Militer avec Sabine, une géante pour faire grandir la dignité
La House of Compassion est une église thématique à Bruxelles dédiée à la lutte pour la justice et la compassion. Le 3 mai dernier, elle organisait sa première « Fête de la dignité », une journée festive vouée à devenir un rendez-vous annuel pour les personnes engagées pour un monde plus juste et plus humain. L’objectif ? Se rassembler, célébrer, s’inspirer mutuellement, créer du lien, renouveler son énergie pour durer dans ses engagements. Un pari plus que réussi ! Récit d’une journée haute en couleurs.

Quand j’arrive avec ma famille pour vivre cette Fête de la dignité, elle est là, sur la place du Béguinage, en plein centre de Bruxelles, à quelques encablures de la Grand-Place. Toute de bleu vêtue, elle trône et est le centre de l’attention. Son visage est encore voilé, mais elle porte un calicot qui révèle son identité : Sabine, géante de la dignité des sans-papiers – Sabine, reuzin van de waardigheid van mensen zonder papieren. Hé oui ! Sabine est une nouvelle géante[1], qui vient compléter la belle collection de géants que compte déjà le folklore bruxellois. Réalisée par les artistes Alain De Clerck et Geneviève Hardy, la géante a été conçue à l’image et en s’inspirant de l’histoire de Sabine Amiyeme, arrivée en Belgique il y a plus de 15 ans, installée à Liège et exerçant le métier de coiffeuse. En 2024, Sabine Amiyeme a été détenue en centre fermée et menacée d’expulsion vers le Cameroun, pays qu’elle avait fui après de graves menaces. Une large mobilisation citoyenne avait permis qu’elle soit libérée. Elle a désormais obtenu le statut de réfugiée qu’elle espérait depuis 2012.
Belle surprise de la fête organisée par la House of Compassion (HoC) : Sabine Amiyeme est présente pour l’inauguration de « sa » géante. Et que la fête commence ! Sabine la géante se fait baptiser. Ensuite, c’est le moment de sa première sortie : elle fait un tour dans les rues avoisinantes, escortée par les Fanfakids, une fanfare d’enfants et de jeunes du quartier, ainsi que par Sabine Amiyeme elle-même, dont le calicot est plus qu’éloquent : « Ils m’avaient enfermée ne sachant pas que j’en sortirais grandie ! ».
Pourquoi célébrer la dignité ? « Le chemin vers un monde plus juste, où la dignité de chacun est respectée, peut être long et difficile. Parfois, nous avançons de deux pas, puis nous devons reculer de trois. Pourtant, ce chemin vaut toujours la peine d’être parcouru. Il y a ces personnes formidables que nous rencontrons en route, il y a la manière dont ce parcours nous transforme en tant qu’être humain, et il y a ces petits et grands ‘miracles de paix’ qui emplissent notre cœur d’espoir. Avec cette fête, nous souhaitons prendre le temps de réfléchir à tout cela et en témoigner »[2].
L’équipe de la House of Compassion n’a pas ménagé ses efforts pour faire de cette journée une réussite. Geneviève Frère, coordinatrice à la HoC et cheville ouvrière de l’événement, entourée d’une bonne équipe de bénévoles, a mis les petits plats dans les grands. C’est la fête pour tout le monde : châteaux gonflables, pop-corn et grimage ravissent les enfants. Des tables sont installées sur la place devant l’église et le repas solidaire est préparé par un collectif de personnes sans papiers. C’est un délice. On fait de nouvelles rencontres, et on retrouve des habitués de la militance : ils et elles ont la lutte pour la justice et la dignité de chaque être humain chevillée au cœur. C’est que l’église du Béguinage a une longue histoire de compassion, ayant accueilli à plusieurs reprises des occupations de personnes sans papiers ces dernières décennies. Pendant le repas, Daniel Alliët, prêtre engagé depuis longtemps en faveur des droits humains, refait un tour du quartier avec les Fanfakids. C’est magnifique : il ouvre le cortège pour ces jeunes qui jouent avec talent de leur instrument.
Lisette Ma Neza, la poétesse de la ville de Bruxelles, est présente. Pour l’occasion, elle a composé deux poèmes – bilingues – qu’elle déclame et chante avec beaucoup de conviction et de justesse. Vient ensuite la remise des premiers « Prix de la Dignité » : l’un est remis aux Fanfakids, et l’autre à la coordinatrice du collectif de sans-papiers qui a préparé le repas.
La pluie nous invite à nous réfugier (si l’on peut dire…) dans l’église. C’est là que nous serons invité.e.s à vivre une performance participative animée par Urban Rituals : on danse, on chante, des gestes symboliques permettent de célébrer les avancées sur le chemin de l’engagement pour la dignité, de déposer ce qui est douloureux, de reprendre courage et élan pour la suite.
Ce passage à la House of Compassion est aussi l’occasion de (re)découvrir les différents espaces de l’église : un espace de silence, simple et beau (« L’expérience de la beauté élève chacun dans sa dignité », dit le site de la House of Compassion), des œuvres d’art militantes, un espace pour des expositions, et le coin de la « Règle d’or », où sont peintes des citations en diverses langues, issues de traditions religieuses et spirituelles différentes et qui disent toutes : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent »[3]. C’est le point de départ de l’action de la House of Compassion. La très longue table qui est habituellement au centre de l’église est mise sur le côté. C’est là que le repas est partagé lors des activités régulières proposées par la House of Compassion.
L’action militante peut se renouveler et mobiliser en touchant les cœurs par la beauté, l’art, la poésie, la générosité, le soin du travail bien fait, la joie.
Quel beau moment. Et que de bonnes idées glanées pendant cette journée ! Je suis repartie inspirée. Sur le chemin de la militance, il est bon de célébrer, de faire la fête, de se rencontrer, d’être ensemble, pour mieux repartir, chacune et chacun dans nos lieux d’ancrage et d’engagement, et continuer la route. La lutte pour un monde où chacun et chacune a sa place et compte est longue. La joie partagée lors de cette journée m’accompagne. Sabine la géante et sa Fête de la dignité m’ont montré que l’action militante peut se renouveler et mobiliser en touchant les cœurs par la beauté, l’art, la poésie, la générosité, le soin du travail bien fait, la joie.
Chacun et chacune est rentré chez soi. Sabine la géante, elle, est restée dans l’église du Béguinage. C’est chez elle. Mais c’est certain, elle a la bougeotte, elle veut manifester, sensibiliser, et faire grandir la dignité ! Elle est déjà sortie de chez elle (voir encadré). Vous ne l’avez pas encore rencontrée ? Qui sait ? Peut-être en aurez-vous l’occasion lors de la Marche pour le climat du 5 octobre 2025[4] ?
Les premières actions de militance de Sabine, géante de la dignité
Activist Hair Salon : À la House of Compassion, on ne tarit pas d’idées ! Sabine Amiyeme est coiffeuse ? Et voilà que germe une idée d’action pour le moins originale. Le 7 juin dernier, le Salon de coiffure du Béguinage a pris ses quartiers dans l’église, sous le regard de Sabine la géante, qui, quand elle n’est pas de sortie, y demeure. Des coiffeurs et coiffeuses activistes ont coiffé pour la bonne cause. Les bénéfices ont été reversés à Getting the Voice Out pour l’achat de cartes téléphoniques destinées aux personnes migrantes enfermées dans des centres fermés.
Première sortie , place Schuman, au cœur de l’Union européenne : Sabine la géante milite pour la dignité de chaque être humain. Et donc aussi pour celle des Gazaouis et des Palestiniens. C’est pourquoi, ce 15 juillet dernier[5], elle est sortie jusqu’à la place Schuman, à l’occasion du Conseil des Affaires étrangères de l’UE, où était discuté le respect par Israël de l’article 2 (c’est-à-dire sa clause relative aux droits humains) de l’Accord d’association UE-Israël. Entourée de membres de House of Compassion et de Palestinian Refugees for Dignity, mais aussi de centaines de militantes et militants, Sabine la géante a manifesté devant les institutions européennes pour le respect de la dignité humaine et appelé l’Europe à se montrer fidèle à ses propres valeurs.
Notes :
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[1] La construction de Sabine la géante a été financée par des dons au Fonds des Amis de House of Compassion. Il est toujours possible de soutenir ses projets et futures actions de sensibilisation et de militance. Voir web.houseofcompassion.be/fr/nouvelle-geante-pour-bruxelles.
[2] Newsletter de la House of Compassion, 17 avril 2025.
[3] Voir par exemple http://livingpeaceinternational.org/fr/le-projet/regola-d-oro-2.html.
[4] Voir le billet d’humeur de Nadia Cornejo, « Toujours plus chauds que le climat ? », p. 66.
[5] Voir le récit de cette sortie : web.houseofcompassion.be/fr/sabine-geante-de-la-dignite-premiere-sortie-vers-la-place-schuman.