Le 16 mars 2023

Le peuple d’ici-bas. Christine Brisset, une femme ordinaire

Couverture de l'épingle

Mise sur la piste de Christine Brisset au détour d’un square qui portait son nom à Angers, l’écrivaine belge Christine Van Acker aurait pu être tentée de tirer de cette figure largement oubliée une biographie sensationnelle. Car c’est bien une vie héroïque que celle de cette militante fervente qui lutta, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour reloger les milliers de sinistrés vivant dans les décombres des bombardements. Et pourtant Van Acker renonce au romanesque au profit d’une narration sans artifice, au gré des archives et de leur aspect fragmentaire, au plus proche de cette femme après tout ordinaire, parce que profondément humaine dans son indignation face au mal-logement.

Après l’Armistice, la reconstruction tarde à se mettre en branle à Angers – les sans-abris se comptent par milliers, à tel point que la ville se voit qualifiée de ville des taudis. Mue par une juste colère, Christine Brisset appelle à la mobilisation à coups d’articles dans le Courrier de l’Est, elle crée au sein du journal un service d’entraide, puis elle lance, en 1950, le mouvement des Castors en Anjou, qui organise des chantiers collectifs d’autoconstruction pour favoriser l’accès des familles précaires à la propriété. Face à l’insuffisance des tentatives de relogement par voie légale, la pionnière de l’action sociale désobéit, avec une détermination et une foi sans réserve malgré sa santé défaillante : elle casse les vitres, force les portes des demeures vacantes, et grâce aux huit cents squats qu’elle met ainsi en place, ce sont plus de douze mille personnes qu’elle sort de l’insalubrité. Elle tire parti de sa position de bourgeoise, qui lui permet de prendre davantage de risques que les ouvriers et les étudiants qui agissent avec elle, et de rester convaincue, après avoir été condamnée plus de cinquante fois en justice, que « cela valait la peine d’être indisciplinée ».

En laissant « cette inconnue se frayer un passage à travers [s]on écriture », Van Acker offre un écho lumineux aux militants d’hier et d’aujourd’hui, qui, bien qu’inculpés de délit de solidarité – vilain oxymore – font ce qu’ils peuvent « pour ravauder les déchirures sociales ».

Manon Houtart