Le 15 octobre 2008

Un catholicisme pluriel. Eléments de réflexion

Loin d’être monolithique, le catholicisme contemporain est une réalité plurielle. Les études les plus récentes en socio-anthropologie des religions le mettent en évidence. Marqué par le phénomène de la sécularisation, le catholicisme est aujourd’hui traversé par des tendances et directions variées, qui parfois se combinent, parfois s’opposent – et cela en bien des domaines : moral et éthique, rituel, social. Les associations ou mouvements faisant partie de l’Église catholique mais également les autorités religieuses sont marqués par ces tendances. Pour toute personne, pour tout groupe qui veut connaître la réalité du monde catholique, il importe donc d’adopter un regard nuancé s’appuyant sur un examen rigoureux de la situation. C’est ce que nous proposent les auteurs de cette analyse. 
 

La diversité du catholicisme est parfois méconnue, en particulier de ceux et celles qui l’approchent de l’extérieur. Pour cette raison, il nous semble important, en nous appuyant sur les sciences sociales, de présenter quelques éléments permettant de découvrir les grandes tendances présentes aujourd’hui dans l’Église catholique.

En effet, les sciences sociales des religions sont aujourd’hui en plein renouveau, notamment en ce qui concerne l’étude du catholicisme[1]. Ainsi, comprendre le catholicisme aujourd’hui et ses enjeux était l’objet du colloque organisé à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) à Paris, les 19 et 20 juin 2008, par le groupe de recherche « Modernité et Catholicisme ». Cette rencontre a été justement l’occasion de souligner, que, loin de disparaître, le catholicisme se recomposait et que l’Église était plus que jamais diversifiée dans ses orientations et ses pratiques.

Sécularisation et fin de la civilisation paroissiale
 

Pendant les années soixante et septante, les scientifiques sociaux analysent le mouvement de recul du catholicisme et, plus largement, du christianisme dans le monde occidental, en lui donnant le nom de « sécularisation ». Ainsi, pour le sociologue protestant américain Peter Berger, dès ce moment :

« la religion cesse de fournir aux individus et aux groupes l’ensemble des références, des normes, des valeurs et des symboles qui leur permettent de donner sens aux situations qu’ils vivent et aux expériences qu’ils font : la religion ne constitue plus le code de sens global qui s’impose à tous »[2].

En effet, une mutation gigantesque est en route et, en ce qui le concerne, le catholicisme doit faire face à la diminution drastique du nombre de clercs, à la perte de pouvoir des institutions religieuses et à la baisse notable de la pratique religieuse.

Danièle Hervieu-Léger parle, elle, de l’« exculturation » du catholicisme[3], en signifiant par là que, si l’Église catholique continue d’exister, elle cesse de fournir un cadre de référence pour l’ensemble de la société et se retrouve ainsi, en quelque sorte, mise « hors culture ». C’est la fin de la « civilisation paroissiale » et du catholicisme dominant.

Une pluralité interne au catholicisme et de nouvelles définitions
 

Le paradigme change dans les décennies suivantes : dans les milieux de la recherche scientifique, on passe de l’étude de la sécularisation à l’étude des recompositions religieuses et des nouvelles relations entre les confessions.

Pour le groupe « Modernité et Catholicisme », l’Église catholique oscille aujourd’hui entre deux tendances : intransigeance retrouvée et adaptation des enseignements de l’Église à la culture moderne et aux nécessités sociales. Elle est donc prise dans une dynamique paradoxale de changement/maintien.

Plus globalement, il faut surtout souligner une énorme pluralité interne au champ religieux et la combinaison d’une série de tendances diverses et de directions variées. Nous voudrions ici attirer l’attention sur trois dynamiques présentes, selon nous, à l’intérieur du monde catholique.
 

1- Au niveau moral et éthique

Au niveau bioéthique et familial, certaines sphères de l’Eglise catholique se rendent visibles par leur intransigeance et leur conservatisme, anticipant et suivant certaines tendances romaines. En utilisant  avec succès le réseau internet, elles se rendent de plus en plus visibles. C’est le cas notamment des conservateurs et des réactionnaires français de la « réacosphère » (mot provenant de la combinaison du terme blogsphère et celui de réactionnaire) qui diffusent leurs opinions et réactions sur une série de sites et de blogs, créant ainsi de mini polémiques. On peut noter que souvent ces groupes, en appelant à un droit absolu à la vie,  concentrent leur attention sur les seules questions de bioéthique et d’éthique familiale et ne se préoccupent guère des questions d’éthique économique et sociale, comme si celles-ci ne mettaient pas également en jeu le respect de la « vie digne » que défendent d’autres sphères de l’Église catholique. 

En effet, parallèlement et de façon parfois plus discrète, certaines autres franges de l’Eglise, par un travail social engagé et le plus souvent au sein de groupes pluralistes, adaptent le message chrétien au monde contemporain en cherchant à être un des éléments parmi d’autres luttant pour une société plus juste et ce sur différents plans : égalité des chances, accueil des migrants, appui à des organisations et des ONG dans les pays du Sud, sensibilisation autour des thématiques de la paix, travail avec les jeunes. Ce faisant, ils travaillent des thématiques qui ne sont pas spécifiquement chrétiennes, mais s’inscrivent dans la ligne de ceux qui, dans l’Église catholique, ont affirmé la nécessité de lutter pour la « justice sociale » (dont la théologie de la Libération). Le Centre Avec s’inscrit dans cette perspective. Il nous semble en effet essentiel d’ouvrir la réflexion éthique tant aux résultats des recherches scientifiques qu’aux options fondamentales de l’Évangile et de respecter les cheminements personnels. 
 

2-  Au niveau rituel [4]

Divers sociologues, dont Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper[5], soulignent l’importance retrouvée des émotions dans les rites. Ces dernières favorisent en effet le partage d’un sentiment collectif d’appartenance et l’expérience esthétique du divin. On pense bien entendu aux mouvements charismatiques.

Les rites catholiques retrouvent par ailleurs de leur intransigeance et de leur intangibilité dans certaines églises conservatrices. Le retour de la messe en latin et son relatif succès au niveau des jeunes notamment interrogent.

Enfin, notons deux tendances très différentes dans les pratiques rituelles : une première qui valorise une simplicité monastique (fraternité de Taizé, fraternité de Jérusalem, fraternité Tibériade) et une autre qui tente d’approcher la jeunesse en recourant à ses modes d’expression propres : rock chrétien, festivals etc.

Ces phénomènes – il en est sans doute d’autres – requièrent analyse et réflexion.

L’affectivité, tout comme la raison, est évidemment essentielle à une démarche de foi. Cette dernière – qu’elle soit chrétienne ou autre – n’existe que parce qu’elle allie les deux, en une sorte de relation dialectique. Une raison sans émotion est étriquée, sèche ; une émotion sans intelligence est dangereuse illusion. Ceci devrait transparaître dans les rites – et les rites font partie de toute vie humaine en société – comme dans les autres aspects de la vie. En outre, il y a la nécessaire relation – cette fois encore dialectique – entre le personnel (l’individu) et le collectif (la société) : les rites en sont des lieux d’expression privilégiés.

La diversité des pratiques rituelles est nécessaire afin que chacun puisse trouver un espace qui lui convient : lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’exclusive, elle tient compte de la diversité – légitime et enrichissante – des sensibilités spirituelles.

De même la référence au passé est sans aucun doute nécessaire ; elle met en évidence nos racines, qui nous poussent à avancer, pourvu qu’elle ne soit pas un retour en arrière frileux, excessivement méfiant à l’égard du présent.
 

3 –  Au niveau social

Au niveau social, on note également un double mouvement : d’une part, d’ouverture/dilution des espaces chrétiens dans la société (mouvements associatifs etc.) et, d’autre part, d’affirmation d’un catholicisme « ethnique », entendu ici « de groupe ».

En ce qui concerne la dilution, elle va de pair avec la fin de la civilisation paroissiale. La paroisse, l’Eglise, n’est plus, pour la majorité des gens – y compris des chrétiens – un lieu d’identification majeur. Ceux-ci se déplacent vers d’autres organisations, notamment associatives, où les mêmes valeurs peuvent être présentes.

Cependant, l’appartenance à une paroisse peut aussi devenir en elle-même une manière de participer à un groupe, de se re-lier et d’affirmer une identité.

Ainsi, certaines paroisses retrouvent vigueur et dynamisme au travers de la présence de migrants. Ces paroisses (ou pastorales) servent, en effet, non seulement de lieu d’expression de la foi, mais aussi de lieu de rencontre d’une communauté et de catalyseur d’identité. Le religieux est aussi un espace protégé, un « asile » pour des personnes parfois en situation irrégulière, qui y trouvent protection et surtout peuvent y célébrer leurs fêtes et leurs processions, véritables catalyseurs d’identité[6].

De même, certaines paroisses dites « d’élection » sont des lieux de rencontre pour des personnes partageant une même vision de monde et de la spiritualité. Liées au charisme d’un prêtre ou à l’expression d’un type particulier de pratiques religieuses (cf. diversité rituelle), elles peuvent également être des lieux d’expression d’une identité choisie.

Des parcours individuels
 

L’élément peut-être le plus important pour comprendre le religieux contemporain est le caractère individuel que revêtent la croyance et l’identité religieuse. Non que celles-ci fonctionneraient indépendamment d’un groupe qui les portent, mais plutôt parce que l’appartenance à ce groupe relève le plus souvent d’un choix et d’un parcours personnels et qu’elle n’est plus donnée par avance par le groupe d’appartenance primitif (comme c’était le cas dans la « société paroissiale »).

Ainsi peut-on dire que, aujourd’hui :

« la religion est avant tout un dispositif de croyances et de pratiques avec lesquelles les personnes ‘bricolent’ (Claude Levi Strauss) ou ‘braconnent’ (Michel de Certeau) plus ou moins librement par rapport à leur propre vie »[7]. 

Pour parler de cette individualisation du « croire », Danièle Hervieu-Léger utilise les métaphores du « pèlerin » et du « converti ». Il s’agirait là des deux figures représentant le mieux les cheminements de foi contemporains. Au contraire du « pratiquant », le pèlerin n’est en effet pas lié à une institution, mais c’est un cheminement personnel qui le mène à la foi. De même, le converti est une personne mobile qui « choisit », car sa foi ne se laisse plus imposer.  

Conclusion
 

Les études les plus récentes en sciences sociales sur l’évolution du catholicisme nous font voir qu’il serait erroné de considérer celui-ci comme un ensemble monolithique. S’il existe un large consensus sur ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne, il existe, comme on le voit en bien des domaines, une réelle pluralité de tendances. Celles-ci marquent les membres et les associations ou mouvements faisant partie de l’Église catholique, mais également les autorités ecclésiales (les positions des évêques ne sont pas toujours unanimes).

Pour connaître la réalité du monde catholique, il importe aussi de mesurer le genre de diversité auquel on a affaire. Ici, comme ailleurs, le manichéisme n’est pas de mise. Il serait vain de classer les personnes ou groupes en deux catégories, par exemple les « conservateurs » et les « progressistes ». D’ailleurs, on peut être « progressiste » en un domaine et « conservateur » dans un autre… 

En outre, il existe une pluralité de tendances qui est richesse lorsque celles-ci se complètent au lieu de s’exclure – nous songeons tout particulièrement aux divers courants qui mettent l’accent sur telle ou telle sensibilité spirituelle. Mais il est des pluralités d’un autre type qui réclament analyse et évaluation plus profonde : le repli identitaire qui accompagnerait une peur de l’évolution actuelle du monde ne s’accommode guère avec l’ouverture critique à celle-ci.

Ce qui importe en fin de compte – comment s’en étonner – c’est un regard nuancé s’appuyant sur un examen suffisamment sérieux des personnes et groupes qui nous entourent et avec qui, que nous le voulions ou non, il nous faut construire le vivre ensemble de la société.

Notes :

  • [1] Dans un entretien avec le journal La Croix, Philippe Portier parle d’une nouvelle génération de chercheurs s’intéressant à l’étude des religions en France. Voir : Entretien avec Philippe Portier « Une nouvelle génération de chercheurs s’intéresse aux religions »  in La Croix, « Forums et Débats », 20 juin, 2008, p. 11. En Belgique, on trouve le même renouveau d’intérêt notamment à Louvain-la-Neuve autour de Jean-Pierre Hiernaux, Olivier Servais, Felice Dassetto… Au-delà des laboratoires particuliers, la Société Internationale de Sociologie des Religions, réunit par ailleurs plusieurs centaines de chercheurs lors de ses rencontres bisannuelles (http://www.soc.kuleuven.be/ceso/sisr/fr/index.htm).

    [2] Berger, Peter, The Sacred Canopy: Elements of a sociological Theory of Religion, Garden City, New York, 1967. Cité par : Bobineau, Olivier, Tank-Storper, Sébastien, Sociologie des religions, Paris, Armand Colin, coll. « 128 », 2007, p. 60.

    [3] Hervieu-Leger, Danièle, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003. L’auteure traite plus particulièrement de la situation française, mais sa réflexion s’étend au-delà.

    [4] Voir : Diantel, Erwan, Hervieu-Leger, Danièle, Saint-Martin, Isabelle, La modernité rituelle : rites politique et religieux dans les sociétés modernes, Paris, L’Harmattan-AFSR, coll. « Religions en question », 2004.

    [5] Bobineau, Olivier, Tank-Storper, Sébastien, Op. Cit., pp. 93-97.

    [6] Voir l’analyse publiée au Centre Avec sur le sujet : Piccoli, Emmanuelle, Paroisses catholiques hispanophones et lusophones de Bruxelles ou le religieux comme facteur social et identitaire, coll. « Analyses et réflexions du Centre Avec», Bruxelles, Centre Avec, 2007. En ligne : http://www.centreavec.be/pages/Pub_analyses_paroisseshispano.htm

    [7] Bobineau, Olivier, Tank-Stroper, Sébastien, Op. Cit., p. 91.