Communauté germanophone de Belgique : le modèle de “dialogue citoyen permanent”
Par décret du 25 février 2019, adopté à l’unanimité, le Parlement de la Communauté germanophone de Belgique a institué un « dialogue citoyen permanent » (permanenter Bürgerdialog).
Il a mis en place un modèle de participation citoyenne particulièrement intéressant, dont voici la structure[1] :
Le modèle comporte deux instances majeures. Il y a, d’une part, le « Conseil citoyen » (Bürgerrat), qui est la composante permanente du modèle. Il compte 24 membres, tirés au sort parmi les personnes ayant été préalablement membres d’une assemblée citoyenne (cf. ci-après), pour un mandat de 18 mois. Il est renouvelable, par tiers, tous les six mois. Ses missions : 1° déterminer souverainement les sujets qui seront débattus dans les assemblées citoyennes (un choix qui tient compte des suggestions venant de citoyens, de groupes politiques du parlement ou du gouvernement), déterminer les modalités d’organisation de ces assemblées et en superviser le déroulement : 2° contrôler le suivi politique des recommandations faites par ces assemblées ; 3° superviser les travaux du secrétariat permanent.
Il y a, d’autre part, les « Assemblées citoyennes » (Bürgerversammlungen) composées de 25 à 50 citoyens, tirés au sort en tenant compte d’une représentation équilibrée des sexes et des tranches d’âge, d’un équilibre géographique et d’une mixité socio-économique. Une assemblée citoyenne, qui est non permanente, a pour tâche d’élaborer des recommandations sur le sujet particulier que lui soumet le conseil citoyen. Ses recommandations devront obligatoirement être débattues au sein d’une « commission parlementaire conjointe », où se retrouvent les participants de l’assemblée citoyenne, les membres de la commission parlementaire compétente pour le sujet traité et le ministre en charge de la matière, avec un suivi assuré. En général, le temps alloué par le Bürgerrat à une assemblée citoyenne est de 2-3 mois (4 à 6 week-ends). Ce temps variera en fonction du degré de complexité de la question traitée.
Enfin, troisième organe du modèle : le « secrétariat permanent » (Permanentes Sekretariat). Désigné.e par le secrétaire général du Parlement germanophone (parmi les membres du personnel du Parlement), le ou la secrétaire permanent.e a pour mission d’assurer le soutien administratif et organisationnel du conseil citoyen et des assemblées citoyennes.
Pourquoi ce modèle est-il particulièrement intéressant pour la démocratie ?
L’ « Ostbelgien Modell » a trois caractéristiques particulièrement intéressantes. Le conseil citoyen est permanent (plutôt que temporaire). L’avantage en est que cela permet à la fois des consultations ponctuelles et un processus de suivi de celles-ci, avec contrôle citoyen de leur mise en œuvre. En outre, avec le système de tirage au sort, le nombre de personnes appelées à contribuer à la chose publique est très important : en Communauté germanophone (quelque 78.000 habitants), si on part d’un taux d’acceptation de 10%, chaque citoyen a un peu plus d’une chance sur deux d’être tiré au sort une fois dans sa vie et donc d’être invité à participer au processus politique. Cette rotation des participants représente une vraie chance de rapprocher citoyens et politiciens.
La deuxième caractéristique, c’est l’institutionnalisation du modèle. Nous ne sommes pas dans un modèle déconnecté de l’institution mais attaché à l’institution parlementaire. Il serait probablement exagéré de parler d’une deuxième chambre, mais il y a une certaine analogie : à côté des travaux réguliers du Parlement, nous avons un conseil citoyen (voulu par le Parlement) qui siège de manière permanente. Les mandataires politiques sont obligés de réagir aux recommandations formulées par chaque assemblée citoyenne et de justifier un éventuel rejet d’une recommandation. La commission politique conjointe est un lieu central de débat entre citoyens et politiciens, qui permet aux deux de mieux comprendre les positions mutuelles.
La troisième caractéristique du modèle, c’est qu’il soit mis en place par une assemblée législative. La Communauté germanophone de Belgique est une entité fédérée au sein de l’État belge avec des compétences décrétales. Elle a donc la possibilité de mettre en place des politiques publiques avec des leviers d’action qui vont loin. Puisque le dialogue citoyen peut se prononcer sur tout ce qui relève des compétences de la Communauté germanophone, les citoyens peuvent eux aussi faire des recommandations sur des enjeux politiques importants. Ce sont ces trois éléments qui distinguent le processus germanophone de ce qui existe déjà et qui font sa véritable force.
Serait-il envisageable de transposer ce système au niveau d’autres entités fédérées belges voire au Fédéral ?
À ces niveaux-là, la part de la population qui pourrait être impliquée est plus grande et donc chaque citoyen aurait moins de chance d’être tiré au sort. En revanche, le nombre d’habitants étant plus important, il serait alors possible d’organiser en parallèle plusieurs processus et de bénéficier de panels de personnes beaucoup plus diversifiés. En Communauté germanophone, avec des panels de 25 à 50 personnes, et des députés dont la plupart n’exercent pas leur fonction à plein temps, il est difficile d’organiser plus de deux ou trois assemblées citoyennes par an. Alors qu’au Parlement wallon ou au Fédéral, on pourrait imaginer plus de députés, plus de commissions, traitant de plus de questions. Au niveau fédéral, il serait par ailleurs possible de réfléchir, par exemple, à une réforme du Sénat qui deviendrait une deuxième chambre composée de membres tirés au sort ou un modèle connexe.
Quelles seraient, à vos yeux, les principales conditions de réussite du système ?
La condition de succès la plus évidente, ce serait que les recommandations soient suivies de décisions politiques. Une deuxième condition de réussite serait que la population perçoive ce processus comme le sien. Étant donné qu’il a avant tout été mis en place par le Parlement, il faudra en effet encore que la population se l’approprie. Pour ça, il faudra du temps. Ceci nous amène à une troisième condition, qui est le rétablissement de la confiance entre citoyens et politiciens. D’un côté il y a de plus en plus de citoyens critiques et désenchantés, de l’autre il est devenu de plus en plus difficile pour un politicien de prendre des décisions dans une société toujours plus complexe. Il apparait donc important d’avoir un lieu de co-décision où les citoyens peuvent s’assurer qu’ils sont écoutés et où décideurs et citoyens peuvent s’accorder ensemble sur les décisions à prendre. Dans tous les cas, pour pouvoir juger de la réussite de ce modèle, il faudra plus d’une dizaine d’années avant d’avoir une vue d’ensemble solide.
Comment l’initiative a-t-elle été concrètement mise en place, et avec quel écho dans la population ?
Au préalable, une campagne d’information a été lancée dans les deux médias les plus consultés par la population, la radio/TV Belgischer Rundfunk (BRF) et le journal GrenzEcho. Ensuite, une lettre d’information a été envoyée à mille personnes tirées au sort. 115 avaient répondu positivement à l’appel. Parmi ces 115 ce sont alors une partie des membres du premier Bürgerrat, et l’ensemble des membres de la première Bürgerversammlung qui ont été tirés au sort. Au deuxième tirage au sort de mille personnes pour la deuxième Bürgerversammlung, 96 avaient répondu favorablement. Je suis curieux de voir comment ces taux évolueront. Deux éléments me semblent importants pour augmenter la participation : le bouche à oreille mais aussi le constat que la participation est suivie de mesures concrètes.
Quels ont été les sujets choisis par le Conseil citoyen et comment fait-il ce choix ?
Le premier sujet a été : comment améliorer les conditions dans les soins de santé ? Un sujet fort vaste. C’est la raison pour laquelle, pour la deuxième assemblée citoyenne, un sujet plus précis a été choisi : l’inclusion de personnes avec un handicap dans le secteur de l’éducation.
Le décret prévoit trois sources d’inspiration pour le choix des sujets par le Conseil citoyen : 1) Une consultation de la population. À cet effet, un site a été lancé et chaque citoyen peut soumettre des suggestions et voter pour la ou les propositions qu’il trouve pertinentes. 2) Des suggestions de la part de groupes politiques au parlement ou du Gouvernement. 3) Des membres du Conseil citoyen peuvent eux également soumettre des sujets à débat.
Les deux premiers sujets choisis étaient des sujets qui ressortaient du sondage de la population.
Comment se fait le tirage au sort et comment sont garantis les critères de représentativité ?
Le tirage au sort a lieu en deux étapes. D’abord, un tirage au sort de 1.000 personnes est fait parmi l’ensemble des résidents de la communauté âgés d’au moins 16 ans. Parmi les tirés au sort, on vérifie les critères d’éligibilité (il y a un certain nombre d’incompatibilités politiques notamment) et des éléments que le Conseil citoyen souhaiterait intégrer dans le deuxième tirage au sort mais dont on n’a pas nécessairement l’information dans les registres de la population (par exemple l’éducation). Un deuxième tirage au sort a alors lieu parmi tous ceux qui ont répondu favorablement au premier appel et qui sont éligibles. Ce deuxième tirage se fait de manière stratifiée, c’est-à-dire en vérifiant qu’une représentativité au niveau des genres, âges, lieux de résidence et d’éducation ou de profession est garantie.
Et en termes d’assiduité des participants ?
Les taux de réponse de 11,5% ou de 9,6% qu’on a observés lors des deux premiers tirages peuvent sembler bas pour certains. Il conviendra de noter que d’habitude ce genre de processus connait des taux de réponse plus bas aux alentours de 3%. Un enjeu considérable sera d’augmenter progressivement ces taux de participation. Une fois dans le processus, par contre, la plupart des citoyens sortant d’une Assemblée citoyenne se montrent disponibles pour siéger au Conseil citoyen. Ils y ont pris gout car ils ont vu que cela marchait.
Espérons que cela continue de la sorte et qu’on pourra bientôt voir les premiers résultats de ce processus pionnier.
Propos recueillis par Guy Cossée et Marie Renard, chargés d’analyse et d’animation au Centre Avec.
Notes :
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[1] Voir Christoph Niessen et Min Reuchamps, « Le dialogue citoyen permanent en communauté germanophone », Courrier hebdomadaire du CRISP 2019/21 n°2426.