En Question n°148 - mars 2024

Comment se situer, comme francophones, par rapport à l’extrême droite flamande ?

photo du drapeau belge et de la flandre - crédit: Alessandro Cavestro - Unsplash
crédit : Alessandro Cavestro – Unsplash

La question est essentielle car les vagues brunes à répétition au nord du pays provoquent de l’effroi, mais les réponses manquent souvent de justesse. Mal posée, la question suscite surtout des mouvements contraires, tels que l’incompréhension générale, le désarroi, le procès d’intention ou le désintérêt. Et effectivement, la résistance à l’extrême droite doit venir de l’intérieur. Il n’empêche que les francophones sont parties prenantes de la question et que leurs discours et leur agir ont une incidence sur la culture et la politique flamandes. Pointons donc quelques pistes :

1. Faire attention aux éléments de langage (« LA Flandre veut », « LES Flamands sont »…). Tout discours qui ramène la société flamande au gouvernement, ou qui réduit la Flandre à la N-VA ou au Vlaams Belang, essentialise les différences. Et lorsqu’on essentialise, on réduit la pluralité existante, on fige l’histoire ou on estropie l’autre de sa capacité à nous surprendre.

2.S’intéresser et co-construire des projets. L’adage « Loin des yeux, loin du cœur » vaut aussi pour notre petite Belgique. Nous pouvons cultiver de l’intérêt pour ce qui se passe au nord du pays, nous pouvons apprendre sérieusement le néerlandais et encourager la jeunesse à le faire – comme l’a très justement décidé le gouvernement de la Communauté française durant cette législature 2019-2024.

De nos médias, attendons qu’ils ouvrent nos esprits… et nos goûts ! Pourquoi nos programmateurs radio diffusent-ils régulièrement des tubes de Vaya Con Dios, Hooverphonic, dEUS ou Selah Sue – tous flamands mais chantant en anglais – mais jamais de Gorki, Eva De Roovere ou Tourist LeMC, qui rappelle pourtant MC Solaar ? Poser la question, c’est y répondre. Il est habituel en francophonie de regarder le néerlandais avec un certain dédain. C’est très bête, et quand même assez scandaleux. Demandons-nous si, nous aussi, nous ne véhiculons pas un tel sentiment injustifié de supériorité linguistique.

3.Dépolariser, une autre manière de faire de la politique. À force de (se faire) caricaturer, certains finissent par apprécier la prévisibilité des répliques d’en face. Bien des tribuns politiques se savent meilleurs ennemis, et s’apprécient en cette qualité, engrangeant des récoltes faciles d’émotions de rejet et de peur pour resserrer les rangs dans leurs camps respectifs. Cette polarisation croissante du politique, et par extension de la société, a pour effet de compromettre… le sens du compromis. À son tour, l’antipolitique alimente dégoût, désespérance voire indifférence. La polarisation affective désigne ce pas supplémentaire qui n’a plus seulement en horreur les partis aux idéologies opposées, mais même les électeurs de ces partis. Ce qui détricote très rapidement et concrètement le vivre-ensemble.

L’antidote, en politique comme sur les plateaux médiatiques, consiste à pratiquer, autant que possible, les principes de communication non-violente : authenticité, bienveillance, responsabilité. Mais les systèmes politiques et électoraux n’étant pas conçus pour soutenir durablement ces valeurs, il est crucial que la société civile rappelle régulièrement cette demande aux représentants du peuple.

Demandons de nos représentants francophones qu’ils cherchent des alliés de l’autre côté de la frontière linguistique, lorsqu’ils promeuvent des projets de loi, en étant plus à l’écoute de ce qui s’y vit. Interrogeons en passant nos empreintes politiques sur les réseaux sociaux digitaux : les points de vue que nous y défendons reflètent-ils la personne que nous voulons être dans la société ?

Défendons également des modifications systémiques qui rétabliraient une forme de recherche du bien commun, comme une circonscription fédérale, des tirages au sort de citoyens pour un discernement en commun, ou des mécanismes de prise en compte des générations futures lors de décisions importantes.

4.Vivre au présent et avec celles et ceux qui nous entourent. Les idéologies d’extrême droite se nourrissent de la nostalgie d’un temps révolu et idéalisé. Ce sont là des raccourcis dangereux qui omettent la mention de la complexité historique, et notamment du fait que les sociétés flamande et wallonne sont le fruit de leurs histoires interculturelles. Toutes deux ont été à tour de rôle terres d’accueil, d’immigration et d’émigration, de conflits religieux et culturels, de tensions sociales, mais aussi de compromis, de lumières et d’intégrations, le tout dans la sueur et dans les larmes. Relire cette histoire peut aider à mettre en perspective les enjeux actuels du vivre ensemble à la belge. Comme l’a fait récemment la Flandre à l’occasion de la série « Het verhaal van Vlaanderen », la société civile francophone belge gagnerait, elle aussi, à faire le point en son sein sur les faits historiques ayant contribué à modeler son identité contemporaine.

Certes, les Wallons ne votent pas en Flandre, et l’extrême droite flamande fait feu de bien d’autres peurs et loupés. Mais si, à l’aune du 200e anniversaire de la Belgique, on parvient à renouer avec un dialogue plus authentique, bienveillant et respectueux, il y a fort à parier que nous puissions également relever les autres défis du vivre ensemble.