Démocratie participative
On connaît assez bien la démocratie représentative. Elle fait l’objet de critiques. Que penser alors de la démocratie participative ? Ne serait-elle pas la solution au déficit de démocratie ? Le présent document commence par constater certaines expériences de démocratie participative. Il évoque le Budget participatif à Porto Alegre (Brésil) et dans d’autres pays d’Amérique du Sud et même d’Europe. Il examine aussi des expériences belges, en particulier en région bruxelloise. Ce bref examen met en évidence la diversité des formes que peut prendre la démocratie participative. Il permet également de conclure que si la démocratie participative est difficile, elle est possible. Elle est même nécessaire : n’entrant pas en concurrence avec la démocratie représentative, elle contribue au bon exercice de celle-ci. Il importe enfin qu’elle ne se substitue pas à elle
1. Constatons tout d’abord que certaines expériences existent.
1.1. La plus connue aujourd’hui est celle du Budget participatif à Porto Alegre. Dans cette ville brésilienne (du Rio Grande do Sul), qui compte environ 1.300.000 habitants, le Parti des Travailleurs (PT) est arrivé au pouvoir en 1989. Peu après les autorités publiques ont lancé ce mode de démocratie participative qui a aujourd’hui plus de 15 ans d’existence. Cette expérience a manifestement relancé ailleurs l’idée de la démocratie participative : au Brésil bien sûr, mais aussi en Europe. Ainsi, un réseau URBAL n° 9, « Financement local et budget participatif » s’est-il constitué. Il est coordonné par la ville de Porto Alegre et soutenu par l’Union européenne. En février 2004, une semaine de lancement s’est tenue à Porto Alegre. Elle a rassemblé environ 400 personnes, avec en particulier des représentants venant de 73 villes d’Amérique latine et 17 d’Europe (12 pays des deux continents). Un document de base Budget participatif et finances locales fait un premier bilan de 25 expériences en cours en Amérique latine et en Europe, couvrant la période 1989-2003 (les plus anciennes remontant à 1989 ou 1990, les plus récentes à 2002 ou 2003) : Brésil (11), Mexique (1), Argentine (2), Uruguay (1), Pérou (2), Equateur (2), Colombie (1), France (2), Espagne (1), Italie (1), Allemagne (1)[1].
Aujourd’hui le réseau compte 215 participants en Amérique latine et 115 en Europe[2].
1.2. En ce qui concerne l’Europe, il est intéressant de constater que sur les 115 participants au réseau URBAL n° 9 on peut dénombrer environ 75 municipalités ou régions (Allemagne 2, Belgique 3, Danemark 1, Espagne 28, France 6, Italie 32, Portugal 3). S’y ajoutent, comme associés externes, des associations ou organisations de recherche ou de formation. Par exemple, en France, le réseau Démocratiser Radicalement la Démocratie (DRD). En Belgique, Habitat et Participation et Periferiaau nom du Groupe Participatie[3].
1.3. Au cours de mon investigation, j’ai remarqué qu’en France une rencontre nationale a eu lieu (26 avril 2003) à Bobigny, cette ville d’environ 45.000 habitants, proche de Paris, qui a déjà réalisé depuis environ 1995 plusieurs expériences de participation et semble vouloir commencer une démarche de budget participatif. Cette rencontre était co-organisée par la ville et par le réseau Démocratiser Radicalement la Démocratie. Elle a été l’occasion de faire le point sur une série d’expériences menées dans une dizaine de municipalités françaises[4].
1.4. En Belgique, plusieurs organisations ont constitué fin 2000 le Groupe Participatie : groupe de réflexion, d’échange, de proposition et d’appui pour une participation citoyenne. Avec le soutien du Service public fédéral chargé de la Politique des grandes villes, il a réalisé en 2003 une recherche (étude-action) « pour la mise en place de processus participatifs en milieu urbain », et cela dans six « grandes villes » du pays (deux dans chacune des trois régions : bruxelloise, flamande et wallonne). Les critères de choix étaient les suivants : existence de quartiers avec une population défavorisée ; existence de groupes de base ouverts à la question de la participation et prêts à travailler avec les pouvoirs locaux ; des élus et des administrations prêts à travailler la question de la participation[5].
1.5. Je vous propose de regarder de plus près la commune de Schaerbeek, où j’habite (Région de Bruxelles-Capitale). Elle compte environ 108.000 habitants, avec environ 30 % de personnes d’origine étrangère (turque, marocaine) mais dont la plupart ont la nationalité belge. Avec un taux de chômage assez élevé et des finances communales difficiles. Schaerbeek est une des six villes où s’est déroulée, en 2003, la recherche que je viens de mentionner.
1.5.1. Les autorités communales se sont engagées à travailler, avec l’aide du Groupe Participatie(comme facilitateur externe), à « l’élaboration et la préparation de processus participatifs dans la commune ». Elles ont demandé à l’administration communale de s’y impliquer. La ville souhaitait redynamiser le Conseil consultatif de prévention (de l’insécurité) en y associant la population. Deux quartiers de la commune ont été choisis. Des acteurs locaux se sont réunis à plusieurs reprises. Ils ont rapidement estimé qu’il fallait aller au-delà des questions de sécurité et élargir le débat au mode de relation entre le quartier et la commune.
Ils ont mis en évidence quatre fonctions indispensables pour permettre le dialogue et l’action :
- établir un dialogue régulier entre Collège municipal et population du quartier pour définir les actions à mettre en œuvre
- assurer un suivi permanent pour garantir la réalisation des actions, la transversalité et la transparence des informations (par exemple pour intégrer d’autres aspects du quartier…)
- élaborer et approfondir des propositions spécifiques
- coordonner l’exécution des actions.
Le travail développé dans les deux quartiers a également identifié des conditions plus concrètes pour une réelle participation des quartiers à la vie communale. À titre d’exemples, voici quelques suggestions qui ont été faites :
- créer des « mises en scène » pour que chacun puisse comprendre et prendre la parole
- informer sur les moyens financiers et en personnel (transparence)
- définir le rôle et les qualités de l’animateur (indépendant, objectif)
- inviter tous les habitants aux réunions élus/habitants et diffuser les comptes rendus (sous forme de toutes-boites)
- prendre au sérieux la parole et les souhaits des habitants (pas de participation alibi !)
- coordonner l’action des services communaux
- assurer la cohérence et le suivi dans la durée (par exemple, avoir une personne de référence au sein de la commune)
- travailler sur des objets concrets pour permettre un résultat qui dynamise la démarche
- concevoir un système d’évaluation.
Cette recherche a souffert de plusieurs limites : elle s’est concentrée sur un nombre limité de quartiers (ceci n’est pas fort important, puisque la recherche était plutôt qualitative) ; elle n’a duré que quelques mois ; la participation des habitants a été très réduite. Néanmoins elle a eu le mérite d’exister, elle a entamé un processus de dialogue politique, elle a permis de présenter à la commune un ensemble de propositions pour associer davantage les citoyens et les autorités au développement de la commune[6].
1.5.2. Indépendamment de cette recherche, d’autres démarches participatives existent à Schaerbeek.
Ainsi, dans le domaine de la rénovation urbaine. Bien sûr, depuis longtemps, toute transformation de bâtiment est soumise à une enquête publique préalable (commodo-incommodo) auprès des habitants du voisinage. Mais il y a plus : sensible aux besoins de rénovation et de revitalisation[7] de quartiers posant problème, la Région de Bruxelles-Capitale, dont Schaerbeek fait partie, à mis en place des « contrats de quartier » (en 1994) avec la préoccupation d’impliquer les habitants[8]. Pour l’élaboration de tout contrat de quartier, tous les habitants du quartier doivent être invités (par un toutes-boites) à une assemblée générale où ils seront informés et où ils éliront des représentants à une Commission locale de développement intégré (CLDI). Celle-ci a pour rôle de donner son avis sur le programme de rénovation-revitalisation avant approbation par la commune et la Région[9] et également de donner son avis tout au long de la mise en œuvre du programme (4 années). L’assemblée générale du quartier doit également être réunie (deux fois par an) durant la période de mise en œuvre. A Schaerbeek, une association indépendante (RenovaS – Rénovation à Schaerbeek) a reçu pour mission de coordonner les contrats de quartier et de veiller à leur réalisation en étroite liaison avec les services communaux ; elle a également pour mission de veiller à la participation des habitants (information, sensibilisation, animation). C’est un travail important, où il importe de prendre en compte le caractère multiculturel de la commune.
L’instauration des Commissions locales de développement intégré vise donc à associer les habitants des quartiers aux actions et décisions qui les concernent dans la rénovation-revitalisation de leur quartier. Il y a là une forme intéressante de démocratie participative, avec ses aspects d’information, de consultation, voire même d’une certaine concertation (dans la mesure où il y a un certain va-et-vient entre les citoyens et les décideurs)[10]. Est également présent un certain suivi dans le temps. De plus, cette forme de démocratie participative bénéficie d’une structure formalisée officielle. Enfin, elle concerne des réalisations qui ne sont pas négligeables (en 2003 le financement des contrats de quartier dans la Région de Bruxelles-Capitale représentait 40 millions d’euros).
Après quelques années d’expérience, peut-on dire que c’est une réussite ? Sur le site « officiel » de la Région de Bruxelles-Capitale, on peut lire : « comme toutes les idées neuves, ce principe d’échange (participatif) a mis quelque temps à se concrétiser. De plus, il a bien fallu constater que sa mise en œuvre sur le terrain dépendait fortement de la volonté et du dynamisme des pouvoirs locaux ». Par ailleurs, les gens n’ont pas l’habitude qu’on demande leur avis. Il faut du temps et de l’énergie pour les habituer et les motiver à participer. A Schaerbeek, l’expérience des dernières années semble plutôt positive.
1.5.3. Signalons qu’il existe, et pas seulement à Schaerbeek, des conseils (consultatifs) officiellement installés : seniors, personnes handicapées, jeunes. En outre, les autorités communales ont prévu un droit de pétition : moyennant 100 signatures une pétition sera présentée au conseil communal, qui doit l’écouter et donner réponse, sans néanmoins qu’il y ait d’échange à ce sujet. C’est ainsi qu’une pétition (plus de 500 signatures) a été adressée au conseil communal à propos d’une piscine municipale que la commune voulait fermer. Finalement la commune a revu sa décision et a rénové la piscine.
1.5.4. La démocratie participative peut également se pratiquer en dehors de tout cadre d’organisation officielle. Ainsi les comités de quartier. J’ai, par exemple, participé il y a quelques années au comité du quartier « Place de la Reine » qui, pendant deux ans, a fait des propositions de réaménagement d’une place entourant l’église du quartier (Sainte-Marie). Epaulé par une association de défense et protection de l’environnement, il a obtenu de la commune et de la Région ce réaménagement (changement du sens de la circulation routière, réaménagement des voies du tram, embellissement de la place).
Autre exemple : Démocratie schaerbeekoise. Il s’agit d’un groupe qui s’est constitué en 1988 pour lutter contre le comportement raciste du bourgmestre de l’époque. Il veut être « un mouvement pluraliste et indépendant de tout parti, qui vise à une meilleure information et participation des citoyens au système communal ». Le groupe compte aujourd’hui environ 170 membres.
Le groupe suit de près, avec un regard critique, la politique de la commune. Une équipe assiste aux réunions du conseil communal et en publie régulièrement les comptes rendus dans le trimestrielDémocratie schaerbeekoise. Ce trimestriel, qui traite aussi de questions significatives pour la commune, est diffusé à environ 220 exemplaires et est notamment envoyé aux élus de la commune (qui semblent y être sensibles).
Le groupe organise régulièrement des assemblées (ouvertes également aux non membres) consacrées à un thème de la vie communale. Il veut, en effet, aider les concitoyens à être plus conscients, plus compétents et plus responsables afin d’enrichir notre vie démocratique. Sensible à la démarche du budget participatif de Porto Alegre, il a organisé en 2001 une rencontre sur la démocratie participative. En 2004, avec l’aide d’experts, il a mis sur pied une formation à la lecture et l’analyse du budget communal (deux demi-journées)[11] et a consacré une assemblée générale où le bourgmestre, l’échevin des finances et un conseiller communal de l’opposition ont précisé la réalité budgétaire de la commune. Il a, enfin, demandé au bourgmestre et à l’échevin des finances de présenter, lors d’une séance publique à l’hôtel de ville, les tenants et aboutissants du budget communal. Cette rencontre a réuni une quarantaine de personnes, moins que ce que nous aurions souhaité. Nous touchons ici du doigt la difficulté, récurrente, d’intéresser et de mobiliser les personnes de la base. Cette rencontre a néanmoins permis un échange intéressant entre habitants et autorités communales. Les contacts avec les autorités communales sont d’ailleurs actuellement assez positifs.
2. À partir des expériences qui ont été évoquées, je voudrais émettre quelques réflexions.
2.1. La démocratie participative revêt des formes diverses et se situe à plusieurs niveaux : information, consultation, concertation, contrôle, décision. Le niveau décisionnel semble difficile à atteindre. Nous retrouvons ici la question de la démocratie directe et du referendum (façon dont une question est posée, débat suffisant pour éclairer les enjeux, contexte non biaisé pour que la réponse concerne réellement la question posée…). Joue ici également la proportion du nombre des personnes qui s’impliquent dans la démarche (décisionnelle) par rapport à l’ensemble de la population concernée.
2.2. La démocratie participative est difficile. S’informer sur les éléments d’une situation, analyser et comprendre, réfléchir aux éléments de réponse aux problèmes qui se posent, en tenant compte de l’environnement et de l’avenir… Tout cela est exigeant, réclame temps et énergie. D’où peut-être l’importance de délimiter l’objet sur lequel portera la démarche participative (mobilité, voirie, santé, enseignement, revitalisation d’un quartier, budget communal, etc…). D’où l’importance d’associations qui peuvent apporter l’aide de leur expertise pour une animation objective et sérieuse. De plus, il faut faire attention aux groupes de pression (préoccupés de leur seul intérêt particulier, sans aucun souci de l’intérêt de l’ensemble / le bien commun) et à la manipulation (cela existe aussi dans de petits groupes, comme j’ai pu le constater dans un comité de quartier).
2.3. La démocratie participative est nécessaire et n’est pas en concurrence avec la démocratie représentative. Elle peut contribuer à une meilleure préparation des décisions. Elle aide les citoyens qui s’y engagent à mieux comprendre les choix à faire et au besoin à opter pour des solutions qui leur coûteront (on sait que, mis dans le coup, des citoyens ont choisi d’augmenter les impôts). Les citoyens développent leurs capacités citoyennes et prennent leurs responsabilités. Elle pousse les élus et les services administratifs à prendre en compte les besoins de la population, à mener des politiques plus efficaces et plus transparentes.
2.4. La démocratie participative ne doit pas se substituer à la démocratie représentative. Les personnes officiellement élues par l’ensemble des citoyens ont une légitimité qui doit permettre la réelle recherche du bien de l’ensemble / bien commun. À cet égard, je pense que le vote obligatoire est plus démocratique : le citoyen a non seulement un droit mais aussi un devoir civique de voter. Il est de la dignité de l’être humain d’assumer ses responsabilités à l’égard de lui-même et de ses proches, à l’égard aussi de la société dans laquelle il vit.
Notes :
-
[1] Voir site www.urbal9.palegre.com.br. On y trouve notamment un intéressant Document de base(104 p.) dans plusieurs langues. Une autre rencontre du réseau URBAL n° 9 s’est tenue en Espagne, à Cordoba (juin 2005). Signalons un intéressant numéro spécial de la revue La Era Urbana (La Revista de la ciudad global) marzo 2004, consacré à « Presupuestos Participativos » (71 p. téléchargeable sur le site www.pgualc.org). Ce numéro a été élaboré par le Programme de Gestion Urbaine, coordination régionale pour l’Amérique latine et les Caraïbes (PGU-ALC, qui est une initiative du PNUD, Programme des Nations Unies pour le développement).
[2] Listes disponibles sur le site.
[3] Site de DRD : www.budget-participatif.org (rubrique documents). Pour Habitat et Participation, voir www.habitat-participation.be. Pour Periferia, voir www.periferia.be. Signalons aussi le Réseau Capacitation Citoyenne, animé par Periferia et par Arpenteurs (groupe français, 9 place des Écrins, F-38600 Fontaine, site : www.arpenteurs.fr). Ce réseau regroupe des expériences diverses de groupes locaux et promeut le développement des capacités (« capacitation ») de chacun à participer et intervenir dans la vie collective, à agir sur le quotidien pour le transformer. Il a publié à ce jour quelque 25 livrets où les groupes eux-mêmes font part de leurs expériences singulières. Celles-ci font l’objet d’échanges entre les membres du réseau et au-delà (site : www.capacitation-citoyenne.org).
[4] Voir site www.budget-participatif.org (rubrique documents).
[5] Voir les documents Consultations Citoyennes dans des grandes villes belges (Étude de faisabilité et préparation pour la mise en place de processus participatifs en milieu urbain), Rapport final + Annexes, septembre 2003. Les principales organisations qui ont mené cette recherche d’étude-action : Periferia (Région bruxelloise et coordination générale) ; Bond Beter Milieu (Région flamande) ; Habitat et Participation (Région wallonne). Periferia, rue de Londres 18, B-1150 Bruxelles ; mail : periferia@skynet.be.
[6] Comme dit plus haut, cette recherche avait porté sur 6 villes belges : Schaerbeek et Anderlecht en Région Bruxelles-Capitale ; Antwerpen et Gent en Région flamande ; Mons et Charleroi en Région wallonne.
[7] Progressivement la dimension de « rénovation urbaine » (logement et espaces publics) s’est élargie à celle de « revitalisation » des quartiers (avec les aspects économiques, sociaux, culturels, d’insertion socio-professionnelle et de cohésion sociale).
[8] Voir le site www.quartiers.irisnet.be (Revitalisation des quartiers en Région de Bruxelles Capitale).
[9] Après avis de la CLDI, le programme doit également faire l’objet d’une enquête publique.
[10] L’aspect « contrôle » n’est guère pris en compte et il n’y pas ici de décision prise par la base, comme ce pourrait être le cas si on prévoyait une mise à disposition d’une enveloppe budgétaire dont l’utilisation serait décidée en dernier ressort par les habitants du quartier.
[11] Une brochure a été publiée : Comprendre pour agir : les Finances communales (avril 2005, 17 p.). Adresse de contact : Christian Van Uffel, rue Guido Gezelle 53, B-1030 Bruxelles (mail : demoscha@swing.be).