Le 01 novembre 2012

Enjeux d’une réforme des cours dits philosophiques

Le débat concernant l’organisation des cours dits philosophiques dans l’enseignement n’est pas neuf. Après avoir situé le contexte et les spécificités du système belge, l’auteur nous permet de mieux cerner les termes du débat actuel autour de l’organisation de ces cours. Pour terminer, il nous propose une analyse de la proposition de Marie Dominique Simonet, en en montrant les avantages et les défis.
 

C’est pratiquement depuis la création de l’état belge que la question scolaire, liée au statut et au financement de l’école libre confessionnelle, a suscité le débat, opposant le parti chrétien au parti libéral rejoint en fin du XIXème siècle par le parti ouvrier. Un moment de grande tension, vite appelé première « guerre scolaire » arrive en 1879. En 1955, une loi du ministre socialiste Leo Collard décide des restrictions du financement et de l’autonomie des écoles catholiques et provoque ainsi une seconde « guerre scolaire ». Pour tenter une pacification à long terme, le gouvernement suivant, social-chrétien, entame des discussions avec tous les partis nationaux qui débouchent en 1958 sur la signature d’un « pacte scolaire » mis en loi l’année suivante. En ce qui concerne les cours de religion, ce pacte se traduit encore aujourd’hui par l’obligation faite à l’enseignement public de proposer aux choix des parents un cours de morale laïque ou d’une des religions officiellement reconnues, soit catholique, protestante, orthodoxe, juive ou islamique et par le financement public d’un cours de religion catholique dans les écoles catholiques[1]. La Constitution de 1988 viendra confirmer le pacte scolaire et introduira en plus la notion de neutralité de l’enseignement organisé par les pouvoirs publics.

Depuis, on assiste périodiquement, à une résurgence du débat autour des cours de religion, principalement du côté de la Pensée laïque, du CEDEP (Centre d’étude et de défense de l’école publique) et de la Fapeo (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel). Ce fut le cas notamment en 1999, puis en 2011. Plusieurs aspects de l’organisation actuelle sont ainsi mis en question.

Tout d’abord, l’intitulé lui-même « cours philosophiques » qui désigne aujourd’hui de façon courante ces cours de religion et de morale, prête à confusion. L’ambiguïté tient à l’intitulé « philosophique » dont l’usage risque de gommer la spécificité de la philosophie et de dispenser d’en donner une initiation. Or, cette confusion peut conduire à opposer l’un à l’autre les cours dits philosophiques et un cours de philosophie alors qu’ils devraient coexister et être complémentaires[2]. Il est aujourd’hui important de donner, au moins en fin d’études secondaires, une initiation à la philosophie. Une autre interrogation soulevée par la permanence de la structure actuelle, tient aux nouvelles difficultés tant de financement que d’organisation soulevées si d’autres religions (hindouisme, témoins de Jehova…) demandaient d’être intégrées au système. Sur le fond, c’est cependant l’obligation de suivre un cours dit philosophique inscrit dans l’horaire scolaire qui pose question, en particulier au nom de la neutralité de l’enseignement public et du refus de voir l’enseignement public être le lieu de confrontation entre les religions. Par ailleurs, les partisans de la suppression soulignent le paradoxe de voir des cours qui touchent au vivre ensemble se passer dans la ségrégation et risquer ainsi de renforcer les identités.

Dans le monde catholique, principal organisateur de cours de religion, on souligne l’importance de garder cette structure. Pour lui, en imposant un cours dit « philosophique » au choix des parents au sein même d’un enseignement neutre, le législateur reconnaît implicitement que les convictions ne sont pas uniquement affaire privée, mais qu’elles retentissent dans le domaine public. En les inscrivant dans l’horaire des cours des écoles publiques comme privées, la loi indique que ces cours, comme les autres interviennent dans la formation de tous les jeunes pour en faire des citoyens. Pour les évêques, « la vocation du cours est d’œuvrer à une humanisation globale, à la construction d’un monde plus humain, plus ouvert, plus tolérant. Le cours de religion éduque à la citoyenneté, aux valeurs essentielles. Il aborde les questions morales décisives pour la vie des personnes et de la société. Il fait valoir le sens profond de la communion avec Dieu, introduit à la mémoire chrétienne comme une ressource pour vivre, et cela selon une pédagogie rigoureuse qui laisse place à l’esprit critique. Le système actuel des cours de religion, soulignent encore les évêques, a sa cohérence tant au niveau des contenus qu’au niveau pédagogique. Il est vivable, défendable. Il respecte le pluralisme tant au niveau des personnes que des institutions »[3]. L’enseignement catholique[4] et les évêques souhaitent inscrire le cours de religion catholique dans les perspectives pédagogiques actuelles et élaborent à ce titre de nouveaux programmes qui intègrent la pédagogie par compétences, mais aussi une approche purement philosophique, une découverte des autres religions et une éducation à la citoyenneté.

En janvier 2012, la ministre Marie-Dominique Simonet a tenté de répondre à la demande sociale de revisiter les cours dits « philosophiques » non en modifiant la structure – chaque établissement continuerait à donner les cours de religion et/ou de morale – mais en intégrant dans les programmes une partie commune selon trois axes : 1- l’introduction aux fondements de la pensée philosophique, l’intelligence critique, confrontations des points de vue, l’ouverture à la pluralité des opinions, 2- le dialogue interconvictionnel, la connaissances des fondements des différentes convictions religieuses et laïques, y compris l’organisation d’heures communes, 3- l’éducation à la citoyenneté, l’apprentissage des valeurs de la démocratie… Ce projet vise également la mise au point, sous l’approbation du responsable de chaque culte, d’un référentiel de compétences pour chaque cours dit philosophique, qui précise les savoirs, savoir-faire et compétences activés par le cours aux différents degrés. En ce qui concerne le volet commun, ce référentiel serait élaboré par un groupe de travail interconvictionnel sous présidence « neutre ». Ces référentiels devraient avoir l’avis préalable du Service général de l’inspection (pour la conformité pédagogique) et recevoir l’agrément de la commission de pilotage (pour le respect des dispositions nationales et internationales, comme la Déclaration des droits de l’homme).

Cette proposition a été bien accueillie par les responsables de l’enseignement catholique, et dans un premier temps par le courant laïc. Au fil des mois, le monde laïc a cependant émis davantage de critiques, remettant en avant son questionnement de la structure constitutionnelle des cours dits philosophiques et proposant de nouvelles hypothèses. Dans un communiqué du 26 avril 2012, le CEDEP déclare ceci : « L’école publique ne peut pas être un lieu de confrontation entre religions, ni de ségrégation entre élèves. Pourquoi maintenir l’obligation, pour les parents et les élèves, de choisir un cours de religion ou de morale, et donc de s’identifier religieusement ? Pourquoi ne pas donner le « tronc commun » à tous les élèves rassemblés, dans le respect des principes de neutralité ? Le CEDEP revendique la suppression du caractère obligatoire des cours dits « philosophiques », et un renforcement de la formation citoyenne, destinée à tous les élèves, qui se fonde sur une approche philosophique et sur une connaissance historique des religions et des mouvements de pensée non confessionnels permettant aux élèves d’exercer librement leur esprit critique »[5].

En cette fin novembre 2012, le débat politique se passe en commission éducation du Parlement de la Communauté française. Il s’agit notamment de clarifier l’article 24 de la Constitution[6] qui instaure l’obligation d’offrir jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions connues et celui de la morale non confessionnelle sans préciser si l’obligation est faite à chaque élève de choisir un de ces cours ou si elle ne concerne que leur organisation par l’établissement. L’avis d’experts est attendu.

Nous notions en début d’analyse l’ancienneté des débats autour de l’enseignement libre confessionnel. Nous ne pouvons nous empêcher de lire le clivage actuel comme une résurgence de l’opposition des piliers qui continuent à traverser la vie sociale, culturelle et politique de notre pays. Rendre les cours dits philosophiques facultatifs, n’est-ce pas poser un premier pas vers leur suppression du cursus scolaire et diminuer ainsi la présence des convictions dans l’éducation. Imaginer leur remplacement par un cours pluraliste de citoyenneté et de morale, n’est-ce pas occulter qu’il n’est de pluralisme que situé, de vérité que contextualisée ? Les maintenir, ne serait-ce pas rester en lien avec l’histoire de notre pays et reconnaître, comme le fait également la subsidiation des ministres des cultes, que les convictions ont un impact citoyen ? D’aucuns, dans le monde catholique, vont encore plus loin et lisent les revendications laïques comme des coups de butoir vers une disparition de l’enseignement libre confessionnel. De la disparition de l’horaire scolaire des cours dits philosophiques à la mise en question de la pertinence de maintenir une pluralité de réseaux, il n’y aurait qu’un petit pas. D’autant que le décret Missions de l’enseignement (1997) a déjà imposé à tous les Pouvoirs organisateurs une série de normes communes qui tendent à uniformiser l’enseignement[7].

La proposition de M.-D. Simonet, même si certains la trouvent trop limitée, offre déjà plusieurs avantages. D’abord, elle indique clairement que la formation des jeunes doit aborder les questions de sens de la vie et du monde, du vivre ensemble, de la morale. Les objectifs communs assignés aux cours dits philosophiques en sont la traduction. L’exigence, pour chaque cours dit philosophique, de référentiels approuvés traduit la volonté de ne pas laisser faire et dire n’importe quoi au sein de ces cours, comme de les inscrire dans les options pédagogiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’élaboration d’un référentiel unique pour le tronc commun montre la convergence de toutes les convictions dans la formation des jeunes. La réalisation de ces aspects comporte déjà plusieurs défis, notamment celui d’inscrire le tronc commun dans des programmes qui sont sous la responsabilité des chefs de culte. Il faudrait aussi, dans des démarches de formation – pourquoi pas communes ? – mettre les compétences pédagogiques, philosophiques et citoyennes des professeurs en accord avec cette nouvelle structure.

L’originalité du système belge nous semble être l’inscription constitutionnelle des convictions dans le processus éducatif. Plutôt que de lire ces dispositions comme le reflet du passé, ne peut-on y voir une chance pour l’avenir ? Dans une société de plus en plus traversée par les revendications identitaires, cette reconnaissance n’est-elle pas un chemin pour éviter les replis communautaires grâce à une connaissance des autres convictions ? En ce sens, la proposition de M.-D. Simonet pourrait ouvrir des perspectives intéressantes. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin, en suscitant des espaces réels de dialogue des convictions, par exemple en instaurant des temps communs entre les élèves des différents cours et un échange des maîtres ? Même si la réalisation de ces propositions semble se heurter à de grandes difficultés d’organisation, son enjeu ne vaut-il pas que les responsables y apportent toute leur créativité, dans l’ouverture et le respect, hors de toute volonté de domination et de toute peur de relégation ?

Notes :

  • [1]Cf. André Fossion, « Cours de religion en question, débat politique et enjeu démocratique », www.lumenvitae.be , 2001, p. 1 : « Le pacte scolaire de 1959 a mis fin au conflit d’antan entre les écoles publiques et les écoles confessionnelles. Il a instauré pour ces dernières un système de subvention partielle à charge des pouvoirs publics. Il a aussi imposé en contrepartie certaines contraintes organisationnelles et administratives, mais ce pacte scolaire reconnaît aux pouvoirs organisateurs des établissements subventionnés la liberté en matière de programme, de pédagogie et d’engagement du personnel. Il leur permet de choisir leurs valeurs de référence et de se doter d’un projet éducatif. Il leur reconnaît également le pouvoir de se fédérer. Ainsi, a-t-on, en Belgique, à côté des écoles publiques, une puissante fédération d’établissements catholiques qui rassemble plus de la moitié des jeunes en âge de scolarité. Ce pacte scolaire règle également la question de l’enseignement religieux. Les écoles confessionnelles peuvent, bien entendu, organiser dans l’horaire scolaire un cours de religion. Les écoles publiques, quant à elles, organiseront un cours de morale non confessionnelle et un enseignement religieux. Les élèves doivent suivre l’un ou l’autre de ces cours, au choix ».

    [2] Cf. FAPEO, Les cours de religion et de morale à l’école, sortir de l’obligation ? Les analyses de la FAPEO 2011, p.6, www.fapeo.be : « Le débat suit souvent cette logique : si on veut introduire de la philosophie à l’école, ce sera au détriment des cours philosophiques, or on enseigne déjà la philosophie dans les cours philosophiques, donc on ne touche à rien. Cette confusion aurait pour fonction l’occultation des véritables enjeux de la suppression des cours de religion dans l’école publique ».

    [3] Cf. André Fossion, art. cit, p. 6, qui se réfère à la Lettre des évêques du 20 mai 1999.

    [4] Cf. « Pour penser l’école catholique au XXIème siècle, document élaboré pour le Congrès 2012 de l’enseignement catholique », , www.enseignementcatholique.be , p. 23 : « Son objectif (du cours de religion), dans le contexte scolaire des études, est d’exposer, de manière aussi fidèle et respectueuse que possible, la foi chrétienne, ses significations et les démarches qu’elle implique, sans présupposer la foi des élèves, ni la leur imposer. Ce faisant, bien sûr, il rend la foi accessible à l’intelligence et à la liberté des élèves, mais toujours sous le mode de la proposition ouverte à la critique et au débat. C’est dire aussi que le cours de religion ne relève pas d’une approche historique purement externe et objectivante. Une telle approche explicative constitue, certes, un moment éclairant, pourvu qu’elle débouche sur un travail de réflexion, d’interprétation et de formation des convictions. Quand il arrive au cours de religion de croiser d’autres confessions, il adopte la même attitude ».

    [5] CEDEP, communiqué de presse du 26 avril 2012, www.cedep.be .

    [6] Constitution belge, article 24 : § 1. L’enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n’est réglée que par la loi ou le décret. La communauté assure le libre choix des parents. La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.
    Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle.
    § 2. Si une communauté, en tant que pouvoir organisateur, veut déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes, elle ne le pourra que par décret adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés.
    § 3. Chacun a droit à l’enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L’accès à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire.
    Tous les élèves soumis à l’obligation scolaire ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou religieuse.
    § 4. Tous les élèves ou étudiants, parents, membres du personnel et établissements d’enseignement sont égaux devant la loi ou le décret. La loi et le décret prennent en compte les différences objectives, notamment les caractéristiques propres à chaque pouvoir organisateur, qui justifient un traitement approprié.
    § 5. L’organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l’enseignement par la communauté sont réglés par la loi ou le décret.

    [7] La Ministre de l’enseignement secondaire de l’époque – Laurette Onkelinx – le souligne elle-même : « Le gouvernement n’a pas réactivé la notion d’école pluraliste, mais en créant la notion de socles de compétences, de profils de formation, d’épreuves d’évaluation, d’outils pédagogiques communs à tous les réseaux, nous faisons un pas de géant en ce sens ». Cité par André Fossion, art.cit. p.4.