Droit de vote des résidents étrangers non-européens : enfin une réalité
Le droit de vote des résidents étrangers non-européens est devenu une réalité grâce à la publication d’une circulaire ministérielle mettant en oeuvre la loi votée en mars 2004. Une étape importante dans le combat pour une citoyenneté de résidence.
La circulaire ministérielle, datée du 30 janvier 2006, qui définit les situations de séjour légal permettant aux résidents étrangers non-européens de participer aux élections communales d’octobre a été publiée au Moniteur belge du vendredi 3 février dernier.
Cette publication est une étape importante dans l’accès des ressortissants étrangers non-européens au droit de vote. Si celui-ci est depuis la loi du 19 mars 2004 ouvert pour les élections communales, avant la publication de cette circulaire, il restait un droit virtuel. Les dispositions pratiques prévues par cette circulaire permettent l’accès effectif de ces milliers de personnes établies, pour la plupart, depuis longtemps dans notre pays.
Un parcours de longue haleine
Le chemin pour arriver à cela a été long. Le combat des associations pour obtenir ce droit remonte à près de 30 ans. En octobre 1976, à l’occasion des élections communales, 33 organisations belges et 35 étrangères, dont les sections belges de plusieurs partis étrangers (PS français, italien et grec, PC italien, espagnol et grec, social-démocrates italiens, démocrates-chrétiens italiens), se regroupèrent pour constituer Objectif 82, dont le but était d’obtenir la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité des non Belges pour les élections communales de 1982, mais aussi un statut plus sûr pour eux, ainsi qu’une loi contre le racisme. Puisque les étrangers, que l’on disait plutôt immigrés, partageaient le même espace social, il convenait qu’ils puissent participer à la vie locale en exprimant leur vote. Les associations membres de la plate-forme constataient, en outre, que les mandataires et les candidats ne tenaient nullement compte de la présence de ces étrangers dans leur commune et, parfois même, allaient jusqu’à les caricaturer ou à tenir à leur égard des propos racistes et xénophobes, cherchant par ces attitudes démagogiques à flatter leur électorat.
Il faut rappeler ici que le droit de vote aux élections communales a été reconnu aux ressortissants des pays de l’Union européenne. Ceci en vertu d’une directive européenne prise le 19 décembre 1994 et qui déclare dans son article premier : « La présente directive fixe les modalités selon lesquelles les citoyens de l’Union qui résident dans un État membre sans en avoir la nationalité peuvent y exercer le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ». La Constitution belge a pour ce faire été modifiée. Et le combat pour l’octroi du droit de vote aux résidents non-européens en a été réactivé.
Le vote de la loi ouvrant aux étrangers non européens le droit de participer aux élections communales en tant qu’électeurs a enfin eu lieu le 19 mars 2004. Par cette loi, la Belgique rejoignait plusieurs pays membres de l’Union européenne. Ce sont, par ordre chronologique de l’octroi de ce droit : l’Irlande (1963), la Suède (1976), le Danemark (1981), les Pays-Bas (1986), l’Estonie (1993), la Finlande (1996), la Slovénie (2002), la Lituanie (2002), le Luxembourg (2003).
Cette loi de mars 2004 donne accès au droit de vote mais pas au droit d’être éligible. Cette distinction est une première en Belgique. En effet, depuis que les femmes ont obtenu le droit de vote (1948) et jusqu’alors, le droit de vote comportait ipso facto l’éligibilité de celui qui en jouit.
La nouvelle disposition insère dans la loi électorale communale, coordonnée le 4 août 1932, un article 1er ter. Celui-ci dit : « Peuvent également acquérir la qualité d’électeur pour la commune, les étrangers pour lesquels l’article 1er bis ne s’applique pas pour autant que : 1° ces étrangers introduisent auprès de la commune dans laquelle ils ont établi leur résidence principale, une demande écrite conforme au modèle fixé par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, et mentionnant :
- leur nationalité;
- l’adresse de leur résidence principale;
- une déclaration par laquelle l’auteur de la demande s’engage à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Une attestation de cette déclaration est remise à l’intéressé. En cas de demande ultérieure d’inscription sur la liste des électeurs d’une autre commune, la personne concernée produit cette attestation. »
Et le texte ajoute : « (pour autant que) ces étrangers aient établi leur résidence principale en Belgique de manière ininterrompue pendant les cinq ans précédant l’introduction de la demande. »
Un amendement voté le 23 décembre 2005, dans une loi portant des dispositions diverses ajoute la notion de ‘séjour légal’ à cette loi du 19 mars 2004. En voici le texte : « CHAPITRE II. – Modification de la loi électorale communale, coordonnée le 4 août 1932 – Art. 59. L’article 1erter, alinéa 1er, 2°, de la loi électorale communale, coordonnée le 4 août 1932, inséré par la loi du 19 mars 2004, est remplacé par la disposition suivante : « 2° ces étrangers puissent faire valoir au moment de l’introduction de la demande cinq années ininterrompues de résidence principale en Belgique couvertes par un séjour légal. »
Cet amendement stipule donc que les cinq années de résidence principale ininterrompue dont l’étranger doit se prévaloir pour s’inscrire sur les listes électorales doivent être couvertes par un ‘séjour légal’.
La circulaire détaille donc ce qui doit être entendu quand on parle de ‘séjour légal’. En effet, jusqu’à présent, cette notion n’était pas définie juridiquement, à l’exception d’un texte sur les permis de travail de février 2003. Elle retient finalement une conception extensive de la notion, comme le demandait la CNAPD, au nom de la plate-forme « Tous résidents, tous citoyens » dont le Centre Avec est un membre très actif. Le long travail d’expertise et d’interface mené ces dernières années entre le monde associatif et les décideurs politiques a donc été payant à cet égard.
Contenu de la circulaire ministérielle
La circulaire du ministre de l’Intérieur est adressée aux communes. Ce sont en effet les collèges des bourgmestres et échevins de chaque commune qui sont responsables de l’établissement des listes des électeurs et auront donc à examiner les demandes d’inscription des résidents étrangers sur ces listes.
Cette circulaire reprend tout d’abord les principes relatifs énoncés par la loi du 19 mars 2004 :
Cadre général de la loi
Tout ressortissant non-européen résidant en Belgique a, s’il réunit les conditions déterminées par la loi, le droit de vote aux élections communales.
Il peut pour cela en faire la demande auprès de sa commune de résidence à tout moment sauf entre le 1er août précédant les élections et le jour de ce scrutin. Cette année, il faut donc déposer sa demande d’inscription sur les listes d’électeurs avant le 31 juillet.
Si la demande est agréée, il est, comme tout Belge, obligé de voter. Il n’a pas à renouveler par la suite sa demande d’inscription sur les listes d’électeurs. Celle-ci est automatique. Il peut toutefois renoncer à sa qualité d’électeur.
Modalités d’introduction de la demande auprès de la commune
Les citoyens non-européens peuvent déposer ou remplir par courrier le formulaire d’inscription. Un récépissé est alors délivré.
Les formulaires de demande d’inscription, qui doivent être mis gratuitement à la disposition des électeurs non-belges par les communes, sont disponibles en ligne (Moniteur belge du 20 janvier 2006).
Conditions de l’électorat
Les citoyens étrangers non-originaires d’un pays de l’Union européenne doivent :
- être inscrits aux registres de la population (registre de la population ou registre des étrangers) de la commune où ils introduisent la demande
- avoir atteint l’âge de 18 ans au plus tard le jour des élections
- jouir de leurs droits civils et politiques
- s’engager lors de l’introduction de la demande à respecter la Constitution, les lois belges et la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
- faire valoir lors de l’introduction de la demande cinq années de séjour couvertes par un séjour légal.
Et c’est ici que l’on mesure ce que la circulaire vient clarifier, puisqu’elle définit les documents suffisants pour établir la légalité du séjour en question.
Ces documents sont :
- la carte jaune (la carte d’identité d’étranger) ;
- la carte blanche, ou « Certificat d’Inscription au Registre des Étrangers » (CIRE), qu’il soit à durée limitée ou illimitée ;
- la carte orange (c’est-à-dire l’attestation d’immatriculation modèle A – annexe 4 que l’on reçoit lorsque l’on est en attente d’une décision définitive lors d’une procédure concernant une demande de regroupement familial ou lorsque une demande d’asile a été jugée recevable) ;
- l’annexe 35 (il s’agit du titre de séjour délivré lorsqu’un recours a été introduit contre une décision d’expulsion)
- les annexes 25 et 26 : lorsque le statut de réfugié a été reconnu, la durée du séjour est calculée depuis l’introduction de la demande d’asile.
La durée de validité de ces différents documents est cumulable, c’est-à-dire que l’on peut faire valoir, pour le calcul des cinq années de résidence, la possession successive de plusieurs d’entre eux (3 années de carte blanche + 2 années de carte jaune, etc.)
Un doute, néanmoins, subsiste sur la prise en compte des annexes 25bis et 26bis dont on nous dit qu’elles pourraient être « éventuellement » reconnues. Ces annexes sont des documents notifiant l’irrecevabilité d’une demande d’asile et elles peuvent être contestées par des recours devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides et, par la suite, devant le Conseil d’État.
Si au terme du recours le demandeur est reconnu comme réfugié, pourra-t-on prendre les annexes 25bis et 26bis en compte ?
Dans l’avenir
L’ouverture du droit de vote aux résidents étrangers non-européens concerne quelques 150000 électeurs possibles. Toutefois, et ce point est important, bon nombre « d’étrangers » dans notre pays ne le sont plus puisqu’ils ont demandé et obtenu la nationalité belge. Ce phénomène est significatif et a entraîné un changement de discours dans le chef des responsables politiques. Il n’est plus possible pour eux de ne pas tenir compte de la diversité de cultures, de religions et d’opinions présente dans le pays.
Toutefois, des pas doivent encore être franchis. Tout d’abord, il faut que soit annulée la disposition de la loi qui oblige à « une déclaration par laquelle l’auteur de la demande s’engage à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » En effet, cette déclaration n’est pas demandée aux électeurs européens et encore moins aux électeurs belges. Cette déclaration laisse planer le doute sur le comportement des étrangers. Elle est discriminatoire.
Il faut ensuite que le droit d’éligibilité aussi soit octroyé aux résidents non-européens. C’est une question de principe qui vise l’égalité de traitement de tous les étrangers, européens ou non, résidents sur notre territoire. C’est une question de justice pour ceux et celles qui partagent les mêmes quartiers, les mêmes espérances d’une vie plus juste, plus libre, plus solidaire…