En Question n°154 - septembre 2025

Ariane Estenne et Chloé Mikolajczak : Le militantisme à la croisée des chemins

À l’heure où les bouleversements écologiques se multiplient, où les inégalités sociales se creusent et où l’extrême droite gagne du terrain, pourquoi et comment s’engager aujourd’hui ? Ariane Estenne et Chloé Mikolajczak croisent leurs analyses du militantisme social et écologique, entre état des lieux et perspectives.

crédit : Mika Baumeister – Unsplash

Ariane Estenne est présidente du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), qui organise l’action conjointe de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), la Mutualité chrétienne (MC), Vie Féminine, les Équipes populaires et la Jeunesse organisée et combative (JOC). Elle a fait ses premiers pas dans le militantisme par le biais du féminisme, au sein de Vie Féminine, avant d’élargir son engagement aux enjeux d’éducation permanente et de démocratie au sens large.

Chloé Mikolajczakest activiste et chargée de campagne pour la justice climatique et sociale, à Bruxelles. Au cours des six dernières années, elle a contribué à plusieurs mobilisations en faveur d’un avenir plus durable et plus équitable, cofondé ou rejoint différents collectifs écologistes, et porté la voix du mouvement de désobéissance civile Code Rouge.

Nous les avons réunies pour interroger l’état actuel du militantisme en faveur de la justice sociale et écologique, et explorer les perspectives de son avenir en Belgique et en Europe.

Pourquoi est-il important de militer aujourd’hui ?

Ariane Estenne (A. E.) : Il faut militer parce qu’on est dans une impasse politique, démocratique et écologique. Il n’y a pas d’autre solution que de transformer le système. D’un point de vue écologique, on va droit dans le mur, et tout le monde en paiera les conséquences, particulièrement les personnes les plus précaires. D’un point de vue social, les inégalités n’ont jamais été aussi importantes et continuent de se creuser, mettant à mal toute idée de paix, de vivre ensemble et d’émancipation. Si on continue comme cela, les tensions, les conflits et la violence vont se multiplier. Il faut donc de toute urgence infléchir les tendances.

Chloé Mikolajczak (C. M.) : Je pense aussi qu’on vit dans un système à bout de souffle, on le voit dans tous les domaines. Sur le plan social, outre les inégalités qui explosent, la santé mentale est en crise, en particulier chez les jeunes où le mal-être est fortement présent. Sur le plan écologique, on ne va pas du tout dans la bonne direction, on n’obtient pratiquement plus d’avancées et on recule même sur plusieurs enjeux. Au niveau européen, toutes les semaines, des lois essentielles pour plus de justice sociale et environnementale sont détricotées. C’est lié à la montée au pouvoir de l’extrême droite et au renforcement des partis conservateurs, mais aussi aux pressions exercées par des lobbies et également par les États-Unis. D’un point de vue démocratique, c’est extrêmement préoccupant. L’urgence de s’engager et de militer n’a jamais été aussi élevée que maintenant, sur à peu près tous les fronts. Or, on atteint aussi un moment de grande fatigue militante, ce qui provoque une contradiction : on a plus que jamais besoin de militantisme et de militants et, en même temps, il y a beaucoup de gens qui n’ont plus la force de s’engager.

Comment expliquez-vous cette fatigue militante ?

C. M. : Aujourd’hui, tout coûte plus cher. Les baromètres européens montrent que la préoccupation première des Européens est le pouvoir d’achat. Quand on ne sait pas si on va pouvoir acheter à manger ou payer son loyer et sa facture d’électricité, cela devient extrêmement compliqué de dégager de l’attention et du temps pour se mobiliser sur des enjeux collectifs. C’est un premier facteur d’essoufflement des mobilisations.

Un deuxième aspect, c’est la perte de confiance dans la capacité des mobilisations sociales et écologiques à obtenir des avancées politiques. Par exemple, durant la campagne pour les élections législatives françaises de 2024, il y a eu une mobilisation sans précédent pour faire barrage à l’extrême droite, ce qui a permis à une union des gauches (le Nouveau Front populaire) d’arriver en tête des élections. Pourtant, le président Macron n’a décidé ni de nommer une ou un Premier ministre issu de cette coalition, ni de mener des politiques de gauche. C’est une énorme claque pour toutes ces personnes qui se sont mobilisées. De même, beaucoup de jeunes se mobilisent actuellement pour la cause palestinienne, mais sont profondément déçus du manque d’action des responsables européens sur cette question. Nous allons payer les conséquences de cette défiance politique, notamment lors des prochaines élections : l’abstention et le vote vers les extrêmes vont probablement encore s’accentuer.

Un troisième aspect, c’est la criminalisation du militantisme, en particulier écologique. Le narratif répressif qui se développe va jusqu’à parler d’« écoterrorisme ». Les mots ont un sens, c’est très grave de mettre sur un pied d’égalité le militantisme écologique et la menace terroriste. On observe cette tendance aussi en Belgique, comme l’illustre un récent rapport de l’OCAM (organe de coordination pour l’analyse de la menace)[1]. Forcément, cela effraie les personnes qui voudraient s’engager. D’autant que tout le monde n’est pas égal devant la police et la justice : une personne racisée risque davantage des poursuites judiciaires et une personne précarisée a moins de moyens pour se défendre.

Face à ces constats, comment raviver le militantisme ?

A. E. : Deux revendications structurelles émergent du constat que Chloé vient de dresser. La première est la question des revenus : si les gens sont dans la survie, ils n’ont forcément pas les moyens de militer. Donc, il faut des revenus dignes pour tout le monde, c’est-à-dire l’inverse de ce que fait le gouvernement fédéral en démantelant la Sécurité sociale. Et la deuxième, c’est le temps : comme les gens vivent dans la précarité, ils doivent travailler plus, alors qu’il faudrait, au contraire, davantage de temps pour s’investir dans la chose publique, en dehors du temps familial et professionnel – par exemple, sous la forme d’un congé politique ou citoyen. Les enjeux de revenus et de réduction collective du temps de travail vont de pair.

Plus fondamentalement, pour pouvoir militer et produire une pensée critique, il faut un cadre démocratique, qui permette aux contre-pouvoirs d’exister. Or, aujourd’hui, il est manifeste que la démocratie et singulièrement les contre-pouvoirs sont attaqués, au niveau européen mais aussi en Belgique. Il y a une inversion rhétorique sidérante : ce qu’on considérait jusqu’ici comme le socle de la démocratie – l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté de la presse, le rôle des universités et des associations, etc. – est désormais présenté par certains comme une menace pour la démocratie. Ainsi, on entend de plus en plus dire que des actions associatives seraient anti-démocratiques parce qu’elles critiquent des politiques menées par l’État. Zuhal Demir (ministre flamande de la Justice, du parti nationaliste N-VA) a récemment déclaré que les mobilisations des magistrats (pour réclamer davantage de moyens en faveur du système judiciaire) étaient « très dangereuses pour la démocratie et l’État de droit ». De même, l’argument de Georges-Louis Bouchez (président du MR, parti libéral-conservateur francophone) pour censurer la RTBF (radio-télévision belge francophone) est que ce média public serait anti-démocratique.

À contre-pied de cette rhétorique, de quelle manière, selon vous, l’action militante renforce-t-elle la démocratie ?

A. E. : La démocratie ne signifie pas déléguer sa voix, une fois pour toutes, à des gens qui auraient les pleins pouvoirs, mais bien décider le plus collectivement possible. Non seulement pour l’arbitrage, mais aussi dans l’ensemble du processus d’instruction, d’analyse et de délibération. Cela n’empêche pas qu’à la fin il y ait un rapport de force et une décision, mais le processus démocratique se situe d’abord dans la délibération collective. C’est nécessaire à tous les niveaux, depuis une assemblée de quartier jusqu’à l’ONU (Organisation des Nations unies). Et dans tous les domaines : la démocratie n’est pas que politique, elle doit aussi être sociale, économique et culturelle. Qu’il s’agisse d’un hôpital, d’une maison de repos, d’un logement social, n’importe quel groupe citoyen qui se réunit pour réfléchir à quelque chose et délibérer collectivement contribue à la démocratie.

Pour pouvoir faire vivre la démocratie, il faut donc des politiques d’égalité et d’émancipation pour tous. Pour que tout le monde puisse contribuer à la délibération collective, il faut donner à chacune et chacun les mêmes outils, que ce soit en termes de revenus, de temps disponible ou de compréhension des enjeux.

Quelles stratégies et modalités d’action militante vous semblent les plus pertinentes, porteuses et prometteuses aujourd’hui, et pourquoi ? En particulier, la désobéissance civile et l’action directe (par exemple, le blocage, le sabotage…) sont-elles légitimes et efficaces, selon vous, et pourquoi ?

A. E. : Il ne faut pas isoler un seul mode d’action parmi d’autres. Il faut un mouvement hétérogène et complémentaire. Donc, c’est très bien qu’il y ait et des associations plus institutionnalisées et des actions plus ponctuelles.

Dans les mouvements ouvriers comme le MOC, l’hypothèse de départ a été d’effectuer un travail culturel, à travers l’éducation populaire. La logique, c’est que pour gagner des luttes, il faut une culture commune acquise à la cause. C’est un travail de longue haleine. Mais cela n’empêche pas d’autres modes d’action plus directs.

La vision actuelle du MOC, c’est de revenir à des mobilisations locales et concrètes. Prenons l’exemple de la lutte contre le sans-abrisme : à Bruxelles, on a dépassé la barre des 10.000 personnes vivant à la rue. L’ampleur de ce chiffre dépossède, rend impuissant. Alors que si on s’intéresse à l’échelle d’un quartier, on peut envisager de faire à manger, de libérer un espace vide… Tout d’un coup, des solutions concrètes apparaissent. Il faut viser des petites victoires, qui mobilisent. C’est parce qu’on a participé à des luttes, qu’on a obtenu quelque chose, qu’on se réengage la fois suivante avec des ambitions plus grandes et des stratégies plus affinées.

C. M. : Quand on regarde l’histoire, les grandes avancées sociales sont souvent le fruit d’une addition de différents modes d’action : du plaidoyer, de l’action directe, etc. Aujourd’hui, il me semble particulièrement important de relégitimiser l’action directe car elle est sérieusement attaquée par certains politiques. Alors que, en fait, une bonne partie des grandes avancées sociales ont été obtenues grâce à de la désobéissance civile. Le mouvement des suffragettes[2] n’était pas spécialement paisible : il y a eu des violences bien plus importantes que ce que font les écologistes aujourd’hui. Donc, l’action directe non-violente – j’insiste, car c’est comme cela que fonctionnent actuellement beaucoup de mouvements écologistes de désobéissance civile, dont Code Rouge – me semble indispensable et complémentaire d’autres modes d’action.

Ce qu’il manque, à mon avis, c’est davantage de collaboration entre les différents types d’action, parce que, parfois, nous fonctionnons en silo, ce qui ne me parait pas très stratégique. Une dynamique récente que je trouve très intéressante, c’est l’émergence d’alliances entre syndicats, mouvements écologistes, antiracistes, féministes…  Par exemple, Commune Colère, un collectif qui réunit des syndicalistes, travailleuses, agriculteurs et activistes écologistes autour d’une stratégie et de tactiques communes pour lutter contre les politiques d’austérité du gouvernement Arizona. C’est inspirant de voir des alliances se former et se pérenniser pour faire bouger les lignes ensemble.

Par ailleurs, il faut qu’on insiste davantage sur l’aspect tangible des sujets qu’on traite. Cela, le mouvement écologique, dont je viens, ne l’a pas bien fait jusqu’ici, même s’il est en train de rectifier le tir. Par exemple, quand le scandale des PFAS a éclaté en Belgique, les associations environnementales ont été très sollicitées pour répondre aux inquiétudes des gens, par exemples des mamans qui craignaient de donner de l’eau du robinet à leurs enfants. Or, il y a un projet de loi important qui devrait aboutir d’ici la fin de l’année au niveau européen, visant à réduire l’utilisation des PFAS. Donc tout l’enjeu est de se mobiliser sur cette loi, en réalisant une campagne consacrée aux effets directs et quotidiens des PFAS sur notre santé. D’autant plus que nous faisons face à des lobbies industriels qui exercent une influence importante sur les décisions politiques, en particulier au niveau européen. C’est ce que j’essaie de montrer avec pédagogie, à travers mes vidéos Meet your lobbyist[3]. Cela permet aux gens de mettre des mots sur leur frustration et leur colère, tout en leur proposant des modes d’action, sous forme digitale mais aussi en personne.

Cela nous amène à la question médiatique. Avez-vous une stratégie pour mieux toucher l’opinion publique ? Pensez-vous qu’il faille mobiliser davantage, ou moins, certains médias ?

C. M. : Effectivement, je pense que l’aspect médiatique est un enjeu essentiel. En France, la mainmise de quelques milliardaires sur de nombreux médias est effrayante. Mais en Belgique, la situation devient aussi préoccupante, vu la concentration accrue de la presse écrite[4] et la mise sous pression inouïe de la RTBF. C’est hallucinant de voir un président de parti (Georges-Louis Bouchez) qui attaque régulièrement le travail des journalistes, et même parfois leur personne. Indirectement, cette pression politique se reflète dans les choix éditoriaux : par exemple, les sujets écologiques sont bien moins traités aujourd’hui qu’il y a quelques années. Actuellement, les médias traditionnels mettent l’accent sur la défense et l’immigration, alors que les baromètres indiquent que les principales préoccupations des gens sont généralement d’abord le coût de la vie et un peu plus loin le climat et/ou l’environnement.

Un autre aspect, dont il faut prendre la mesure, c’est qu’aujourd’hui une majorité de jeunes ne s’informe que par les réseaux sociaux et non plus par les médias traditionnels. Et ce qui m’inquiète par-dessus tout, c’est que les personnes qui utilisent le mieux les réseaux sociaux pour pousser leurs idées sont d’extrême droite. Donc, ne pas occuper ces espaces-là, c’est laisser un boulevard à l’extrême droite pour toucher les jeunes. Cela donne des résultats très concrets, comme on l’a encore vu dernièrement lors des élections en Roumanie ou en Pologne.

Il y aurait donc, selon vous, un combat médiatique à mener, en particulier sur les réseaux sociaux ?

C. M. : Oui, je pense que c’est essentiel de créer de nouveaux récits et de pousser des idées progressistes dans un environnement saturé d’idées nauséabondes. J’essaie d’y contribuer, avec d’autres, mais c’est très difficile de rendre nos actions pérennes, étant donné la mainmise de personnes très fortunées sur de grands médias, qui peuvent se permettre de faire de la propagande sans devoir être rentables. Il y a bien quelques médias écologiques qui fonctionnent bien, comme Blast, Vert et Bon Pote, mais on est encore loin des réseaux d’extrême droite qui sont soutenus par des personnes très riches ou des fondations qui ont bien saisi l’importance des nouveaux médias.

Plusieurs observateurs dénoncent une répression accrue des mouvements sociaux et écologiques. Partagez-vous ce constat ?

A. E. : Oui, tout à fait. Malheureusement, l’accord du gouvernement Arizona poursuit cette logique de criminalisation de tout qui critique l’État, en revenant par exemple avec les éléments problématiques de la loi « anticasseurs », en cherchant à affaiblir le droit de grève, etc. La répression se fait de plus en plus violente. D’ailleurs, pour moi, la lutte contre les violences policières est une des mobilisations les plus porteuses aujourd’hui, car elle est intersectionnelle – portée à la fois par des familles racisées, précaires, des jeunes, des militants antifascistes, des personnes queer, etc.

Comment tenir compte des enjeux de temporalité du militantisme, par exemple entre sentiment d’urgence sociale et écologique et mobilisation durable, entre luttes à court terme et mutations sociales à long terme ?

A. E. : C’est une belle question qui renvoie à l’hétérogénéité des luttes. Il ne faut pas choisir entre du court, du moyen et du long terme. Il faut tout faire en même temps : à la fois des actions à court terme, par exemple pour empêcher que l’on prenne une mauvaise décision ou qu’on rase un lieu important, et des organisations institutionnalisées, qui ont acquis une forme de légitimité, qui traversent les époques, les enjeux et les mouvements, pour pérenniser les luttes. Prenons l’exemple de MeToo : c’est presqu’un miracle ! Les féministes étaient minorisées depuis 100 ans, rien ne pouvait prédire une nouvelle vague aussi importante, et tout d’un coup, une convergence internationale de luttes – venant de lieux prestigieux comme Hollywood, mais sans leadeuse charismatique – a provoqué un mouvement social qui a produit un changement culturel et transformé le monde.  Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de sexisme ni de violence contre les femmes, mais leur perception est aujourd’hui complètement différente. Et, même si on assiste à un backlash (ou « retour de bâton », c’est-à-dire une réaction conservatrice d’une partie de la société face aux progrès des droits des femmes et des minorités), avec des discours décomplexés et hyperviolents, il y a globalement une prise de conscience et une évolution positive. Le travail d’un siècle des féministes dans l’ombre crée de la matière, des livres, des analyses, du travail académique… pour nourrir une lutte ponctuelle qui nait dans un secteur spécifique mais qui fait tache d’huile.

Quel est le rôle politique des sentiments, des émotions et des désirs, et de quelle manière devraient-ils être envisagés et traités dans la militance ?

C.M. : Je suis toujours étonnée de cette forme d’apathie politique qui veut qu’on n’exprime pas publiquement ses émotions. Au contraire, je trouve cela très sain d’avoir des émotions et de les extérioriser. Personnellement, les moments où j’ai eu le plus confiance en des personnalités politiques, c’est quand elles ont montré un minimum de vulnérabilité, que ce soit de la tristesse, de la colère, de la frustration. Dans ces moments-là, je me dis : « ces gens sont humains et peuvent prendre des décisions empathiques ».

Dans beaucoup de mouvements aujourd’hui, on éprouve la nécessité de créer des espaces pour exprimer ses émotions et pouvoir en faire quelque chose. Par exemple, dans Code Rouge, un aspect très important est la décharge des émotions et le débrief après l’action. Dans un premier temps, on prend soin d’aller chercher les militants qui ont été en garde à vue pour qu’ils se sentent en sécurité et puissent s’exprimer. Et dans un second temps, quelques jours après la mobilisation, on prévoit un moment plus long, pour que les gens qui le souhaitent puissent se rassembler et exprimer ce qu’ils ont ressenti durant et après l’action.

Donc, il faut absolument tenir compte de l’aspect émotionnel qui est moteur pour beaucoup de personnes. En général, cela vient d’une forme de frustration, de tristesse, de colère, d’une volonté d’améliorer les choses… Pour moi, c’est quelque chose d’absolument sain d’accepter et de considérer cela.

A. E. : Une des fonctions de l’éducation permanente, c’est le passage d’émotions individuelles à des émotions collectives. Il est tout à fait légitime qu’une femme ayant souffert de violence conjugale soit en colère. Passer par une dynamique collective permet de comprendre les mécanismes de domination du patriarcat et, ce faisant, de donner des prises pour agir politiquement.

Malgré vos préoccupations, quelles sont vos sources d’espoir ?

C. M. : C’est difficile de répondre à cette question en ce moment, étant donné que le système dans lequel on vit est de plus en plus inégalitaire et délétère pour une grande partie de la population et du vivant qui nous entoure. Mon espoir, c’est que « l’offensive anti-écologique à l’œuvre partout dans le monde [puisse] s’interpréter comme le chant du cygne de l’ère industrielle », comme l’a écrit récemment le philosophe Gaspard Koenig[5]. Mais à quel prix ? Combien de personnes aura-t-on laissé derrière et est-ce qu’on aura encore une planète vivable ? C’est cela l’enjeu. A. E. : Mes sources d’espoir se trouvent dans l’histoire : ce sont les conquêtes sociales des générations qui nous ont précédées. Par exemple, en tant que présidente du Conseil supérieur de l’éducation permanente, je négocie le financement de l’éducation permanente avec le cabinet de la Ministre-Présidente Élisabeth Degryse, et franchement c’est dur. Mais je pense aux personnes qui ont lutté pour négocier ce décret aussi ambitieux et émancipateur, dans un contexte différent mais sans doute aussi hostile, et je me dis que cela a dû être tellement plus dur. C’est un héritage qui oblige à se battre

Notes :

  • [1] Anne François, « L’Ocam s’inquiète de la radicalisation de militants climatiques : ‘Certaines de leurs actions auraient pu faire des morts’ », VRT, 4 juillet 2025.

    [2] Les « suffragettes » étaient des militantes britanniques de la Women’s Social and Political Union (WSPU) au début du 20e siècle qui se sont battues pour le droit de vote des femmes, employant des méthodes radicales, y compris des actes de désobéissance civile, des grèves de la faim et des actes de sabotage, pour attirer l’attention du public et obtenir des changements politiques. Leur combat a contribué à l’obtention progressive du droit de vote pour les femmes

    [3] La série de vidéos Meet your lobbyist réalisée par Chloé Mikolajczak est disponible sur sa page Instagram intitulée « thegreenmonki ».

    [4] Le 23 juin 2025, les groupes de presse belges Rossel (qui édite notamment Le Soir et Sudpresse) et IPM (propriétaire, entre autres, de La Libre Belgique, La DH et L’Avenir) ont annoncé qu’ils allaient fusionner leurs activités de presse écrite.

    [5] Gaspard Koenig, « La montée de l’écophobie », Les Echos, 7 juillet 2025.