Le 18 mars 2024

Israël-Palestine : Bâtir la paix, ici et là-bas

Le conflit israélo-palestinien continue, depuis plus de 75 ans, d’accumuler morts, blessures, maladies, souffrance, misère, crimes de guerre et contre l’humanité. Ces mots devenant souvent des concepts abstraits qui masquent la réalité des personnes atteintes dans leur chair comme dans leur esprit et leur cœur. Interminablement. Les multiples résolutions de l’ONU sans le moindre effet. Le jeu souvent indigne des grandes puissances mondiales… Face à cette situation qui semble inextricable, Simone Susskind décèle néanmoins, tant chez les Palestiniens que chez les Israéliens qu’elle côtoie régulièrement, des énergies nouvelles, sources d’espérance, modestes sans doute mais réelles. À soutenir. Et, en Belgique, elle témoigne d’initiatives qui construisent la paix, effectivement.

Ces dernières années, le monde, et en particulier l’Europe, est confronté à deux guerres féroces : l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre entre Israël et les Palestiniens, qui a atteint des sommets dans l’horreur.

Exposition d’œuvres d’une artiste israélienne sur les réfugiés au musée des combattants du ghetto, dans le Nord d’Israël. Crédit : Simone Susskind.
Exposition d’œuvres d’une artiste israélienne sur les réfugiés au musée des combattants du ghetto, dans le Nord d’Israël. Crédit : Simone Susskind.

Les contrecoups et les suites du 7 octobre 2023 n’ont cessé de secouer le monde entier et sont ressentis profondément au sein des sociétés palestinienne et israélienne : la douleur et le choc, les traumatismes de la destruction, de l’extermination d’un côté, et la tragédie que vivent les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie ainsi que la peur d’une nouvelle Nakba de l’autre.

Le drame des otages mobilise une partie de l’opinion publique israélienne qui, dans son immense majorité, a compris que son gouvernement n’était pas réellement intéressé à ce que soit mis en place un accord sur le retour des otages négocié par les Américains, le Qatar et l’Égypte. Le seul objectif de Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, est de rester au pouvoir envers et contre tout, surtout pour éviter la prison (il est inculpé dans plusieurs affaires de corruption), et il n’hésiterait pas à entrer en guerre avec le Hezbollah au Sud Liban pour cela. Seuls les Américains sont en mesure de l’en empêcher.

Que dire de plus de la tragédie sans nom que vivent les Palestiniens de Gaza ? À ce jour, près de 30.000 morts sous les bombardements israéliens, dont une immense majorité d’enfants et de femmes, sans compter les disparus sous les décombres, 70 % des immeubles rendus inhabitables au Nord, des destructions massives d’hôpitaux, d’universités, de lieux culturels et de mémoire disparus à jamais. Et un chaos indescriptible pour les civils : des accouchements dans la rue, des amputations sans anesthésie et sans médicaments adéquats, des hommes et des femmes qui marchent sans but dans les ruines de Rafah, la faim prégnante et les épidémies qui se répandent. Tout cela au 21e siècle !

Depuis le 7 octobre, la communauté internationale a compris que la question palestinienne ne pouvait plus être ignorée en se contentant de « gérer le conflit », au profit des « Accords d’Abraham » et d’un traité de paix entre Israël et l’Arabie Saoudite. La « solution à deux États » est revenue en tête des objectifs à atteindre pour éviter que ce conflit n’explose à nouveau et ne dégénère au niveau régional ; et il est temps !

Sans négociations de paix sérieuses entre les Israéliens et les Palestiniens, sous l’égide des États-Unis, de l’Union européenne (UE) et des États arabes concernés, sans qu’une solution réelle ne réponde enfin aux aspirations des deux peuples à la paix, à la sécurité et à la justice, le cycle de haine et de violence accrue ne cessera pas.

Il y a en Israël et en Palestine des voix, des hommes et des femmes, des associations nombreuses, qui luttent sans relâche en faveur d’une telle approche. Nous devons leur donner la possibilité d’être entendus et leur apporter le soutien matériel dont ils ont besoin pour renforcer leur action ! Dans ces temps troublés d’horreur et de violence sans limite, le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne ainsi que le Hamas sont à l’affût des moyens de les faire taire.

Durant mon récent séjour sur place, j’ai revu des amis et amies, tant en Israël qu’en Palestine, qui portent haut le flambeau en vue d’une solution politique au conflit et qui exigent avec force, avant tout, un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Je suis rentrée avec le sentiment que, derrière les horreurs, des lueurs d’espoir, des énergies nouvelles existent.

J’ai participé, à Haïfa, au congrès du mouvement israélien Standing Together[1]. Il y avait là une magnifique énergie portée par une majorité de jeunes et l’espoir que ce combat n’en est qu’à ses débuts avec, en guest stars virtuelles, des messages d’encouragement de Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez (élus démocrates américains).

Les sociétés civiles des deux côtés sont plus engagées que jamais, ensemble ou séparément, malgré les obstacles auxquels chacune est confrontée. Car, dans ces jours terribles, il est parfois difficile de voir chez l’Autre un être humain, et plus dur encore d’envisager de travailler en coopération.

Pour ne citer que quelques échanges et rencontres, je voudrais rappeler ici le rôle essentiel que jouent en Israël des associations telles que Breaking the Silence[2], Gisha[3], Peace Now[4]. J’ai aussi retrouvé Maoz Inon, un entrepreneur social dont les deux parents sont morts brûlés vifs chez eux, au Sud d’Israël, le 7 octobre. Plutôt que de céder à la colère et à la revanche, Maoz a décidé de consacrer sa vie à construire la paix entre Israéliens et Palestiniens dans les 6 années à venir !

Du côté palestinien, j’ai revu à Ramallah mes amis Shawan Jabareen (Al Haq[5]) et Khaled Quzmar (Defence for Children Palestine[6]).  Pour les Palestiniens, ce qui prédomine en ce moment, c’est la colère et la rage face à l’impuissance de la communauté internationale à prendre ses responsabilités face au massacre à Gaza ‒ et on les comprend.

J’ai aussi revu Alessandra Menegon, la directrice de la Croix-Rouge Internationale en Israël et en Palestine. C’est cette institution qui a aidé au transfert d’une centaine d’otages israéliens et de plusieurs centaines de prisonniers palestiniens lors du cessez-le-feu en novembre dernier. Alessandra m’a dit combien les négociations avec les responsables israéliens et ceux du Hamas avaient été éprouvantes.

Il en va de même pour UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens qui, depuis 1950, joue un rôle essentiel dans tous les domaines de la vie : éducation, soins médicaux administration, etc. Plus de 90 % des personnels de UNRWA sont eux-mêmes des réfugiés palestiniens. Cette agence permet la survie de millions de réfugiés en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, en Syrie, en Jordanie et au Liban. Dans les Territoires palestiniens occupés, UNRWA est régulièrement attaquée par les autorités israéliennes qui cherchent le moindre prétexte pour encourager les États occidentaux à cesser leur soutien :  cette fois, l’armée israélienne a présenté des éléments tendant à prouver que des centres stratégiques du Hamas ont été retrouvés sous les bâtiments de UNRWA, alors que les autorités israéliennes interdisent l’entrée d’enquêteurs indépendants.

Je suis convaincue qu’à l’avenir, une solution au conflit viendra d’une nouvelle génération d’Israéliens et de Palestiniens issue de ces mouvements au sein des deux peuples.

Bâtir la paix depuis la Belgique

Convaincue avec d’autres que la paix se construit aussi depuis chez nous, nous avons lancé des programmes de sensibilisation et d’informations sur les complexités du conflit israélo-palestinien à l’attention des jeunes bruxellois.es et d’enseignant.es. Avec mon association Actions in the Mediterranean (AIM), nous avons lancé en 2014, le programme « Israël-Palestine pour mieux comprendre » (IPPMC). Nous sommes partis du constat que, à Bruxelles, un grand nombre de discours de haine et d’actes de violence parmi les jeunes et les moins jeunes se fondent sur des stéréotypes islamophobes et antisémites, renforcés par plusieurs événements qui se sont déroulés ces dernières années en Europe et plus largement en Occident, tels que la montée de l’extrême droite et les attentats terroristes. Parallèlement, le conflit israélo-palestinien est un sujet très sensible au sein de nos sociétés. À chaque explosion sur le terrain, l’impact est immédiat dans le monde, et particulièrement chez nous. Suite aux événements dramatiques du 7 octobre, cette importation du conflit a pris des proportions inquiétantes. L’occupation illégale des territoires palestiniens par l’État d’Israël et le développement de la colonisation ont contribué à renforcer les amalgames entre gouvernement israélien, société et peuple juif.

Afin de lutter contre ces stéréotypes et apporter de la nuance dans les discussions autour du conflit israélo-palestinien, AIM s’adresse directement aux jeunes et à leurs professeurs. En effet, le projet IPPMC jeunesseen est aujourd’hui à sa 8e édition et le programme parallèle ImPact,qui s’adresse à un public adulte dont l’activité professionnelle touche de près ou de loin au milieu de la jeunesse, a clôturé sa 5e édition l’été dernier. À la demande de l’Université libre de Bruxelles (ULB) et de la Haute École Francisco Ferrer, nous étions sur le point de lancer en octobre 2023 un certificat interuniversitaire sur les complexités du conflit israélo-palestinien. La tragédie du 7 octobre et ses suites nous ont contraint.es à repousser le lancement du certificat à l’année académique 2024-2025.

Depuis sa première édition en 2014-2015, le projet IPPMC jeunesse a réuni, toutes moutures confondues, plus de 350 lycéen.nes de 5e secondaire et 40 enseignant.es issu.es d’écoles et de maisons de jeunes bruxelloises de milieux socio-économiques et socio-culturels différents, qui ne se seraient probablement jamais rencontrés par ailleurs. Les jeunes qui ont participé aux formations et au voyage d’étude deviennent, l’année scolaire suivante, des « Ambassadeurs.rices de Nuances » et partagent leur expérience avec leurs pairs dans de nombreuses écoles.

Les critères de sélection des écoles veillent à assurer une hétérogénéité des publics, mais cette sélection dépend aussi de l’accord du chef d’établissement et de l’engagement d’un.e  enseignant.e par établissement pour porter le projet. Ces enseignant.es sont sélectionné.es en fonction de leur matière (favorisant celles et ceux qui enseignent l’histoire, la géographie, la philosophie, la religion, la morale et les sciences humaines et sociales) mais aussi bien sûr en fonction de leurs motivations.

Le projet IPPMC jeunessese déroule sur deux années académiques : les élèves commencent au début de la 5e secondaire et terminent le projet à la fin de leur 6e année.

ImPact Israel-Palestine a été lancé suite à la demande de plusieurs professeur.es et de personnes issues du milieu éducatif qui avaient participé aux premières éditions du programme « Israël-Palestine pour mieux comprendre » (IPPMC). Ils et elles nous ont dit à quel point cette expérience avait été importante pour eux et elles : ils et elles se sentaient davantage à même d’aborder les thèmes du conflit, de l’antisémitisme, de l’islamophobie et du vivre-ensemble avec leurs élèves et de répondre à leurs interpellations lors d’un cycle de violence au Moyen-Orient ou à la suite d’un attentat islamiste. Comme pour IPPMC jeunesse, la formation consiste enune série de cours sur la région et sur le conflit, de sorties culturelles ou d’analyses de thématiques liées. Elle comporte également un week-end de formation axé sur la compréhension des différents enjeux historiques, géographiques, économiques, politiques et religieux du conflit. Et se termine par un voyage d’étude d’une semaine sur place en Israël et en Palestine rythmé par des rencontres non plus avec des jeunes, mais avec des adultes, des enseignant.e.s et des activistes israélien.ne.s et palestinien.ne.s.

Pour chaque édition du programme jeunesse et pour l’une des éditions du programme ImPact, nous avons réalisé des outils artistiques : films, capsules vidéo et podcasts qui permettent de mieux comprendre la philosophie de notre association et constituent des moyens importants et utiles pour les associations et les personnes intéressées par notre approche. Ces outils sont accessibles sur notre site internet[7]. Je suis plus que jamais convaincue que rien ne vaut la rencontre directe avec les acteurs d’un conflit, et j’ai eu l’opportunité de vérifier ce fait tout au long de ces dix dernières années. En guise de conclusion, je voudrais dire ici que je suis optimiste sur la résolution de ce conflit : il n’y a pas d’autre option qu’un accord de paix entre deux États souverains qui surmonteront un siècle de conflit et de haine, tout comme l’Europe a pu le faire au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Je pense que l’UE est un modèle intéressant pour la réflexion que mènent déjà des Palestinien.ne.s et des Israélien.ne.s qui envisagent un avenir basé sur la coexistence plutôt que sur la séparation


[1] Standing Together est un mouvement populaire israélien qui vise à rassembler les communautés arabe et juive-israéliennes. Il s’agit du plus grand mouvement populaire arabo-juif du pays (www.standing-together.org/en).

[2] www.breakingthesilence.org.il

[3] https://gisha.org/en/

[4] https://peacenow.org.il/en/

[5] www.alhaq.org

[6] www.dci-palestine.org

[7] www.actinmed.org/israel-palestine-pour-mieux-compren