Le 01 septembre 2011

Éduquer à l’environnement à l’école

Pourquoi et comment ?

Aujourd’hui, partout en Belgique, des centaines d’écoles se lancent dans des projets d’Education relative à l’environnement (ErE[1]), de la maternelle au secondaire. Création d’une pièce de théâtre sur l’écologie, participation d’élèves au Parlement des jeunes bruxellois pour l’environnement, réalisation d’une mare ou du tri sélectif des ordures, les idées sont extrêmement diversifiées.
 

La préoccupation pour l’environnement n’a pourtant, pendant longtemps, pas fait réellement partie intégrante des programmes scolaires belges. S’agit-il du résultat de l’urgence écologique à laquelle nous faisons face aujourd’hui ?  Si c’est le cas, il serait alors logique que l’école s’approprie les questions environnementales puisque, comme l’a bien montré Hervé Kempf[2], crise écologique et crise sociale sont intrinsèquement liées et, l’école agissant dans le champ social, elle traitera naturellement également des questions environnementales. Ces projets d’ErE répondraient-ils à la mission fondamentale de l’école, à savoir d’aider les enfants et jeunes adultes à comprendre le monde pour qu’ensuite se développent les moyens d’agir dans et avec ce monde ?  Une enquête réalisée à l’occasion des Assises de l’Education relative à l’environnement et au développement durable (ErEDD) en 2011[3] semble confirmer cet élément, ayant mis en évidence le fait que, selon les personnes questionnées, les principaux effets favorables des projets d’Education relative à l’Environnement seraient l’apprentissage de la citoyenneté, l’apport de sens aux apprentissages et la motivation (des jeunes et des enseignants)[4].

Dans ce contexte, il importe de savoir depuis quand cette notion d’éducation relative à l’environnement a été perçue comme devant être portée par le monde scolaire, et comment, dans l’enseignement actuel, on peut lui faire une place. Car s’agit-il en fait simplement d’intégrer ces questions environnementales dans l’école comme un thème parmi d’autres ?

L’intégration de l’ErE à l’école : une idée récente ?
 

L’histoire de l’éducation relative à l’environnement s’ancre dans le siècle des Lumières, en France, au moment où se développe également l’éducation populaire. On trouve en effet chez Jean-Jacques Rousseau, dans Emile ou de l’éducation, une première trace de l’importance d’une éducation incluant la notion d’environnement. Rousseau y présente sa conception éducative, en évoquant les trois maîtres que sont la nature, les hommes et les choses. Si certains des préceptes énoncés par le philosophe peuvent paraître critiquables aux yeux de lecteurs et pédagogues du XXIème siècle, il fut toutefois l’un des premiers à considérer essentiel que l’élève soit amené à vivre la nature, à la sentir, à comprendre les liens entre son existence d’être humain et les rythmes de la terre.

Au cours du XXème siècle, de nombreux pédagogues ont progressivement développé des pratiques éducatives incluant le milieu et l’environnement et ont ainsi contribué à alimenter la réflexion et les pratiques à ce sujet. Parmi eux, Freinet[5] mit en avant l’importance d’un « contact authentique avec la nature » pour permettre à l’enfant de grandir harmonieusement. Freinet avait ce souci de permettre à l’enfant de se développer en relation et en interaction avec un univers à sa mesure, « en rencontrant les ‘réalités premières’ – la terre, l’eau, le ciel, le feu – dont la densité anthropologique interpelle aussi bien l’intelligence que la sensibilité »[6].

Cette préoccupation d’intégrer l’environnement aux différents volets de la pédagogie scolaire était aussi celle de Decroly, pédagogue belge[7]. L’une des idées-clés de l’auteur de « Vers l’école nouvelle » (1921) est en effet la suivante : « L’école devra se trouver partout où est la nature, partout où est la vie, partout où est le travail ».

L’expression même d’« éducation à l’environnement » devra toutefois attendre les années 1970 et les préoccupations grandissantes concernant l’avenir de la planète pour commencer à être réellement utilisée et diffusée largement. Les menaces écologique, climatique et énergétique placent en effet la société dans son ensemble devant des questions inédites et pressantes qui requièrent que les acteurs de tous les secteurs, dont celui de l’éducation, repensent leur rapport à la planète et à l’humanité. L’école est donc l’un des lieux où l’éducation à l’environnement, mais aussi au développement durable (ErE-DD), doit prendre place. Il s’agit en effet d’élaborer une éducation à la responsabilité et à la citoyenneté planétaire, et ceci s’ancre parfaitement et naturellement dans les missions de l’école actuelle[8].

Comme le rappelait Marie-Dominique Simonet, Ministre de l’Enseignement obligatoire en Communauté française, lors des récentes Assises de l’Education relative à l’Environnement (ErE) et au Développement Durable à l’école (DD) en avril 2011, « le fait d’aider les élèves à construire des représentations valides et adéquates sur des questions environnementales, constitue un apprentissage transversal intégrant de nombreuses compétences inscrites dans les programmes et les référentiels »[9].

L’ErE-DD doit y prendre place, mais en fonction des spécificités de l’école !

Pas évident à mettre en œuvre…
 

Si tout le monde est aujourd’hui d’accord pour reconnaître l’importance d’une éducation aux différentes dimensions du milieu et de la nature, il est pourtant loin d’être toujours évident de se lancer dans un projet lié à l’environnement à l’école : manque de temps, de moyens, d’appui de la direction, sentiment de solitude face à des initiatives qui semblent exiger une énergie démesurée, difficultés de communication avec les collègues ou les élèves eux-mêmes, peur de se lancer dans un sujet parfois perçu comme requérant des compétences trop « techniques », etc. Et pourtant, à en croire une autre enquête (Aped, 2008) portant sur les « savoirs citoyens critiques », il serait urgent de passer à la vitesse supérieure à ce sujet. Malgré toute la prudence de mise face à ce type d’enquêtes de « connaissance » et de résultats, il semblerait en effet que, concernant le volet environnement et développement durable, seuls 45% des élèves savent ce qu’est une énergie renouvelable ; près de 9 sur 10 ignorent les causes du réchauffement climatique et, en moyenne, les élèves pensent que l’empreinte écologique des Belges peut encore doubler avant d’atteindre la limite des ressources naturelles et minérales disponibles sur terre. Les résultats seraient aussi inquiétants pour les autres volets de l’étude (relations nord-sud, inégalités économiques, etc.).

L’organisation ayant mené l’enquête en conclut : « Le système d’enseignement échoue très largement à remplir ce qui devrait pourtant constituer sa tâche première : permettre à chaque jeune de devenir un citoyen capable de prendre une part active dans l’action démocratique et dans les luttes qui transforment le monde »[10].

Au-delà des difficultés précédemment énoncées, n’oublions pas non plus que, puisqu’il s’agit de réfléchir à des enjeux globaux et transversaux, il sera souvent nécessaire de dépasser les cadres habituels de travail et d’entamer une réflexion en profondeur, tant au niveau pédagogique qu’à celui des contenus. Rappelons à ce sujet les suggestions d’Edgar Morin qui propose, depuis des années, des orientations pour l’éducation. Pour faire face aux défis futurs, il insiste sur l’importance d’une perspective systémique et interdisciplinaire afin de donner sens aux apprentissages des jeunes dans un environnement naturel, social, technique complexe[11]. Le jeu en vaut la chandelle et les très nombreux exemples enthousiasmants peuvent donner des pistes, des idées, et même faire éviter certains écueils. 

S’inspirer d’expériences concrètes et du « patrimoine pédagogique » existant
 

En s’engageant dans un nouveau projet éducatif, un enseignant peut ressentir le besoin de disposer de points de référence, qu’ils soient méthodologiques ou de contenu. Les témoignages, comptes-rendus de projets réalisés, pistes de réflexion, exemples d’outils pédagogiques, existent en grand nombre concernant l’ErE. Passons en revue quelques-uns de ces conseils, issus de la pratique de professionnels de l’éducation et plus spécifiquement de l’ErE[12].

Un premier élément concerne le fait qu’un projet d’ErE devrait idéalement sortir du cadre habituel de la classe et devenir, dans la mesure du possible, un projet de toute l’école. Le mot-clé ici serait « décloisonner ». Un projet de ce type constitue en effet une occasion rêvée pour travailler avec plusieurs niveaux  mais aussi avec les différentes équipes travaillant dans l’école (enseignants, personnel de cuisine, d’entretien, etc.). Les élèves, mis en action, peuvent intervenir pour améliorer leur cadre scolaire, pour interpeller les plus petits, etc. On créée ainsi des synergies et on utilise les compétences complémentaires, tout en renforçant la cohérence des actions. Ce décloisonnement permet également de ne pas limiter la sensibilisation à l’approche écologique de l’environnement, mais aussi, par exemple, d’en envisager les aspects économiques et sociaux.

Mais, avant de se lancer dans un projet impliquant plusieurs groupes et un grand nombre d’élèves, nombreux sont ceux qui préfèrent réaliser d’abord des projets de petite taille. Le mot clé ici est l’expérimentation. Petit à petit, tester des collaborations avec des associations, utiliser des outils pédagogiques pertinents issus de structures variées, faire intervenir des externes, etc. Progressivement, l’enthousiasme de l’un peut devenir facteur d’émulation  pour d’autres.

Il importe toutefois également que les projets menés dans les écoles ne se limitent pas à la « gestion environnementale » mais aident les élèves à penser autrement leur rapport à l’environnement. L’écologie n’est en effet pas qu’une question de maîtrise technique, mais une réflexion sur les rapports entre nature, humanité et macro-système technique[13]. Dans le cadre de cette réflexion globale, la dimension politique ne doit être ni contournée ni évitée. En fait, il est important que les petits gestes éco-citoyens appris à l’école lors de certains projets soient le point de départ d’une réflexion plus large, questionnant le comportement et les choix de chacun, à l’école et à la maison.

Ces éléments se trouvent résumés et complétés par Lucie Sauvé, professeur à l’Université de Montréal au Québec et spécialiste de l’ErE, lorsqu’elle formule ses grands axes de la pédagogie environnementale : partir de l’expérience concrète, privilégier une pédagogie de terrain, adopter une approche interdisciplinaire, favoriser l’implication active des apprenants, stimuler le travail coopératif et privilégier une orientation communautaire pour la résolution de problèmes environnementaux communautaires[14].

Concrètement, où trouver des ressources, un appui ? Signalons qu’un accord de coopération, signé en 2004 entre la Région wallonne et la Communauté française pour la promotion de l’ErE en Région wallonne, donne un fameux coup de pouce aux écoles qui le souhaitent en leur permettant de disposer de professeurs relais « environnement »[15].

En termes de ressources pour les enseignants/écoles désireux de disposer d’informations, d’outils ou de conseils, voici quelques adresses utiles :
 

En conclusion, quelques recommandations
 

L’éducation relative à l’environnement est à multiples facettes. Bien loin de se limiter aux enjeux – pourtant déjà colossaux – de la protection de la nature, elle constitue aussi une entrée pour ouvrir les élèves aux défis du monde actuel et offre la possibilité de développer une pensée véritablement systémique, au sens d’E. Morin. Tous les âges s’y prêtent, à condition d’y mêler les quelques ingrédients indispensables que sont la créativité, la cohérence et l’implication des élèves. Dans les années à venir, il importera que le dialogue entre les différents acteurs (école – région – associations – etc.) soit renforcé afin de créer des liens entre eux et accorder au mieux leurs aspects complémentaires.

Il est nécessaire d’encore approfondir l’adaptation de l’offre associative et institutionnelle aux besoins des enseignants et des écoles. Ainsi, par exemple, les animations devraient être mieux intégrées dans les contenus pédagogiques, et tenir compte des contraintes liées à l’organisation scolaire. En d’autres termes, il s’agira d’articuler les objectifs pédagogiques aux objectifs sociétaux.

Notes :

  • [1] Pour une présentation de la notion d’ErE, ses origines et son évolution, ses outils et perspectives, voir l’analyse L’éducation relative à l’environnement pour faire face aux défis actuels ?, Centre Avec, Août 2011.

    [2] KEMPF, H., Comment les riches détruisent la planète, Paris, Seuil, 2007. Hervé Kempf est spécialiste de l’environnement au Journal Le Monde.

    [3] Cette enquête portait sur un échantillon de 900 personnes (enseignants, directeurs et animateurs) issues d’écoles maternelles, primaires et secondaires en Communauté française de Belgique.

    [4] Assises de l’ErE-DD qui se sont tenues d’octobre 2010 à avril 2011. Résultats complets de l’enquête disponibles sur le site www.assises-ere.be. Nous y reviendrons plus loin.

    [5] Célestin Freinet, pédagogue français (1896-1966).

    [6] Eduquer à l’environnement : pourquoi ? Comment ? Du monde-objet au monde-projet, Conférence de Philippe Meirieu, Unesco, France, novembre 2001.

    [7] Jean-Ovide Decroly, pédagogue, médecin et psychologue belge (1871–1932).

    [8] Ces missions sont énoncées dans le Décret du 24 juillet 1997: 1. Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves ; 2. Amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ; 3. Préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ; 4. Assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

    [9] Les comptes-rendus, engagements et autres documents relatifs à ces Assises sont consultables sur www.assises-ere.be

    [10] Cette enquête, réalisée en 2008 et portant sur les connaissances de près de 3.000 élèves des classes terminales belges, a été réalisée par l’Appel pour une école démocratique (APED). Les résultats sont consultables sur le site de l’Ecole Démocratique : www.skolo.org/spip.php?article486

    [11] Lire MORIN, E., Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Seuil, 2000.

    [12] Ces éléments et conseils issus d’expériences concrètes proviennent principalement 1. des comptes-rendus des Assises de l’ErE-DD qui se sont déroulées entre octobre 2010 et avril 2011 ; 2. des interviews de professionnels réalisés pour les numéros spéciaux du magazine de l’Education relative à l’environnement Symbioses sur les thèmes : Eduquer à l’environnement dans le secondaire(2007), Eduquer à l’environnement en primaire (2008), Eduquer à l’environnement en maternelle(2009) ; 3. ainsi que du réseau français « Ecole et nature » (http://reseauecoleetnature.org).

    [13] LEGROS, B. et DELPANQUE, J-N., L’enseignement face à l’urgence écologique, Bruxelles, Ed. Aden, 2009.

    [14] Citée par LEGROS, B. et DELPANQUE, J-N., Ibidem.

    [15] Par ailleurs, concernant la région Bruxelles-Capitale, le Gouvernement de la Communauté française a approuvé en première lecture l’avant-projet du décret portant assentiment à l’accord de Coopération entre la Communauté française, la Région Wallonne et la région Bruxelles-Capitale relatif à l’éducation à l’environnement et au développement durable en date du 24 mars 2010.