Démocratie et respect
Le respect est essentiel à la vie d’une société : il faut respecter la loi, l’ordre public. Mais la société est faite de citoyens, d’êtres humains, égaux en droits et en dignité et dont chacun mérite le respect. Le respect est donc un devoir qui s’impose à tous et tout particulièrement à ceux et celles qui exercent une autorité. Dans une réflexion progressive sur les différentes facettes du respect, l’analyse fait apparaître comment le respect mutuel, sans exclusion de personne, est la condition nécessaire d’une véritable démocratie.
Il peut parfois être éclairant de se promener sur le site de sa propre association. Sur celui du Centre Avec, il y a une rubrique « prises de position ». J’y trouve notamment, datée d’octobre 2013, l’adhésion du Centre à la plate-forme StopSac[1] et à la manifestation nationale à laquelle celle-ci invite. La plate-forme StopSac regroupe 213 organisations de la société civile qui protestent contre l’adoption par le parlement d’une loi qui élargit le champ d’application des « Sanctions Administratives Communales » (SAC)[2]. Cette loi permet aux communes d’imposer des sanctions, en l’occurrence des amendes (ou services équivalents), pour des actes d’incivilité dont le catalogue est dressé par chaque administration communale. Ce que la plate-forme reproche surtout au nouveau texte adopté le 1er juillet 2013 (et entré en vigueur le 1er janvier 2014), c’est qu’il étend l’application de ces sanctions aux mineurs de plus de 14 ans.
Cet exemple d’opposition entre, d’une part, une majorité imposante du Parlement et, d’autre part, une large mobilisation d’associations de la société civile, donne particulièrement à réfléchir. Car, de part et d’autre, il s’agit de respect. Les parlementaires, réagissant à une demande pressante des administrations communales, entendent réagir à un sans gêne trop généralisé, à des incivilités de tout genre et favoriser ainsi le respect de l’espace commun, de l’ordre public et des relations entre les citoyens. Les associations regroupées dans la plate-forme StopSac – parmi lesquelles beaucoup s’occupent d’éducation, première ou permanente – dénoncent l’approche purement répressive des problèmes, la stigmatisation de certaines couches de la population – notamment les jeunes de quartiers populaires – et le danger d’arbitraire, bref un manque de respect à l’égard des personnes et de situations.
Ainsi est clairement posée la question du respect, comme élément fondamental de toute société sans doute, mais spécifiquement de la société démocratique. Car l’opposition que nous mettons en relief, dans l’exemple des SAC, entre une majorité du monde politique et une fraction significative de la société civile, montre bien que le contenu, l’étendue, les objets et les sujets et finalement l’essence même du respect ne sont pas des évidences faciles et qu’une réflexion sur le lien entre la spécificité de la société démocratique et cette condition de son bon fonctionnement ne devrait pas être inutile.
Le Centre Avec a également soutenu une manifestation organisée par la JOC le 15 mars 2014 contre les violences policières. Manifestation qui n’a pas été ridicule (500 personnes) mais qui est loin d’avoir eu le même poids médiatique que, quelques mois plus tôt (23 octobre 2013), celle de 4.000 policiers manifestant contre les violences dont ils sont victimes dans l’exercice de leur fonction. Les policiers exercent un métier exposé, ils sont les gardiens de l’ordre (gardiens de la paix !), ils méritent le respect et ce n’est certainement pas un signe de bonne santé de nos sociétés s’ils sont en butte à des violences. Mais n’est-ce pas encore plus grave si, dans l’exercice de leurs fonctions légitimes, ils se laissent aller à des excès ? Toutes ces contestations invitent à cette réflexion sur le respect que nous voudrions tenter.
Tenir en respect
Un premier degré du respect serait celui que le faible rend au fort, le dépendant à celui dont il dépend. L’exemple extrême est l’esclave : il est la propriété du maître, à l’égal des outils et des animaux. Quelques nuances que puissent prendre dans le concret les rapports maître-esclave, la soumission de ce dernier est en principe absolue. Ce type de respect, lié à la dépendance et caractérisé par la soumission, concerne de quelque façon tous les rapports hiérarchiques. Celui qui soumet le serviteur à son maître, la servante à sa maitresse, l’ouvrier à son patron, l’employé au chef d’entreprise, le soldat à l’officier, l’inférieur au supérieur, les enfants aux parents. Pour le dire d’un mot, le dominé au dominant. Quoi qu’il en soit de la manière concrète dont ces relations sont vécues, elles impliquent une sujétion, Qu’est-ce qu’une hiérarchie, sinon une succession, on pourrait dire un échafaudage de sujétions. Elles peuvent être plus ou moins humainement imposées, plus ou moins bien acceptées, le respect y va toujours de bas en haut comme une obligation et même une nécessité vitale, en tout cas comme allant de soi.
Ce premier niveau du respect comme soumission peut être justement caractérisé par l’expression : tenir en respect. Des preneurs d’otages tiennent en respect leurs victimes, des policiers tiennent en respect le malfrat qu’ils viennent de surprendre. Quels que soient les sentiments et les motivations qui habitent les uns et les autres, le fait de « tenir en respect » exprime une sorte de toute puissance, celui d’être « tenu en respect » une dépendance totale. Il y a quelque chose de cela dans tout rapport hiérarchique, et la tentation de s’y rabaisser n’est jamais tout-à-fait éloignée.
Imposer le respect
Il serait cependant simpliste d’expliquer le respect par ce pur rapport de forces. Toutes les figures du rapport hiérarchique connaissent une intériorisation du respect. On ne respecte pas un supérieur uniquement ni même d’abord (voire pas du tout) parce qu’on dépend de lui et qu’on le craint mais parce qu’on lui reconnaît une valeur, une supériorité, une dette en quelque sorte. Le serviteur reconnaît la dignité, la générosité de son maître. L’employé reconnaît la compétence et la bonne gestion de son employeur. L’étudiant reconnaît le savoir et la sagesse de son maître, etc. L’expression qui convient ici est « imposer le respect ». On voit bien qu’il ne s’agit plus ici d’un rapport de forces mais de quelque chose de beaucoup plus fondamental dans ce qui le provoque et, de la part de l’inférieur, de beaucoup plus consenti et intériorisé. Ce qui en impose, c’est la qualité de la personne et non pas son pouvoir. On pourrait citer ici la définition que Robert donne du respect : « Sentiment qui porte à accorder à quelqu’un une considération admirative en raison de la valeur qu’on lui reconnaît et à se conduire envers lui avec réserve et retenue, par une contrainte acceptée »[3].
Le rapport parental s’inscrit dans ce registre. Selon les époques, les lieux, les milieux sociaux, il revêt une infinité de nuances. Il est clair avant tout que le rapport des enfants à leurs parents est, au plus profond, de l’ordre de l’amour mais c’est un amour qui ne bannit pas la crainte. On parle ici de « crainte révérencielle »[4]. L’autorité des parents, leur exemple, la dépendance dans laquelle l’enfant se trouve à leur égard, les bienfaits qu’il en reçoit dans la banalité des jours et au fil de sa croissance, tout cela « impose respect ». L’amour filial garde normalement toujours une nuance de distance, de « réserve acceptée », même si cela varie beaucoup suivant les familles et les âges. Une note particulière apparaît dans le rapport avec les parents âgés, quand le rapport de dépendance peu à peu se renverse. C’est peut-être alors qu’apparaît le mieux la spécificité du respect : celui ou celle qui est en train de devenir le plus ou la plus faible, qui commence à dépendre, continue à imposer le respect et même l’impose de plus en plus. Et ce respect s’étend normalement dans nos sociétés aux personnes âgées en général.
C’est dans le même registre que s’inscrit le respect de l’autorité dans la société. On peut penser ici à la réflexion de Gauchet sur le « désenchantement du monde ». Selon lui, jusqu’à l’avènement de la modernité, les sociétés étaient marquées du sceau de l’hétéronomie. Ce qu’il appelle « la religion » est « un type bien déterminé de société, à base d’antériorité et de supériorité du principe d’ordre collectif sur la volonté des individus qu’il réunit […] (de) la prévalence absolue d’un passé fondateur, d’une tradition souveraine, qui préexistent aux préférences personnelles et s’imposent irrésistiblement à elles comme loi générale ou règle commune, depuis toujours valable pour tous »[5]. Dans cette conception, le pouvoir est sacré, il impose le respect – un respect volontaire, volontiers consenti, pleinement consentant, tant il va de soi. Et ce respect se répercute d’échelon en échelon dans l’ordre hiérarchique de la société.
Dans nos sociétés modernes, dans nos États de droit, subsiste-t-il quelque chose de cette forme de respect ? Il me semble qu’on peut répondre par l’affirmative de la façon suivante : la note « sacrale » de l’autorité serait reportée sur la notion plus abstraite de « l’ordre public ». L’ordre public, c’est l’état social caractérisé par la paix, la sécurité, la salubrité et la tranquillité de la société dans son ensemble. Il est censé assurer les conditions essentielles à l’organisation de la vie sociale. Les normes d’ordre public sont impératives et peuvent imposer des limites à l’exercice des droits des personnes. Comme expression par excellence de la loi et de l’État de droit, on peut dire que l’ordre public « impose le respect », au sens du respect volontaire fondé sur la valeur reconnue et allant de soi, c’est-à-dire, en l’occurrence, sur une reconnaissance de l’importance vitale de cette condition constituante de la vie en société.
Notre réflexion sur le respect dans la société pourrait-elle s’arrêter ici ? Avons-nous suffisamment rendu compte de tout ce que le respect représente et exige ? Et, spécifiquement, avons-nous dégagé l’importance, la singularité et l’exigence du respect dans une société démocratique ? Nous ne le pensons pas. Il faut aller plus loin et nous interroger sur le droit au respect, sur le respect auquel chaque citoyen en tant que tel et, même plus fondamentalement tout être humain, toute personne a droit.
Le droit au respect
La démocratie, pouvoir du peuple, a pour principe fondamental l’égalité de tous les citoyens. C’est ainsi que l’article 10 de la Constitution belge affirme : « Il n’y a dans l’État aucune distinction d’ordres. Les Belges sont égaux devant la loi »[6]. Dans une société démocratique, les rapports d’autorité, ou de hiérarchie administrative et politique n’ont rien de « naturel », ils sont fonctionnels et renvoient en fin de compte à la volonté des citoyens électeurs. À ce titre, chaque citoyen « impose le respect » ou devrait l’imposer – et pas seulement au moment où les candidats à des élections le caressent pour obtenir sa voix mais dans toute circonstance de son existence de citoyen.
Il faut évidemment aller plus loin encore et dépasser les limites, d’ailleurs légitimes, des États et la problématique de la citoyenneté. Car nous sommes tous des humains et, quelle que soit notre appartenance nationale, des citoyens du monde. Le droit au respect découle immédiatement du premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »[7]. La formulation n’est pas anodine : avant même tout droit, il y a la dignité de la personne[8]. Entre la dignité et le respect, le lien est direct. Tous les êtres humains, en tant que tels, sont dignes de respect. Tous ils doivent, au sens décrit plus haut, inspirer le respect.
Cette affirmation va très loin, car, si on la prend au sérieux, ce sont toutes les relations humaines, y compris les rapports hiérarchiques, y compris les conflits de droits, y compris même les interventions nécessaires au maintien de l’ordre public, qui doivent être placées sous le signe du respect. Le droit au respect (à être respecté) est préalable à tous les autres droits. Il subsiste chez ceux et celles qui ne sont pas dans leur droit. Pour revenir aux exemples avec lesquelles nous avons introduit cette réflexion, les personnes qui se rendent coupables d’incivilités, les manifestants trop exubérants ont le droit d’être traités avec respect. La fermeté nécessaire pour assurer l’ordre public, oui, la sévérité, voire même la violence en certains cas (pour « tenir en respect » le déviant), encore oui, mais le traitement dégradant, l’humiliation, le mépris, non.
Ces cas extrêmes font percevoir crûment la caractéristique du droit au respect : il est essentiellement démuni, il n’a pas, comme tel, les moyens de se faire respecter. Il est en quelque sorte confié à la bonne volonté des autres. La dignité d’une personne n’est respectée que si elle est librement reconnue. Le droit au respect en appelle au devoir de respect qui s’impose à tout être humain à l’égard de son semblable. Nous sommes ainsi conduits vers le devoir de respect comme vers la condition nécessaire, la pierre de touche de toute société humaine digne de ce nom.
Le devoir de respect
S’il est ainsi fondé sur la reconnaissance de l’égale dignité de tout être humain en tant que tel, le devoir de respect ne dépend ni du rapport de forces, ni de l’ordre hiérarchique, ni de supériorités ou prestiges divers. Il ne les supprime pas. Il n’invalide pas l’approche progressive que nous avons faite du respect ni les cas de figure que nous avons répertoriés. Mais il les inscrit dans une réalité plus fondamentale. L’enfant continue à devoir le respect à ses parents mais ce respect répond à l’amour des parents qui est lui-même marqué par le respect : respect du petit être fragile et dépendant accueilli comme un trésor, respect de l’enfant qui grandit, découverte de son être, de sa personnalité. L’amour parental authentique est profondément respectueux et c’est ce respect « descendant » des parents pour leurs enfants qui est le vrai fondement et la meilleure assurance du respect que ceux-ci leur doivent. Par leur respect, ils inspirent le respect.
Il en va de même, avec des nuances variées et légitimes, de tous les autres rapports hiérarchiques : celui du maître et du disciple, bien évidemment, mais aussi celui du patron et de l’employé, du supérieur et du subordonné, de l’officier et du soldat, de toute autorité légitime dans un État et de tous les responsables de l’ordre public avec les citoyens. Inversant le rapport de bas en haut qu’on relie d’ordinaire à la notion de respect, le devoir de respect va de haut en bas. Il incombe d’abord au plus grand, celui qui a le savoir, la force, le pouvoir, l’autorité. Il invite à reconnaître la dignité du plus faible pour le protéger, du petit pour le faire grandir. Le devoir de respect est ainsi le principe de toute éducation – qu’elle soit familiale, première ou continuée – mais aussi le principe et la condition du bon fonctionnement de tous les rapports sociaux, de toute la vie économique, sociale et politique. On pourrait dire : de la civilisation.
À ce point de notre réflexion, nous sommes ramenés aux deux faits sociétaux dont nous étions partis : la protestation de nombreuses associations contre le vote jugé trop expéditif d’une loi sur la répression des incivilités (StopSac) et les manifestations en sens opposés des policiers et des associations mobilisées par la JOC.
Commençons par ce second point. Faire respecter l’ordre public n’est pas une tâche facile. Le métier de policier est un métier lourd, exposé, qui requiert des réactions rapides et des discernements difficiles. Un métier éminemment respectable et qui confine à la mission. La violence existe dans nos rues et dans nos quartiers – multiforme, insidieuse, imprévue. En particulier les manifestations diverses ne sont jamais tout-à-fait à l’abri de dérives violentes. Tenant compte de tout cela, on peut comprendre le ras-le-bol qui s’exprime dans la manifestation des policiers. Mais la manifestation contre les violences policières est tout aussi, et peut-être plus légitime encore. Car ce métier (cette mission) respectable requiert avant tout de ceux qui s’y engagent, le respect des citoyens, des personnes dont ils ont pour mission de favoriser et même, à la limite, de rendre possible le vivre ensemble, en faisant respecter l’ordre public. L’ordre public est au service du bien des citoyens. Il peut requérir des interventions musclées, il ne permet jamais la violence gratuite ni les traitements dégradants ou discriminatoires. La correction de la police est un élément fondamental de l’État de Droit, et, à cet égard, le peu d’écho que reçoivent les plaintes introduites auprès du Comité P – destiné en principe à assurer le bon fonctionnement des polices – est de nature à nous inquiéter sur la santé de notre société [9].
Quant à la loi sur les « Sanctions Administratives Communales », entrée en vigueur au 1er janvier de cette année, elle entend lutter contre les « incivilités » de toutes sortes qui attentent à la bonne tenue de nos villes et communes et troublent l’ordre public : tags, dépôts sauvages d’ordures, tapage public, stationnements intempestifs, etc. Bref, rien que de bonnes intentions, au service du respect mutuel. Ce que ses adversaires lui reprochent, outre la trop grande latitude laissée aux communes qui est de soi arbitraire et conduit à des absurdités, c’est surtout d’en avoir étendu l’application aux mineurs de 14 ans. La mesure montre bien que, tendanciellement, le public le plus visé par cette loi, ce sont les jeunes, et particulièrement ceux de certains milieux et quartiers. Les adversaires de la loi n’approuvent certes pas les incivilités ainsi prises en chasse mais ils estiment qu’elles ne sont que le symptôme de malaises plus profonds et, comme tels, appellent à une politique bien plus ambitieuse et positive de promotion éducative. On n’améliorera pas les comportements d’une certaine jeunesse, qui exprime par eux son malaise, voire sa détresse, par de la répression aveugle, « une politique de shérifs », il faut remédier aux causes, rendre possible et réel pour tous « l’accès à une éducation de qualité »[10], il faut des solutions sociales et politiques. En somme, ce que ses adversaires reprochent – à juste titre – à cette loi, c’est qu’elle ne respecte pas les citoyens que sa mise en application pourrait concerner. À ce titre, notre réflexion confirme que c’est à bon droit que le Centre Avec s’est joint à tant d’autres organisations pour s’y opposer…
Le don du respect
Le respect mutuel – de tous envers tous – apparaît donc bien comme une condition essentielle du bon fonctionnement d’une société. Il faut bien reconnaître que nous sommes loin du compte. Il faut sans doute même reconnaître que nous ne faisons que régresser sur ce point. L’évolution néo-libérale des dernières décennies et l’inégalité qui ne cesse de croître entre régions du monde et entre riches et pauvres dans chaque pays engendrent tout naturellement une culture dont les valeurs sont l’avoir, la consommation, le plaisir, la réussite. Ces « valeurs » sont répandues par toute la culture ambiante, les media, la publicité. Elles sont partagées par tous ceux qui y ont un accès, au moins minime, et même – peut-être plus encore – par ceux qui en sont exclus. Elles s’accompagnent, tout naturellement, de la peur de les perdre, de perdre le peu qu’on peut avoir, disons, de supériorité sociale, et c’est sans doute la source d’une surenchère sur les questions de sécurité. La crise n’a rien changé à cette dérive, elle ne fait que l’accentuer en rendant plus dure la compétition.
Il n’est pas facile d’aller à contre-courant. Refonder la société sur le respect demande une conversion fondamentale des mentalités et des choix politiques. Pourtant des points apparemment de détail, comme les deux exemples dont nous sommes partis, la sanction des incivilités et les violences policières, ont une importance symbolique considérable. Dans une société de compétition violente, le rôle de l’État, à commencer par ses représentants les plus directs, est d’assurer le respect élémentaire des personnes. Nous devons être exigeants, intransigeants sur ce point. Quand la société consumériste traite les personnes en fonction de leur valeur marchande, il est capital qu’au moins les représentants de l’autorité de l’État rappellent effectivement à chacun que tous sont égaux devant la loi. D’où l’exigence particulière du devoir de respect dans le chef des gardiens de l’ordre.
En disant cela, nous remettons au premier plan la responsabilité du politique, responsable du bien commun. Le politique, c’est-à-dire l’État, dans tous les rouages de son fonctionnement – les trois pouvoirs – et dans toute la complexité des procédures qui fondent son pouvoir. Dire cela renvoie à notre responsabilité à tous, citoyens, électeurs… Peut-être une des premières conclusions à tirer de cette réflexion sur le respect serait-elle de prendre au sérieux notre devoir d’électeurs et plus largement notre responsabilité de citoyens qui peuvent influencer la vie de la cité… Nous sommes renvoyés finalement à la société civile, c’est-à-dire à nous tous, dans nos options de tous les jours, dans notre mode de vivre, de penser, d’entrer en relation. On ne changera pas la société du jour au lendemain, mais faire vivre un monde de respect mutuel est une tâche de tous les jours qui rejoint chacun dans toutes les réalités de la vie et dans le plus profond de lui-même. Accepter, assumer cette tâche de bon cœur et foncièrement est le devoir et le bonheur de tout citoyen, de tout être humain. Mais c’est aussi un choix gratuit. C’est pourquoi nous avons intitulé cette dernière section de notre réflexion, au delà du devoir, « le don du respect ».
Notes :
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[2] Voir www.stopsac.be
[3] Petit Robert I. Dictionnaire alphabétique et analogique de la Langue française, éd. 1990.
[4] Le Petit Robert définit la crainte révérencielle en ces termes : « sentiment d’obéissance craintive ». Selon le Code civil français, art.180, la crainte révérencielle envers un ascendant peut être le motif d’une contrainte sur les époux ou sur l’un d’eux qui constitue une cause d’annulation du mariage.
[5] Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion. Paris, Gallimard, 1985, p.18.
[6] La Constitution Belge. 6e éd., 1994, art.10. .
[7] Déclaration universelle des Droits de l’Homme, article 1.
[8] L’importance de la dignité est bien mise en relief par Henri GOLDMAN, « ‘Égaux en dignité’, ou les chemins tortueux de l’émancipation », dans Marc JACQUEMAIN et Nadine ROSA-ROSSO, Du bon usage de la laïcité. Bruxelles, Aden, 2008, pp. 172-183.
[9] On peut mentionner ici une affaire qui a fortement ému l’opinion publique flamande, celle de la mort en cellule d’isolement de Jonathan Jacob. Le décès de ce jeune homme a été précédé de nombreux gestes ou décisions inappropriés de la part de différents services de l’ordre : les policiers locaux qui ont menacé cette personne psychologiquement fragile avec un chien d’intervention, les services d’intervention qui ont provoqué les lésions mortelles en cellule d’isolement, le magistrat qui n’a pas pris les décisions adéquates, la clinique psychiatrique qui a refusé d’interner le jeune homme, le médecin de la police qui a supervisé l’assaut final. L’affaire a fait l’objet d’une enquête télévisée sur la VRT (http://www.canvas.be/programmas/panorama/server1-4f4f0310%3A13bae8811da%… ) et d’un essai de l’auteur engagé Tom Lanoye (http://www.lanoye.be/tom/wp-content/uploads/2014/01/kerstpamflet.pdf). Tous les acteurs ont été acquittés. Dans un registre moins dramatique mais plutôt ridicule, mentionnons la mésaventure de David Murgia, jeune comédien, Magritte du meilleur espoir en 2013 qui, pour ce qui n’est même pas une peccadille, s’est fait enfermer toute une journée au commissariat. Voir http://www.levif.be/info/actualite/belgique/david-murgia-magritte-du-meilleur-espoir-masculin-accuse-la-police-de-bruxelles-de-violences/article-4000601683281.htm. Quelques jours plus tard, d’autres faits concernant la même zone de police (Bruxelles-Ixelles) étaient dénoncés au Journal Télévisé de la RTBF.
Dans cet état de choses, on jugera bien opportune la publication de : Mathieu BEYS, Quels droits face à la police. Manuel juridique et pratique, Liège, Jeunesse et Droit ; Mons, Couleur livres, 2014.
[10] Voir à ce sujet Une éducation de qualité pour toutes et tous, analyse du Centre Avec, septembre 2013. Voir www.centreavec.be