En Question n°126 - septembre 2018

Gunfactory

Couverture de l'épingle

Un spectacle foisonnant, qui donne à penser

Théâtre des Martyrs (Bruxelles), du 23 au 28 octobre – www.theatre-martyrs.be

Abordant la question du commerce des armes, Gunfactory est d’abord un spectacle. Un spectacle débordant d’énergie, de surprises et d’humour, qui utilise avec justesse et légèreté toutes sortes de techniques théâtrales (vidéo, chorégraphies, marionnettes…). La pièce, qui s’appuie sur un important travail documentaire, a pour principe formel le montage de citations. Prenant la forme d’une enquête, elle propose un habile assemblage, distancié, de genres du discours auxquels les médias nous ont accoutumés.

Sur un rythme allègre et soutenu, les comédiens incarnent quantité de voix contrastées, voire contradictoires, cherchant à justifier le commerce des armes (spécialement en Wallonie, et spécialement à la FN Herstal). Les formes, multiples, relèvent pour l’essentiel des médias de masse, allant du boniment publicitaire à la confession autobiographique, en passant par le laïus syndical ou la fuite quand la personne sollicitée se refuse au dialogue. On voit ainsi défiler, formulés avec plus ou moins de bonne conscience, la galerie des arguments mis en avant par les marchands. Du social (« l’emploi ») à l’économique-pragmatique (« si nous ne le faisons pas, nos concurrents le feront »), en passant par le technico-commercial (« nos ingénieurs font un grand travail »).

Les jeunes comédiens parviennent à incarner les intervenants en étant le plus souvent à la fois dans l’empathie et dans la distanciation. Le spectacle ne prend pas le parti de l’ironie systématique, et à plusieurs reprises, le spectateur peut ressentir le malaise qu’éprouvent les intervenants. Spectacle très réussi, Gunfactory relève d’une double tradition européenne : celle du « comique-sérieux », et celle du théâtre documentaire. Un théâtre qui interroge les discours sociaux en laissant au spectateur le soin de tirer ses conclusions.

La Compagnie Point Zéro pose les vraies questions. On appuie là où ça fait mal, mais sans faire la morale. Et le spectateur sort avec le besoin d’en savoir plus. Gunfactory n’oublie jamais que, comme le rappelait Bertolt Brecht, « depuis toujours, l’affaire du théâtre est de divertir les hommes. » Et en même temps, au terme d’un spectacle instructif, on pense entendre ce même Brecht :

« La seule issue à ce problème qui irrite
Serait que vous réfléchissiez et tout de suite (…).
Très cher public, cherche la fin qui fait défaut :
Il faut que cette fin existe, il le faut, il le faut ! »
(La Bonne âme du Se-Tchouan).

Pour en savoir plus sur le commerce des armes en Belgique : www.grip.org