Le 20 décembre 2006

La République Démocratique du Congo après les élections

Le présent document fait suite à celui que l’auteur a publié en juin 2006 (Les principaux défis de l’après élections) où il analysait les résultats du referendum constitutionnel, qui a été mené à bien (décembre 2005) en République Démocratique du Congo, dans des conditions pourtant difficiles. Il y présentait également les principaux défis à relever par les responsables politiques : accepter les résultats des élections (juillet et octobre 2006), rencontrer les aspirations de la population, développer une politique extérieure dynamique autonome, au bénéfice des populations. Cette fois, il analyse les résultats des élections présidentielles (30 juillet et 29 octobre 2006), ainsi que ceux des élections législatives et des élections provinciales. Il constate combien le premier succès de ces élections est le triomphe de la volonté nationale de mettre fin aux affrontements violents et d’entrer dans la voie de la démocratie. À propos des défis, il souligne : le Congo s’engage, après les élections, dans un projet merveilleux mais exigeant de reconstruction et de réconciliation. Il redevient aussi un acteur qui doit retrouver sa dignité sur le plan international. Les efforts d’éducation civique qui ont permis d’aboutir à de élections démocratiques doivent se poursuivre pour la bonne conception et le contrôle des actions à entreprendre pour un avenir meilleur. En RDC, comme partout ailleurs, la démocratie est affaire de tous les citoyens. Mais, pour sa part, la communauté internationale se doit de lui apporter l’appui d’une solidarité effective.

1. Les élections, une victoire de la population
 

Le grand succès de la Commission Electorale Indépendante est d’avoir suscité une mobilisation générale de toute la population de la République Démocratique pour la réussite des élections. On peut parler d’une épopée des élections pour lesquelles à peu près aucun des intervenants n’a ménagé sa peine et ceux qui rechignaient à la tâche ont fait l’objet d’une réprobation de l’opinion générale. C’est au prix d’un labeur acharné que le repérage des bureaux de vote, la réception des candidatures, l’impression des bulletins de vote et des listes des électeurs par bureau, la formation du personnel électoral et l’acheminement du matériel ont pu être réalisés. L’appui logistique de la MONUC (Mission de l’ONU en RD Congo) et l’engagement de son personnel se sont inscrits dans ce mouvement plus fondamental.

Le premier succès des élections est ce triomphe de la volonté nationale de mettre fin aux affrontements violents et d’entrer dans la voie de la démocratie. Les campagnes d’éducation civique organisées par les Eglises et de multiples ONG ont porté de grands fruits. Un appui considérable de l’extérieur a certes assuré le financement des opérations et leur a apporté un soutien technique appréciable. Mais ce soutien extérieur a aussi été une source de faiblesses, dans la mesure où il privilégiait les compétences universelles par rapport à la connaissance des réalités locales et contribuait à augmenter le coût des opérations.

2. Les nouvelles institutions nationales
 

a) Les résultats de l’élection présidentielle

Le camp du président sortant avait espéré l’emporter dès le premier tour, interprétant de façon trop hâtive comme un soutien à Joseph Kabila le oui massif, à 84,3 % des suffrages exprimés, à la nouvelle constitution. Le scrutin du 30 juillet a, au contraire, montré qu’aucun des candidats ne disposait de la base nationale nécessaire pour être élu au premier tour. Joseph Kabila, qui a réalisé le meilleur score, 44,81 %, a eu une large majorité dans les provinces du Nord-, du Sud-Kivu et du Maniema, du Katanga et de la Province Orientale, mais il n’a obtenu que 2,65 et 1,86 % dans celles du Bandundu et de l’Equateur et moins de 15 % à Kinshasa, au Bas-Congo et dans le Kasai Occidental.

Jean-Pierre Bemba, qui venait en deuxième position, a recueilli 20,03 % des suffrages. Il a eu la majorité en Equateur (63,7 %) et il l’a frôlée à Kinshasa (49,1 %). Il a encore eu plus de 30 % au Bas-Congo et au Kasai Occidental, mais moins de 15 % au Kasai Oriental, moins de 10 au Bandundu, 5,2 en Province Orientale et moins 5 % partout ailleurs.

Antoine Gizenga venait en troisième position, avec 80,2 % au Bandundu et 22 % à Kinshasa, mais seulement 13,06 % à l’échelle nationale. Il y avait 30 autres candidats, mais la population n’a pas été dupe de leurs ambitions et n’a pas dispersé ses voix : 23 n’ont même pas obtenu 1 % des suffrages à l’échelle nationale.

Au second tour, le 29 octobre 2006, la participation a été moins forte qu’au premier (65,4 contre 70,5 %), mais un progrès général apparaît dans la compréhension du système électoral par la chute du pourcentage de bulletins nuls de 4,9 % à 1,7 %. Les deux candidats qui restaient seuls en liste ont tous deux reçu un plus grand nombre de voix : 9,4 millions à Joseph Kabila (1,8 de plus qu’au premier tour) et 6,8 millions à Jean-Pierre Bemba (3,4 de plus qu’au premier tour). Jean-Pierre Bemba a obtenu 97 % des voix en Equateur et dispose de la majorité à Kinshasa (68 %) et dans quatre autres provinces. Mais Kabila a une plus forte majorité dans les provinces plus peuplées ou plus étendues de l’est et remporte l’élection avec 58,05 % contre 41,95 %. Sauf en Equateur, Kabila a réussi à obtenir plus de 20 % dans toutes les provinces et a donc mieux que Bemba acquis la stature nationale qui leur manquait à l’un et l’autre au premier tour. Une part importante de cette victoire a été acquise par le ralliement d’Antoine Gizenga, particulièrement au Bandundu et à Kinshasa, mais aussi au Kasai Occidental dans les territoires proches du Bandundu.

L’enjeu des élections n’a cependant pas fait l’objet de grands débats. Chaque camp semble davantage avoir lutté pour être celui dont les membres accéderaient aux avantages et aux privilèges du pouvoir que pour le triomphe d’une vision plus ou moins libérale ou sociale. Joseph Kabila a été accusé d’avoir fait trop de concessions aux étrangers, mais on a aussi demandé sans obtenir de réponse d’où venaient les armes qui ont été utilisées par les rébellions. Joseph Kabila a promis la gratuité de l’enseignement primaire, mais il n’a pas défini le plan par lequel il croyait pouvoir tenir promesse. Jean-Pierre Bemba s’est présenté comme la meilleure promesse de défense des droits légitimes du peuple congolais en lui redonnant sa dignité et sa place dans le concert des nations, mais il n’a pas précisé de stratégie conduisant à cet objectif.

b) Les résultats des élections législatives

Les élections législatives ont désigné 500 députés nationaux, répartis en fonction du nombre des enrôlés dans les 145 territoires, les 20 villes autres que Kinshasa et 4 regroupements de 5 à 7 communes dans la ville de Kinshasa. Les territoires enclavés, où les centres d’inscription ont été le moins densément organisés, et ceux dont la population a suivi le mot d’ordre d’abstention donné par certains partis, principalement par l’UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social) d’Etienne Tshisekedi au Kasai, ont ainsi été juridiquement minorisés.

La nouvelle Assemblée nationale a été installée le 22 septembre 2006, mais le traitement du contentieux de son élection n’est pas clôturé. D’après les premiers résultats, le PPRD (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie), qui apparaît comme le parti du président, même si sa candidature à l’élection présidentielle a été proposée comme celle d’un indépendant, a obtenu 111 sièges et le MLC (Mouvement de Libération du Congo), qui est le parti de Jean-Pierre Bemba, 64. Avec ses alliés, l’AMP (Alliance de la Majorité Présidentielle) dispose de plus de 200 sièges, tandis que la RENACO (Regroupement des Nationalistes Congolais), qui est la plate-forme correspondante de Jean-Pierre Bemba, en regroupe 120. La fracture est/ouest, suggérée par la répartition des votes dans l’élection présidentielle ne semble donc pas devoir commander celle des voix à l’Assemblée. En dehors des 13 plus grandes formations, qui ont obtenu de 7 à 111 élus, il y a en effet 163 députés qui sont des isolés : 63 indépendants, 31 élus sur une liste qui n’a obtenu qu’un siège, 24 sur des listes qui en ont obtenu 2 et 45 sur des listes qui en ont obtenu 3 ou 4.

Parmi les tâches prioritaires qui leur sont dévolues, outre l’investiture du gouvernement après approbation de son programme et le vote du budget, pas moins de 23 lois organiques sont requises par la constitution pour définir les grands principes du fonctionnement des institutions et de la vie de la nation. Ces lois comporteront des options décisives pour l’avenir. Leur élaboration est un travail considérable, qui exige compétence et rigueur. La mise en œuvre de la constitution exige en outre expressément 46 lois ordinaires.

c) Les nouvelles institutions provinciales

La constitution a prévu le redécoupage du pays en 25 provinces, outre la ville de Kinshasa. Sauf au Bas-Congo et dans les trois provinces du Maniema, du Sud- et du Nord-Kivu, déjà issues du démembrement de l’ancienne province du Kivu en 1988, les nouvelles provinces sont en général constituées à partir des anciens districts. Ces provinces auront une assemblée et un gouvernement propres. Les députés provinciaux ont été élus sur base des mêmes circonscriptions que les députés nationaux, sauf pour la ville de Kinshasa, où chacune des 24 communes a constitué une circonscription électorale. Le nombre des sièges de députés provinciaux à élire était de 632, auxquels s’ajouteront 58 représentants du pouvoir coutumier à coopter.

Les députés provinciaux ont pour première tâche d’élire les sénateurs au second degré, à raison de quatre par province et huit pour la ville de Kinshasa. En attendant l’organisation effective des nouvelles provinces, les assemblées provinciales fonctionneront dans le cadre des 11 provinces actuelles. Elles auront de 22 à 100 députés, y compris les 10 % à coopter parmi les chefs coutumiers. Aucun parti ne dispose de la majorité dans aucune des provinces. Sur les 632 sièges de députés qui étaient à pourvoir par élection, le PPRD en a obtenu 133, le MLC 102. Le RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) d’Azarias Ruberwa a obtenu 42 sièges, répartis dans toutes les provinces sauf le Sud-Kivu. Le MSR (Mouvement Social pour le Renouveau) de Pierre Lumbi dispose de 40 sièges, répartis aussi dans toutes les provinces sauf la ville de Kinshasa. Les indépendants ne forment pas un groupe homogène, mais ils sont aussi au nombre de 40. La formation qui vient ensuite est celle des Forces du Renouveau d’Olivier Kamitatu ; elle dispose de 33 sièges, répartis aussi dans toutes les provinces sauf la ville de Kinshasa. Les autres partis ont moins de 20 sièges, 15 en ayant de 5 à 19, 18 en ayant moins de 2 à 4 et 37 n’en ayant qu’un seul.

La création des nouvelles provinces a malheureusement été faite de façon précipitée, essentiellement pour créer des postes de repli aux politiciens menacés par le renouvellement des institutions. Les nouvelles autorités provinciales reçoivent le mandat général de développer leur province, sans qu’il ait été établi que les anciens districts sont des unités d’action propices à ce développement.

3. Les défis de la reconstruction
 

Tant au niveau provincial qu’à celui du pays, un problème fondamental auquel le pays sera demain confronté est celui de ses relations extérieures. L’Occident a beaucoup investi dans le rétablissement de la paix au Congo (qu’il avait largement contribué à détruire en soutenant des initiatives de violence). Il souhaite y investir davantage encore dans des activités économiques qui peuvent y être très rentables. Mais la population n’y trouvera son compte que si ses dirigeants savent défendre ses intérêts et négocier des accords de coopération suffisamment équilibrés.

Une commission présidée par Christophe Lutundula avait déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale de la Transition en juin 2005 un rapport sur les contrats miniers et autres contrats d’affaires conclus au nom de la RDC de 1996 à 2003, mais il n’a pas été examiné. Les conclusions d’une enquête financée par MO Magazine, Broederlijk Delen, 11.11.11 et RAID (Rights and Accountability In Development) ont été publiées en mars 2006 sous le titre « Comment le Congo dilapide ses richesses ». Il n’y a pas de doute que la faiblesse du Congo depuis plus de dix ans a rendu possibles des contrats que l’on peut considérer comme abusifs, mais il sera difficile de sortir de leur logique. Le contrat annoncé le 7 novembre entre le Commissariat Général à l’Energie atomique et une société britannique, Brinkley Africa Ltd, réserve à cette dernière l’exclusivité de l’exploration, de l’évaluation et du développement des ressources en uranium de la RDC. Il y va d’intérêts stratégiques, mais il y va aussi des droits d’un peuple.

Le Congo s’engage, après les élections, dans un projet merveilleux mais exigeant de reconstruction et de réconciliation. Il redevient aussi un acteur qui doit retrouver sa dignité sur le plan international. Les efforts d’éducation civique qui ont permis d’aboutir à des élections démocratiques doivent se poursuivre pour la bonne conception et le contrôle des actions à entreprendre aujourd’hui pour un avenir meilleur.