En Question n°133 - juin 2020

Ce que la philosophie nous dit des vacances

Le début de l’année 2020 a été marqué par ce que les épidémiologistes redoutaient depuis longtemps : une pandémie capable de semer la mort dans le monde entier et de contraindre plus de la moitié de la population mondiale à un arrêt quasi total des activités. Cette pandémie a entraîné une crise économique dramatique et une privation des libertés fondamentales sans précédent. Pendant de longues semaines, nous avons soudainement fait l’expérience, déroutante, de devoir rester chez soi, dans l’impossibilité de nous déplacer à notre guise, séparés de nos familles et amis. La situation a été tellement inédite et choquante que nous sommes nombreux à soutenir aujourd’hui qu’il y aura désormais, dans nos vies, deux temps distincts : l’avant- et l’après-Covid. 

crédit : Jed Villejo – Unsplash


Pourtant, presque personne ne s’est risqué à comparer l’interruption subie de nos activités à une autre période d’inactivité : les « vacances ». L’absence de cette comparaison est étonnante. D’une part parce qu’elle témoigne du fait que pour nous, le terme « vacances » ne peut être réduit au simple arrêt de l’activité de travail. D’autre part parce que, effectivement, le sens commun identifie les « vacances » à la période d’inactivité se situant entre deux périodes d’activité fonctionnelle et productive. Les « vacances » sont ainsi devenues pour la majorité d’entre nous comme une parenthèse bien nécessaire visant à régénérer nos forces en vue de pouvoir ensuite retravailler mieux et plus efficacement. La plupart du temps, elles sont aussi détachées de l’activité qui fait sens pour nous et nous assure revenus, dignité et reconnaissance sociale. Nous pouvons d’ailleurs nous surprendre à affirmer que « pendant les vacances, on oublie le travail ! »

Il y a là une sorte de paradoxe qu’il me paraît important de relever, surtout en ce temps d’après-Covid. Le « confinement », duquel nous sortons progressivement, a provoqué chez de nombreuses personnes un questionnement profond sur le sens du travail et, par ricochet, sur le sens qu’on attribue aux « vacances » et aux loisirs. Or, il y a fort à parier que la redécouverte de la valeur authentique de ces activités fonctionnelles, récréatives et ludiques peut, aujourd’hui plus que jamais, conduire à recouvrer la vraie valeur de nos vies en société. C’est la prise en compte de ce questionnement, et tout particulièrement de celui qui a affaire au sens des « vacances » et des loisirs, que je souhaite développer ici.

Lendemains de crise

Une lecture inspire particulièrement mes réflexions. Il s’agit de l’essai de Joseph Pieper, Le loisir, fondement de la culture, publié en français par l’éditrice Ad Solem en 2005. Pieper est un important philosophe allemand du 20e siècle, malheureusement encore trop méconnu. S’il est intéressant de lire ce texte en cette période, c’est notamment parce qu’il a aussi été écrit au sortir d’une crise majeure – la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque, l’Europe est anéantie par les divisions qui l’ont lacérée. Ceux qui doivent assumer la lourde tâche de la reconstruction sont à la recherche désespérée de tout élément capable de rendre possible la réédification d’une société respectueuse de la personne humaine et de ses aspirations les plus profondes. C’est alors que Pieper s’interroge sur le sens des loisirs. Abordant le sujet avec intelligence, il laisse comprendre d’entrée de jeu que se questionner sur le sens des loisirs, loin de constituer une fuite de la réalité, représente la meilleure manière d’y faire face et de poser les bases d’un nouveau modèle de société. Les rapprochements avec la situation actuelle sont saisissants. Malgré ce qui distingue la nature des deux crises et la distance temporelle et culturelle qui nous sépare de cet écrit, celui-ci se révèle d’une formidable actualité. 

En s’interrogeant sur le sens du loisir, Pieper veut montrer que la culture du 20e siècle en a perdu la valeur authentique, car soit elle identifie celui-ci de façon négative avec ce qui peut distraire des tâches sérieuses de la vie, soit elle le représente comme un temps « vide » qui permet de recharger les batteries avant d’ensuite reprendre plus efficacement le travail. Dans les deux cas, elle passe à côté du véritable sens. Cette compréhension des loisirs se trouve aux antipodes de la signification qui leur était attribuée dans les cultures anciennes. Dans celles-ci, en effet, sous le terme d’otium, on associait le loisirau bonheur et on le considérait comme l’un des éléments fondamentaux d’une vie réussie. Aristote, par exemple, en faisait la fin en soi de toute activité de travail, affirmant que « le bonheur semble consister dans le loisir, car nous ne nous adonnons à une vie active qu’en vue d’atteindre le loisir » [1]

Selon Pieper, le renversement de la valeur accordée aux loisirs est la conséquence directe de la transformation que la société a progressivement imposée au travail. Dans une société où l’efficacité et la performance sont les critères pour déterminer la valeur d’un individu, assez naturellement le travail devient l’activité principale d’une vie tandis que le loisir n’apparaît plus que comme une « parenthèse » entre deux temps de travail. En ayant confondu la réussite de l’existence avec la performance et en ayant identifié dans le travail sa valeur la plus importante, on a fini par penser qu’on ne travaille plus pour obtenir le loisir, mais qu’on obtient le loisir en vue de pouvoir mieux travailler. Sous-jacente à ce renversement de valeurs se tient aussi l’idée que l’homme, soumis à un rythme élevé d’efforts, ne peut pas « travailler tout le temps » et qu’il a donc besoin d’un temps de « vacances » pour reprendre vigueur. Les loisirs, associés à ce temps de « vacances », deviennent ainsi la condition pour pouvoir travailler davantage et mieux. 

En Europe, les « congés payés » ont été institués au début du 20e siècle. Sans rien enlever à la « justesse » de cette mesure qui a rendu possible aux couches les plus défavorisées de la population de prendre un bol d’air, force est de constater que son institution a symbolisé le changement d’orientation pris par la société à propos du sens du travail, des loisirs et de leurs modalités d’exécution. Le travail en usine à la chaîne ou dans les mines s’est soudain avéré bien plus fatiguant que les activités agricoles. La cadence exigée par les nouveaux systèmes de production s’est révélée autrement épuisante que le fait de suivre le rythme de la nature. Tout cela a poussé à instituer les « vacances » comme jours d’interruption du travail – durant lesquels les travailleurs peuvent s’adonner aux loisirs avant de retrouver leur rythme effréné. C’est donc essentiellement une modification du sens et du rythme du travail qui a détourné loisirs et vacances de leur véritable signification.

La situation n’a guère changé aujourd’hui, à l’ère du numérique, de la finance et de la mondialisation. Malgré l’intervention de robots dans de nombreuses chaînes industrielles et l’automatisation de nombreux secteurs, les cadences de travail se sont tellement accélérées que même les « congés payés » ne suffisent plus à recharger les batteries du travailleur – ce n’est pas pour rien que le burn-out est considéré comme la maladie du 21e siècle. La surévaluation du travail que notre société occidentale a connue au sortir de la guerre, et qui n’a fait que croître, a contribué à faire de celui-ci la seule activité vraiment reconnue comme « socialement utile » (c’est d’ailleurs là l’une des définitions possibles du terme « travail » aujourd’hui). Cela a fini par conditionner aussi le système éducatif, depuis l’école obligatoire jusqu’à l’enseignement supérieur. L’éducation « humaniste », ludique, artistique a progressivement disparu de l’enseignement, pour laisser place à des apprentissages plus techniques, en phase avec les nouvelles technologies et plus enclines à former des « travailleurs » qui se révéleront performants dans un monde toujours plus complexe. 

Même le sport amateur…

Comment on en est arrivé là ? Pour Pieper, derrière cette surévaluation de l’activité du travail se cache la surévaluation de l’effort comme moyen de développement de l’humain ainsi que la conséquente et progressive perte d’intérêt pour l’attention et l’écoute de la réalité. Toute forme d’effort capable de favoriser une attitude « pro-active » face à la réalité a été valorisée ; inversement, toute forme de « passivité » et de « non effort » a été considérée comme un mal. C’est aussi ainsi qu’ont été progressivement dévalorisées toutes les activités contemplatives et désintéressées du quotidien. Rapidement s’est répandue la conviction que rien de bien ne peut être obtenu sans l’ « effort » correspondant. Cela a favorisé le développement de formes de vie individuelles et sociales, fondées sur le volontarisme et le mérite. 

Pieper montre que la moralité issue de la modernité, laquelle s’est implantée à la même époque dans la société occidentale, a contribué à imposer la valeur de l’effort comme moyen pour obtenir le bonheur. Cela reste d’actualité : la référence au mérite a même envahi les activités les plus ludiques ! Dans le sport amateur, par exemple, on remarque la tendance dominante à favoriser certaines formes de compétitivités fondées sur la valeur de l’effort. On veut franchir de plus en plus loin les limites du corps et de l’esprit, même au prix d’en abîmer sa santé physique et psychique. Certes, les cultures anciennes ont aussi soutenu le goût de l’agon. Maison n’y trouve pas le même esprit de performance individuelle et de volontarisme qui s’installe en Occident à partir de la modernité. Dans les cultures anciennes, l’effort n’était pas présenté comme un but en soi, uniquement comme un moyen pour atteindre le bien – les manifestations les plus hautes de celui-ci procédant de l’amour, du désir ou de l’attrait. Platon et Aristote l’ont bien montré, en identifiant dans l’attrait et le désir du bien la valeur la plus haute de l’existence. Le philosophe Paul Ricoeur l’a répété, en reprenant le fil de leurs argumentations pour lier la « visée d’une vie bonne » au désir et à l’amour[2]

C’est encore la surévaluation de l’effort qui a poussé la culture moderne à laisser tomber l’ancienne distinction des activités humaines en artes liberales et artes serviles, avec des conséquences importantes pour la société et son action politique. En ôtant la valeur intrinsèque des activités qui ne peuvent être considérées comme « socialement utiles » – les artes liberales –, en ne voyant celles-ci que comme des activités ludiques vouées à « distraire » un travailleur fatigué, on est tombé dans le travers de considérer que la seule activité humaine digne de ce nom est celle qui est « fonctionnelle » et (économiquement) rentable. Celle-ci doit donc être imposée à tous comme la seule qui compte – et la seule apte à offrir rémunération et reconnaissance sociale. Toute autre activité doit donc être mise en sourdine et considérée comme purement récréative. En coupant ainsi tout être humain de la partie « ludique » de lui-même, la société a progressivement contribué à sa propre déshumanisation – et à la déshumanisation du travail. La manière dont on traite la « culture » au sens large dans notre société, la place qu’on réserve aux « arts » dans l’éducation obligatoire, la reconnaissance qu’on accorde aux artistes témoignent de cette attitude. La crise sanitaire actuelle a d’ailleurs montré la difficulté qu’ont nos gouvernements à traiter le secteur culturel de la même manière que le secteur économique et « productif ». En temps de crise et dans un climat d’urgence, soutenir les activités « non économiquement rentables » ne paraît pas être une priorité. Cela confirme, s’il le fallait, l’évidente mise en sourdine de ce que les anciens définissaient comme les artes liberales, et la moindre considération réservée aujourd’hui à toute activité non fonctionnelle et ludique. 

L’écoute de la réalité

Le fait d’avoir perdu la valeur des activités libérales et d’avoir transformé le sens des loisirs a une autre fâcheuse conséquence : cela finit par culpabiliser ceux qui s’y adonnent. Le fait de réduire toute activité non directement fonctionnelle à une occupation uniquement récréative – voire, pire, à une occupation non adaptée à la position sociale d’un adulte sérieux – a fait en sorte que ceux qui la pratiquent n’en comprennent plus le lien avec leur vie et avec le sens de celle-ci. D’où l’explosion de pratiques ludiques désordonnées, détachées de ce qui est objectivement bon et beau, davantage liées à une consommation compulsive qu’à une attitude marquée par l’attention portée aux personnes et à la beauté de l’environnement dans lequel on les pratique. Il suffit de penser au tourisme de masse, dont le développement a été favorisé par la facilité des déplacements. De nombreux touristes occupent, sans le moindre respect et souvent sans en apprécier la beauté, des lieux d’une valeur historique et environnementale sans prix. Leurs loisirs deviennent ainsi une réelle catastrophe pour l’environnement.

Ayant ainsi perdu son rapport à la vie, le temps des « loisirs » devient alors une sorte de temps suspendu : une parenthèse de vide dans le sérieux d’une existence faite d’activités fonctionnelles, performantes et rentables. Or, s’il est vrai, comme le souligne Aristote dans les premières pages de la Poétique, que le fait de « jouer » et d’imiter sont des attitudes indispensables à l’homme pour apprendre à vivre et à bien agir, l’attitude contemporaine vis-à-vis des « loisirs » prive l’homme d’une ressource indispensable pour vivre.

Fort de cette conviction, Pieper insiste sur la nécessité de revisiter notre manière de penser aux loisirs, en les valorisant non comme des moments utiles à « vider notre esprit » du poids du travail, mais comme des moments où, à travers le silence et la suspension de toute activité fonctionnelle, on peut se laisser imprégner par la réalité et rester à son écoute en vue d’appréhender comment bien vivre. Ainsi considérés, les loisirs permettent de renouer avec une attitude purement réceptive et désintéressée par rapport à la réalité. Ils rendent aussi possible de se laisser pénétrer en profondeur par l’environnement dans lequel on est immergé et de voir jaillir en soi des pensées bénéfiques qu’aucun « effort » ne saurait produire. L’engouement actuel pour les techniques de méditation témoigne que cette attitude « passive » face à nous-mêmes et à notre environnement correspond à l’aspiration profonde de l’homme. Et qu’il faut la prendre au sérieux.

Les loisirs et le temps des vacances, pris à leur juste valeur, peuvent contribuer à éduquer cette attitude d’écoute de la réalité et de l’environnement, qui nous est naturelle mais qui reste trop peu développée. Si donc l’homme a besoin de loisirs, ce n’est pas tant parce qu’il a besoin de refaire ses forces entre deux périodes de travail acharné, mais parce qu’il est un homme et que, dans son humanité, il a besoin de s’adonner à d’autres activités que celles qui sont fonctionnelles et productives, afin de contempler le monde dans son ensemble et de voir au-delà de la place que la fonction sociale lui accorde. Le fait de pouvoir se livrer à quelques activités libres n’ayant d’autre finalité que la mise en valeur de cette écoute de la réalité est bénéfique au développement du « cœur » et de « l’intelligence » de tout être humain. Et c’est précisément ce bénéfice qui peut former des citoyens capables de construire une société à mesure d’homme, dans laquelle toute activité, économique ou ludique, sera prise à sa juste valeur et assurera ainsi une croissance aussi saine que rentable. C’est en ce sens que les loisirs et le temps de « vacances » deviennent des moments-clés pour penser la société de demain.

Le sens de la fête 

En conclusion, Pieper se demande ce qui peut permettre d’éduquer les êtres humains à renouer avec ce sens des loisirs et du temps de « vacances ». Il répond en soulignant l’importance du sens de la fête. La notion de fête porte en effet en elle les mêmes caractéristiques que celle des loisirs : l’inactivité, le repos, le bien-être, l’absence d’effort et l’affranchissement à l’égard des tâches utilitaires. La fête montre que l’homme n’est pas purement fonctionnel mais qu’il aspire à s’adonner aussi à des activités qui n’ont d’autre fin qu’elles-mêmes. En ce sens, fêter n’est rien d’autre que manifester d’une façon exceptionnelle notre accord avec le monde. Pour pouvoir fêter en ce sens, il faut en effet avoir la conviction que la réalité est foncièrement bonne et que le monde est bien fait. Celui qui n’a plus cette capacité de contemplation du réel devient incapable de fêter 

Dans la tradition ancienne et médiévale, la fête était vécue d’une façon toute naturelle. Elle était une occasion pour rendre grâce à Dieu, ou aux dieux, pour la vie, pour la fécondité de l’homme et de la terre, pour les bienfaits dont les hommes étaient les bénéficiaires. Elle était aussi une occasion de louange pour la présence du monde. Cela rendait normal pour tout un chacun de reconnaître un lien entre « loisirs » et culte. Répondant à la question de savoir s’il existe un répit pour l’homme destiné au labeur, Platon répondait que les dieux avaient institué les fêtes périodiques en leur donnant comme compagnons les Muses, leur chef Apollon, et Dionysos, afin que ceux-ci, en festoyant avec les dieux, reprennent courage et relèvent la tête[3]. De nos jours, le retour en masse des fêtes religieuses populaires dans nos régions témoigne sans doute que ce sens de la fête fait partie d’un instinct naturel en l’homme et qu’il correspond à un profond désir de communion avec tous les êtres vivants et son environnement.

Or, la société contemporaine, qui pourtant multiplie les fêtes (surtout les grandes fêtes organisées), se montre en général incapable de vivre celles-ci comme des moments de pure gratuité, n’ayant d’autre but que d’exprimer la joie d’exister. Ayant fait du travail lui-même un culte et falsifié le loisir en vue de la performance de l’activité de travail, l’homme contemporain est ainsi devenu incapable de vivre la fête. 

Il s’avère donc urgent de renouer avec le sens originaire de la fête. Un moyen serait sans doute le soutien de la société à toutes les manifestations culturelles, artistiques et même sportives qui, par leur caractère contemplatif, désintéressé et ludique, sont capables de faire apprécier la beauté et cultiver le respect envers la réalité. En éduquant les citoyens à l’ouverture au beau à travers l’art, la culture et le sport, en favorisant l’attention de tous au bien, on pourrait renouer avec le véritable sens de la fête. Là se trouverait un élément important pour renouer avec le véritable sens des loisirs et du travail. Par conséquent, ce serait aussi apporter un soutien considérable à l’édification d’une société à mesure d’homme, visant le bien commun dans l’intérêt de chacun.

C’est pour cela qu’il est sans doute plus que temps, à l’approche de l’été et des « vacances », de rappeler avec Pieper que c’est en développant dans nos sociétés le véritable sens de la fête et des loisirs qu’on pourra retrouver le juste sens du travail et, avec lui, une forme saine et rentable d’activité « fonctionnelle » capable d’épanouir l’homme dans le monde et d’aider la société à se construire dans le respect de l’environnement et en vue du bien commun. Or, le simple fait qu’on continue à parler de nos « vacances » et de nos « fêtes » comme de jours de « congé » laisse entendre que nous avons encore du chemin à parcourir avant d’en arriver là. Mais que nous devons avoir le courage de prendre la tâche au sérieux. 

Notes :

  • [1]    Éthique à Nicomaque X, 7, 1177 b 3-5, tr. J. Tricot, éd Vrin, 1990. Aristote décrit ici les caractéristiques de la vie heureuse. Il associe le loisir à une certaine forme de « désintérêt » : la vie heureuse est une vie de loisir parce qu’elle est parvenue à ne vouloir que ce qui doit être recherché pour lui-même. Loisir rime donc avec bonheur parce qu’il constitue comme le but de toute recherche et il n’apparaît que quand celle-ci touche à sa fin. C’est lorsque nous avons trouvé ce que nous cherchons à travers tout ce que nous entreprenons (et tel est le sens de notre « activité ») que nous goûtons le bonheur et que nous n’avons plus besoin de « travailler » pour l’acquérir. Bonheur et loisir se goûtent donc ensemble.

    [2]    Pieper note que la culture ancienne était sans doute plus ouverte que la culture moderne au sens du « don », et c’est sans doute la perte de ce sentiment du « don » qui a fait grandir la moralité de l’effort, d’où découle la surévaluation de l’utilité sociale de toute activité humaine, et donc du travail lui-même. Pour Ricoeur, voir Soi-même comme un autre,Paris, Seuil, 1990 (surtout la septième étude : « Le soi et la visée éthique »).

    [3]    Platon, Lois, II 653 d.