En Question n°147 - décembre 2023

Nos valeurs se noient au fond de la Méditerranée

Homme qui se noie dans la mer crédit : Nikko Macaspac
crédit : Nikko Macaspac

Depuis plusieurs années, nos valeurs humanistes se noient au fond de la mer Méditerranée, aux côtés d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont commis le « crime » de se déplacer. Il nous restait le droit comme rempart… Mais depuis quelques mois, l’État belge a décidé qu’il ne respecterait plus la loi.

Rappelons que le gouvernement est en devoir, au regard du droit international, de loger, de nourrir et d’offrir des soins aux personnes déposant une demande d’asile dans notre pays. Dans les faits, en Belgique, des milliers de personnes sont renvoyées à la rue, une fois leur demande enregistrée. Depuis janvier 2022, l’État belge a ainsi été condamné plus de 7.000 fois par les tribunaux du travail et 1.132 fois par la Cour européenne des droits de l’homme. Le gouvernement n’a ni daigné assumer les astreintes, ni changé sa ligne politique, au point que les magistrats de Bruxelles sont sortis de leur devoir de réserve en 2022, pour alerter la population sur ce qu’ils estiment être la fin de l’État de droit. Est-ce que nous prenons la mesure de la gravité de cette réalité politique belge ?

Dernièrement, nous avons encore franchi une étape : la secrétaire d’État Nicole de Moor (CD&V) a décidé, de manière totalement discriminatoire, que les hommes seuls ne seraient plus pris en charge par le réseau Fedasil. Il s’agit d’une mesure qui va à l’encontre de toutes nos lois et de toutes nos valeurs. Le Conseil d’État belge, rempart contre les décisions administratives abusives de nos autorités, a suspendu ce décret. Mais la secrétaire d’État à l’asile et à la migration a décrété qu’elle maintiendrait cette mesure pourtant illégale…

Il y a, derrière ce débat, une réalité dramatique sur le plan humain que nous ne devons pas cesser de dénoncer et à laquelle nous ne pouvons pas nous habituer. Nos scrollings des fils d’actualité nous poussent irrévocablement vers l’indifférence, la quantité d’informations à traiter devenant toujours plus massive. Le sociologue et théologien Jacques Ellul avait pressenti cette évolution, déclarant en 1948 : « L’homme moderne, saisi dans un flot d’images invérifiables, ne peut absolument pas les maîtriser car elles ne sont pas coordonnées, les nouvelles succédant aux nouvelles, sans répit ». Il en résulte que des faits tragiques, bien réels, sont invisibilisés au milieu du flux incessant de données nous parvenant.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser que derrière les nouvelles qui s’accumulent, et qui finissent par devenir banales, se joue aujourd’hui un crime que l’histoire finira par nommer.


Une version longue de ce billet d’humeur a été publiée dans le journal La Libre du 11 octobre 2023 .