Le 02 mars 2018

Héberger des migrants, une expérience riche en humanité

Ils sont Soudanais, Erythréens, Ethiopiens, Irakiens, Syriens… Ils ont parcouru des milliers de kilomètres pour fuir la guerre, la misère, la famine, pour échapper à la mort. Ils ont survécu à l’enfer libyen, à la traversée de la Méditerranée, au franchissement d’un nombre incalculable de murs et de frontières. Bruxelles est aujourd’hui pour eux une étape parmi tant d’autres déjà franchies. La destination finale de leur périlleux voyage est l’Angleterre. Là-bas, un très vaste réseau de solidarité s’est tissé au sein des communautés étrangères. Et l’immigration régulière est moins contrôlée.

La réaction politique : la traque
 

En Belgique, être un « transmigrant » est illégal et l’injonction du secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations Theo Francken est claire : « demandez l’asile sinon vous êtes des illégaux et vous serez renvoyés chez vous ». Si 80 % des migrants ne demandent pas l’asile en Belgique, c’est parce que, en vertu du règlement Dublin, le pays responsable de la demande d’asile d’un migrant est le premier pays qui l’a contrôlé. La plupart des migrants ayant été enregistrés en Grèce ou en Italie, deux principales portes d’entrée de l’Europe, ils seraient forcés de retourner dans le chaos de ces centres d’accueil déjà surchargés par l’afflux quotidien de migrants.

Plutôt que de revoir ce règlement qui laisserait une réelle chance aux migrants d’obtenir l’asile en Belgique, l’Etat belge, à travers sa politique migratoire, les traque sans relâche : planification de rafles avec quotas, confiscation et destruction d’effets personnels, déploiement de militaires et de policiers dans les espaces publics, collaboration avec la dictature soudanaise. Pour justifier la brutalité de ces dispositifs, les migrants sont dépeints chaque jour comme des criminels ou comme des fainéants, venus chez nous pour piller les ressources de notre système de sécurité social.

La réponse citoyenne : l’hébergement
 

Face à l’inhumanité de la prise en charge politique de ce problème sociétal, un petit groupe de bénévoles s’est lancé le pari, en septembre 2017, de trouver un foyer pour chaque migrant en transit. Depuis lors, chaque soir vers 20h, le parc Maximilien à Bruxelles devient un carrefour humain où se réunissent des migrants, des chauffeurs, des hôtes et des bénévoles. Entre angoisse et espoir, l’hébergement citoyen s’organise pour offrir, le temps d’une nuit, un peu d’humanité et de protection aux migrants qui rêvent seulement de pouvoir vivre leur vie dignement.

S’il n’y a pas de « jungle » à Bruxelles, ce n’est surement pas grâce au gouvernement quoi qu’en dise le Premier ministre Charles Michel, c’est grâce à ce mouvement collectif et à l’initiative de ces bénévoles qui ont donné les moyens à tous les citoyens belges qui se sentaient impuissants, de transformer leur indignation en action. Les migrants ne se retrouvent plus dans des camps de fortune. On pourrait même aller jusqu’à penser que ce sont les décisions politiques qui favorisent ces camps puisqu’elles poussent les migrants à vivre dans les rues.

Pourtant, la traque ne faiblit pas. Théo Francken projette de faire passer une loi autorisant les visites de la police au domicile des personnes qui hébergent des migrants en séjour illégal. « Visites » est un mot anodin, mais les associations qui travaillent sur les migrations dénoncent l’euphémisation de ce qui correspond en réalité à des « perquisitions ».

Ironie du sort, à chaque nouvelle sortie ou proposition de loi visant à criminaliser davantage les migrants et leurs hébergeurs, de nouveaux adhérents rejoignent ce mouvement solidaire, aujourd’hui composé de près de 36.000 membres[1].

Comment faire pour héberger ?
 

  1. Demandez à rejoindre la grande communauté d’hébergeurs en suivant la page « hébergement plateforme citoyenne » sur Facebook.
  2. Tous les jours, dans la matinée, un sondage est mis en ligne. Il suffit de cocher l’option « Hébergeur(e) ». Il vous faudra aussi donner des informations comme vos coordonnées et vos disponibilités (combien de migrants vous souhaitez accueillir, pendant combien de temps, etc.).
  3. Vous avez besoin d’un(e) chauffeur(e) pour vous amener vos invités ? Vous pouvez le mettre en commentaire du sondage quotidien ou contacter les chauffeurs qui se sont enregistrés.
  4. Vous n’avez pas de compte Facebook ? Vous avez oublié de remplir le sondage qui se clôture à 17h ? Ou, en revenant de votre soirée, vous souhaitez ouvrir les portes de votre maison ? Vous pouvez vous rendre spontanément au 59, chaussée d’Anvers à 1000 Bruxelles. Des bénévoles, revêtus d’une veste blanche, vous y attendront avec un grand sourire et un professionnalisme à toute épreuve.
  5. Vous vous posez des questions pratiques sur l’accueil ? Par exemple, est-il possible d’accueillir deux personnes sur un matelas pneumatique ? Y a-t-il des risques légaux à accueillir des réfugiés chez soi ? Un document « foire aux questions » est disponible sur la page Facebook de la plateforme.
  6. Vous avez encore des doutes, des inquiétudes, des appréhensions ? Visitez le site www.perlesdaccueil.be qui compile des témoignages d’accueil qui pousseront les indécis à se lancer !

L’hébergement, une expérience riche en humanité
 

Accueillir des migrants chez soi chamboule tout : son mode de vie, ses habitudes, son train-train quotidien… Cela amène beaucoup de questions : comment va-t-on se comprendre ? Qu’est-ce qu’on risque légalement ? Comment aborder le sujet avec mes enfants ? Cela pousse à dépasser certaines excuses : « mes journées sont trop fatigantes » ou « je ne pourrais pas leur offrir tout le confort nécessaire ».

Ce soir pour la première fois nous hébergeons quatre jeunes qui ne se connaissaient pas il y a encore une semaine. Nous avions trois chambres libres ce soir et ils ont préféré dormir à quatre dans la même. Et déplacer les matelas … Qui se sent le plus apeuré ? Je pense que c’est pas moi… ça remet drôlement les choses à leur place ces petits détails! […] (Ariane)

Quand toutes ces barrières sont franchies, l’accueil devient une opportunité pour faire une découverte mutuelle et respectueuse. Il redonne du sens à nos vies. Il réveille notre humanisme, enfoui sous les routines journalières.

En quelques semaines, j’ai été émue, j’ai ri aux larmes, j’ai pleuré, j’ai goûté le merveilleux thé saoudien, moi qui n’aime que le café. Mes petits tracas ont été remisés au rang de ce qu’ils sont : des broutilles. Les gens que j’héberge ont connu l’enfer, ont été poursuivis chez eux, enlevés ou torturés en Libye, en dérive sur la Méditerranée, noyés dans l’afflux de migrants en Italie, arrêtés en France, maltraités en Belgique.

En ouvrant bêtement ma porte, en occupant une chambre vide, j’ai grandi en humanité. Je suis fière de moi, de mon jeune fils qui s’est mis à la cuisine, à l’anglais, à l’arabe et à l’harissa, indispensable trait d’union entre notre cuisine et celle, bien plus marquée, des pays du Sud. Avant, je m’installais devant un film, je pensais au prochain repas, je faisais des plans pour le week-end, je m’énervais pour des bêtises. Maintenant, tout ça parait sans saveur, sans importance.

Je suis envahie par un sentiment d’urgence énorme par rapport à ces gens si fragiles qui me font une confiance aveugle. Tous remercient sans cesse, tous veulent avancer, avoir une vie meilleure. […]

Seule avec des enfants, travailleuse à temps plein mais comptant mon argent à la fin du mois, j’ai toujours cru que je faisais partie d’une classe un peu limite, celle des nouveaux pauvres. Je me plaignais de ne pas pouvoir m’offrir une femme de ménage ou des vacances exotiques en juillet. En fait, je fais partie des chanceux, de ceux qui peuvent dormir au chaud, prendre une douche tous les jours, manger à leur faim, avoir une voiture, râler à haute voix, s’indigner. Je suis tellement riche. Et maintenant, grâce à vnous[2], je suis riche en humanité. (Cécile)

Héberger, c’est devenir un citoyen du monde quelles que soit nos aspirations politiques. Des personnes que tout oppose mais aussi que tout réunit. Héberger, c’est partager une vision du monde plus humaine et plus solidaire.

Quelques jours après une expérience d’accueil (3 jeunes Erythréennes), toujours habité par ce sentiment d’avoir vécu une expérience à la fois hyper simple mais tellement humaine, et d’avoir, par une simple porte ouverte, quelques lits mis à disposition, et un peu de temps partagé à table, semé et reçu des graines d’humanité.

On ne l’écrira jamais assez : ces moments nous rendent subitement un peu plus humains, nous offrent de toucher l’essentiel, nous invitent à croître dans la confiance réciproque, nous font redécouvrir l’hospitalité, la fraternité. Ils nous font résolument quitter nos évidences, nous enracinent ailleurs et nous poussent à nous ouvrir à l’inattendu… On a une envie irrésistible de se situer au-delà du bien et du mal, au-delà de la politique… Mais il faut bien rester les pieds sur terre et ne pas perdre de vue qu’il s’agit aussi d’un acte de résistance face à une vision du monde figée, aux frontières quasi étanches. L’économie est parvenue à mondialiser le commerce et la notion de croissance. Par notre action, nous nous mobilisons pour mondialiser l’accueil et pour faire de notre planète la maison de chacun… (Benoit)

Quand l’aide citoyenne dépasse l’hébergement
 

Certains, ne sachant pas héberger ou voulant en faire plus, ont créé ou participent à des initiatives qui rendent possible l’hébergement. Il est notamment possible :

  • D’être collecteur ou stockeur de denrées non périssables et fournitures (liquidation de grands magasins, échantillons dans des pharmacies, invendus des commerces locaux, etc.) ;
  • D’être chauffeur à partir du parc vers des familles ou vers le Centre la Porte d’Ulysse au 1426 de la chaussée d’Haecht à Haren, (et inversement) ;
  • De dénicher des vêtements au centre de tri d’Oxfam à Anderlecht et de les distribuer aux migrants à la Gare du Nord[3] ;
  • De préparer et distribuer les repas aux migrants avec les associations Deux euros cinquante[4], Belgium Kitchen[5] et Serve the City[6] ;
  • D’être veilleur (19h00-01h00 ; 00h00-07h00, 06h30-11h00) au Centre « la Porte d’Ulysse » ;
  • De devenir bénévole auprès de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés (interprète, soutien scolaire, médecin )[7;
  • De proposer d’ouvrir le temps d’une ou plusieurs nuits des locaux comme l’ont fait la ferme Nos Pilifs, certains locaux scouts, des salles de sports, des écoles, des locaux de bureaux, des hôtels ou encore des auberges de jeunesse ;
  • D’engager sa commune à devenir « commune hospitalière »[8] afin d’améliorer l’information et l’accueil des personnes migrantes, quel que soit leur statut.

Quelques avantages de l’accueil
 

  • Pratiquer et/ou apprendre l’anglais et l’arabe ;
  • Découvrir des habitudes et pratiques traditionnelles de nombreux pays ;
  • Apprendre à connaitre les cultes et les rites de différentes religions ;
  • Ressortir les jeux de société de leurs armoires ;
  • Apprendre aux enfants qu’aider c’est possible et très facile ;
  • Découvrir des musiques qui font voyager ;
  • Réapprendre la géographie des pays lointains ;
  • Apprendre à cuisiner des plats du monde ;
  • Agrandir son cercle de connaissances et d’amis en rencontrant des Belges qui hébergent, stockent, chauffent, etc.
  • Devenir accro à l’ocytocine. Il s’agit de l’« hormone du bonheur », qui se libère quand on prend soin de quelqu’un.

Notes :

  • [1] Le 9 février 2018, 35.757 membres font partie de la page Facebook « Hébergement plateforme citoyenne »

    [2] Vnous est un néologisme crée au cours d’une discussion entre des bénévoles de la plateforme. L’un disait : « Merci à vous », l’autre lui répondait : « Non, merci à nous ». Le « Vnous » était créé. Véritable trait d’union entre le « Vous » et « Nous » qui à la fois s’oppose mais surtout qui rassemble.

    [3] Sept associations, dont Médecins du Monde, ont joint leurs forces au sein d’un ‘hub humanitaire’ destiné à aider les migrants présents sur le territoire de Bruxelles. L’objectif est de mettre à disposition un lieu sanctuarisé où femmes, hommes et enfants peuvent trouver ce dont ils ont besoin (nourriture, soins de santé, informations, conseils juridiques, accompagnement psychologique, etc.). Le hub est situé dans le bâtiment ‘CCN’ de la Gare du Nord. L’entrée se fait via la place Solvay, au niveau des arrêts De Lijn. Pour s’y rendre, il faut atteindre le niveau 1,5 – direction ‘Gate B’.

    [4] Deux euros cinquante, c’est la somme moyenne nécessaire pour constituer un repas équilibré à offrir à un réfugié actuellement pourchassé partout dans Bruxelles mais surtout autour de la Gare du Nord et du parc Maximilien. Voir www.facebook.com/groups/307845609681321/.

    [5] La Belgium Kitchen héberge de nombreux démunis et sert un repas chaud tous les jours au Parc Maximilien après avoir passé un an dans le Camp de Calais. Voir www.facebook.com/BelgiumKitchen/.