Rendre compte, dans toute sa complexité, de la « métamorphose » qu’a connue notre continent au cours des sept dernières décennies : telle est la performance réalisée par le dernier ouvrage de l’historien anglais Ian Kershaw. Formidablement documenté, L’Âge global offre un panorama à la fois d’une magnifique clarté et d’une extrême précision.
L’auteur commence par nous rappeler l’ensemble de progrès « stupéfiants » qu’aura connus la génération des Baby Boomers. La prospérité. Progrès considérables, en quelques décennies, au niveau des biens d’équipement, qui ont changé la vie de millions d’Européens. Progrès inouïs de la médecine. Des mentalités. La protection sociale. Et surtout, bien sûr : la paix. D’Ouest en Est, du Nord au Sud, « L’Europe est devenue un continent foncièrement pacifique ». Et démocratique. Après une génération qui avait connu l’enfer de l’ultra-violence, du génocide, du racisme, de l’État-policier. 1989 est évidemment une année mémorable. Ian Kershaw souligne le rôle essentiel de Mikhaïl Gorbatchev – et de l’Allemagne – dans le processus.
Pour autant, le tableau que dresse l’auteur n’est nullement idyllique : il n’oublie pas l’après-crise de 2008, les hésitations de l’Union européenne, les dégâts à l’environnement, le fossé qui se creuse à nouveau entre pauvres et riches (« Les banques alimentaires dans nos pays riches sont un scandale »). Ni le nationalisme chauvin sans cesse renaissant. La paix, toujours menacée, les exportations d’armes européennes, qui transforment en enfer d’autres parties du monde…
Et au final ? L’incertitude, une fois encore. Non, ce n’est pas le travail qui manque…
Ian Kershaw indique que cette synthèse, réalisée au départ pour lui-même, lui a énormément appris sur sa propre vie. Gnôthi Séauton [ndlr : « Connais-toi toi-même » en grec ancien] ! C’est tout aussi vrai pour son lecteur, quel que soit son âge.
Vincent Vancoppenolle