que la notion d’environnement est associée à celle de développement avec, notamment, la rédaction du fameux Agenda 21 (en référence au XXIeme siècle à planifier de manière responsable). Le rôle de l’éducation est désormais considéré comme crucial pour la promotion du développement durable et on lie de plus en plus les notions d’ErE et de développement durable (ErE-DD). La décennie 2005-2014 a d’ailleurs été déclarée « décennie de l’éducation vers le développement durable » par les Nations-Unies qui ont émis un appel à « être des citoyens concernés et responsables, exerçant leurs droits et leurs responsabilités à tous les niveaux, local, national et global »[4].

Et, au niveau de la pratique, qu’est-ce que l’Education relative à l’environnement ?
 

Praticiens, acteurs de la société civile, chercheurs, nombreux sont ceux qui se sont penchés sur la notion d’éducation relative à l’environnement, parallèlement à ces grandes conférences internationales. Ils ont tenté d’en définir les contours, sur base de leur pratique, de leurs observations et/ou références pédagogiques. On peut tout d’abord, à la suite de chercheurs universitaires tels que Christine Partoune (Université de Liège), identifier quelques caractéristiques-clés de l’approche pédagogique propre à l’ErE[5] :
 

  • L’ErE préconise une approche globale et systémique, tant de la personne (pédagogie du cerveau global) que de l’environnement ;
  • L’ErE s’efforce de mettre en lumière le caractère contextualisé, complexe, relatif et incertain de toute problématique comme de toute pédagogie ;
  • L’ErE s’appuie sur des méthodes actives impliquant l’apprenant et développant l’esprit critique ;
  • L’ErE propose une clarification des valeurs et un développement du sens éthique plutôt qu’une inculcation des valeurs.
     

On le voit, il s’agit d’ouvrir le cadre de l’éducation à de multiples dimensions, d’insister sur la transversalité et la globalité des phénomènes. Puisque l’objet de l’ErE est donc notre relation, en tant que personne, à l’environnement, il importe, comme le rappelle Lucie Sauvé, professeure d’éducation et pédagogie au Québec, de prendre en compte les multiples facettes de cette relation qui correspondent à des façons complémentaires d’appréhender l’environnement : l’environnement peut en effet être considéré comme nature, mais aussi comme ressource, comme problème, comme système, comme milieu de vie, etc.[6] Une éducation à l’environnement ne peut se limiter à l’une ou l’autre de ces dimensions. On comprend ici en quoi l’ErE doit être un projet large, pris en charge par tous les acteurs éducatifs qui, en fonction de la spécificité de leur cadre d’intervention et du public auquel ils s’adressent, interviendront de façon complémentaire. Les pratiques pédagogiques qui permettent cet acte sont loin des méthodes « classiques » d’apprentissage. 

Au sujet des approches, on peut distinguer celles axées sur le contenu – il s’agira alors d’éducation au sujet de l’environnement ; celles consistant en l’acquisition de gestes et comportements respectueux de l’environnement – éducation pour l’environnement; ainsi que celles où l’on apprend au contact de la nature, à savoir l’éducation par l’environnement. Ce dernier aspect, qui prend depuis quelques années une importance de plus en plus grande sur le terrain, n’a pourtant encore fait l’objet d’aucune réelle « théorisation ». Il reste donc pour l’instant l’apanage des praticiens qui ont réalisé peu à peu que, en plus de constituer un but, l’environnement pouvait également être un moyen d’éduquer.

On l’aura compris, il n’existe pas une forme unique d’ErE. De nombreuses tendances, courants de pensées et pratiques existent, qui se croisent et s’appliquent à des contextes parfois fort différents. Il est utile de les explorer de façon critique avant la mise en place d’une action, afin de faire des choix en toute connaissance de cause.

Pourquoi serait-il important d’éduquer à l’environnement ?
 

Lors du développement personnel et social de tout être humain, trois sphères interagissent : celle de soi (où se construit l’identité), celle des relations avec les autres et celle du milieu de vie, où la relation au monde s’enrichit de l’apprentissage de ce qui n’est pas humain. L’éducation à l’environnement se situe au croisement de ces trois volets. 

A la suite de Philippe Meirieu, spécialiste français en sciences de l’éducation et en pédagogie, identifions quatre raisons qui justifieraient l’introduction de l’éducation relative à l’environnement, sans toutefois ignorer les limites inhérentes à chacune d’elles[7]. En premier lieu, il serait important d’éduquer à l’environnement parce qu’il s’agit d’une préoccupation contemporaine qui, en tant que telle, mérite qu’on lui accorde du temps et de l’attention par la création d’une discipline et de savoirs spécifiques. Ceux-ci permettraient de garantir à tous l’accès à ce nouvel ensemble de connaissances (en d’autres termes, il s’agit du paradigme de « ce qu’il faut savoir »). Mais il faudra alors être attentif au risque que ce dernier ne soit que « pur savoir », appris pour être restitué et sans réelle appropriation.

Ensuite, dans une optique behavioriste, on pourrait insister sur l’importance d’éduquer à l’environnement parce que les individus doivent connaitre les gestes, avoir des comportements adéquats pour assurer la survie de notre monde en danger (paradigme de « ce qu’il faut faire »). Le risque de cette approche serait d’éliminer toute capacité de réflexion à cause d’un « dressage » en bonne et due forme.

La troisième approche vise à introduire une pensée systémique et globale concernant le rapport au monde. Il est important de ne pas voir l’homme comme un élément indépendant mais plutôt d’insister sur les connexions, les interrelations existant entre lui et son environnement (paradigme du « comment on doit penser »). Attention, ici, au plaisir purement intellectuel et « formel », risquant de faire perdre de vue les vrais enjeux.

Enfin, l’éducation à l’environnement aurait une fonction de critique sociale, permettant l’émergence de « citoyens résistants », de citoyens qui prennent leur place dans le débat public et n’entendent pas se voir dicter leur conduite (« ce à quoi l’on doit résister »). Avec le risque d’une forme d’endoctrinement aux idées politiques et idéologiques de l’éducateur, par nature contraire à toute démarche éducative.

On pourrait ajouter à ces premiers éléments d’analyse le fait qu’une éducation relative à l’environnement globale et transversale est également importante pour encourager la cohérence dans les choix de vie de nombreux citoyens qui, par exemple, utilisent les transports en commun ou le vélo dans leur quotidien mais s’envolent ensuite à l’autre bout du monde. Si l’on réfléchit, pour reprendre la définition de C. Partoune (ci-avant), de façon globale et systémique, cette cohérence pourrait devenir plus naturelle.

En d’autres termes, l’ErE est l’un des instruments permettant de décoder la complexité du monde. Edgar Morin, philosophe et sociologue de renom, envisage d’ailleurs l’apprentissage de cette complexité comme constituant l’un des enjeux clés de l’éducation du futur : « Il nous faut concevoir l’insoutenable complexité du monde dans le sens où il faut considérer à la fois l’unité et la diversité du processus planétaire, ses complémentarités en même temps que ses antagonismes. La planète n’est pas un système global, mais un tourbillon en mouvement, dépourvu de centre organisateur. Elle demande une pensée polycentrique capable de viser à un universalisme, non pas abstrait, mais conscient de I’unité/diversité de l’humaine condition ; une pensée polycentrique nourrie des cultures du monde. Eduquer pour cette pensée, telle est la finalité de l’éducation du futur qui doit oeuvrer, à l’ère planétaire, pour l’identité et la conscience terrienne »[8].

Comment réaliser cette ErE ?
 

L’un des risques lorsqu’on cherche à inciter à la réflexion en vue d’un changement, c’est de provoquer une résistance forte. Dans la plupart des pratiques éducatives visant un monde plus solidaire et responsable, il y a avant tout un long travail à faire pour augmenter la motivation de la personne à entrer dans un processus de changement. Quelques conseils ont été élaborés par le psychologue Jean-Jacques Wittezaele et présentés en 2006 lors du colloque « Changements de comportements », organisé par le réseau Idée[9] afin d’aider les animateurs :
 

  • Partir de la vision du monde de l’autre ;
  • Fixer un petit objectif réaliste et accessible ;
  • Ne pas essayer de convaincre ou d’utiliser des moyens comme la moralisation, le reproche, etc., car ils augmentent la résistance ;
  • Si les changements entraînent des inconvénients : anticiper les résistances et, si les changements entraînent des inconvénients, ne pas les minimiser mais les annoncer ou les laisser s’exprimer. Afficher les inconvénients est un bon moyen de les dépasser.
     

Ces éléments sont essentiels pour éviter que les personnes ne se sentent en échec face à un objectif utopique et pour que leur confiance s’améliore.

Au fil des années, un « patrimoine pédagogique » pouvant inspirer les praticiens s’est progressivement constitué, comprenant aussi bien des réflexions théoriques que des conseils pratiques. En effet, puisque l’objectif ultime de l’ErE est d’impulser un changement de comportement global et d’inciter les individus à s’engager, sensibiliser et informer ne sont pas suffisants ! Il peut être intéressant de faire un cours sur l’environnement, d’organiser une animation pour un groupe ou de regarder un film. Toutefois, on reste alors dans le domaine de la prise de conscience intellectuelle ou émotive. Cela ne suffira sans doute pas pour provoquer une réflexion de fond sur son mode de vie et celui de nos sociétés. Il importe alors de pouvoir rendre la question « environnement » accessible, concrète. L’une des pistes émises par l’asbl Natagora dans son étude sur les publics et les stratégies d’actions en ErE[10] serait d’inventer des outils pouvant mesurer concrètement l’impact des individus sur l’environnement et la nature (comme le fait WWF avec le « Footprint »[11]). Recréer le lien à la nature sera évidemment également une des étapes clés du processus d’ErE.

Par ailleurs, puisqu’aucun module ou activité ne peut s’appliquer identiquement à tous les publics, il importera de tenir compte des représentations, connaissances et perceptions de chacun concernant la nature et la protection de l’environnement. Et, d’autre part, d’insister sur l’aspect de transfert de compétences : si on apprend mécaniquement, on n’est pas capable de projeter dans un autre contexte, ce qui constitue pourtant un élément essentiel de l’approche globale et systémique propre à l’ErE.

Conclusion 
 

La nécessité de développer une compréhension fine des problèmes, ainsi qu’une perception des (nouvelles) opportunités et une capacité critique constructive, semble claire au vu de questions comme celles du réchauffement climatique, de la perte de la biodiversité mais aussi de la difficulté du vivre ensemble dans nos sociétés adhérant au système capitaliste.

Le monde de l’éducation a un rôle énorme à jouer et, dans ce contexte, le projet de l’ErE est d’une grande richesse en raison de l’ampleur même de son projet pédagogique et de la position particulière de l’environnement au croisement entre nature et culture. L’environnement n’est pas un thème à traiter parmi d’autres, il ne suffit pas de « saupoudrer » de l’environnement. Ce projet éducatif requiert une complémentarité entre de nombreux acteurs, chacun en fonction de sa place dans la société, du public auquel il s’adresse et du contexte éducatif. Il y a du travail pour tous pour relever les défis de notre monde !

Notes :