Le 20 novembre 2008

Équité, sobriété, solidarité

Liberté – égalité – fraternité : tout le monde en a déjà entendu parler…! Et si nous envisagions autrement cette devise bien connue ? En écho aux inégalités croissantes entre les hommes et les femmes de notre monde, c’est un nouveau triptyque que le Centre Avec souhaite explorer dans cette analyse : Equité – sobriété – solidarité. Loin de rester indifférents et désœuvrés face à ces injustices, c’est à une sobriété heureuse que nous invite l’auteur, pour que l’équité et la solidarité soient mises au cœur de nos vies personnelles et collectives.
 

Tout a commencé par un constat : il n’y a pas d’égalité entre les hommes et ces inégalités ne font que croître au point de prendre des proportions inimaginables[1].

Chaque jour, nous sommes confrontés à ce choc entre ceux qui ont tout (ou presque tout)  et ceux qui manquent du strict nécessaire pour (sur)vivre. Parfois, l’origine de ces différences est naturelle, mais le plus souvent elle résulte de l’égoïsme et de la violence aveugle de ceux qui se sont accaparés les ressources naturelles et intellectuelles à leur seul profit. Dès lors, ces inégalités deviennent profondément inéquitables. Même une catastrophe naturelle frappe différemment les uns et les autres : un même tremblement de terre fera mille fois plus de victimes en Turquie ou en Afghanistan qu’au Japon ou en Californie et une épidémie de rougeole sera mortelle en Afrique alors qu’elle ne se produira même pas en Europe.

On ne peut pas dire que nous sommes personnellement coupables de cet état de choses mais à partir du moment où nous faisons partie de la minorité privilégiée de ceux qui ont « tout » pour réussir, nous en devenons responsables. Le choix n’est pas tellement d’être ou de ne pas être violents, mais celui de savoir comment gérer cet état. En effet, nous vivons dans un monde de violence socio-économique, où la valeur se mesure au seul pouvoir d’achat. Celui qui a existe, celui qui n’a rien n’existe pas à l’aune du marché. Un chien ou un chat bruxellois sera mieux considéré qu’un habitant d’un bidonville. Quelle sorte d’humanité voulons-nous alors faire advenir en nous et autour de nous ? Cette question transcende toutes les autres et devrait hanter nos jours et nos nuits : si tous ne peuvent pas profiter des conditions de vie dont nous profitons, il y a problème et si certains (et nous en sommes) accaparent notablement plus que ce que la planète peut offrir à chacun, il y a injustice.

Pour une sobriété heureuse
 

Une première réaction qui s’impose, c’est de rompre radicalement avec cette logique d’accumulation (le mythe de la croissance) qui mesure l’être à l’avoir, d’adopter un style de vie plus sobre. Celui-ci devra nécessairement se traduire par une diminution individuelle et collective de notre « train de vie » et par une résistance décidée à la pression publicitaire qui veut nous persuader qu’avoir plus nous rendra heureux. « On a été formaté par cet imaginaire du « toujours plus », de l’accumulation illimitée, de cette mécanique qui semblait vertueuse et qui maintenant apparaît infernale par ses effets destructeurs sur l’humanité et la planète. La nécessité de changer cette logique est de réinventer une société à échelle humaine, une société  qui retrouve le sens de la mesure et de la limite qui nous est imposée parce que, comme le disait mon confrère Nicolas Georgescu, ‘une croissance infinie est incompatible avec un monde fini’ »[2].

Dans cette optique, il vaut la peine de parcourir divers aspects de la vie quotidienne et de s’entraider pour adopter un mode de vie plus sobre et plus solidaire.

Quelques idées pour amorcer une réflexion :

  1. dans la façon de se nourrir : cessons de vouloir des fraises en hiver et des tomates en toutes saisons, privilégions les fruits et légumes de saison, que l’on trouve dans le pays, réduisons notre consommation de viande dans la mesure où une protéine animale nécessite sept protéines végétales, faisons en sorte que le carburant de notre voiture n’affame pas encore davantage les paysans du tiers monde[3], donnons la préférence à la qualité biologique des aliments sur la quantité, n’ayons pas peur de jeûner parfois pour remettre les choses en place…
  2. cela rejoint la façon de se soigner : le premier « médicament » indispensable à la santé est l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous mangeons, le repos du corps et de l’esprit, ne croyons pas que les médicaments résoudront nos problèmes de solitude, de pauvreté, de violence, résistons à la publicité qui invente de nouvelles « maladies » pour mieux vendre des « remèdes miracles », bougeons, faisons de l’exercice, du sport…
  3. qu’en est-il de nos déplacements ? : retrouvons la convivialité de la marche (sûrement jusqu’à un kilomètre) et du vélo (jusqu’à cinq kilomètres), des transports en commun, apprenons à partager une voiture au lieu d’en prévoir deux ou même trois par ménage, apprenons à limiter au maximum l’usage de l’avion (les prétendus vols « low cost » sont une catastrophe écologique). Le plus grand voyage est probablement un voyage intérieur…
  4. parlons des loisirs, des vacances, de la « retraite » : que faire de tous ces temps « libres » ?  Quelles opportunités nous offrent-ils ?  N’ayons pas peur de dire bonjour à nos voisins, d’apprendre les langues, de lire, d’écouter de la musique, de cultiver un art, de découvrir les beautés de la nature. N’ayons pas peur du silence… Il convient de reprendre possession de la vie et du temps : redécouvrir la lenteur, le temps pour soi, pour s’investir dans la vie sociale et citoyenne… Il s’agit, parallèlement au travail, de revisiter les autres dimensions de l’activité humaine.
  5. retour à la maison : quel style de logement avons-nous choisi ?  Est-ce un lieu qui favorise la rencontre ou qui nous « protège » des autres ?  Autre défi : faire régulièrement le tour des pièces, des armoires, des caves au grenier : tout ce que nous conservons est-il bien nécessaire ?  Pensons à ceux qui devront vider notre logement à notre décès; ne pourrions-nous pas alléger leur tâche en faisant dès maintenant un tri : ce qui est à jeter, ce qui est à donner, ce qui est à partager, ce qui est à simplifier…
  6. et ce tabou dans notre société, bien plus secret que le sexe ou même la mort, ce dont personne ne parle : la façon dont nous gérons notre argent, nos priorités (maison ?  voiture ?  appareils électroniques en tous genres ?  vacances ?  enfants ?), le choix d’une banque, la façon de « placer » notre épargne (la sécurité, le rendement, la solidarité ?)[4] — pourquoi avons-nous tellement de difficultés à partager cet aspect de notre vie ?
  7. et enfin, quels sont les moyens que nous nous donnons pour que toutes ces questions demeurent vivantes : en parlons-nous en couple, en famille, avec nos amis, dans des groupes de réflexion, dans des rencontres avec des personnes qui vivent autrement ?  en se laissant remettre en question, en prenant des engagements de solidarité, en exerçant un bénévolat, en étant ouverts, disponibles à l’imprévu…

Voilà un certain nombre de pistes qui pourraient faire l’objet d’un (ou plusieurs) partage dans des rencontres ou au sein des groupes dont nous faisons partie.

Solitaires ou solidaires ?
 

Toute cette remise en question n’est qu’un aspect de la réponse à donner à cette injustice que nous évoquions au début de cet article. Il y a une autre dimension plus collective, plus politique qu’il ne faut pas perdre de vue. Ce que nous ne pouvons pas faire seuls, dans l’immédiat, peut devenir possible en se regroupant, en soutenant ou en rejoignant des associations, des mouvements, des syndicats, des partis qui se donnent comme objectif effectif de faire évoluer les choses. Ici aussi, il serait bon d’interroger nos proches, d’écouter les « prophètes », de prendre des risques… pour que la solidarité devienne une dimension essentielle de notre vie, à l’encontre de cet individualisme hédoniste qui nous empoisonne l’existence.

L’abbé Pierre avait coutume de dire que l’humanité se divise en deux groupes : ceux qui essaient de s’en sortir seuls en prenant toutes les assurances possibles, en se barricadant pour ne rien perdre de leurs acquis et puis ceux qui prennent le risque du partage, en renonçant à vouloir tout prévoir, tout contrôler. Les premiers perdent leur vie en voulant la sauver, les seconds s’inscrivent dans le risque même qu’est la vie…

Sans doute tout ceci suscite chez vous des réactions, des corrections ou des nuances à apporter, des idées pour aller plus loin. Ensemble, poursuivons la réflexion, n’hésitons pas à en parler autour de nous, avec nos proches, dans nos milieux professionnels, religieux, … Créons des espaces de rencontre pour aborder ces thèmes, pour échanger et confronter nos questions, nos idées et nos propositions… et prenons dès maintenant de bonnes décisions !

Notes :

  • [1] Le revenu par habitant des 20 pays les plus riches équivaut aujourd’hui à 37 fois le revenu moyen des 20 pays les plus pauvres. Celui de la Suisse représente 200 fois celui du Niger, alors qu’il y a 250 ans l’écart n’était que de 1 à 5 (Source : Repères dans une économie mondialisée. Commission Sociale des Evêques de France, p. 6). En outre, moins de 20 % de la population mondiale (en gros, il s’agit de l’Occident) consomme 86 % des ressources de la planète.

    [2] Serge Latouche, « Rompre avec la religion du ‘toujours plus’ ». Entretien avec Christophe Schoune, Le Soir, lundi 19 février 2007.

    [3] Pour de plus amples informations sur la consommation responsable, voir le site du Réseau Eco-Consommation :  http://www.ecoconso.be/

    [4] Voir le site du Réseau Financement Alternatif : www.rfa.be

    Type de Publication:  Analyse