Le 13 juin 2023

Quel devenir pour la RD Congo à l’aube d’un nouveau scrutin ?

Début 2023, la visite du pape François attirait les projecteurs du monde entier sur la République Démocratique du Congo (RD Congo). Situé en plein cœur du continent africain, le troisième pays le plus peuplé d’Afrique est meurtri par des conflits à répétition et par une misère sociale profonde.

À quelques mois des prochaines élections présidentielles, législatives et provinciales, quels sont les principaux défis et perspectives de la RD Congo ? Alain Nzadi-a-Nzadi, jésuite congolais, directeur du Centre d’études pour l’action sociale (CEPAS), rédacteur en chef de la revue Congo-Afrique, nous livre sa lecture de la situation politique, sociale et économique du pays francophone le plus peuplé du monde.

crédit : Kaysha – Unsplash

Chères femmes et chers hommes Congolais, votre pays est vraiment un diamant de la création. […] Courage, frère et sœur congolais ! Relève-toi, reprends dans tes mains, comme un diamant très pur, ce que tu es, ta dignité, ta vocation à garder en harmonie et en paix la maison que tu habites. Revis l’esprit de ton hymne national, en rêvant et en mettant en pratique ses paroles : « Par le dur labeur, nous bâtirons un pays plus beau qu’avant, dans la paix ».[1]

Le dernier passage du pape François en République Démocratique du Congo (RD Congo) a eu le mérite d’attirer les projecteurs du monde entier sur notre pays meurtri par des conflits armés dans l’Est depuis des décennies et par une misère sociale de plus en plus chronique. Pour reprendre la métaphore utilisée par le pape François, le Congo est un diamant de la création. Malheureusement, c’est un diamant qui semble rester à l’état brut ; ou alors, quand il est exploité, il ne profite qu’à une minorité dont l’appétit gourmand prive des dizaines de millions d’autres citoyens de jouir d’une situation sociale acceptable. En effet, depuis l’accession du pays à l’indépendance, plusieurs régimes se sont succédés sans jamais véritablement impulser le changement attendu pour sonner l’heure du véritable décollage du pays.

Quelle lecture pouvons-nous faire de la situation socio-politique et économique du pays ces dernières années, depuis l’alternance politique de janvier 2019 ? Quels sont les défis majeurs qui se dressent sur le chemin de l’envol du pays ? Quelles projections laisse présager le déroulement du processus électoral actuel ? Ces questions constituent la trame de fond de ma lecture de la récente situation politique, sociale et économique de la RD Congo.

Une lueur d’espoir ou des promesses purement électoralistes et utopiques ?

Le 13 décembre 2019, le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, lors du traditionnel discours sur l’état de la nation devant les deux chambres du parlement réunies en congrès, a dressé le bilan de sa première année au pouvoir et de l’action de son Gouvernement en soulignant quelques avancées et en épinglant des défis qui demeuraient, à ses yeux, encore entièrement à relever[2]. Ce fut surtout un discours dont l’optimisme dans le ton et dans les promesses laissait entrevoir des lendemains meilleurs ou, tout au moins, susciter de l’espoir dans le chef d’une population de plus en plus condamnée à subir les affres des injustices sociales récurrentes, de la guerre interminable et d’une élite politique dont l’opinion publique dénonce régulièrement la myopie de décisions politiques et la tendance à la jouissance.

En l’occurrence, le président décrétait l’année 2020, une année de l’action, du combat contre la pauvreté, de la renaissance, de la paix, de la justice pour tous. Bref, une année où tous les espoirs seraient permis, où « le peuple d’abord » allait s’affranchir du statut de slogan stérile pour se matérialiser à travers les actes concrets de politiques publiques efficientes[3]. À cette même occasion, le président de la République prenait un engagement sans détours :

Oui, ‘le peuple d’abord’ est la boussole de notre action et la mesure de notre détermination. L’intérêt du Peuple a toujours constitué et continuera à constituer le fil conducteur de toutes les réformes que j’entends voir le Gouvernement de la République accomplir au cours de mon mandat. C’est à l’aune de sa satisfaction que notre action aura un sens. C’est pour lui, et rien que pour lui, que nous devons accepter privations et sacrifices dans la mesure où il demeure le souverain.[4]

Force est de s’interroger, à quelques mois des prochaines échéances électorales, si le taux d’application des promesses distillées par le président de la République à travers ses nombreuses prises de parole, au pays et à l’étranger, a été satisfaisant pour que le peuple congolais lui renouvelle sa confiance.

Certes, dans le domaine de la justice, des procès quelque peu tapageurs ont été conduits à l’encontre de certains responsables politiques ou des proches du président de la République[5]. Cependant, les résultats très mitigés de tous ces procès laissent un goût amer. L’opinion publique congolaise s’en amuse souvent en qualifiant de « théâtre de mauvais goût » les dénonciations de l’Inspection générale des finances (IGF) qui aboutissent à de nombreux procès dont l’issue semble aux antipodes des attentes du contribuable congolais.

Par ailleurs, parmi les promesses électorales du président de la République figurait également le vaste programme de la gratuité de l’enseignement de base sur toute l’étendue du pays, soit 8 ans de scolarisation garantis pour tous les enfants. Comme je l’expliquais dans mon éditorial de septembre 2022, « s’il est vrai que cette mesure a permis d’augmenter la fréquentation scolaire des groupes marginalisés, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle constituait en même temps un défi énorme pour le Gouvernement, notamment à travers l’amélioration des conditions d’accueil des institutions scolaires existantes, voire la création de nouvelles écoles, sans oublier la situation sociale de l’enseignant qu’il fallait à tout prix placer au centre du nouveau projet éducatif pour en augmenter les chances de réussite »[6]. Compte tenu des autres défis auxquels fait face le pays (insécurité dans l’Est, gabegie financière, corruption rampante, santé, etc.), l’on a logiquement le droit de se demander si le Gouvernement sera en mesure d’honorer cette promesse de manière permanente. Déjà, des retards de paiement des salaires des enseignants suscitent une grogne croissante dans certains milieux syndicaux. La gratuité de l’enseignement de base survivra-t-elle à tous les défis évoqués ici ? L’avenir semble de plus en plus brumeux !

Comme on peut le constater, après plus de quatre ans au pouvoir de l’administration Tshisekedi, la situation sociopolitique et économique ne semble pas avoir opéré des pas de géant dans la bonne direction. Même si des aléas de l’histoire, comme la pandémie de covid et l’insécurité récurrente dans l’Est du pays, peuvent constituer un bémol en faveur des autorités congolaises, force est de reconnaitre que les signaux envoyés par la gouvernance du pays ne sont pas encourageants. Il est clair qu’au regard du potentiel du pays, on aurait pu faire mieux. À mon avis, les résultats actuellement mitigés de l’action du Gouvernement sont à placer sur le compte de plusieurs défis non encore relevés pour inscrire véritablement le pays sur le chemin de son développement.

Quels sont les défis préalables à relever pour une stabilité durable du pays ?

La question fondamentale qui devrait guider la classe politique et la société civile congolaises reste la même : comment développer le pays et extirper de la misère des citoyens dont la situation sociale actuelle contraste avec les richesses potentielles du pays ? À ce propos, au moment de dresser le bilan de l’année 2020, j’ai fait ce constat amer et regrettable :  

Certes, la pandémie de [covid] a chamboulé les perspectives économiques de tous les pays du monde. Mais, au regard du spectacle déplorable que la gestion du vaste « Programme de 100 jours » nous a réservé, ce serait nous bercer d’illusion que de croire que la situation aurait été significativement différente, si les affres de la pandémie de [covid] et ses conséquences socio-économiques corolaires n’étaient pas passées par là. En effet, détournements spectaculaires, mégestion, enrichissements illicites, etc., ont remplacé ponts et chaussées à construire, infrastructures diverses à réhabiliter, salaires décents à octroyer aux fonctionnaires. Ce dont le peuple a surtout été témoin, c’est un manque de redevabilité notoire dans le chef de certains animateurs des institutions de la République et des mandataires des entreprises publiques. Où serait alors le changement tant chanté ? « Le peuple d’abord » n’a-t-il pas continué de sonner comme un slogan creux et sans impact réel ?[7]

Ainsi, à mes yeux, la principale tare dont souffre le pays reste sans nul doute la mauvaise gouvernance qui prend souvent des formes diverses et variées. Elle gangrène l’action du Gouvernement et réduit presque à néant les efforts de certains citoyens vertueux. Lors de sa visite à Kinshasa, le pape François n’a pas hésité à rappeler aux autorités congolaises l’essence de la fonction politique dans un pays : « Celui qui détient des responsabilités civiles et gouvernementales est appelé à agir avec une clarté cristalline, en vivant la fonction reçue comme un moyen de servir la société. Le pouvoir n’a de sens en effet que s’il devient service »[8]. Il est donc clair que la bonne gouvernance demeure le principal défi à relever au Congo ; on peut l’associer à la volonté politique de faire sortir le pays de l’ornière pour redorer son blason terni par des décennies de mauvaise gouvernance.

Autour du défi de la bonne gouvernance en gravitent beaucoup d’autres auxquels le pays doit rapidement faire face pour asseoir une stabilité durable et offrir à sa population des conditions sociales, politiques, sécuritaires et économiques dignes du potentiel géologique, humain et culturel du pays : la cohabitation paisible des citoyens d’origines ethniques différentes, l’affermissement du sentiment d’appartenance à une même nation, le patriotisme, la participation citoyenne à la bonne marche de la nation, etc. Ces défis communs imposent des solutions urgentes et adéquates pour qu’un avenir radieux soit possible.

Quels lendemains pour la RD Congo ?

L’année 2023 est une année éminemment politique en RD Congo. En effet, suivant un calendrier électoral très serré, le pays entame son quatrième cycle électoral. Inutile de rappeler que le cycle précédent (décembre 2018) s’est soldé par la première alternance pacifique au sommet de l’État, malgré tous les soubresauts qui ont entouré la proclamation des résultats définitifs.

Ainsi, cette passation pacifique inédite des pouvoirs entre les présidents sortant et entrant ne doit pas occulter le caractère controversé des résultats officiels publiés à l’issue des élections du 30 décembre 2018. D’après certains analystes, le processus électoral de 2018 aura même été « le plus sanglant » de l’histoire politique récente du pays, comme le relevait le rapport rédigé en juin 2022 par Gérard Gerold et Mathieu Mérino, fixant le « bilan réel du processus électoral de 2018 » à « près de 650 morts recensés »[9].

Il va sans dire que la vaste majorité de la population ne veut pas revivre les violences électorales des échéances passées, encore moins voudrait-elle revoir les antivaleurs décriées lors des scrutins précédents. Pourtant, certains choix de la Commission électorale (CENI) n’augurent pas d’un avenir sans heurts. En outre, la restructuration de la CENI et la nomination de nouveaux juges constitutionnels sont toujours décriées par l’opposition politique. Réunis à Lubumbashi en avril dernier, Martin Fayulu, Matata Ponyo Mapon, Moïse Katumbi et Delly Sesanga, tous candidats déclarés à la présidentielle, ont estimé, dans une déclaration commune publiée le 14 avril, que « la révision de la loi électorale ainsi que la désignation des membres de la Commission électorale nationale indépendante et de la Cour constitutionnelle se sont déroulées en violation flagrante de la Constitution, des lois et des règlements en vigueur »[10].

Cette méfiance à l’égard de la gestion actuelle du processus électoral s’observe également au sein de l’opinion publique. À en croire les résultats du sondage rendus publics le 16 février 2023 par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), le centre de recherche congolais Ebuteli et le Bureau d’études, de recherche et de consulting international (Berci), près de 54 % des Congolais sondés ont affirmé qu’ils n’iraient pas voter si la présidentielle était organisée aujourd’hui[11]. Ce risque d’abstention record à quelques mois des élections s’explique, entre autres, par le déficit croissant de confiance envers la CENI.

Par ailleurs, le débat sur la « congolité »[12] ouvre la voie à des tensions communautaires susceptibles d’embraser le pays tout entier. En effet, après avoir été retoquée par le bureau d’études de l’Assemblée nationale en septembre 2021, la proposition de loi dite « Tshiani » a été inscrite au calendrier des travaux de la session de mars 2023 en cours. Ce texte voudrait exclure les Congolais qui ne sont pas nés de père et de mère congolais de l’accès à certaines fonctions publiques, notamment celles de président de la République. Beaucoup y verraient une manœuvre politique visant à empêcher certains candidats déclarés, dont Moïse Katumbi, de se présenter à la présidentielle, l’opposant n’étant pas né de père congolais. Si rien ne garantit que cette proposition controversée sera réellement débattue à l’Assemblée nationale, son émergence dans les débats publics suscite déjà des tensions entre communautés et fait craindre une escalade meurtrière autour des élections.

Enfin, le processus électoral est aussi impacté par la situation d’insécurité qui prévaut dans plusieurs régions du pays.

Cet état préoccupant de la situation politique et sécuritaire, couplé à la crise du pouvoir d’achat due à l’inflation galopante du franc congolais face au dollar ces derniers mois, fait peser sur le processus électoral une énorme pression et assombrit davantage l’horizon déjà brumeux de l’environnement socio-politique congolais. De quoi sera donc fait demain ? L’avenir nous le dira. Cependant, au milieu de tous ces débats des politiciens, il est important de rappeler cette remarque qui concluait mon éditorial de décembre 2020 :

Que le pouvoir politique soit exercé par la coalition FCC-CACH, par l’Union Sacrée[13] ou par toute autre dénomination ou alliance politique, en un mot comme en mille, la question fondamentale reste la même : comment développer ce beau pays de Lumumba qui a particulièrement tout mais dont la population souffre de la faim, de l’insécurité, de l’injustice, de la marginalisation, du sous-développement le plus criant, plus de 60 ans après l’indépendance ? Pour y parvenir, le changement ne doit pas être purement cosmétique (comme passer d’une dénomination à une autre) ; il doit être idéologique.[14]

Le politicien congolais, de quelque bord qu’il soit, est-il prêt à franchir ce pas salutaire pour le bien de son pays ? Car, en fin de compte, un « quotidien humanisé », voilà l’étalon de nos luttes, même les plus démocratiques[15], voilà l’aspiration la plus profonde de tout citoyen congolais ! Il appartient donc à la classe politique congolaise d’évaluer son engagement politique à l’aune de cette aspiration de tout un peuple.

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Notes

[1] Pape François, Voyage apostolique en RDC et au Soudan du Sud du 31 janvier au 5 février 2023. Rencontre avec les autorités congolaises, les représentants de la société civile et le corps diplomatique.

[2] Félix Antoine Tshisekedi, Discours sur l’état de la Nation, Kinshasa, 13 décembre 2019.

[3] Voir Alain Nzadi, « 2020, rétrospective d’une année à rebondissements en RD Congo », dans Congo-Afrique, n°550, décembre 2020, p. 1126.

[4] Félix-Antoine Tshisekedi, op. cit.

[5] Le procès le plus célèbre est celui dit « des cent jours » où furent condamnés, notamment, l’ancien directeur du cabinet du président de la République, Vital Kamerhe, et un riche homme d’affaires libanais, Samih Jammal. Cependant, les deux hommes ont été libérés sans que ne soient effectivement retrouvées les traces de plusieurs dizaines de millions de dollars qu’on les accusait d’avoir détourné.

[6] Alain Nzadi-a-Nzadi, « Comment réussir le défi de la conciliation de la gratuité de l’enseignement de base et l’éducation de qualité en RD Congo ? », dans Congo-Afrique n°567, septembre 2022, p. 839.

[7] Alain Nzadi-a-Nzadi, « 2020, rétrospective … », op. cit., pp. 1126-1127.

[8] Pape François, op. cit..

[9] Gérard Gerold et Mathieu Mérino, Cartographie des risques de conflit en République démocratique du Congo avant, pendant et après les élections de 2023, Rapport final, PNUD, juin 2022.

[10] Denise Maheho, « RDC : quatre leaders de l’opposition donnent à Lubumbashi un signal d’actions communes », RFI, 14 avril 2023.

[11] Merveil Molo, « Élection présidentielle : Près de 54% des Congolais désintéressés à voter (Sondage) », 7sur7.cd, 16 février 2023.

[12] La loi sur la « congolité », proposée par Noël Tshiani, ancien candidat président de la République (2018) et le député national Nsingi Pululu vise à réserver les plus hautes fonctions de l’État, dont la magistrature suprême, aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais.

[13] À son accession au pouvoir, Félix-Antoine Tshisekedi, de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), déjà dans une alliance politique avec l’UNC (Union pour la nation congolaise) de Vital Kamerhe dénommée CACH (Cap pour le changement), avait décidé de former une coalition avec le FCC (Front commun pour le Congo) du président sortant Joseph Kabila pour une gestion commune du pays, étant donné que le FCC était majoritaire au parlement. Cette coalition volera en éclat en décembre 2020 pour donner naissance à l’Union sacrée, entraînant au passage une recomposition des forces politiques au parlement congolais en faveur de Félix-Antoine Tshisekedi.

[14] Alain Nzadi-a-Nzadi, « 2020, rétrospective … », op. cit., pp. 1129.

[15] Voir Fabien Eboussi Boulaga, « La quotidienneté, étalon de nos luttes », in Congo-Afrique, n°504, avril 2016, p. 261.