Europe, une et diverse
L’Europe, dit-on, n’a pas la cote… Pourtant les citoyens lambda de l’Union européenne ont, bien plus qu’on le pense parfois, un réel sentiment d’appartenance à l’Europe. C’est ce que souligne cette analyse à la suite d’enquêtes récentes : la majorité des personnes interrogées ont le sentiment de partager les mêmes valeurs et d’avoir un patrimoine culturel commun, même s’il importe de reconnaître l’importance des identités particulières et de les respecter. Par ailleurs, un survol de l’histoire met en évidence que ce sentiment d’appartenance à l’Europe plonge loin ses racines dans les siècles passés. En bien des domaines – économique, religieux, intellectuel, scientifique, artistique – les Européens échangent depuis longtemps non seulement des produits matériels mais également des idées, des conceptions et des modes de vie. Il y a là un patrimoine culturel commun sur lequel, simples citoyens, responsables politiques ou sociaux, nous pouvons tous nous appuyer pour construire une Europe une et diverse, forte et solidaire. À cet égard les enseignants ont certainement un rôle particulier à jouer, en faisant découvrir leurs racines aux futurs citoyens de l’Europe.
L’Europe : c’est notre histoire ! Tel est le titre d’une exposition organisée il y a peu par le Musée de l’Europe pour fêter les 50 ans des Traités de Rome (1957 – Communauté économique européenne et Communauté européenne de l’énergie atomique)[1].
Un titre pertinent à bien des égards. Si la construction européenne doit beaucoup à ses « Pères fondateurs » au lendemain de la deuxième guerre mondiale[2], elle est également l’affaire de bien des citoyens, comme en témoignent les 27 personnes originaires des 27 pays de l’Union européenne qui se sont exprimées à l’occasion de cette exposition anniversaire : des citoyens ordinaires dont l’histoire singulière s’inscrit, chacune à sa manière, dans la construction européenne. « Pour certains, c’est l’histoire de la lutte contre une oppression désormais impossible (en Europe centrale et orientale) du fait de l’intégration européenne. Pour d’autres, c’est l’histoire de leur participation à un événement qui a contribué à unifier l’Europe. Pour d’autres encore, c’est l’histoire des opportunités ouvertes par l’Union européenne : des voyages, des migrations, des carrières, des rencontres, des acquis auparavant inaccessibles, voire inimaginables »[3].
Ce qui frappe, dans les témoignages des habitants d’Europe centrale et orientale, c’est qu’ils se sentaient européens bien avant que leur pays adhère officiellement à l’Union européenne. En ce qui les concerne, l’Europe est en voie de (ré)unification plutôt que d’élargissement !
Une appartenance ‘ancienne’ à l’Europe
Ce « sentiment » d’appartenance ‘ancienne’ à l’Europe n’est sans doute exprimé ici que par quelques témoins dont nous ne sommes pas sûrs qu’ils représentent réellement leurs concitoyens. Seule une enquête suffisamment étayée permettrait de dire ce qu’il en est. Les eurobaromètres régulièrement publiés par la Direction générale ‘Communication’ de la Commission européenne[4] ne permettent de suivre l’évolution de l’opinion publique européenne que sur les questions du moment. Néanmoins il est intéressant d’examiner les réponses données à une question posée en mars-mai 2008[5] « Selon vous, en termes de valeurs partagées[6], est-ce que les États membres de l’Union européenne sont proches ou non les uns des autres ? ». Pour l’ensemble des 27 pays de l’UE, 54% des sondés estiment qu’ils sont « plutôt proches ou très proches », 34% « plutôt éloignés ou très éloignés ». De telles réponses doivent sans doute être interprétées avec précaution, ne fut-ce que parce que les opinions peuvent fluctuer au gré de circonstances à forte charge émotionnelle. Elles semblent pourtant témoigner, dans le chef d’une majorité de citoyens de l’UE, d’un réel sentiment de destinée ou de patrimoine commun qui coexiste avec un sentiment d’identités particulières.
Un patrimoine commun
Mais que serait ce patrimoine commun, tout au moins dans l’esprit des citoyens de l’UE ? Une enquête, menée en février 2007, nous en dit un peu plus. Elle ne couvre malheureusement que cinq pays de l’Union : Allemagne, France, Italie, Hongrie, Finlande[7].
Quand elles parlent du patrimoine, les personnes interviewées (environ un millier par pays) songent principalement à l’architecture et aux monuments historiques (45%) ainsi qu’à l’histoire, aux traditions, aux modes de vie (42%), mais avec des accents différents selon les pays. La littérature et la musique viennent ensuite (23 et 21%). Sont également mentionnés la peinture, l’archéologie, le cinéma ainsi que la philosophie et les grands courants d’idées (respectivement 12, 10, 8, 7%). Les différences, parfois marquées, entre les cinq pays mettent en évidence des particularités nationales que l’on connaît par ailleurs : songeons à des domaines comme la musique (Hongrie, Finlande, Allemagne, Italie), la peinture et l’archéologie (Italie), le cinéma (France, Allemagne), la philosophie (France, Allemagne)…
Actuellement, quand ils pensent au patrimoine culturel européen, 49% des interviewés songent plutôt à « l’addition des patrimoines nationaux des pays » et 45% à « un patrimoine véritablement commun que partagent la plupart des habitants de l’Union européenne ». En outre les habitants des cinq pays estiment à une grande majorité que leur patrimoine culturel national fait partie du patrimoine culturel européen – et cela de façon complète (selon 28% des interviewés) ou en partie seulement (selon 55%).
Les deux enquêtes auxquelles nous nous référons font état du sentiment actuel des Européens. La majorité d’entre eux ont aujourd’hui le sentiment de partager les mêmes valeurs et d’avoir un patrimoine culturel commun, même s’il importe de reconnaître l’importance des identités particulières et de les respecter.
Valeurs communes et diversité culturelle
Remarquons que ces questions ont été au cœur des débats de la Convention (février 2002 – juin 2003) qui a élaboré le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe[8]. C’est ainsi que, tant dans le texte de ce projet que dans celui du nouveau Traité européen de Lisbonne[9] qui lui fait suite, des articles importants mettent en évidence les valeurs communes de l’Union européenne et la nécessité de respecter la diversité culturelle : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes »[10]. Et tout à la fois « elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen »[11]. Finalement, la conception de l’Europe qui apparaît aujourd’hui, dans les textes proposés à ratification, c’est celle d’une Union qui, tout en menant des politiques communes, respecte la diversité des pays et de leurs spécificités.
Le sentiment d’être européen, de partager des valeurs communes, d’avoir un patrimoine culturel commun serait-il un épiphénomène fragile, une simple « humeur » susceptible de varier au gré des circonstances ? Ou bien trouve-t-il un enracinement réel dans l’histoire qui lui donnerait solidité et stabilité ?
Un enracinement réel dans l’histoire
Voilà la question que nous pouvons nous poser comme citoyens européens[12]. Il peut paraître difficile de répondre à pareille question. Pour ce faire, il conviendrait sans doute de s’appuyer sur des recherches approfondies. Pourtant un survol de l’histoire met déjà en évidence bien des indices de ce que le sentiment d’appartenance à l’Europe plonge loin ses racines dans les siècles passés.
Diversités de langues et de populations
Il est évident que les populations européennes sont diverses. Il suffit de les entendre parler : pour les 27 pays qui la composent, l’UE (quelque 493 millions d’habitants) reconnaît aujourd’hui pas moins de 23 langues officielles[13]. Et il en est d’autres : catalan, basque, breton, luxembourgeois… Et nous tenons tous à notre langue maternelle, d’un attachement bien légitime, même si dans certains cas celui-ci se mue en particularisme identitaire beaucoup moins légitime.
Nous le savons aussi, depuis la Rome antique jusqu’au Moyen Âge, le continent européen a été marqué par d’importants flux migratoires très divers (souvent appelés invasions), qui se sont sans doute avec le temps brassés et amalgamés avec les populations autochtones, mais qui ont pu avoir des incidences sur la diversité politique, culturelle, linguistique…[14]
Et pourtant, depuis bien longtemps, en dépit des obstacles d’ordre linguistique, culturel, politique, nombre d’habitants de l’Europe se rencontrent, voyageant par toute l’Europe, nouant des échanges de tous genres, autres que ceux des guerres qui malheureusement ont si souvent traumatisé les populations des diverses régions européennes.
Ainsi au lendemain de l’an mil : « malgré les lenteurs de la marche, les difficultés et les dangers de la route, très nombreux sont, aux siècles féodaux, ceux qui, hommes ou femmes, clercs ou moines, chevaliers ou gens de condition inférieure, quittent leur famille ou leur communauté pour voyager »[15]. Voyager pour bien des raisons : économiques, religieuses, intellectuelles, voire de distraction…
Échanges économiques : foires, cités marchandes
Songeons aux foires, telles celles de Champagne et de Brie (XIIe-XIIIe s.), où se retrouvaient non seulement des commerçants des régions voisines mais aussi les correspondants des grandes firmes marchandes ou financières venant de loin (Italie, Flandre, Allemagne).
Songeons aux échanges économiques entre les cités marchandes de La Hanse (XII-XVe s.), établies dans l’Allemagne du Nord et autour de la Baltique, et ayant leurs comptoirs en Flandre, Angleterre, Scandinavie, Russie. Songeons aux grandes cités maritimes d’Italie : Venise, Gênes, Pise. Et c’est ainsi que Bruges, qui est devenue (Xe-XVe s.) un des plus importants centres de relations commerciales et financières de l’Europe occidentale, abritera non seulement des Français, mais aussi des « colonies » d’étrangers relevant de douze consulats différents : Hanse d’Allemagne, Venise, Catalogne, Angleterre, Lucques, Gênes, Écosse, Florence, Castille, Portugal, Milan, Biscaye.
L’essor des villes s’accompagne d’un mouvement d’émancipation politique – le mouvement communal – qui favorise l’émergence de formes plus démocratiques de gouvernement, amorces encore modestes mais réelles des régimes démocratiques qui s’imposeront progressivement en Europe au XIXe et au XXe s.
Échanges religieux : les pèlerinages
Les pèlerinages (plus particulièrement Jérusalem, Rome, Saint Jacques de Compostelle) drainent chaque année des foules importantes et sont occasion de rencontres multiples entre gens qui, si divers soient-ils, se sentent unis par un sentiment religieux commun – n’oublions pas l’ample christianisation des populations européennes qui s’est réalisée sur une longue période allant de Constantin (300) au IXe s. Ces pèlerinages peuvent également donner lieu à des échanges culturels. Comme le dit Michel Parisse, à propos du pèlerinage à Saint Jacques, « on ne saurait suffisamment insister sur le rôle joué par le ‘chemin français’ comme voie de transmission des pratiques, coutumes, influences des pays du nord des Pyrénées ». Un pèlerinage qui avait pris une dimension telle qu’il avait fallu édifier « des églises plus vastes aux points de passages obligés du voyage »[16].
Échanges intellectuels : écoles, universités, Humanistes, Philosophes des Lumières
Il ne faut pas oublier les écoles, qui se sont développées autour des monastères puis des cathédrales (XIe s.) : elles attiraient aussi des intellectuels d’un peu partout. Dès le XIIIe s. des universités se fondent – de Salerne à Oxford, en passant par Bologne et Paris, de Séville ou Salamanque à Prague ou Cracovie, en passant par Toulouse, Montpellier, etc. – dont le pouvoir attractif est encore plus grand[17].
Malgré les conflits armés, des étudiants de toute l’Europe se côtoient pendant leurs années d’étude. Le brassage des idées va contribuer au développement culturel et scientifique du continent européen. Tant et si bien qu’aux XVIe et XVIIe s. on peut dire qu’ « il se forme en Europe une grande République des Lettres »[18], celle des Humanistes de la Renaissance. Par delà les frontières des États-nations en voie de constitution, par delà les particularismes, par delà les disputes religieuses et philosophiques qui ont pu mener à des guerres fratricides abominables, nous voyons des hommes et des femmes qui dialoguent, entretiennent une correspondance suivie, se rencontrent, contribuant à la constitution d’un patrimoine commun. Érasme (Rotterdam env. 1466, Bâle 1536) en est un exemple remarquable : de nombreux voyages et séjours en diverses régions d’Europe : Pays-Bas et Flandres, France, Angleterre, Italie, Allemagne, Suisse ; une abondante correspondance[19] qui le montre en relations avec les grands noms de son temps ; une œuvre considérable qui interpelle les intellectuels de toute l’Europe en plein questionnement religieux[20]. Deux siècles plus tard les Philosophes des Lumières et leurs conceptions de l’homme et du monde ont un impact majeur sur tout le continent européen.
Il ne faut pas ignorer non plus les migrations dues aux conflits, telles les guerres de religion. Songeons, par exemple, à la révocation de l’Édit de Nantes (1685) qui a mené quelque 200.000 protestants français à migrer en Angleterre, dans les Provinces-Unies, en Prusse, ailleurs encore. Avec pour effet culturel important des transferts d’idées, de connaissances et de savoir-faire en bien des domaines.
L’art et l’émergence d’un espace culturel européen
L’art est également un domaine où se perçoivent points communs et diversité de la culture européenne. À l’occasion du 50e anniversaire de la signature des Traités de Rome, le Festival Europalia a réalisé une remarquable exposition « Le grand atelier, Chemins de l’Art en Europe »[21], qui retrace, du Ve au XVIIIe siècle, les chemins de l’art européen. Comme le dit l’ancien président du Parlement européen Pat Cox, les pièces qui y étaient exposées invitaient « à envisager le rôle de la circulation et du dialogue entre les artistes dans l’émergence de l’espace culturel européen »[22].
De fait, à regarder les artistes dont les œuvres sont exposées et tout autant leurs mécènes, les amateurs et collectionneurs qui s’y sont intéressés, on constate que, « de Dublin à Palerme, de Cordoue à Stockholm, de Rouen à Sofia », « une intense circulation menait autrefois les hommes, les artistes en quête d’information ou de clients, et les œuvres qu’on leur commandait, par voie de terre ou souvent par les fleuves, dans des régions fort éloignées de leur lieu d’origine »[23].
C’est le cas des tapisseries d’Arras et de Tournai (XVe s.), d’Audenarde et de Bruxelles (XVe et XVIe s.) : elles se retrouvent souvent loin des lieux où elles ont été fabriquées. Ainsi, le Pape Léon X – on est au début du XVIe s. – fait-il tisser dans des ateliers bruxellois les « Actes des Apôtres » qu’il destine à la chapelle Sixtine, d’après des cartons du peintre italien Raphaël. D’autres tapisseries vont orner des palais en Pologne (Cracovie), Autriche, Espagne… Et au début du XVIIe s. de somptueuses tapisseries, réalisées sur des cartons de Rubens, sont commandées par Marie de Médicis, la mère du roi de France Louis XIII. On le sait, l’Anversois Rubens a maintes fois voyagé. Comme bien d’autres peintres il a séjourné en Italie (pendant huit années) : pour s’y former mais aussi pour y exécuter des commandes importantes. Revenu à Anvers, il fera de nombreux déplacements – notamment en Angleterre, France, Espagne – comme artiste reconnu et comme diplomate… D’autres œuvres d’art, d’autres artistes vont ainsi d’un coin à l’autre de l’Europe. Ceci concerne sculpteurs, architectes, maîtres verriers, maîtres maçons, orfèvres, copistes enlumineurs, imprimeurs, sans oublier les collectionneurs et marchands d’œuvres d’art… Il s’en suit la découverte d’autres façons de penser, de sentir, de s’exprimer ainsi que des influences réciproques. C’est, par exemple, patent dans le cas de la rencontre de la peinture italienne et de la peinture flamande[24].
Comme on le voit, depuis des siècles, les échanges et rencontres entre les diverses régions d’Europe sont intenses. Ils concernent sans doute surtout des personnes cultivées ou ayant une certaine fortune, mais également des personnes de condition plus modeste. Il atteste d’un espace européen où points communs s’allient à diversité. Un espace qui n’est pas clos sur lui-même, comme le montrent, par exemple dans l’art, les influences de la culture byzantine, de la culture musulmane, voire des cultures de l’Orient.
Héritages culturels, religieux, humanistes de l’Europe
C’est donc de bien des façons – et en bien des domaines : économique, religieux, intellectuel, scientifique, artistique… – que, depuis longtemps, les Européens échangent non seulement des produits matériels mais également des idées, des conceptions et des modes de vie. Il y a là un véritable patrimoine culturel commun, sans doute difficile à définir de façon précise, mais pourtant véritable. Tant et si bien que le préambule au Traité sur l’Union européenne nous paraît justifié, en particulier lorsque, en son article premier, il parle « des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit ».
Construire l’Europe
Il nous faut construire l’Europe. Dans un monde globalisé, il nous faut construire l’Europe pour nous-mêmes et aussi pour le monde.
Construire l’Europe pour nous-mêmes. Concevoir, inventer, mettre en œuvre nos modes de vie de demain, cela ne peut plus se faire seulement à un échelon national (et encore moins sous-régional), cela doit se faire à un niveau plus large, en ce qui nous concerne celui de l’Europe. Une Europe forte et solidaire, fondée sur des valeurs – celles qu’affirme avec force l’article 2 déjà cité du Traité sur l’Union européenne.
Il nous faut construire l’Europe pour le monde. Comme Europe, nous avons notre part à assumer dans la construction d’une mondialisation juste et solidaire. À cet égard les grandes orientations figurant dans le projet de Traité sur l’Union européenne nous paraissent justifiées, réclamant mise en œuvre effective : « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies » (art 3.5).
Dans de telles déclarations, chaque mot a son importance, indiquant bien dans quel sens doivent se prendre les décisions politiques. Et comme citoyens tant de notre pays que de l’Europe, nous avons comme responsabilité d’y inciter les responsables politiques, économiques, sociaux. À titre personnel et en nous conjoignant à d’autres, au travers des associations – de quelque type qu’elles soient – au sein desquelles nous œuvrons.
Pour construire l’avenir, il est utile, voire nécessaire, non seulement d’être intelligemment inventifs, mais aussi de nous rappeler que nous avons des racines et que ces racines sont solides, vivantes, porteuses pour nos projets. Voilà pourquoi il nous semble essentiel de continuer à investiguer notre passé d’Européens[25]. Ce que nous avons présenté dans cette brève analyse nous permet déjà, même si cela reste insuffisant, de nous rendre compte que, membres de peuples divers – dont la diversité à respecter peut être source de richesse partagée, nous avons de nombreux points en commun, un patrimoine culturel, riche de valeurs, qui nous incite à relever les enjeux du futur.
Face au scepticisme et aux habitudes nationalistes, les « pères » de l’Europe avaient, dans les années 50, allié clairvoyance, ténacité et cœur. Nous pouvons faire de même pour construire une Europe une et diverse, forte et solidaire.
Annexe 1 Enquête Eurobaromètre Standard 69 (Premiers résultats), juin 2008[26]
« Selon vous, en termes de valeurs partagées[27], est-ce que les États membres de l’Union européenne sont proches ou non les uns des autres ? ».
Pour l’ensemble des 27 pays de l’UE, 54% des sondés estiment qu’ils sont « plutôt proches ou très proches », 34% « plutôt éloignés ou très éloignés ».
Les pourcentages relevés dans les pays récemment intégrés dans l’UE sont habituellement plus ‘positifs’. C’est le cas pour la Bulgarie (61 et 20), Chypre (68 et 20)[28], la République tchèque (68 et 26), la Slovaquie (71 et 23), Malte (65 et 14) la Pologne (62 et 22). D’autres pays devenus membres de l’UE se situent dans la moyenne : Estonie (51 et 34), Lituanie (53 et 34), Roumanie (54 et 26) – la Lettonie étant nettement plus réservée sur le partage de valeurs communes (42 et 50)[29].
Annexe 2 Enquête Ipsos Public Affairs Enquête sur les Européens, les patrimoines de l’Europe et le patrimoine européen [30]
Qu’est-ce que le patrimoine ? Quand elles en parlent, les personnes interviewées songent principalement à l’architecture et aux monuments historiques (45%) ainsi qu’à l’histoire, aux traditions, aux modes de vie (42%), mais avec des accents différents selon les pays[31]. La littérature et la musique viennent ensuite (23 et 21%)[32]. Sont également mentionnés la peinture, l’archéologie, le cinéma ainsi que la philosophie et les grands courants d’idées (respectivement 12, 10, 8, 7%)[33].
Les différences, parfois marquées, entre les cinq pays mettent en évidence des particularités nationales que l’on connaît par ailleurs : songeons à des domaines comme la musique (Hongrie, Finlande, Allemagne, Italie), la peinture et l’archéologie (Italie), le cinéma (France, Allemagne), la philosophie (France, Allemagne)…
Y a-t-il un sentiment de patrimoine culturel commun ? Actuellement, quand ils pensent au patrimoine culturel européen, 49% des interviewés songent plutôt à « l’addition des patrimoines nationaux des pays » et 45% à « un patrimoine véritablement commun que partagent la plupart des habitants de l’Union européenne »[34]. Les Français et les Allemands sont majoritairement du premier avis, ceci exprimant sans doute de leur part un sentiment de spécificité culturelle. Les Italiens et les Finlandais ont davantage le sentiment d’un patrimoine européen commun partagé.
En outre les habitants des cinq pays estiment à une grande majorité que leur patrimoine culturel national fait partie du patrimoine culturel européen – et cela de façon complète (selon 28% des interviewés) ou en partie seulement (selon 55%)[35]. Notons que les Italiens ont un sentiment très vif de la pleine appartenance de leur patrimoine national au patrimoine culturel européen. Ceci reflète peut-être leur conviction du rayonnement de la civilisation romaine. Les Hongrois sont par contre plus perplexes sur l’intégration de leur patrimoine national dans le patrimoine européen. Et corrélativement, face à l’Europe, ils éprouvent aujourd’hui une crainte de perte d’identité culturelle. À la question « Diriez-vous que l’Europe représente pour le patrimoine de votre pays un risque de perte d’identité », 59% des Hongrois répondent OUI, 39% NON. Alors que l’ensemble des interviewés ne sont que 34% à répondre OUI et 63% à répondre NON ![36] Cette fois encore les Italiens manifestent massivement qu’ils n’ont aucune crainte à ce sujet.
Notes :
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[1] Bruxelles (26 octobre 2007 – 12 mai 2008), sur le site de Tour & Taxis. Catalogue : C’est notre histoire ! 50 ans d’aventure européenne, Bruxelles, Tempora et Musée de l’Europe (152 p.). Diaporama sur le site www.expo-europe.be.
[2] Les concepteurs de l’exposition ont évoqué sept personnalités : Konrad Adenauer (Allemagne), Joseph Bech (Luxembourg), Jean Willem Beyen (Pays-Bas), Alcide de Gasperi (Italie), Jean Monnet (France), Robert Schuman (France), Paul-Henri Spaak (Belgique) qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, se sont dressés pour (re)construire l’Europe autrement : en traitant vaincus et vainqueurs sur un pied d’égalité et en recourant à l’économie pour faire œuvre de paix et de réconciliation durable. Révolutionnaires et réalistes, elles ont uni leurs efforts – avec intelligence, cœur et ténacité – pour que naisse le 18 avril 1951 la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), qui unit l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Italie, la France et la Belgique. Et c’est le 25 mars 1957 que sont signés à Rome les traités instituant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM). Prélude de cette Union européenne qui, en 2007, rassemble 27 pays.
[3] C’est notre histoire !, op. cit., p. 22.
[4] Cf. les Eurobaromètres Standard, sondages commandités par la Direction générale ‘Communication’ de la Commission européenne (http://ec.europa.eu/public_opinion/index_fr.htm).
[5] Eurobaromètre Standard 69 (Premiers résultats), juin 2008 (voir site indiqué à la note 4), tableau QD5, p. 141. De plus amples informations sont données en annexe 1.
[6] En ce qui concerne ces valeurs partagées, il est bon de noter la remarque des analystes : « si les Européens semblent convaincus qu’il existe bien des valeurs européennes, ils jugent cependant qu’elles se chevauchent en grande partie avec un ensemble plus vaste de valeurs occidentales globales » (p. 59 – voir tableau QD4.2, p. 140).
[7] Ipsos Public Affairs (http://www.ipsos.fr/canalipsos/articles/2103.asp?rubId=0&print=1), Enquête sur les Européens, les patrimoines de l’Europe et le patrimoine européen, dir. Stéphane Zumsteeg et Etienne Mercier, mars 2007 (date du terrain : 16-24 février 2007). En annexe 2 on trouvera de plus amples données selon les pays. Il serait souhaitable que pareille enquête soit étendue à l’ensemble des pays de l’UE. En effet, la dimension culturelle (prise en son sens large) de l’Europe mérite autant d’attention que ses aspects économiques…
[8] Voir Olivier Duhamel, Pour l’Europe (La Constitution européenne expliquée et commentée), Paris, Seuil, 2005 (2e édition revue). Lorsque nous nous référerons à ce projet, nous utiliserons le sigle TC.
[9] Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne (signé le 13 décembre 2007 par les chefs d’État et de gouvernement et soumis à ratification des États membres). On en trouve, sur le site www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i0439.asp, la version officieuse en français, publiée par les soins d’Axel Poniatowski. Les citations qui suivent s’y réfèrent. Sur la portée du Traité de Lisbonne, dans le prolongement du projet de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », voir Guy Cossée de Maulde, Le nouveau traité européen de Lisbonne, Centre Avec, Documents d’analyse et de réflexion, décembre 2007.
[10] Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l’Union européenne, art. 2 (reprenant TC I-2).
[11] Ibidem, art. 3 (TC I-3).
[12] Ce qu’est toute personne ayant la nationalité d’un État-membre de l’Union (cf. l’article 8 du Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne).
[13] Allemand, anglais, bulgare, danois, espagnol, estonien, finnois, français, irlandais (gaélique), grec, hongrois, italien, letton, lituanien, maltais, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovaque, slovène, suédois, tchèque.
[14] Pour en savoir plus, on peut lire L’Europe. Histoire de ses peuples, par Jean-Baptiste Duroselle (Paris, Hachette Littératures, coll. Pluriel, 2006).
[15] Cf. Histoire générale des civilisations, Le Moyen-Âge, dir. Édouard Perroy, Paris, PUF, 1955, p. 257.
[16] Dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, tome V (sous la responsabilité d’André Vauchez), Paris, Desclée, 1993, pp. 282 et 495.
[17] Ainsi, en 1528 voit-on le basque Ignace de Loyola (futur fondateur des jésuites) venir étudier à l’Université de Paris, qui rassemblait plusieurs milliers d’étudiants venant de tous les coins d’Europe.
[18] Cf. Histoire générale des civilisations, Les XVIe et XVIIe siècles, dir. Roland Mousnier, Paris, PUF, 1953, p. 16.
[19] Plus de 3.000 lettres (trad. fr. A. Gerlo et autres, La correspondance d’Érasme, 12 volumes, Bruxelles, De Graaf, 1967-1984).
[20] Voir Léon-E. Halkin, Érasme parmi nous, Paris, Fayard, 1987. Un choix de ses écrits : Érasme(Éloge de la folie ; Adages ; Colloques, Réflexions sur l’art, l’éducation, la religion, la guerre, la philosophie ; Correspondance), éd. établie par Claude Blum, André Godin, Jean-Claude Margolin et Daniel Ménager, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1992.
[21] Bruxelles (05.10.2007 – 20.01.2008), Le grand atelier. Chemins de l’art en Europe, Ve-XVIIIe siècle. Catalogue, Europalia.europa et Fonds Mercator, 2007, 335 p.
[22] Pat Cox, Le grand atelier… (Préface), p. 12.
[23] Roland Recht, Le grand atelier… (Présentation), p. 17.
[24] Voir Catheline Périer-d’Ieteren, « De l’imitation des maîtres à la création », dans Le grand atelier…, pp. 54-61. En ce qui concerne le grand peintre italien du XVIIe s. Le Titien, on peut constater qu’il a eu une énorme influence sur de grands peintres du XVIIe s. comme Rubens et Van Dyck dans les Pays-Bas méridionaux, Rembrandt en Hollande, Vélasquez en Espagne. Pour une vue plus générale, lire Peter Burke (« Les artistes : circulation et rencontres », dans Le grand atelier…, pp. 23-28), qui souligne combien « la circulation des personnes a joué un rôle important dans le processus d’échange culturel et la diffusion de l’innovation ».
[25] Les historiens ont sans doute leur rôle à jouer à cet égard, tant dans leurs recherches que dans leur travail de vulgarisation. Les enseignants ont aussi le leur, en faisant découvrir leurs racines aux futurs citoyens de l’Europe.
[26] Pour la référence, voir note 5.
[27] En ce qui concerne ces valeurs partagées, voir note 6.
[28] Dans la partie grecque de l’île ; dans la partie turque, les pourcentages sont de 75 et 12.
[29] En ce qui concerne la Belgique, les pourcentages se montent à 62 et 34. L’enquête a également porté sur trois pays proches de l’UE. Voici les pourcentages qui les concernent : Croatie (54 et 39), Turquie (64 et 10), Ancienne République yougoslave de Macédoine (72 et 16).
[30] Dir. Stéphane Zumsteeg et Etienne Mercier, mars 2007 (date du terrain : 16-24 février 2007). Pour la référence voir note 7.
[31] Il existe des différences de perception importantes selon les pays : Allemagne (38 et 52), France (63 et 48), Italie (43 et 24), Hongrie (51 et 43), Finlande (28 et 42).
[32] Allemagne (27 et 22), France (19 et 13), Italie (15 et 18)), Hongrie (25 et 28), Finlande (26 et 23).
[33] Allemagne (9, 10, 6, 10), France (8, 9, 12, 14), Italie (16, 16, 10, 7), Hongrie (19, 11, 9, 3), Finlande (10,3, 5, 2).
[34] Allemagne (54 et 42), France (58 et 37), Italie (45 et 48), Hongrie (49 et 48), Finlande (39 et 50).
[35] Allemagne (33 et 56), France (30 et 56), Italie (52 et 33), Hongrie (5 et 70), Finlande (18 et 58).
[36] Allemagne (24 et 74), France (39 et 60), Italie (13 et 82), Finlande (38 et 61).