En Question n°131 - décembre 2019

Face à l’accélération numérique

Parallèlement à la révolution numérique en marche, l’inclusion numérique devient un enjeu de plus en plus important. Tous les publics ne sont pas armés pour affronter la numérisation croissante. Pour certains, qui cumulent précarité économique, sociale et vulnérabilité numérique, la dématérialisation (ou numérisation) devient un nouveau facteur d’exclusion.

Une nouvelle fracture numérique

L’accélération des systèmes et des outils numériques donne lieu à une nouvelle fracture numérique : celle des usages. Initialement considérée comme un problème d’accès, l’exclusion numérique est devenue double : à sa composante « accessibilité » s’est en effet ajoutée une fracture au niveau des usages.

Si 86% des Belges ont accès à un ordinateur et à Internet, 40% d’entre eux sont incapables d’utiliser Tax-on-web et 50% ne parviennent pas à remplir un formulaire.
– 1 Belge sur 5 est incapable d’envoyer ou de recevoir des e-mails,
– 1 Belge sur 7 est incapable de surfer sur Internet,
– 1 Belge sur 4 est incapable de consulter les sites d’actualités,
– 1 Belge sur 3 ne parvient pas à consulter les horaires des transports publics. Voir une enquête réalisée en 2016 à la demande du Gezinsbond (www.gezinsbond.be/persberichten/paginas/30-augustus-2016.aspx).

L’axe « compétence » (c’est-à-dire l’usage du numérique) apporte une valeur sociale, mais aussi une valeur de confiance en soi et en les autres. La méconnaissance des technologies de l’information et de la communication (TIC) peut mettre des personnes en situation délicate face à ceux-ci. De même, l’absence d’accompagnement peut placer des personnes, même formées aux TIC, dans une situation de vulnérabilité. En supprimant une partie des interactions physiques entre personnes, le risque de situations problématiques se trouve décuplé.

C’est ainsi que les utilisateurs se retrouvent démunis lorsqu’ils sont confrontés à une dématérialisation des services publics, à des arnaques sur Internet, à la volonté de supprimer ou de récupérer leurs données mises en ligne, au cyber-harcèlement, à des « fake news », etc. L’absence d’informations et d’outils visant à aider les internautes conduit à des dérives.

L’obligation de se retrouver confronté aux « Nouvelles Technologies » provoque chez tout citoyen (et pas seulement chez les « largués du numérique ») un réel malaise, car chaque démarche confronte l’individu à ses propres compétences. « Suis-je capable d’envoyer une pièce jointe ? », « je suis nul si je ne sais pas faire avec Internet… » sont autant de réflexions que les animateurs/formateurs des Espaces Publics Numériques (EPN) entendent vingt fois par jour. 

Les « Espaces Publics Numériques »

C’est dans ce contexte que la politique actuelle des grandes villes européennes – dont Bruxelles – se centre sur le concept de « ville intelligente » ou « smart city ». Ce concept holistique et fourre-tout vise à répondre aux questions publiques urbaines par la mise à disposition de solutions basées sur les TIC. Mais il ne touche qu’une partie de la population, déjà bien numérisée. Il devient donc difficile de vivre aujourd’hui sans le numérique. Car celui-ci touche l’ensemble de notre société : emploi, logement, école, banque, administration, etc.

Depuis vingt ans, au sein des EPN, œuvrent de manière intensive et discrète, souvent avec des bouts de ficelles (car ils sont insuffisamment financés), des animateurs qui se chargent de former les débutants, sur les compétences numériques clés (faire une recherche sur Internet, envoyer un mail…). Ils visent à apporter une série de solutions aux angoisses numériques des citoyens. Ces citoyens peuvent être confrontés à des besoins matériels – comme les étudiants ne possédant pas d’ordinateur et dont le journal de classe ainsi que le travail journalier ne sont disponibles que sur Internet. Il peut aussi s’agir de personnes réfractaires au numérique, mais qui en ont besoin et qui disent « être nuls en informatique » parce que c’est « compliqué » et « pas pour moi ».

Chaque jour, les animateurs des EPN répondent à des demandes d’aide visant à réaliser une recherche d’emploi, introduire des demandes de bourses d’études ou d’inscriptions dans les écoles, effectuer des démarches bancaires ou auprès de l’e-administration, suivre une formation à distance, gérer des dossiers partagés, mener des ateliers de « codage », etc.

Les EPN se chargent donc déjà de la transformation du quotidien des citoyens, mais ce secteur est financièrement fragile car pas ou peu financé. Il ne peut aujourd’hui répondre à la demande croissante et toujours plus diversifiée. Le Collectif des Acteurs Bruxellois de l’Accessibilité Numérique (CABAN) se mobilise depuis des années afin d’obtenir un soutien par le biais d’une politique régionale durable d’inclusion numérique – qui commence doucement à voir le jour.