Le 04 mai 2005

Traité établissant une constitution pour l’Europe… en questions

À l’occasion des référendums français et hollandais sur le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe, de nombreuses discussions se font jour. On peut s’en réjouir, car il importe que les citoyens que nous sommes se rendent mieux compte du contenu du projet, de ses enjeux et puissent ainsi se situer par rapport à lui. Le présent document du Centre Avec entend donner un éclairage sur trois points importants qui font souvent question : le traité a-t-il été préparé de manière démocratique ? Le texte actuel apporte-t-il ou non un plus en démocratie ? Le texte actuel rendra-t-il l’Europe plus ou moins sociale ?

Pour aider à trouver réponse à ces questions, l’auteur du document a porté son attention sur les travaux de la Convention qui a préparé le projet et examiné le projet lui-même tel qu’il est soumis à approbation par le Conseil. Il y a relevé quelques faits et noté des extraits significatifs du Traité. En les livrant en quelque sorte à l’état brut, il pense donner aux lecteurs de quoi alimenter leur réflexion personnelle et leurs échanges en groupe de réflexion. 

Le Traité a-t-il été préparé de manière démocratique ?
 

Pendant environ 15 mois (28.02.2002 – 13.06.2003) une Convention y travaille, regroupant 105 membres (les conventionnels) émanant des gouvernements et des parlements de 15 pays membres (15+30) et de 13 pays candidats (13+26), du parlement européen (16) et de la Commission européenne (2). Ce travail – aux discussions souvent serrées – s’est effectué dans la transparence : sous le regard de centaines de spécialistes, journalistes… ; à toutes les étapes, les débats et textes publiés étaient disponibles sur internet ; la société civile a été invitée à s’exprimer (sous son influence un groupe de travail spécifique s’est mis en place, regroupant 70 conventionnels). Le texte élaboré par la Convention a été ensuite amendé par les représentants des gouvernements, avalisé par la Conférence intergouvernementale (CIG) et signé par les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays membres (29.10.2004), avant d’être soumis à la ratification des 25 États de l’Union européenne.

Le texte actuel est-il un plus ou un moins pour la démocratie ?
 

Les valeurs de l’Union : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (art. I-2).

Les objectifs de l’Union :

1. « L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples ».

2. « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».

3. « L’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres. Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».

4. « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel des peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la Charte des Nations unies » (art. I-3).

Être citoyens européens : « Toute personne ayant la nationalité d’un État membre possède la citoyenneté de l’Union » (art. I-10). « L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux qui constitue la partie II » (I-9 ; la Charte proclamée en décembre 2000 reçoit ainsi force contraignante).

Principe de la démocratie représentative. L’art. I-46 avalise deux types de représentation (celle des peuples et celles des États) : « Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil (i.e des ministres) par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens ».

Principe de la démocratie participative. L’art. I-47 établit notamment : « Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile » (alinéa 2) ; « Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition (d’acte européen) » (alinéa 4).

En outre, « L’Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux » (art. I-48).

Parlement européen (représentant les citoyens). Ses pouvoirs sont accrus : comme dit à l’art. I-20, il « exerce, conjointement avec le Conseil (i.e. des ministres, représentant les États), les fonctions législative et budgétaire… Il élit le président de la Commission (proposé par le Conseil européen qui doit tenir compte des élections au Parlement européen – art. I-27) ».

Le Conseil des ministres (représentant les États). Selon l’art. I-24, « le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif ».

Président du Conseil européen. Selon l’art. I-22, « le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois ». Celui-ci « assure, à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du ministre des Affaires étrangères de l’Union ». Il faut remarquer que, face au président du Conseil européen, le président de la Commission voit ses prérogatives renforcées : il nomme les vice-présidents (autres que le ministre des Affaires étrangères qui lui est nommé par le Conseil européen, avec l’accord du président de la Commission) et peut révoquer seul un commissaire (art. I-27,28).

Principes de subsidiarité et de proportionnalité. Selon l’art. I-11, « en vertu du principe de proportionnalité, l’Union agit dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans la Constitution pour atteindre les objectifs qu’elle établit » (alinéa 2). « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions et des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union » (alinéa 3).

Implication des Parlements nationaux. Un protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne prévoit une information systématique (documents de consultation, programme législatif annuel, projets d’actes législatifs européens), la possibilité pour les parlements nationaux d’adresser un avis motivé concernant la conformité d’un projet d’acte législatif européen avec le principe de subsidiarité, une coopération interparlementaire organisée par le Parlement européen et les parlements nationaux.

Le texte actuel rend-il l’Europe moins ou plus sociale ?
 

La partie III (Les politiques et le fonctionnement de l’Union) fusionne et adapte les Traités antérieurs. Elle reprend quatre grandes libertés sur lesquelles l’Europe s’est construite jusqu’à présent : libre circulation des personnes, des services, des marchandises, des capitaux. Elle commence néanmoins par établir des clauses que l’on peut qualifier de transversales. Celles-ci complètent les articles de la Partie I sur les valeurs de l’Union (I-2) et sur les objectifs de l’Union (I-3) (voir plus haut) et doivent être prises en compte dans l’ensemble des politiques de l’Union.

« Pour toutes les actions visées à la présente partie, l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité, entre les hommes et les femmes » (art. III-116).

« Dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions visées à la présente partie, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale, ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine » (art. III-117).

« Dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions visées à la présente partie, l’Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle » (art. III-118).

« Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions visées à la présente partie afin, en particulier, de promouvoir le développement durable » (art. III-119).

« Les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union » (art. III-120).

« … l’Union et les États membres tiennent pleinement en compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles… » (art. III-121).

« Sans préjudice des articles I-5 (autonomie nationale, régionale, locale), III-166, III-167 et II-238 (conditions de la concurrence), et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général (i.e. services publics) en tant que services auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et les États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application de la Constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de faire exécuter et de financer ces services » (art. III-122).

Pour construire une Europe sociale, il faut rappeler l’article I-48 : « L’Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux. Elle facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie. Le sommet social tripartite pour la croissance et l’emploi contribue au dialogue social ».

Quelques références

Texte (y compris protocoles et annexes) : site http://europa.eu.int/eur-lex/lex/

Olivier Duhamel, Pour l’Europe (La Constitution européenne expliquée et commentée), Paris, Seuil, 2005 (2e édition revue), 461 p.

Florence Deloche-Gaudez, La Constitution européenne (Que faut-il savoir ?), coll. Nouveaux Débats, Presses de Science Po, Paris, 2005, 260 p.

Pierre de Charentenay, « Une Constitution pour l’Union européenne » (Évangile et Justice, n° 66, déc. 2002, p. 30-31) et « Le Traité de Rome 2004 » (Évangile et Justice, n° 71, déc. 2004, p. 4-6).

« La Constitution européenne », numéro spécial de Syndicaliste (bimensuel de la CSC, n° 622, 25 avr. 2006, 28 p., B.P. 10, B-1031 Bruxelles, Tél. : 02/246 32 91).

« Europe : dilemme dans la gauche », dossier de la revue bimestrielle Politique (n° 38, fév. 2005, p. 50-63, rue Coenraets 68, B-1060 Bruxelles, Tél. : 02/535 06 84).