Islamophobie en Belgique aujourd’hui
Décryptage et pistes d’action
Avant-propos
D’usage relativement récent, le terme et le concept d’islamophobie sont entrés aujourd’hui dans l’usage général pour spécifier le racisme ou la xénophobie qui s’exercent à l’égard de certaines personnes ou groupes en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion islamique. Les tragiques attentats des dernières années, en particulier en France et en Belgique, ont renforcé la nécessité d’étudier le phénomène avec la plus grande attention, en le situant correctement dans son contexte qui touche profondément notre société.
Pour mener à bien cette étude, nous prenons le parti d’en répartir la matière en quatre chapitres ayant chacun un objet très précisément défini. Dans le premier chapitre, nous reprendrons l’histoire du terme et du concept, nous en préciserons le sens et en défendrons la légitimité. Dans le second chapitre, nous décrirons la réalité de l’islamophobie dans ses différentes manifestations. Dans le troisième chapitre, auquel nous donnons pour titre : « En état de guerre… », nous regrouperons tous les problèmes que posent à nos sociétés les divers attentats et autres manifestations du djihad violent. Dans le dernier chapitre enfin, dans la perspective de lutter contre l’islamophobie, nous nous interrogerons en termes positifs sur la présence des musulmans dans la société belge et sur les moyens à mettre en œuvre pour que, tout en étant reconnus dans leur identité propre, ils puissent assumer pleinement la citoyenneté commune.
Chapitre 1 : Un concept discuté mais légitime et nécessaire
Même s’il est attesté dès le début du XXe siècle dans des ouvrages de spécialistes, le terme d’islamophobie n’entre dans le langage courant qu’à partir des années 1980. Le terme est contesté à plusieurs titres mais l’usage semble bien l’imposer. Nous en défendrons la légitimité : il y a bien une forme spécifique de racisme qui vise et affecte des personnes en raison de leur appartenance à la religion et à la culture musulmanes. Nous essaierons d’en préciser les contours, en la distinguant d’opinions, de critiques et de craintes légitimes. Nous dirons enfin pourquoi son emploi nous paraît nécessaire dans la mesure où il permet de désigner clairement une catégorie de personnes qui sont aujourd’hui, dans notre société, la cible privilégiée du racisme le plus courant.
Histoire d’un terme
Le terme d’islamophobie semble avoir été forgé par des administrateurs-ethnologues français en poste en Afrique Occidentale[1]. Ils dénoncent un parti pris négatif à l’égard des musulmans dont feraient montre nombre de leurs collègues.
« Il y a toujours eu, note l’un d’eux, et il y a encore un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans »[2].
Il y aurait ainsi toute une islamophobie « savante », un courant de l’orientalisme qui accrédite une vision très négative de l’islam et nourrit une islamophobie « ambiante » qui, à son tour, débouche sur une islamophobie « de gouvernement », dans le contexte colonial. L’apparition de ce terme se situe dans le contexte d’un face à face entre deux mondes qui, depuis la naissance même de l’islam, a toujours été tendu ; nous y reviendrons dans le 3e chapitre.
Le terme réapparaît en Angleterre à partir des années 1980 pour mettre en garde contre un racisme spécifiquement antimusulman qui vise les immigrés vivant en Europe. Il est corrélatif à l’affirmation plus explicite d’une identité musulmane parmi les communautés immigrées. Il va recevoir une plus large notoriété par les initiatives du think tank multiculturaliste Runnymede Trust qui publie successivement, en 1994 et en 1997, deux rapports sur la question[3]. De l’objectif que se donne ce groupe, on peut déduire que l’islamophobie comporte deux volets : un jugement négatif sur la religion islamique et des comportements injustes à l’égard des musulmans en tant que tels. Ces deux volets se retrouvent dans la « clarification » proposée par Doudou Diene, rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies en 2005 :
« Ce terme se réfère à une hostilité non fondée et à la peur envers l’islam, et en conséquence la peur et l’aversion envers tous les musulmans ou la majorité d’entre eux. Il se réfère également aux conséquences pratiques de cette hostilité en termes de discrimination, préjugés ou traitement inégal dont sont victimes les musulmans (individus et communautés) et leur exclusion des sphères politiques et sociales importantes ».
Il ajoute une précision importante : « Ce terme a été inventé pour répondre à une nouvelle réalité : la discrimination croissante contre les musulmans qui s’est développée ces dernières années »[4].
On ne peut négliger ici l’impact de la situation internationale, en particulier celui des attentats du 11 septembre 2001. Cet événement brutal a créé dans le monde occidental un climat de méfiance envers tout ce qui touche à l’islam – lequel n’a cessé de s’alourdir avec les « faits de guerre » successifs sur lesquels nous reviendrons dans notre troisième chapitre. Corrélativement, les générations nouvelles issues de l’immigration prétendent à une visibilité plus grande (le port du foulard par exemple), à une juste reconnaissance de leur identité. Pour une grande part de l’opinion publique, la présence musulmane devient un problème, un danger. L’ensemble des réactions négatives – paroles, actes, discriminations de toutes sortes – qui résultent de cette perception constitue l’islamophobie.
Un terme et un concept contestés…
C’est bien cette réalité-là que vise la définition du terme par le Petit Robert, lorsqu’il y fait son entrée en 2006 : « Forme particulière de haine dirigée contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins ». Mais le terme est-il adéquat ? N’est-il pas lourd d’ambiguïtés redoutables, n’est-il pas instrumentalisé par ceux qui l’emploient pour écarter toute critique ?
Nous ne nous attarderons pas à la critique du suffixe « phobie ». La phobie, c’est la crainte : le terme est utilisé dans le langage psychologique médical pour désigner des angoisses a priori irraisonnées : l’agoraphobie, la claustrophobie… Même si cette consonance pathologique ne disparaît jamais complètement, l’usage courant du suffixe (en opposition à son contraire : « philie ») est entré dans l’usage pour désigner plus généralement un jugement défavorable et une attitude hostile ou, à tout le moins, méfiante, à l’égard d’une nationalité ou d’une collectivité. Le Petit Robert définit la xénophobie : « hostilité à ce qui est étranger » (et renvoie au « chauvinisme »). On peut retenir que tous les termes composés avec le suffixe « phobie » qui se sont multipliés depuis quelques années expriment une hostilité injustifiée à l’égard d’un groupe de personnes.
Ce qui pose question en fait, c’est que, dans le cas qui nous occupe, le groupe de personnes soit désigné par le nom d’une religion. En toute logique, il faudrait dire « musulmanophobie » mais personne n’a jamais avancé ce terme-là. Pour certains de ceux qui rejettent le terme d’islamophobie, celui-ci aurait été lancé par des activistes musulmans pour interdire toute critique de leur religion[5]. Même si ses origines sont plus complexes, comme nous l’avons dit plus haut, il faut reconnaître que les deux aspects – de jugement négatif sur la religion et de rejet-discrimination à l’égard des personnes concrètes – sont liés : rappelons les définitions citées plus haut du Runnymede Act et de Doudou Diene. Sur ce point, les défenseurs de la laïcité de l’État, en particulier en France, sont catégoriques. Le Haut Conseil à l’Intégration affirmait clairement en 2005 : « En République, la critique de la religion comme de toutes les convictions est libre, est constitutionnellement garantie et ne saurait être assimilée au racisme et à la xénophobie » et allait même jusqu’à conclure : « La pratique de la religion étant libre, l’islamophobie, c’est-à-dire la peur ou la détestation de la religion islamique ne relève pas du racisme »[6]. Il ne manque pas d’auteurs qui, selon cette acception du terme, s’affichent islamophobes[7].
C’est catégorique mais ce n’est pas dans cette acception que le terme est entré dans l’usage. Il désigne en fait les actes de malveillance et les discriminations qui visent des personnes précisément en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à cette religion.
… et pourtant incontournables
Dans l’acception du terme tel qu’il est entré dans l’usage depuis quelques années, le rejet de l’islam comme tel et celui des musulmans sont intimement liés : ce qui est visé très précisément, c’est la visibilité, la présence publique de l’islam dans nos sociétés occidentales. C’est particulièrement le cas en France : Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed ont donné à leur livre fondamental déjà cité sur la question, le sous-titre : « Comment les élites françaises fabriquent le ‘problème musulman’ »[8]. Mais le constat peut s’étendre à notre pays, surtout après les événements des derniers mois. On peut dire qu’il y a islamophobie quand l’opinion publique et les autorités d’un pays, ou au moins une part importante d’entre elles, ressentent et dénoncent cette présence visible de personnes de religion et de culture musulmanes comme un problème : LE problème musulman. Un tel malaise, s’il n’est pas affronté courageusement, entraîne inévitablement des injures et des actes hostiles et des discriminations de tous ordres.
Le terme est-il chargé d’ambiguïté ? Certainement. Et si demain un autre concept, plus précis et mieux adapté, faisait surface, ce serait sans doute une bonne nouvelle. Mais, en attendant, l’usage impose le mot. Comme il a imposé de longue date le terme d’antisémitisme pour désigner une hostilité qui ne visait bien précisément qu’un peuple sémite – à l’évolution très particulière – entre beaucoup d’autres. Ce qui importe, c’est le fait social. Et il faut malheureusement bien reconnaître qu’il existe aujourd’hui une forme de racisme qui vise et lèse très précisément des personnes et des groupes en raison de leur appartenance à la religion musulmane. On ne peut plus aujourd’hui passer à côté du fait et du problème de l’islamophobie.
Chapitre 2 : La réalité de l’islamophobie
Il est temps maintenant d’aborder les principales manifestations de l’islamophobie pour identifier les moyens d’y faire face. Nous irons du plus évident au plus discuté – qui n’est pas pour autant moins grave.
Malveillance et discriminations
En deçà de toute élaboration théorique, le racisme est le rejet d’un « autre » en fonction de son appartenance, réelle ou supposée, à un groupe jugé inférieur, hostile ou dangereux, ou en tout cas différent et non assimilable[9]. Il vise donc et lèse des personnes. L’islamophobie vise et lèse des personnes en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion islamique. Nous avons vu, et nous y reviendrons nécessairement, que c’est à cause de la présence et de la visibilité accrue des musulmans dans l’espace européen que le terme s’est imposé. Le musulman a remplacé l’immigré, le Marocain, voire le bougnoul. Mais ce sont toujours les mêmes qui sont visés. Les injures, les actes de malveillance, et surtout les discriminations à l’égard de ces personnes sont un fait avéré. C’est leur nom, leur apparence physique (en dehors même de tout signe distinctif) qui leur vaut ce rejet dans les différents secteurs de la vie : emploi, logement, accès à certains lieux, rapports avec les administrations et les forces de l’ordre… Édouard Delruelle, l’ancien directeur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, appelle tout cela « les enjeux liés à la matérialité de l’existence » et il invite à penser les revendications de non-discrimination et de reconnaissance des minorités « en termes de parité de participation et non de promotion de la diversité et des identités »[10]. Nous ne partageons pas sa réticence à l’égard de la diversité, nous allons y venir tout de suite, mais nous trouvons opportune son insistance sur l’égalité de traitement envers tous les membres de la société. Sur cet objectif au moins, tous les antiracistes, toutes les personnes soucieuses de justice sociale et de démocratie devraient se retrouver.
Quelle reconnaissance de la diversité ?
Quelles qu’aient été l’origine de l’islamophobie et les circonstances de l’apparition du terme, on peut dire que le champ où elle est perçue principalement est la visibilité de l’islam au sein de nos sociétés occidentales. On a dit de l’islam des migrants marocains et turcs de la première génération qu’il était « l’islam des caves ». Les ouvriers s’arrangeaient entre eux pour pratiquer leur religion quand ils y tenaient vraiment, des accommodements concernant par exemple un temps et un lieu pour la prière pouvaient sans douter se négocier çà et là sur le terrain mais l’accent était ailleurs. Sur « les enjeux liés à la matérialité de l’existence » précisément, sur l’accès aux droits sociaux et à la participation politique. On rappelle volontiers ici les combats menés dans les années 70 et 80 avec les syndicats, les organisations de travailleurs étrangers, le monde associatif, au sein par exemple de la coordination « Objectif 82 »[11]. Fruit certainement et peut-être point d’orgue de tous ces combats, le Rapport du Commissariat Royal à la Politique des Immigrés, en 1989, a proposé comme objectif, à égale distance de l’assimilation et du développement séparé, l’intégration des immigrés et donné de celle-ci une définition mûrement pesée : étant supposé le respect de l’ordre public, l’intégration combine « l’insertion selon les principes sociaux fondamentaux de la société d’accueil » et le « respect de la diversité culturelle dans les autres domaines comme enrichissement mutuel »[12]. C’est sur la portée respective de ces deux exigences et sur leur conciliation dans le concret que se pose le problème. Les musulmans – ou en tout cas un bon nombre d’entre eux – revendiquent le droit de vivre publiquement leur diversité et perçoivent comme du racisme le refus qui leur est opposé et les discriminations qui s’en suivent. Le point de friction le plus sensible est le port du voile ou foulard, mais il y en a d’autres, comme les prescriptions alimentaires ou les horaires de travail. C’est essentiellement ce refus de reconnaissance que ceux qui en sont victimes appellent islamophobie. Tous ceux par contre qui n’acceptent pas cette visibilité de la différence – et l’éventail en est très large, y compris parmi les plus démocrates et sincèrement antiracistes – soutiennent qu’il n’y a là aucune discrimination mais seulement l’appel au respect des « principes sociaux fondamentaux »[13].
Nous ne reviendrons pas sur les efforts successifs qui ont été faits pour rapprocher les points de vue, d’abord par la « Commission du Dialogue Interculturel » (2005), puis par les « Assises de l’Interculturalité » (2009-2010)[14]. Il faut bien constater qu’ils n’ont eu jusqu’ici aucun effet politique et n’ont guère influencé les expressions de l’opinion publique. Du point de vue de notre réflexion sur l’islamophobie, c’est ici le point le plus délicat et le plus décisif. Des personnes sont discriminées à cause de comportements – manière de se vêtir, de se nourrir, de vivre le temps – auxquels elles tiennent en vertu de leurs convictions religieuses et auxquels elles ne veulent pas renoncer. Il y a bien là une forme spécifique de racisme et c’est à juste titre que ceux et celles qui en sont victimes parlent d’islamophobie.
Que faut-il donc faire ? Quelle serait la juste reconnaissance de la diversité ? Ceux qui la revendiquent peuvent se référer à des principes clairement énoncés dans le droit de nos sociétés. Citons seulement la Convention Européenne des Droits de l’Homme, article 9 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique […] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public et en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites »[15]. Le port du voile, la nourriture hallal sont bien des pratiques religieuses. Cette liberté n’est pas absolue mais elle « ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui »[16]. Les limitations éventuelles sont ainsi elles-mêmes strictement limitées : elles doivent répondre à un « devoir social impérieux » et elles ne peuvent venir que du législateur : « prévues par la loi », dit le texte.
Il faut bien reconnaître qu’un large champ de comportements discriminatoires dont sont victimes les musulmans et surtout les musulmanes dans nos société entrent directement en contradiction avec le droit à la liberté religieuse ainsi défini. Nous pensons tout particulièrement à tant de femmes compétentes et décidées qui n’arrivent pas à décrocher un emploi parce qu’elles ne veulent pas renoncer à leur libre choix de porter le voile. Quand elle est le fait d’employeurs privés, cette discrimination est injustifiée et peut être qualifiée de raciste. Quand il s’agit d’administrations ou de services publics, elle s’abrite derrière les principes légaux de laïcité ou de neutralité. Mais l’interprétation qui est faite de ceux-ci et de leur conciliation avec le droit à la liberté de manifester sa conviction varie selon les cas et les endroits et la pondération des arguments est bien aléatoire. Dans le cas du port du voile dans l’enseignement secondaire par exemple, la décision est encore souvent laissée au règlement intérieur de l’établissement. Peut-on raisonnablement admettre que celui-ci ait l’autorité de la loi pour priver des personnes d’un droit fondamental ?
Il est vrai que, dans le concret de la vie sociale, pas mal de différends peuvent être réglés à l’amiable, des accommodements peuvent être trouvés qui satisfont tout le monde en dépassant les clivages difficiles. C’est le principe du « plus grand dénominateur commun » défendu par Dounia Bouzar dans son livre « Laïcité, mode d’emploi »[17]. Mais si on peut dépasser le clivage entre mangeurs de viande hallal et mangeurs de viande ordinaire en présentant à tous un menu végétarien et trouver pour toutes sortes d’autres situations des solutions neutres, quand il s’agit du voile, ou bien on l’accepte, ou bien on ne l’accepte pas.
Il faut aller plus loin et c’est bien ce qu’ont essayé de faire les Assises de l’Interculturalité en s’affrontant aux questions les plus disputées et en essayant de proposer des solutions de compromis qui seraient définies légalement. Concernant les « signes convictionnels » – c’est le terme employé mais il s’agit bien évidemment du voile islamique – le Rapport final avançait deux propositions : pour l’école, il préconisait l’interdiction complète jusqu’aux trois premières années de l’enseignement secondaire et la liberté généralisée pour les trois dernières années ; pour les agents des services publics, une liberté générale, avec une interdiction limitée aux seuls agents investis d’une fonction d’autorité[18]. Mais leurs suggestions (sur ces points et sur bien d’autres) ont suscité plus de critique (parfois violente) que d’adhésion et surtout elles n’ont eu aucune suite sur le plan politique[19]. Il y a donc, à notre sens, un combat à mener pour une juste reconnaissance de la diversité culturelle. À défaut d’une claire détermination par voie légale des limites qu’il convient d’apporter à la manifestation publique des convictions, celle-ci risque d’être de plus en plus bafouée, au prix de grandes injustices. Les règlements d’ordre intérieur, les décisions administratives à tous les niveaux tendent de plus en plus à réduire le champ de la liberté religieuse.
Pour enrayer cette dérive, une mobilisation est nécessaire. Le monde politique ne peut pas continuer à éluder ces questions. À cet égard, on peut s’interroger sur le rôle positif que pourraient jouer et que ne jouent pas les nombreux mandataires politiques issus des communautés musulmanes – tout en reconnaissant que leur position est délicate au sein de partis. On peut regretter aussi le peu de poids que représente dans notre paysage social et politique l’Exécutif des musulmans. Nous reviendrons dans le dernier chapitre sur ces questions et sur les voies qu’il faudrait suivre, les initiatives qu’il conviendrait de prendre pour permettre aux musulmans de trouver leur juste place dans notre société belge.
Le discours islamophobe
Dans notre discussion du concept d’islamophobie, au premier chapitre de cette étude, nous avons reconnu qu’il ne recouvrait pas la critique de la religion islamique comme telle ou de certains de ses aspects. En quel sens dès lors pouvons-nous et devons-nous parler de discours islamophobe ? En cohérence avec ce que nous avons dit jusqu’ici et d’une façon tout-à-fait générale, ce serait lorsque ces propos lèsent ou discriminent des personnes. Lorsque la manière de parler de l’islam laisse entendre qu’il y aurait incompatibilité entre l’appartenance à cette religion et à cette culture et l’insertion dans notre société et que, dès lors, la présence de musulmans parmi nous est un problème, voire une menace majeure.
Ce discours, il faut le reconnaître, est archi-présent, et il l’est de plus en plus en raison des circonstances sur lesquelles nous reviendrons plus en détail dans le troisième chapitre. Mais, même lorsque le caractère injurieux est indéniable et soulève des protestations, il est très difficile, sinon impossible de le réprimer. On rencontre ici le problème plus général que pose la répression du discours et de l’écrit raciste en général. Sa nécessité est en effet difficile à concilier avec la liberté d’opinion et d’expression qui est fondamentale dans une société démocratique.
La loi belge du 30 juillet 1981 punit « quiconque incite à la discrimination, à la ségrégation, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe, d’une communauté ou de leurs membres en raison de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique de ceux-ci ou de certains d’entre eux ». Elle ne vise pas à sanctionner les opinions ni même les injures racistes en tant que telles, elle vise les « incitations ». Dans le cas du discours ou de l’écrit raciste, ce n’est pas le contenu en tant que tel qui est condamné, c’est son caractère incitatif, on pourrait dire performatif : l’utilisation du langage pour provoquer la haine, la violence ou la discrimination[20]. Ce caractère incitatif est évidemment toujours difficile à établir. Ce l’est plus que jamais quand il est question de l’islam, dès lors que le texte de la loi en effet ne parle pas de la religion comme telle. N’importe quel discours sur l’islam, son caractère violent, son incompatibilité avec les principes fondamentaux des Droits humains et de la société démocratique peut être tenu, à la limite, sans qu’on puisse intervenir dans le cadre de la législation antiraciste.
Il n’en est pas moins nécessaire de le combattre et de le réfuter, avec détermination et persévérance. Un jugement critique sur la religion islamique ou sur certains de ses courants est légitime mais il devient islamophobie quand il débouche sur l’affirmation, plus ou moins explicite, d’une incompatibilité entre la profession que des personnes font de cette religion et leur insertion dans la société. De même, la dénonciation des excès du djihad islamique est légitime et même nécessaire mais elle devient islamophobie si elle entraîne une méfiance généralisée à l’égard de tous les musulmans.
L’émergence et le développement du djihad islamique violent et surtout son incursion brutale au cœur de nos sociétés, depuis les attentats de janvier 2015, donnent à cette question du discours islamophobe et de ses effets une actualité brûlante. C’est pourquoi il nous a paru nécessaire de consacrer tout un chapitre à cet ensemble d’événements et aux questions qu’ils posent : nous lui donnons pour titre « En état de guerre… ».
Chapitre 3 : En état de guerre…
L’islam violent
Depuis la naissance de l’islam et sa première expansion, au VIIe siècle de notre ère, le rapport entre le monde islamique et le monde chrétien occidental a été un face à face, souvent hostile, toujours difficile. Rappelons seulement, en quelques mots, les conquêtes musulmanes, les croisades, l’apogée de la civilisation musulmane, de Bagdad à Cordoue, le cran d’arrêt à son expansion (Lépante, 1571, et Vienne, 1683), puis son déclin, au moment même où l’Occident moderne conquiert le monde, le colonialisme enfin auquel sont soumises beaucoup de populations musulmanes. Le face à face continue avec la décolonisation, souvent dans la douleur et la violence (guerre d’Algérie…) ; et ce qui est d’abord vécu comme un soulèvement contre la domination occidentale (mû par ce que Ziegler a appelé « la haine de l’Occident ») va de nouveau prendre une coloration fortement religieuse quand la réforme de l’ayatollah Khomeiny, en Iran, renverse un shah moderniste.
Les attentats du 11 septembre 2001 à New York marquent un nouveau seuil. On peut les considérer comme une véritable déclaration de guerre, et c’est d’ailleurs ainsi que l’a compris le président Georges W. Bush en déclarant à son tour la guerre à Al Qaida. Depuis cette date, l’évolution des événements dans le monde arabe et leurs répercussions dans nos pays n’ont cessé d’occuper l’actualité et d’engendrer le désarroi. La guerre déclarée à Al Qaida par le président Bush s’est d’abord déroulée en Afghanistan, mais le rapide renversement du gouvernement des Talibans n’a pas mis fin à leur résistance. Pas plus que l’élimination d’Oussama ben Laden n’a mis fin à l’existence d’Al Qaida, à l’idéologie de la lutte terroriste anti-impérialiste et à sa dissémination dans tout le monde arabo-musulman. Les interventions occidentales, tant en Irak qu’en Libye, n’étaient sans doute pas sans justification ; elles ont renversé de véritables tyrans mais n’ont pas réussi à apporter la paix et la démocratie ; elles ont au contraire créé des situations très troubles où l’extrémisme djihadiste a trouvé un terrain favorable. Le « printemps arabe » qui, dans les premiers mois de l’année 2010, a fait souffler un vent d’espérance du Maghreb au Machrek (de l’Occident à l’Orient au sein du monde arabe) s’est vite empêtré et dissous dans le jeu compliqué des courants et des influences. En Syrie en particulier, la répression brutale du mouvement populaire par le régime de Bachar el Assad a créé un chaos au cœur duquel est venu s’installer ce qui est à ce jour la pire et la plus redoutable expression du djihad violent, l’État islamique en Irak et au Levant, ou Daech.
L’expansion rapide de Daech, en Irak et en Syrie et ailleurs encore, et sa prétention à créer un khalifat alarment à juste titre tous les États du monde. Le radicalisme de ses guerriers, la publicité qu’ils donnent à leurs atrocités révoltent et inquiètent profondément, et cela d’autant plus que pas mal d’entre eux ont grandi dans nos pays. Il n’est pas déplacé d’évoquer ici un projet de conquête universelle, de guerre déclarée au monde entier. Pourtant une analyse plus poussée de la situation engage à parler plutôt de guerre interne à l’islam, de « guerre civile » dans laquelle s’entrecroisent l’opposition ancestrale entre Sunnites et Chiites et les influences contrastées de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Iran[21]. Mais cette guerre civile a forcément sa répercussion dans le monde entier, dans le monde des « croisés » et des incroyants, s’il est vrai que la domination en Islam tend assez naturellement vers la domination universelle de l’islam, considéré comme la vraie religion, la vraie conception du monde. La version violente de l’intégrisme musulman est animée d’un souffle eschatologique.
Le terrorisme et ses effets
L’attentat terroriste fait depuis longtemps partie de l’arsenal du djihad violent dans ses diverses composantes[22]. Il frappe couramment en Afghanistan, en Irak, en Syrie… Il a sévi particulièrement en Tunisie, frappant rudement ce pays dans son effort si courageux de « printemps » démocratique. Il avait déjà durement frappé l’Espagne en 2004, la Grande-Bretagne en 2005. On peut aussi rappeler le tueur qui a fait quatre victimes à l’entrée d’une école juive à Toulouse (19 mars 2012) ou celui qui a abattu quatre personnes au musée juif de Bruxelles (24 mars 2014). Mais l’événement qui a le plus secoué l’opinion de nos pays et soulevé la plus importante réaction, ce fut le double attentat de Paris, le 7 janvier 2015 contre le journal satirique « Charlie Hebdo » et, deux jours plus tard, contre une supérette cachère (ensemble 17 victimes). Il sera pourtant largement dépassé en horreur, 10 mois plus tard, le 13 novembre 2015, par les nouvelles tueries de Paris qui ont fait 130 victimes. Le 22 mars 2016, la Belgique à son tour était directement touchée par la double explosion, à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Maelbeek (32 morts et quelques 340 blessés). Le 14 juillet suivant, un autobus fonce sur la foule à Nice, faisant 86 morts et 434 blessés. Mentionnons encore, dans l’actualité récente, des attentats plus limités mais très significatifs par la cible visée, tels que l’assassinat du prêtre Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016 ou l’agression manquée contre le poste de police de Charleroi, le 6 août 2016.
Cette succession d’événements a profondément secoué notre vie publique et pèse durablement sur elle. Dans cette étude, nous nous intéressons spécifiquement à leur impact sur l’islamophobie, à la manière dont ils affectent trop évidemment la présence des musulmans dans notre société. Mais il faut d’abord, très rapidement, évoquer quelques autres aspects plus généraux.
La politique internationale d’abord. Tous ces faits peuvent être considérés comme des faits de guerre. Les États occidentaux ont déclaré la guerre à Daech ; des avions belges y sont engagés. Guerre hésitante, aux contours flous, à l’efficacité douteuse (même si l’on se réjouit à bon droit de certains reculs de l’État islamique). On entre ici dans le fouillis inextricable de la situation en Syrie et en Irak, cette « guerre civile en islam » que nous avons évoquée plus haut. Il semble clair qu’il faut combattre Daech, mettre un terme définitif à son influence maléfique. Mais des raids aériens, des interventions militaires sporadiques n’y suffiront pas. Il faudrait sans doute une action concertée, sur le terrain et surtout un patient travail diplomatique qui sache dépasser les luttes d’influence entre les États-Unis et la Russie, et entre les États voisins, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie pour amener enfin la paix pour ces populations si durement et durablement éprouvées. On peut seulement espérer que les chefs d’État et les négociateurs engagés dans cette entreprise auront la sagesse et la détermination nécessaires pour la mener à bonne fin.
La traque des terroristes et les mesures de sécurité ensuite. La question s’est déjà posée en Belgique après les attentats de janvier 2015 à Paris, en raison du projet déjoué à Verviers au même moment par l’intervention de la police : à ce moment-là déjà l’alerte a été élevée au niveau 3 (sur une échelle de 4). Ce sera de nouveau le cas après les attentats de novembre 2015, en raison de l’implication d’acteurs belges ou résidents en Belgique. Du 21 au 26 novembre, on passe même à Bruxelles au niveau 4 (ce qui implique la fermeture des gares et des stations de métro, la suppression de beaucoup d’activités publiques, un contrôle serré des écoles, etc.). Ce sera de nouveau le cas du 22 au 24 mars 2016. En fait-on assez, en fait-on trop ? Les commentaires ont abondé et on a eu beau jeu de pointer les erreurs ou les négligences du passé ou du présent dans la circulation des informations, la surveillance des suspects ou la prévention de la radicalisation de jeunes musulmans. Nous pensons que nous avons à faire à un ennemi particulièrement imprévisible, par rapport auquel il est impossible de dresser une protection sans failles et que sa première victoire serait de nous enfermer dans une spirale de peur et de suspicion. Il nous semble que, globalement, la crise a été assez bien gérée en Belgique. Nous pensons toutefois que tant la presse que les politiques ont raison de demander des explications et de signaler les erreurs qu’on peut corriger ou les améliorations qu’on peut apporter dans le fonctionnement d’un pays « en état d’alerte ». La Commission d’enquête parlementaire, instaurée après le 22 mars 2016, a permis de mettre au jour et de corriger peut-être déjà certains disfonctionnements. La consigne serait qu’il faut « raison garder ». Et qu’il ne faudrait pas que, dans un souci de sécurité et de surveillance, on en vienne à mettre en danger certains droits fondamentaux de la personne humaine et que, dans la volonté de préserver notre société démocratique, un réflexe de peur nous en fasse sacrifier les valeurs.
Cette dernière remarque vaut tout particulièrement pour la manière dont on aborde le problème de la radicalisation des jeunes qui partent en Syrie et qui en reviennent. C’est une question complexe et délicate et on a sans doute raison de déplorer qu’on ne l’ait pas détectée et prise au sérieux plus tôt. Pourtant, ici aussi, il faut raison garder. On a pu entendre dans la bouche de politiques et même de membres du gouvernement la proposition délirante de déchoir de la nationalité belge même des jeunes qui n’ont jamais eu que celle-ci. Certes beaucoup d’aspects doivent être pris en compte dans le combat contre la radicalisation : sa détection précoce, la surveillance de ceux qui sont suspectés, sa juste répression, mais il faudrait surtout réfléchir et agir en termes de prévention, entendant par là tout ce qui permettrait aux jeunes de se situer à la fois dans notre société et dans l’islam. Et quant à ceux qui ont cédé à l’attrait de Daech et en reviennent, il ne faudrait pas les traiter à priori comme des criminels mais privilégier envers eux, autant que possible, une approche éducative.
Un regain d’islamophobie
Mais venons-en à l’impact de ces événements sur l’islamophobie. Il est évident, compréhensible, en tout cas inévitable. Depuis les attentats de New York déjà, et plus encore, dans les dernières années, avec le développement de Daech et ses atrocités, une sorte d’injonction implicite pèse sur chaque personne musulmane de se désolidariser ouvertement de ces faits. De nombreux désaveux et prises de position de diverses autorités musulmanes dans le monde et dans nos pays ne suffisent pas à satisfaire cette attente, confuse, à dissiper la suspicion.
Lors des attentats de janvier 2015 à Paris, l’injonction devient plus impérative et en même temps plus problématique. Les attentats sont ciblés : l’un d’entre eux vise un commerce fréquenté par des Juifs, l’autre, celui qui a le plus de retentissement, vise les journalistes de Charlie Hebdo que les djihadistes ont pris pour cible à cause de leurs caricatures du prophète. Devant les nombreuses réactions que suscite l’attentat, le malaise de nombreux musulmans est manifeste : dans des établissements scolaires de la région parisienne notamment, des jeunes refusent de se joindre à la minute de silence. Dans plusieurs pays musulmans, des manifestations, parfois violentes, vont se dérouler pour protester contre l’exaltation de Charlie Hebdo. Les medias vont faire un large écho, pour s’en indigner, à ces réticences et à ces manifestations, accentuant l’impression qu’il y a bien, entre la société occidentale qui met au-dessus de tout la liberté d’expression et la communauté musulmane enfermée dans ses traditions, un fossé presqu’infranchissable.
Nous avons retenu deux réactions critiques à cette vague de méfiance parce qu’elles nous paraissent pleines d’enseignement. La première est un texte publié sur le web, dès le 10 janvier 2015 : il émane d’une enseignante appelée Marie et a pour titre : « Pour mes élèves de Seine-Saint-Denis »[23]. Elle raconte comment elle a vécu le lendemain de la tuerie : elle arrive au collège où elle enseigne, rencontre une collègue musulmane qui « réprime un sanglot en nous disant que sa religion est encore salie », affronte sa classe d’adolescents en majorité musulmans et musulmanes et, avec eux, commente l’événement, avec beaucoup d’émotion partagée et de discernement, faisant notamment la part des choses concernant les caricatures de Charlie Hebdo. Et elle s’indigne : « Lorsque je vois qu’un quotidien national, quelques jours après l’attentat… part investiguer dans le 93 (ce département) pour savoir comment ont réagi les élèves, je m’interroge parce que l’odeur qui émane d’une telle démarche n’est pas agréable à sentir ». Elle exprime enfin l’inquiétude profonde qu’elle a pour la vie de nos collègues, ami-e-s, élèves, citoyen-ne-s musulman-e-s » et conclut : « Il est vital de dire, autant que notre soutien pour ceux qui ont défendu la liberté d’expression jusqu’au bout notre soutien à la majorité assourdie, l’Islam, le vrai ».
L’autre réaction est le livre d’Emmanuel Todd, publié en mai 2015, sous le titre : « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse »[24]. Dans cet ouvrage ardu, Todd présente une analyse serrée du public des manifestations qui ont suivi l’attentat dans pas mal de villes de France, lues sur le fond de l’approche anthropologique des sociétés en général et de la société française en particulier qu’il a développées dans ses œuvres antérieures[25]. Il arrive à la conclusion que « si Charlie revendique des valeurs libérales et républicaines, les classes moyennes réelles qui marchèrent en ce jour d’indignation avaient aussi en tête un tout autre programme, bien éloigné de l’idéal programmé » : un « programme » qui consiste notamment à marginaliser les populations issues des immigrations, en particulier les jeunes dits « des banlieues » et, très précisément, à diaboliser l’islam. Ce qui ressort de cet ouvrage, c’est, très précisément, la crainte (et la condamnation) du regain d’islamophobie que ces événements ont provoqué.
Les attentats du 13 novembre 2015 franchissent encore un seuil. Par leur caractère massif, visant seulement à engendre la terreur, ils suscitent de la part des musulmans une condamnation plus unanime et moins gênée que l’attentat contre Charlie Hebdo. Du témoignage de plusieurs enseignants bruxellois, alors qu’en janvier ils avaient senti un grand embarras chez certains de leurs élèves musulmans, la réaction est cette fois sans équivoque. Mais l’horreur de l’événement, et aussi sans doute l’implication directe de notre pays, pointé comme la base arrière des opérations, ont un effet direct sur l’islamophobie. Un rapport du C.C.I.B. (Collectif contre l’Islamophobie en Belgique), publié dans Le Soir du 18 décembre 2015, relève un accroissement significatif de celle-ci. Très significativement, le nombre des cas signalés n’a pas augmenté mais ils sont beaucoup plus graves. Il s’agit de violence, verbale dans les discours de haine, notamment sur les réseaux sociaux, ou physique dans diverses formes d’agression dans l’espace public. Plus grave encore, certains de ces faits émanent des forces de l’ordre.
Il convient de relever ici tout ce qui a été dit sur Molenbeek et, secondairement sur d’autres communes de la région de Bruxelles-capitale à forte proportion de population musulmane. Les faits sont là : certains des auteurs ou complices des attentats de Paris en sont originaires ou y ont passé et les plans y ont probablement été ourdis. Mais de là à décrire Molenbeek comme une sorte de zone de non-droit, noyautée par la mouvance islamique la plus extrême, dans l’impuissance, voire avec la complicité des pouvoirs publics ! La vérité est que, parmi les communes de la Région bruxelloise, Molenbeek occupe le fond du panier, cumulant tous les handicaps, toutes les exclusions des « périphéries » urbaines. La population d’origine maghrébine y est nombreuse, beaucoup de jeunes ont des parcours scolaires peu réussis, ne trouvent pas de travail, n’ont pas d’avenir et deviennent facilement la proie de discours fanatiques. Qu’il y ait eu des négligences dans la gestion de l’ordre public, des erreurs dans les politiques suivies, c’est sans doute vrai, mais il est parfaitement vain de se lancer dans des règlements de comptes. Il est profondément injuste en particulier de prendre comme cible l’ancien bourgmestre de cette commune, Philippe Moureaux, qui fut le père de la loi de 1980, base juridique de la présence des étrangers dans notre pays et qui a toujours voulu être le bourgmestre de tous[26].
Sans surprise, les attentats du 22 mars 2016, à Zaventem et à Maelbeek, entraînent une nouvelle vague de réactions islamophobes. Un nouveau rapport du CCIB, publié le 27 avril, recense, entre le 22 mars et le 22 avril, 36 actes d’islamophobie, principalement des discours de haine dans les medias et sur internet mais aussi quelques agressions physiques. Alors que, dès le jour des attentats, un lieu de recueillement et d’hommage s’est créé au pied de la Bourse, au centre de Bruxelles, alors qu’une manifestation d’hommage, d’abord prévue pour le dimanche suivant, jour de Pâques, est remise pour des raisons de sécurité, on voit déferler vers la Bourse, au début de l’après-midi, une bande de quelque 400 hooligans, scandant des slogans racistes. Cet événement qui suscite beaucoup de questions reste sans doute à ce jour la seule manifestation massive d’islamophobie. Mais les propos malveillants, les attitudes de méfiance, les discriminations continuent. Le 28 juillet encore, lors d’une émission de la RTBF, Patrick Charlier, directeur d’UNIA (nouveau nom du Centre pour l’Égalité des Chances et la lutte contre le racisme), exprime son inquiétude devant la multiplication des actes islamophobes et surtout leur gravité (agressions directes, propos de haine, détérioration de locaux religieux…).
Ces actes ne sont que l’expression extrême d‘un climat de méfiance qui, depuis les attentats surtout, entoure tout ce qui concerne l’islam et les musulmans. Et c’est normal. On ne peut s’étonner que ces attentats inquiètent l’opinion ; on ne peut s’étonner que le citoyen lambda se pose des questions sur la religion dont déclarent s’inspirer les auteurs de ces actes. On ne peut s’étonner que ces événements fassent peser sur tout ce qui est musulman une chape de soupçon. Mais il est tout aussi important et urgent de reconnaître le poids et l’injustice de cette chape et l’épreuve du musulman lambda qui la reçoit sur ses épaules. La conjoncture nous invite ainsi à réfléchir, à nouveaux frais, sur les conditions à mettre en œuvre pour réaliser la présence harmonieuse des citoyens musulmans dans notre société et espérer vaincre ainsi l’islamophobie. Nous verrons d’abord ce qu’il paraît juste d’attendre de la communauté musulmane elle-même et qu’elle est effectivement en train de vivre ; nous verrons ensuite ce qu’on est en droit d’espérer et d’exiger des autorités et de toute la société belge. Ce sera l’objet de notre quatrième chapitre.
Chapitre 4 : Musulmans dans la société belge
Islam et modernité
Nous avons souligné le poids du soupçon qui pèse sur chaque musulman en raison des agissements du djihadisme violent et surtout des attentats terroristes qui nous frappent directement ; nous avons dénoncé l’injustice de l’injonction qui semble faite à chaque musulman de s’en désolidariser explicitement. On ne peut nier pourtant que l’existence même de ces excès pose une question. Une religion dont des personnes et des groupes se réclament pour justifier et même glorifier de telles violences n’en porte-t-elle pas tout de même, d’une façon ou d’une autre, les germes ?
Depuis l’essor de Daech et au fil de ses différentes manifestations, de nombreuses voix musulmanes se sont fait entendre pour exprimer leur désaveu, aussi bien les plus hautes autorités religieuses sunnites d’Égypte ou d’Arabie Saoudite que les organes fédérateurs des musulmans de nos pays. Mais on rencontre ici une particularité de l’islam, qui tient à sa constitution même. Il n’y a pas de clergé ni de hiérarchie en islam, pas de structure d’autorité doctrinale, pas de voix donc qui puisse s’exprimer au nom de l’oumma (terme musulman désignant l’unité), de la communauté musulmane tout entière. C’est ce qui explique sans doute – sans l’excuser – la méfiance qui subsiste dans une bonne partie de l’opinion de nos pays, encline à voir dans les réactions musulmanes un opportunisme obligé et à en exiger toujours davantage, en leur objectant les expressions guerrières qu’il est effectivement possible de tirer du Coran.
Nous sommes ainsi amenés à un discernement plus difficile et plus délicat : comment le djihadisme violent a-t-il pu se développer au sein de l’islam contemporain ? Est-il intrinsèque à l’islam et, si c’était le cas, ne doit-on pas en déduire une incompatibilité foncière entre celui-ci et la société moderne, fondée sur les droits de l’Homme et la démocratie ? Comme le note Felice Dassetto, « pour les musulmans ordinaires, les djihadismes sont une déviance de l’islam, …‘Ce n’est pas l’islam’, disent-ils souvent. Mais les djihadistes en question prétendent agir au nom de l’islam ». Et il continue en interrogeant : « En disant qu’il s’agit d’une déviance, d’une dérive qui n’a rien à voir avec l’islam, n’évite-t-on pas de poser la question de savoir si le djihadisme n’a pas ses racines dans l’islam contemporain ? » La réponse de Dassetto, qu’il a exprimée et expliquée à plusieurs reprises, est claire : il voit dans le djihadisme violent le prolongement extrême des deux matrices dominantes de la pensée musulmane contemporaine, à savoir « l’islam politique », celui par exemple des Frères musulmans, centré sur le concept d’État islamique comme « actualisation moderne de l’expérience prophétique qui, à Médine, a donné naissance à une société qu’il a gouvernée » et, surtout sans doute, ajouterions-nous, « l’islam normatif », le salafisme, qui vise à revigorer la religion par un respect littéral des principes fondateurs. Ces tendances sont loin d’exprimer toute la richesse et les potentialités de l’islam mais il faut reconnaître qu’elles sont très présentes, en particulier parmi les jeunes musulmans issus de l’immigration dans nos pays d’Occident. Dassetto n’hésite pas à parler d’une « chape de plomb culturelle qui pèse sur l’islam contemporain » et il invite les musulmans à « un travail profond de réflexion sur leurs catégories interprétatives de leur histoire fondatrice »[27].
De la part d’un bon connaisseur de l’islam contemporain en Europe et en Belgique, cette interpellation doit être entendue. Elle autorise une interrogation, une distance critique par rapport à l’islam mais elle est aussi une invitation à en retrouver toutes les richesses, toutes les potentialités et à mieux entendre les voix, minoritaires peut-être mais nombreuses et variées, qui cherchent à mieux le comprendre, le dire et le vivre dans le monde contemporain. On citera en particulier deux noms : Rachid Benzine et, plus ancien, celui que Rachid reconnaît comme son maître, Mohammed Arkoun[28]. Mais ils ne sont pas les seuls, loin de là. Signalons seulement encore un ouvrage paru tout récemment : Les questions que se posent les jeunes sur l’islam. Itinéraire d’un prof. [29] (avec une préface de Rachid Benzine). L’auteur est un musulman français, devenu professeur de religion islamique dans l’enseignement secondaire belge. Il raconte d’abord son itinéraire personnel à la découverte d’un islam authentique et moderne et le montre ensuite à l’épreuve de la réalité vécue par les jeunes de culture musulmane dans la société d’aujourd’hui. C’est un bon miroir de la réalité complexe que vivent nos compatriotes musulmans.
L’islam en Belgique
Nous voudrions maintenant aborder plus directement les courants de pensée qui traversent aujourd’hui le monde musulman de Belgique, dans leur confrontation avec l’actualité. Mais, avant cela et pour une bonne compréhension des choses, il nous paraît nécessaire de rappeler très brièvement l’histoire de la reconnaissance de l’islam en Belgique et de son organisation. Nous le faisons dans un encadré.
La reconnaissance de l’islam en Belgique
Un « centre islamique » a vu le jour dès 1963. En 1967, lors d’une visite du roi Fayçal d’Arabie en Belgique, un bâtiment du parc du Cinquantenaire, le ‘pavillon oriental’ lui est offert pour qu’il serve de mosquée et de siège pour ce qui devient alors officiellement le Centre islamique et culturel de Belgique. Ce geste est davantage motivé par la nécessité d’avoir de bons rapports avec l’Arabie Saoudite, fournisseuse de pétrole, que par la préoccupation des travailleurs migrants. Il précède de sept ans la reconnaissance officielle du culte islamique (19/07/1974) et de huit ans l’introduction du cours de religion islamique dans le programme scolaire (27/06/1975). Il faudra attendre plus de vingt ans encore pour que soit créé, comme la loi le prévoyait, un organe « chef de culte » officiel, interlocuteur de l’État belge pour l’organisation du culte musulman, « l’Exécutif des musulmans de Belgique » (EMB).
Pendant toutes ces années, le Centre islamique et culturel a plus ou moins joué ce rôle (et il restera compétent pour la désignation des professeurs de religion islamique jusqu’en 1990) mais, dès 1985, on perçoit le besoin d’un organisme plus représentatif de la réalité complexe de la communauté musulmane. En 1985, l’initiative vient des autorités belges mais un projet d’arrêté royal créant un Conseil supérieur des musulmans de Belgique est rejeté par le Conseil d’État, pour la raison que « le gouvernement n’a pas le droit de créer de sa propre autorité un organisme chargé de représenter … les adeptes d’un culte ».
À partir de 1989, la demande vient surtout des musulmans eux-mêmes, certains entreprenant des démarches pour que les droits qui leur sont reconnus soient effectivement assurés (par exemple l’organisation des cours de religion musulmane). Dans son premier rapport, le Commissariat Général à la Politique des Immigrés propose la constitution d’un organe démocratiquement élu et représentatif des musulmans de Belgique.
Le processus se met en route à travers diverses péripéties, avec le concours du Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme : l’exécutif des musulmans est reconnu par un Arrêté Royal du 3 juillet 1996 ; les premières élections ont lieu le 3 décembre 1998 (avec une participation effective de 42.000 personnes sur 72.000 inscrits sur les listes électorales) ; elles désignent une assemblée de 51 personnes élues et 17 cooptées et celle-ci choisit 16 personnes qui composent l’Exécutif, reconnu comme « chef de culte de la religion musulmane en Belgique ».
L’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) a pour fonctions principales l’organisation de la reconnaissance des mosquées par l’État (avec ce que cela entraîne, notamment la subsidiation des imams) et la désignation des professeurs de religion islamique et des divers aumôniers (hôpitaux, prisons). C’est un rôle administratif qui ne lui confère aucune autorité doctrinale. Il faut ajouter que, malgré ses efforts, moins d’un tiers seulement des mosquées sur le sol belge sont reconnues par l’État (environ 85 sur 290). Il n’y a pas non plus de structure autorisée pour la formation des professeurs de religion, encore beaucoup moins des imams. L’EMB a exprimé clairement sa condamnation des actes terroristes. En mars 2016, le président récemment élu, Salah Echallaoui écrivait : « Au nom de tous les citoyens de confession musulmane, l’EMB appelle à l’unité et au rassemblement afin de faire front à toute forme de violence et de terrorisme. L’EMB réaffirme son profond attachement aux valeurs démocratiques ». Dans cette conjoncture, et grâce à la personnalité de ce nouveau président, l’EMB a sans doute acquis une nouvelle autorité. Pourtant son influence reste limitée : les difficultés qu’a connues sa mise en place, le peu de participation des « électeurs potentiels » et, en fin de compte, le caractère pluriel de l’islam ne lui permettent pas – pas encore peut-être – de jouer un rôle déterminant pour favoriser la prise de distance de la communauté musulmane par rapport au djihad violent et, à plus long terme, son insertion harmonieuse dans notre société.
Réactions et polémiques
Devant les événements violents qui ont secoué nos sociétés, nos compatriotes musulmans ne sont pas restés sans réaction. Dès le 27 janvier 2015, Le Soir publiait une déclaration émanant de Convergences musulmanes contre la radicalisation et pour la citoyenneté. L’initiative venait de deux associations EmBeM (Empowering Belgian Muslims)[30] et le CECIV (Complexe éducatif et culturel islamique de Verviers) : la déclaration était signée par plus de 80 organisations et presqu’autant de personnalités. L’initiative a été généralement bien accueillie comme démontrant la volonté de la société civile de confession musulmane d’être un partenaire responsable des pouvoirs publics dans la lutte contre l’extrémisme. Elle a pourtant été aussi très vite l’objet de critiques virulentes. En date du 6 mars 2015, le magazine Le Vif l’Express publie un dossier selon lequel les initiateurs de la démarche sont sous l’influence des Frères musulmans[31]. Un peu plus d’un mois plus tard, c’est au tour de Regards, la revue du CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) de dénoncer, autour de la déclaration de Convergences, un vaste complot d’inspiration « frériste » qui viserait à imposer une présence institutionnelle d’un islam, mettant en danger la laïcité de notre société[32]. Entretemps, un musulman d’origine algérienne, Belge de longue date, ancien policier à St Josse a lancé à son tour une association Initiatives citoyennes pour un islam de Belgique qui s’oppose radicalement au courant de Convergences et met l’accent sur le respect des règles démocratiques et des valeurs universelles[33].
L’âpreté de la polémique étonne et fait réfléchir. Pour y voir un peu plus clair, nous nous référons de nouveau au jugement éclairé de Felice Dassetto. Dans une réflexion parue sur son blog, à la date du 9 février 2015, il analyse soigneusement le texte de Convergences[34]. À son jugement, celle-ci est très « communautariste », l’accent est mis sur l’insertion et la participation de la « composante musulmane » comme telle dans la cité. Et Dassetto évoque les « piliers » qui ont joué (et continuent sans doute à jouer) un rôle important dans la construction et l’évolution de notre pays. Il s’agirait en somme de construire et de faire reconnaître un « pilier musulman ». On retrouve ici, au sein même de la communauté musulmane, le débat auquel les Assises de l’Interculturalité s’étaient affrontées sans parvenir à un accord, celui du degré légitime de la reconnaissance de la diversité culturelle et religieuse, plus largement, celui de la place de la religion dans l’espace public. À cet égard, il y a eu, dans La Libre Belgique, à la date déjà du 4 février 2015, un article de Bosco d’Otreppe qui nous paraît judicieux et fort éclairant. Sous le titre « Catholiques et musulmans, frères de doutes et de combats »[35], il voit dans le courant qui porte Convergences la volonté de donner à la religion une place dans l’espace public. « Chacun doit pouvoir participer à l’élaboration d’une société qui prenne en compte les personnes dans leur entièreté ». Cette revendication est surtout portée par les jeunes musulmans, et le journaliste note que le même clivage existe dans le catholicisme. Il cite Hajib El Hajjaji, porte-parole du collectif : « La jeune génération n’effectue pas un retour à la religion, mais elle est plus décomplexée. La société a voulu évacuer la question du religieux, elle va voir que ce n’est pas si facile ». Et le journaliste opine : « Ces mots pourraient être ceux d’un catholique… ».
Pour un « islam de Belgique »
De divers côtés donc, et avec des nuances diverses, se fait jour et s’impose l’idée qu’il faut aller vers un « islam de Belgique », un islam mieux organisé, mieux inséré dans la société, mieux reconnu et respecté aussi. Il faut reconnaître que c’est nécessaire. Comme nous l’avons rappelé plus haut, la reconnaissance et l’organisation de l’islam ont relevé plutôt du bricolage. La création des mosquées, le recrutement des imams et même des professeurs de religion islamique et divers aumôniers n’ont jamais fait l’objet d’un plan d’ensemble. Des influences diverses se sont exercées et s’exercent encore. Beaucoup d’imams connaissent à peine les langues du pays, encore moins les institutions. Leur enseignement ne donne pas à ceux qui fréquentent les mosquées les moyens de se situer notamment par rapport au développement de l’islam salafiste et de sa propagande qui se répand par les contacts et par les réseaux sociaux. Une réflexion en profondeur et une action déterminée semblent nécessaires pour permettre à l’islam de trouver sa juste place dans notre société. Et c’est d’abord l’affaire des musulmans eux-mêmes, même si cela ne sera possible qu’avec l’appui à la fois déterminé et respectueux des pouvoirs publics et l’adhésion de la société civile belge.
Divers projets de réforme ont été proposés, émanant de diverses sources. Nous en retiendrons deux qui nous paraissent les plus importants. Le premier émane de quatre personnalités musulmanes, proches des Convergences : dans La Libre Belgique du 5 mai 2015, ils proposent « dix propositions radicales pour faire émerger un islam de Belgique »[36]. Nous relevons l’idée d’un plan urbanistique des mosquées, l’obligation de leur reconnaissance, l’obligation pour les imams de pratiquer la langue du pays et d’être détenteurs d’un grade académique, l’idée d’une mosquée pilote enseignant un « islam pacifique, inclusif, égalitaire et œcuménique ». Ils insistent aussi sur le nécessaire financement de programmes de formation et d’échanges internationaux. L’autre projet est rendu public le 9 décembre 2015 ; il est publié dans Le guide social[37]. C’est le rapport final d’une Commission créée à l’initiative du ministre Marcourt dès 2013 et co-présidée par Andrea Rea et Françoise Tulkens. L’approche est sans doute assez différente, à partir de l’institutionnel belge, mais il y a convergence sur l’exigence d’une meilleure formation des imams, professeurs et divers conseillers et sur la création de lieux de référence.
Cette réflexion et ces débats pour un « islam de Belgique » sont certainement un fait positif. Il est normal et sain que la réflexion soit menée par les musulmans eux-mêmes et que les déb ats soient menés entre eux. On pourrait espérer qu’un Exécutif des Musulmans renouvelé et renforcé joue un rôle moteur dans cette recherche. Quoi qu’il en soit, l’édification d’un véritable « islam de Belgique » est l’affaire avant tout des musulmans de Belgique eux-mêmes.
Dans la société belge…
La question toutefois ne peut laisser indifférente la communauté belge. Elle implique directement les pouvoirs publics, aux différents niveaux de l’État (fédéral, régions, communautés, pouvoirs locaux). Au-delà des problèmes immédiats de sécurité – détection, surveillance et répression de la radicalisation, contrôle des mosquées, etc. – il est normal et souhaitable que les pouvoirs publics favorisent positivement la formation des imams et des professeurs de religion, qu’ils s’impliquent davantage et de façon positive dans la gestion et l’essor des associations. Ce qui, bien entendu, comporte aussi un aspect financier (rémunération de l’imam, entretien des locaux…). On peut se réjouir d’une bonne nouvelle : à la date du 7 octobre 2016, l’Exécutif des musulmans annonce que 43 mosquées ont été nouvellement reconnues par le Gouvernement de la Région wallonne. C’est un pas important dans la mise en œuvre du projet initié par le ministre Marcourt dont nous avons parlé plus haut. On ne peut que souhaiter que les pouvoirs publics, à leurs différents niveaux soutiennent, avec détermination et discernement, les efforts de la communauté musulmane pour mieux s’organiser et se situer elle-même dans notre société.
Raison garder
Il est inévitable que les conflits qui déchirent l’islam et surtout les actes terroristes qui ont frappé jusqu’au cœur de notre pays aient une répercussion sur la manière dont, tant le citoyen lambda que les medias et les politiques, vivent la présence d’une population musulmane importante dans notre société. Il est d’autant plus important de « raison garder ».
Raison garder, d’abord dans la manière d’agir à l’égard de nos compatriotes musulmans. Nous avons fait mention plus haut de la multiplication et de l’aggravation des actes d’islamophobie – discours de haine, agressions physiques – qui ont fait suite aux attentats, d’abord de Paris puis de Bruxelles et nous avons dit l’inquiétude de Patrick Charlier. Il y a lieu d’être particulièrement vigilants à l’égard de toutes ces formes d’agression directe. Mais il importe de réagir aussi à une recrudescence de ce que nous avons appelé plus haut le discours islamophobe, cette façon de parler de l’islam qui le fait apparaître en contradiction absolue et irrémédiable avec les valeurs de notre société. Car ce type de discours, presque inévitablement, tend à proliférer en raison des circonstances.
Par ailleurs, et plus fondamentalement, les remous de l’actualité ne peuvent nous détourner dans la tâche de longue haleine décrite dans notre second chapitre : la lutte contre les discriminations qui affectent les personnes en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane. Ils ne peuvent nous faire oublier ou remettre toujours à plus tard les questions posées par ce qu’on appelle « les signes convictionnels », ou, plus largement, les manifestations de la diversité dans l’espace public. Raison garder, en ces temps difficiles, signifie avant tout ne pas permettre que les préoccupations du moment empêchent d’aborder des questions de fond. Il y a des décisions à prendre concernant la sécurité ou la lutte contre la radicalisation mais elles ne peuvent pas contaminer durablement la réflexion, le débat et l’action pour une meilleure reconnaissance et une insertion plus harmonieuse de la présence musulmane dans notre pays.
Nous avons vu plus haut que le débat existe au sein de la communauté musulmane elle-même et qu’il peut même être très âpre. Nous ne pensons pas qu’il soit expédient de partager les suspicions qui pèsent sur certains courants, ceux qui veulent affirmer une plus grande visibilité de l’islam dans notre société, très exactement une présence comme islam. En particulier, il ne nous semble pas que la suspicion qui continue à peser sur un auteur comme Tariq Ramadan soit vraiment fondée[38]. Ce n’est pas à nous de prendre systématiquement le parti de ceux des musulmans dans notre pays qui réduisent au minimum l’affirmation de leur religion. D’autres ont droit de parole aussi et il ne faut pas toujours les suspecter d’avoir un agenda caché. Par rapport au foisonnement d’initiatives qui traversent le monde musulman en Belgique aujourd’hui, à la fois pour lutter contre l’islamophobie et pour mieux intégrer la population musulmane dans la vie de la société, la raison nous demande aujourd’hui, nous semble-t-il, une certaine réserve, à la fois vigilante et confiante, qui permette au débat de se développer au-delà des invectives et des suspicions. Il s’agit de reconnaître chaque personne musulmane comme un citoyen à part entière et de la respecter dans sa conviction et les choix qu’elle lui inspire (à l’intérieur, bien entendu, de la légalité) mais aussi la communauté musulmane comme une composante de la société. La conscience et une certaine affirmation d’une appartenance particulière sont parfaitement compatibles avec la conscience et l’exercice de la citoyenneté commune[39].
Ce devoir de raison interpelle bien évidemment avant tout les pouvoirs publics, les politiques, les medias. Mais il nous concerne tous dans notre responsabilité de citoyens.
« Cœur garder »
La lutte contre l’islamophobie, la reconnaissance de la présence de l’islam et l’intégration harmonieuse des citoyens d’obédience musulmane dans notre société sont des objectifs à la fois de première urgence et de longue haleine qui requièrent des débats ouverts et des décisions courageuses. Comme toute forme de racisme, l’islamophobie doit être dénoncée et combattue. Les problèmes que posent la reconnaissance et la gestion de la religion islamique doivent être abordés avec lucidité et courage. Mais il y a peut-être plus important encore, plus essentiel : c’est la vie ensemble, les relations et entraides qui se nouent entre voisins, entre commerçants et clients, entre travailleurs dans une même entreprise. C’est le tissu social qui se crée par les liens spontanés de voisinage et de fréquentation.
Au-delà de ces contacts, il faut souligner le rôle du réseau associatif. Dans son ouvrage L’iris et le croissant[40], Felice Dassetto signale et regrette qu’il y ait trop peu de contacts entre l’important réseau associatif musulman et le reste du monde associatif. Il en existe toutefois, pas mal de musulmans sont présents et actifs dans diverses associations, dans des comités de quartiers, dans les syndicats, dans les partis politiques. Nous avons rappelé plus haut la forte présence d’élus d’origine musulmane dans presque tous les partis et à tous les niveaux de pouvoir. Il ne manque pas d’occasions où des musulmans s’engagent avec des personnes de toutes convictions pour des causes communes.
Plus spécifiquement, pas mal d’initiatives sont prises pour permettre la rencontre, le dialogue interconvictionnel. Ponctuellement pour célébrer un événement, une fête ou répondre à un besoin. Les tragiques événements des derniers mois ont tous provoqué de ces réactions. Après les attentats de Paris, le réseau associatif de Molenbeek a organisé, le mardi 17 novembre 2015, une émouvante manifestation d’hommage aux victimes ; après ceux de Bruxelles, avec un certain retard dû à des préoccupations de sécurité, le dimanche 17 avril 2016, deux cortèges, dont un partait symboliquement de Molenbeek, se sont rejoints pour converger vers la Bourse, lieu de mémoire des attentats : musulmans et personnes de toutes appartenances s’y coudoyaient dans l’émotion et le respect partagés. Toujours dans la réaction à l’actualité tragique mais à un niveau spécifiquement religieux, il faut aussi mentionner la prière commune en l’honneur de la Vierge Marie qui a réuni catholiques et musulmans dans l’église du collège St Michel à Bruxelles, le samedi 23 avril 2016.
D’autres initiatives s’inscrivent dans la durée. Un ouvrage publié en 2008, Comprendre et agir dans la société multiculturelle, présentait un « tour d’horizon » de ces réalisations[41]. Sur le plan proprement religieux – rencontre et collaboration entre chrétiens et musulmans – le Centre chrétien pour les relations avec l’islam El Kalima a une longue expérience et offre de multiples services. L’association Pax Christi Wallonie-Bruxelles fait aussi de cette collaboration un de ses principaux axes d’action. Dans un registre plus social, le CEFOC (Centre de Formation Cardijn) anime, en collaboration avec des associations musulmanes, des groupes d’échange et de recherche de sens. On en trouve un écho très stimulant dans un livre récemment paru : Musulmans et non musulmans. Rencontres et expériences inédites[42]. Sur le plan de la rencontre interculturelle, on mentionnera encore tout le travail du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI). Ce ne sont que quelques exemples. S’il faut formuler un vœu, ce serait que, stimulé par le regret de Dassetto, le monde associatif belge (avec ses diverses facettes) fasse des pas vers le monde associatif musulman. Si on souhaite vraiment construire ensemble une société interculturelle harmonieuse, il importe d’accueillir avec respect et bienveillance les initiatives qui se cherchent dans le monde musulman. Examiner certes, critiquer éventuellement mais dépasser une méfiance qui soupçonne des agendas cachés derrière toute initiative ou proposition nouvelle.
Venons-en, de manière encore plus précise, à la lutte contre le racisme et à la manière dont la lutte contre l’islamophobie s’inscrit dans celle-ci. Il est essentiel que l’antiracisme ne se laisse pas diviser. Même si certains continuent à contester le terme d’islamophobie, il est possible de se rejoindre dans la volonté de réprimer l’injure et l’agression racistes et de lutter contre les discriminations qui frappent une partie de la population. Le point délicat demeure tout ce qui concerne la reconnaissance de la diversité (signes distinctifs, accommodements, « pilier musulman »…). Sur tout cela, c’est que le dialogue et la recherche de compromis se développent et qu’on sorte des excommunications réciproques.
Il est nécessaire enfin que le combat contre le racisme s’inscrive dans le combat social.
Le rejet de l’étranger, du travailleur immigré, aujourd’hui du demandeur d’asile a quelquefois servi et peut toujours servir à diviser le monde des travailleurs. « Ils prennent nos emplois, ils profitent de la sécurité sociale… ». C’est ce qu’on pourrait appeler un « racisme du pauvre ». Nous faisons volontiers nôtre cette affirmation d’Henri Goldman : « Pour contrer le plan B de développement séparé et permettre le plan A d’une société inclusive égalitaire, une stratégie articulant autonomie et convergence est indispensable ». Il explicite comme suit son propos : il s’agirait de faire se rejoindre « un mouvement autonome de personnes « racisées » qui fasse entendre les préoccupations de la population discriminée et un mouvement généraliste qui prenne en compte ces préoccupations à l’intérieur d’un champ plus large de luttes pour l’égalité »[43]. Goldman revient sur le même thème dans un éditorial de Politique après les attentats de Bruxelles et les réactions qui y ont fait suite. Il évoque la manifestation commune de Hart boven hard et Tout autre chose, juste à l’avant-veille des attentats, selon un itinéraire inédit déplacé vers le canal et celle qui fut organisée le dimanche 17 avril 2016 « contre la terreur et la haine ». Et il conclut : « La présence visible de ces familles musulmanes de Molenbeek, avec leur progéniture qui est notre jeunesse de demain, dessinait les contours d’un nouveau ‘nous’. Une belle promesse »[44].
Le champ est vaste, le travail à accomplir est à la fois d’extrême urgence et de longue haleine. Il faut faire face aux périls dans lesquels nous plonge « l’état de guerre » sans négliger pour autant la patiente construction d’une société juste et solidaire dans laquelle nous sommes tous appelés à vivre ensemble. Mais quoi qu’il en soit des multiples affrontements et de la complexité des problèmes, nous croyons profondément que cette société se construit, jour après jour. C’est la force de la vie qui nous permet d’envisager avec une réelle espérance l’avenir de notre société interculturelle.
Notes :
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[1] Sur le terme d’islamophobie, son histoire, ses divers emplois et sur l’islamophobie en général mais plus précisément en France, l’ouvrage fondamental est celui de Abdellali HAJJAT et Marwan MOHAMMED : Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte, 2013. L’histoire du concept constitue la seconde partie du livre.
[2] Maurice DELAFOSSE, article de 1910, cité dans Islamophobie, loc.cit., p.74.
[3] Sur le think tank Runnymede Trust et ses deux rapports, ib., p.82-83.
[4] Rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme […], M. Doudou DIENE, sur les manifestations de la diffamation des religions, et, en particulier, sur les incidences graves de l’islamophobie sur la jouissance de tous les droits (2 septembre 2008) (A/HRC/9/12, 19-28).
[5] C’est ce qu’affirmaient en 2003 les journalistes Caroline Fourest et Fiammetta Vetter, suivies par Pascal Bruckner en 2010. Voir Islamophobie, op.cit., p.71.
[6] Rapport annuel du Haut Conseil à l’Intégration, 2005.
[7] Voir notamment Denis ROUSSEAU, « Islamophobe, moi ? Oui, et voici pourquoi », Le Vif, l’Express, 23 septembre 2016.
[8] C’est aussi le titre de la deuxième partie de leur étude : « La construction du problème musulman », pp.101-160. Sur la situation en France, voir aussi Henri GOLDMAN, Le rejet français de l’islam. Une souffrance républicaine, Paris, PUF, 2012.
[9] Cette définition s’inspire de celle que donne Albert Memmi dans l’Encyclopaedia Universalis, Paris, 2002, 314-316. Voir notre analyse Le racisme aujourd’hui, www.centreavec.be octobre 2015 et Anne Claire ORBAN, Peut-on encore parler de racisme ? Analyse des discours d’exclusion et des mécanismes de rejet, Mons, Couleur Livres, 2015.
[10] Edouard DELRUELLE, « Du ‘Commissariat Royal aux Immigrés’ aux ‘Assises de l’Interculturalité’ : 20 ans de débat public sur l’intégration », dans Marie-Claire FOBLETS et Jean-Philippe SCHREIBER (coord.), Les Assises de l’Interculturalité, Bruxelles, Larcier, 2013, pp.31-40.
[11] La coordination « Objectif 82 » fut créée après les élections communales de 1976. Pour contrer la xénophobie très présente dans la propagande électorale de plusieurs partis, elle réclamait l’octroi aux immigrés des droits de vote et d’éligibilité pour les élections communales suivantes, en 1982.
[12] Sur le Rapport du Commissariat Royal, voir notre analyse « L’intégration, une définition obsolète ? », mars 2008 (www.centreavec.be).
[13] Il n’est pas inutile de rappeler la formulation très nuancée, sinon alambiquée, du Rapport du Commissariat Royal : « la promotion conséquente d’une insertion la plus poussée, conformément aux principes sociaux fondamentaux soutenant la culture du pays d’accueil et tenant à la ‘modernité’, à ‘l’émancipation’ et au ‘pluralisme confirmé’ dans le sens donné par un État démocratique ».
[14] COMMISSION du DIALOGUE INTERCULTUREL, Rapport final et livre des auditions, 2005 ; Interculturalité. Rapport final des « Assises de l’Interculturalité », 2010. Voir notre analyse : « De la société multiculturelle au dialogue interculturel. Étapes de la réflexion politique en Belgique », décembre 2010 (www.centreavec.be).
[15] Convention Européenne des Droits de l’Homme, art.9,1.
[16] Ib., article 9,2.
[17] Dounia BOUZAR, Laïcité, mode d’emploi. Cadre légal et solutions pratiques : 42 études de cas. Paris, Eyrolles, 2011. Claire BROUWEZ lui fait écho dans une analyse : « La diversité culturelle, un danger pour l’identité ? », 2014 (www.centreavec.be).
[18] Interculturalité, op.cit., respectivement, pp.46-47 et p.81.
[19] Sur le Rapport final des « Assises » et sa réception, voir l’imposant recueil publié sous la coordination de Marie-Claire FOBLETS et Jean-Philippe SCHREIBER, Les Assises de l’Interculturalité. De Rondetafels van de Interculturaliteit. The Round Tables on Interculturalism. Bruxelles, Larcier, 2013. Voir notre analyse : « Appartenances particulières et bien commun de la société. Retour sur un rapport oublié », mars 2014 (www.centreavec.be).
[20] Voir Jérôme JAMIN, 30 ans de lutte contre le racisme en Belgique : bilan et perspectives (https://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/148011/1/Article%20JJamin.pdf).
[21] On trouvera un bon aperçu de la situation dans l’article de Jaume FLAQUER, « Guerre civile en Islam », En Question, n° 115, décembre 2015, pp.26-29.
[22] On peut trouver aisément sur le net la liste impressionnante des attentats terroristes des dernières années.
[23] Voir le site Tailspin (http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-%C3%A9l%C3%A8ves-de-seine-saint-denis).
[24] Emmanuel TODD, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse. Paris, Seuil, 2015.
[25] Citons particulièrement L’enfance du monde. Structures familiales et développement. Paris, Seuil, 1984 (Empreintes) ; L’invention de l’Europe. Ibid., 1990 (L’Histoire immédiate) et Le destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales. Ib., 1994 (L’Histoire immédiate).
[26] Qu’il nous soit permis d’évoquer un souvenir personnel. Lors d’une soirée organisée à Molenbeek en 2004, pour commémorer le 40e anniversaire des accords belgo-marocains, Philippe Moureaux s’adressait à ses concitoyens d’origine marocaine à peu près en ces termes : « J’ai la réputation d’être l’ami des Marocains, mais aujourd’hui où beaucoup de personnes originaires d’autres pays viennent habiter à Molenbeek, je vous demande d’être très accueillants à leur égard ».
[27] Felice DASSETTO, Djihadisme, déviance ou extrémisation ? Texte mis en ligne le 23 août 2014 (www.felicedassetto.eu/index/phb/blog.islam-et-mondes-musulmans/201-djihaidsme).
[28] Citons seulement, entre beaucoup d’autres écrits, Rachid BENZINE, Les nouveaux penseurs de l’islam. Paris, Albin Michel, 2004 (Coll. « L’islam des lumières ») ; Mohammed ARKOUN (et Tarek MITRI), Islam, Europe, Modernité. Association Œcuménique pour Église et société, cahier n° 2, 1996.
[29] Hicham Abdel GAWAD, Les questions que se posent les jeunes sur l’islam. Itinéraire d’un prof., Paris, La boîte à Pandore, 2016.
[30] Voir le site http://embem.be/.
[31] « Comment les frères musulmans ont pris la Belgique en otage », dossier Le Vif l’Express, 6 mars 2015.
[32] Willy WOLSZTAJN, « OPA des frères musulmans sur l’islam de Belgique », dans Regards (revue du CCLJ), 13 avril 2015.
[33] Voir « Hamid Benichou : le bon islam est celui qui ne dérange personne », Le Soir, 10 mars 2015.
[34] « À propos de la Déclaration de Bruxelles de ‘Convergences musulmanes de Belgique contre la radicalisation et pour la citoyenneté’ » (www.felicedassetto.eu/index.php/blog-islams-et-monde-musulmans/214-declaration-de-bruxelles).
[35] Bosco d’OTREPPE, « Catholiques et musulmans, frères de doutes et de combats » La Libre Belgique, mercredi 4 février 2015.
[36] « Dix propositions radicales pour faire émerger un islam de Belgique », La Libre Belgique, 5 mai 2015.
[38] Jugement nuancé sur l’œuvre de Tariq Ramadan dans deux contributions de l’ouvrage publié sous la coordination de Felice DASSETTO, Discours musulmans contemporains, Louvain-la-Neuve, Academia-Harmattan, 2011 : Fernand-Daniel HUSTIN, « Les musulmans en Occident et le statut de la sharî’a », pp.83-100 et Philippe de BRIEY, « Pour une réforme radicale de l’islam dans un monde devenu pluriel », pp.101-108. Voir aussi Tariq RAMADAN et Edgard MORIN, Au péril des idées. Les grandes questions de notre temps. Entretiens avec Claude-Henry du BORD, Paris, Éd. Archipoche, 2014.
[39] Voir notre analyse « Appartenances particulières et citoyenneté commune », analyse du Centre Avec, mars 2014, www.centreavec.be
[40] Felice DASSETTO, L’iris et le croissant. Bruxelles et l’islam au défi de la co-inclusion. Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.
[41] Comprendre et agir dans la société multiculturelle. Bruxelles, El Kalima et Pax Christi, 2008.
[42] Laila AHMAJOUR et Véronique HERMAN, Musulmans et non musulmans. Rencontres et expériences inédites. Namur, CEFOC, 2015.
[43] Henri GOLDMAN, « De l’antiracisme des blancs », dans Politique 88, janvier-février 2015, pp. 52-57.
[44] Henri GOLDMAN, « Contre la haine »… , dans Politique 95, mai-juin 2016, pp.3-5.