Le 01 mars 2013

La transition énergétique ou comment se sevrer du pétrole

Le développement des pays du Nord basé sur l’industrialisation qui a permis à une part importante de leurs populations d’accéder à un niveau de vie confortable est basé sur la maitrise et l’exploitation abondante du pétrole qui durant ce dernier siècle a coulé à flots. Aujourd’hui, toute notre organisation sociale, notre économie et nos modes de vie reposent sur des énergies fossiles abondantes et bon marché. Or, l’épuisement des ressources et l’explosion de la demande marquent la fin de l’ère d’un pétrole abondant et bon marché. Il faut aujourd’hui mettre en place les conditions, nécessairement multiples pour faire face à cette nouvelle donne. C’est peut-être aussi l’heure de s’interroger sur un modèle de développement basé sur une exploitation sans limite des ressources naturelles et caractérisé par une fuite en avant par la technologie.
 

Regardons autour de nous, tout a nécessité du pétrole pour être produit et acheminé jusqu’à nous. Le pétrole est, dans le mode de vie qui est le nôtre, indispensable pour les transports, la production de nourriture, de médicaments, de biens de consommation de masse, le chauffage et quantité d’autres éléments de notre économie. Par exemple, c’est le pétrole abondant et bon marché, utilisé dans les engrais, les pesticides, les machines agricoles,… qui a permis l’essor spectaculaire de l’agriculture que l’on a appelée révolution verte. Quant à la mobilité, la dépendance en Wallonie du secteur des transports au pétrole est presque totale : 97,44% de l’énergie utilisée dans ce secteur est du pétrole[1].

La fin d’un monde
 

L’ère du pétrole abondant et bon marché qui a permis le développement fulgurant des pays industriels touche à sa fin. En effet la production de pétrole atteint un pic. Ce pic du pétrole c’est le moment où la production de pétrole atteint son niveau le plus haut. Après le pic, la production déclinera. Le pic du pétrole n’est donc pas la fin du pétrole mais une réduction de sa disponibilité. Du point de vue de l’économie et des rapports géopolitiques qui ne manquent pas d’en découler, c’est ce moment et non le moment où il n’y aura plus de pétrole qui importe.

Ce phénomène est dû à plusieurs facteurs. D’abord au niveau de l’offre, le fait est que l’on trouve de moins en moins de réserves. En effet, depuis les années 80, le pétrole découvert est inférieur au pétrole produit. Par ailleurs, la production du pétrole est à rendement décroissant. Pour des raisons géologiques, lors des premiers forages, la pression du gisement est élevée ce qui permet une production maximum, puis lorsqu’on arrive plus ou moins à la moitié, la pression diminue, ce qui entraine une production plus lente et décroissante. De plus, certaines réserves de pétrole sont plus accessibles que d’autres. Pour l’instant, c’est surtout le pétrole facilement accessible qui a été exploité mais à l’heure actuelle, il faut creuser plusieurs puits pour découvrir du pétrole et souvent dans des endroits moins accessibles, plus loin des lieux de consommation et nécessitant des technologies perfectionnées pour l’extraire, c’est par exemple le cas des puits offshore. Ces différents éléments ont pour conséquence une augmentation du prix du pétrole. Il devrait arriver un moment où les investissements et l’énergie nécessaire pour extraire un baril seront aussi élevés que le gain. Jusqu’au moment où la production de pétrole n’étant plus rentable, elle sera abandonnée. On parle ainsi d’énergie nette qui est l’énergie produite moins l’énergie qu’il a fallu pour la produire. Si au départ avec un baril d’énergie on en produisait cent, maintenant, on n’en produit plus qu’une dizaine.

D’autre part, ce déclin des réserves coïncide avec l’explosion de la demande mondiale et donc renforce le phénomène d’augmentation des prix. En effet, avec la montée des pays émergents, la demande mondiale est en pleine explosion. Par exemple, la Chine entre 1965 et 2006 a augmenté sa consommation de 3 328%. D’autre part, des pays jusqu’alors exportateurs deviennent importateurs parce que d’une part leurs réserves s’épuisent et d’autre part, parce que la demande interne augmente. William Clarck[2] met également en parallèle l’augmentation du prix du pétrole et l’érosion du dollar : les barils de pétrole sont échangés sur les marchés internationaux en dollars, or ce dernier perd de la valeur, il faut donc plus de dollars pour acheter un baril. Par ailleurs, ce décalage entre offre et demande et la faible élasticité de cette dernière rend les prix extrêmement volatiles face aux évènements géopolitiques et climatiques.

Notons que ce qu’on appelle pic prendra en réalité probablement la forme d’un plateau ondulé, avec des soubresauts dans la production grâce à la découverte de nouveaux puits, de nouvelles technologies ou encore des aléas géopolitiques. Ce plateau durera plusieurs années puis la production commencera à décroitre inexorablement. C’est, par exemple, ce qui s’est passé avec la production de pétrole européenne, où pendant 6 ans il y a eu des fluctuations de la production de l’ordre de 3%, suivies d’un déclin de 5% par an[3]. Ces sursauts de production contribuent à brouiller les pistes et à donner l’impression que la production pourra être relancée. Pourtant à la fin du plateau, la descente est inéluctable.

Quant au moment où le pic sera atteintil n’y a pas de période qui fait consensus si ce n’est qu’il aura lieu très probablement avant 2020. Pour de nombreux chercheurs nous avons déjà atteint le plateau. Ce manque de précision vient du fait qu’il existe un flou important autour des quantités de réserves encore disponibles, les producteurs jouant sur l’ambigüité des systèmes de comptage. Les pays de l’OPEP déclarent les quantités les plus importantes possibles pour maintenir des quotas élevés. Quant aux producteurs privés, ils distillent leurs découvertes dans le temps, les déclarant petit à petit pour rassurer leurs actionnaires en leur donnant l’illusion de découvrir toujours des nouveaux puits et de justifier les investissements. Au-delà de cette imprécision des chiffres, il y a tous les imprévus liés au contexte géopolitique et aux possibles catastrophes comme celle du puits de BP dans le golfe du Mexique en avril 2010 où pendant 150 jours 4 millions de barils se sont déversés chaque jour dans le golfe du Mexique.

Ce flou provoque l’effet du « garçon qui criait au loup » et nous retient de nous alarmer en faisant reculer sans cesse la date officielle de la pénurie. Pourtant il ne doit cependant pas faire douter du fait bien concret d’une déplétion[4]. Brocorens écrivait en 2008 : « Les Indices indiquent l’imminence d’un pic pétrolier mondial. A titre d’exemple, mentionnons le fait que 33 des 48 principaux pays producteurs, ainsi que de nombreuses compagnies pétrolières sont déjà en déclin. Ensemble, les 5 majors (Exxon, Shell, Chevron, BP, Total) ont vu leur production baisser de 5 % entre 2001 et 2006. Les pays de l’OCDE, qui représentent un quart de la production mondiale, ont atteint leur pic il y a déjà 10 ans et sont en déclin continu, malgré le développement des sables bitumineux du Canada. Le monde hors OPEP et ancienne Union Soviétique a atteint son pic il y a 5 ans, malgré la contribution de pays dont la production est en croissance, comme le Brésil ou le Tchad. »[5] D’autre part, les prévisions à court terme permettent de dire que les nouveaux puits mis en chantier ne peuvent plus, depuis 2012, compenser le déclin de la production des anciens puits au point que l’on prévoit des pénuries pour 2015[6]. Un coup d’œil au prix de l’essence à la pompe ne peut que nous le confirmer : le pétrole abondant qui permettait de maintenir un prix peu élevé n’est plus. Enfin, rappelons-nous, il y a une quinzaine d’années le prix d’un baril avoisinait les 10 $, aujourd’hui il ne passe plus en dessous de la barre des 100$.

Face à l’inconnu ou de quoi demain sera-t-il fait ?
 

La diminution des ressources pétrolières aura des conséquences cruciales, de l’organisation de la vie quotidienne à la géopolitique mondiale. Les scénarios vont des plus pessimistes au plus optimistes. Pour les optimistes, l’augmentation du prix du pétrole motivera les exploitants à faire de nouveaux investissements, rendus rentables par le prix élevé du pétrole, pour trouver des nouveaux procédés d’extraction et de nouveaux puits et exploiter des puits jusque-là inexploités car non-rentables. Cela permettrait de relancer la production et de faire chuter les prix. Cette idée d’exploitation jamais finie grâce à l’avancée des progrès technologiques nous parait illusoire dans la mesure où nous nous trouvons dans un monde aux ressources finies. Et quand bien même il existerait des alternatives technologiques qui permettraient de prolonger de quelques décennies notre surconsommation énergétique, quel en sera le prix environnemental ? Faut-il détruire la nature canadienne pour obtenir du sable bitumeux, anéantir les réserves naturelles et toute la biodiversité qu’elles protègent en Amazonie péruvienne pour extraire le pétrole de leur sous-sol ? Ruiner la campagne française pour en retirer son gaz de schiste ? Continuer à polluer l’air, l’eau, le sol avec les hydrocarbures ? Si ces sources d’énergie peuvent être des aides précieuses sur lesquelles s’appuyer pour la transition énergétique, elles ne peuvent être considérées comme l’horizon énergétique et leur exploitation doit se faire sous la contrainte stricte du respect de l’environnement. Quant aux scénarios les plus pessimistes, certains n’hésitent pas à prédire la mort pour certains et une vie de souffrance pour les autres faite de misère, de guerre, et de famine.

Sans aller jusqu’à rejoindre les scénarios apocalyptiques de ces Cassandre, il ne faut pas prendre la perspective d’une pénurie énergétique à la légère. Les guerres ont souvent comme objectif l’accès aux ressources, et la raréfaction du pétrole pourra exacerber la compétition, voir les conflits autour de ce dernier. Par ailleurs, dans un contexte de pénurie énergétique, l’Europe serait particulièrement vulnérable. En effet elle importe plus de 95% de l’énergie qu’elle consomme. Pour la Wallonie ce chiffre monte à 97%[7].

Quant aux conséquences sur l’économie, rappelons que l’augmentation du prix du pétrole lors des chocs pétroliers de 1973 et de 1980 a entrainé une inflation à deux chiffres et la stagnation de l’économie. La différence entre ces chocs et l’augmentation des prix que nous connaissons aujourd’hui est que cette dernière est due à des raisons géologiques et non politiques, aucun espoir donc de revenir à un pétrole bon marché. L’ASPO, l’Association for the Study of Peak Oil and Gaz, établit un lien entre la crise de 2008 et la récession qui l’a suivie et la flambée des prix du pétrole qui les ont précédées de deux mois[8] : « Les ménages américains consommant à crédit, se déplaçant avec des véhicules excessivement énergivores, achetant leur maison via des prêts à taux variables, et se chauffant au mazout, tout cela était possible en 1998 avec un baril avoisinant les 10 dollars. Ca ne l’était plus en 2006, quand il franchissait 70 dollars, soit une augmentation d’environ 600 % en 8 ans ! Avec l’augmentation du coût de la vie, de plus en plus d’Américains furent incapables de rembourser leurs crédits dont les taux avaient entre-temps augmenté, ce qui entraîna l’explosion de la bulle immobilière et le jeu de dominos que l’on sait. La « crise » actuelle fut engendrée par un système financier déséquilibré qui repose sur une économie de « croissance » tirée par l’endettement et une consommation, elle aussi croissante, d’énergie bon marché. Lorsque le prix de l’énergie s’envola, les conditions de permanence de ce système ont flanché et toute la structure a tremblé. »[9]

L’augmentation du prix de pétrole augmente le prix des inputs, ce qui entraine une récession économique et une hausse du chômage. De cette façon, pour la Région wallonne, selon une étude du CPDT, la Conférence Permanente de Développement du Territoire, un baril à 140 dollars durant les 10 prochaines années aurait pour conséquence un ralentissement de l’activité économique qui provoquerait la suppression de 26 000 emplois par rapport à son niveau de référence en l’absence de choc – sans compter les nombreuses suppressions d’emploi indépendantes de l’augmentation du prix du pétrole. Le facteur déplétion est donc à prendre en compte dans toute perspective de relance de l’économie, pour enrayer le cycle : relance de l’économie, relance de la consommation de pétrole, augmentation des prix de ce dernier, ralentissement de l’économie. D’autant plus que, comme le souligne l’ASPO, toute rechute aurait des effets plus durs, en particulier pour les personnes les moins nanties, plus vulnérables aux augmentations des prix de l’énergie. Comme le constate le parlement bruxellois : « la hausse continuelle des prix du carburant contribue significativement à accroitre les inégalités sociales […] la part des produits de première nécessité tels que le pétrole pèse plus lourd sur le budget des petits que sur les gros revenus »[10].

Que faire ?
 

De façon générale, la diminution des ressources pétrolières a de grandes chances d’entrainer et d’accentuer des cercles vicieux économiques, géopolitiques et environnementaux. Heureusement, de multiples mesures peuvent être prises, à tous les niveaux d’action, du personnel à l’international pour enrayer ces cercles vicieux et réaliser la transition énergétique en douceur. L’anticipation du phénomène sera déterminante pour en amortir le choc et construire la résilience. Il n’y a pas d’alternative unique au pétrole, mais une combinaison d’actions qu’il est urgent de commencer à mettre en place. Les différentes démarches à entreprendre seront un travail de longue haleine, dont les effets ne seront perceptibles qu’à long terme, ce qui ne rend pas la tâche plus simple. Si la Région wallonne et la Région bruxelloise, comme le montrent les discussions parlementaires de 2008-2009 au sein de chacune de ces institutions, ont conscience de cette urgence, la période de crise et d’austérité où le court terme prime et où l’Etat gratte ses fonds de tiroir pour le service de sa dette[11] a tendance à faire passer en second plan les investissements pour se préparer à la déplétion.

Du point de vue environnemental, la crise énergétique et le réchauffement climatique doivent être pensés de pair. Si l’on ne considère pas les deux aspects dans leur interdépendance, la recherche de solution pour l’un risque d’amener des externalités négatives sur l’autre. Ainsi, on pourrait imaginer pallier à la diminution des réserves pétrolières par l’utilisation du charbon liquéfié, ressource énergétique qui libère jusqu’à trois fois plus de CO2 que le pétrole. Inversement, si l’on considère uniquement l’aspect du réchauffement climatique, alors l’urgence se fait sentir : une diminution de l’offre de pétrole aura pour conséquence une augmentation de son prix, cette augmentation risque fort de provoquer une récession économique. Cette récession compromettrait les investissements dans la recherche et le développement des énergies alternatives. Notons que, selon le rapport Stern[12], si 2% du PIB mondial seraient nécessaires pour s’adapter à la diminution des ressources pétrolières, le cout de l’adaptation au réchauffement climatique serait lui de 5 à 20% du PIB mondial. Les réponses à la crise énergétique et au réchauffement climatique convergent vers la production d’énergie renouvelable et la sobriété énergétique et renforcent leur nécessité.

En ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, il n’existe pas une alternative qui permettrait de remplacer le pétrole. En effet, selon Wautelet, Duvivier et Van Overschelde[13], le pétrole est une énergie irremplaçable pour au moins trois raisons. D’abord le pétrole, comme source d’énergie primaire a un rendement énergétique très élevé alors que, si les voitures passaient au fonctionnement électrique on aurait une augmentation totale de consommation d’électricité de 25% et seulement 5% de réduction de la consommation de pétrole. Ensuite la constitution du pétrole résulte d’une combinaison d’éléments physiques, chimiques et géologiques exceptionnelle. Enfin, la densité énergétique du pétrole est importante : il y a beaucoup d’énergie dans un petit volume alors que selon les calculs de Wautlet et Brocorens, pour obtenir l’équivalent énergétique des 30 milliards de barils consommés mondialement par an, il faudrait 5100 réacteurs nucléaires d’ 1 GW – avec tout ce que cette énergie comporte d’éléments problématiques – ou l’équivalent de 280 barrages des trois gorges en Chine ou encore 220 000km² de panneaux photovoltaïques[14]. En d’autres termes, seule une fraction des énergies fossiles consommées pourra être remplacée.

Les énergies alternatives ne peuvent suffire, en particulier dans un contexte de demande mondiale croissante, une réduction de la consommation est également nécessaire. Et cela de deux manières : d’une part dans l’amélioration de l’efficience énergétique et d’autre part dans la sobriété énergétique. En ce qui concerne l’amélioration de l’efficience, selon Bamberger et Rogeaux[15], il serait possible de diviser la consommation d’énergie par deux pour un service énergétique identique. Nous pouvons donc privilégier dans nos maisons les systèmes d’isolation performants et les systèmes de chauffage non basés sur les énergies fossiles. Cela implique des pouvoirs publics, de mettre en place des incitants et d’octroyer des subsides aux revenus les plus faibles afin qu’ils puissent s’adapter. Par ailleurs, afin de réduire la consommation d’énergie, il est également possible de développer la symbiose industrielle, où ce qui est considéré comme déchet pour une entreprise est utilisé comme input par une autre.

De façon plus structurelle, dans une optique de diminution de la consommation, la façon dont le territoire est aménagé aujourd’hui dépend d’une énergie bon marché qui a permis un étalement des zones d’habitation dans les zones rurales relativement éloignées des zones urbaines ou se concentre l’activité: travail, école, culture, commerce… Les habitants de ces zones sont dépendants de leur voiture pour se rendre dans ces pôles d’activités, ce qui les rend particulièrement vulnérables à une augmentation du prix du pétrole. On peut dès lors imaginer qu’une fois que le prix élevé se sera installé de manière durable, on assistera probablement à un mouvement inverse : un retour vers les zones urbaines. Cela n’est pas sans poser certains défis. En effet, comment éviter que le prix des loyers dans les centres villes n’explose, reléguant dans des périphéries mal desservies les plus petits revenus ? Il est donc nécessaire de garder un parc de logement à prix adapté dans les centres villes. La mixité des activités sur un territoire permettrait de limiter les déplacements : que l’on puisse trouver dans un territoire restreint un travail, un logement abordable, une école, un supermarché, un centre sportif et artistique. Dans cette perspective, les zones rurales sont particulièrement à repenser. Pour anticiper ce phénomène, les pouvoirs publics peuvent développer les transports en commun vers ces zones d’activités et développer le transport intra-urbain pour éviter que des zones périphériques ne restent sur le carreau.

On peut également prévoir une réorientation de l’activité économique. Certains secteurs particulièrement dépendants du pétrole comme les transports en avion, le tourisme exotique, l’agrobusiness, risquent d’entrer en crise alors que d’autres se développeront : le tourisme local, la réparation, le recyclage, la production, l’installation et la réparation des systèmes de chauffage et d’isolation non dépendants du pétrole… Développer la recherche et la formation dans ces secteurs d’avenir sera sans aucun doute porteur. Dans l’organisation des échanges économiques, une bonne solution pour diminuer la consommation d’énergie est le développement de circuits courts, de raccourcir la distance entre production et consommation.

Quant à l’action internationale, l’idéal serait que les Etats se mettent d’accord sur un protocole qui règlemente l’exploitation des ressources pétrolières restantes afin de maitriser la déplétion et afin de limiter la concurrence et la compétition autour des ressources. Cependant vu la difficulté des Etats – en matière d’environnement par exemple – à se mettre d’accord en raison des intérêts divergents et l’urgence de préparer la déplétion, on peut douter qu’un tel protocole voit le jour.

Un monde à réinventer
 

Dans la mesure où aujourd’hui, nos habitudes et nos modes de vies sont pétries par l’existence d’un pétrole bon marché, la sobriété énergétique implique un changement de comportement au niveau individuel, de l’ordre du changement culturel. La flambée du prix du pétrole va amener une refondation de nos pratiques dans de nombreux domaines. La première étape dans ce processus de changement est une prise de conscience des différents aspects de nos vies qui dépendent du pétrole pour ensuite trouver des alternatives, individuellement et collectivement. Au niveau individuel, on peut par exemple se rendre moins dépendant de la voiture en s’organisant pour utiliser les transports en commun et le co-voiturage, on peut réduire notre consommation de viande dont la production nécessite énormément de pétrole en raison de la culture de céréales intensive nécessaire pour nourrir le bétail et être attentif à l’endroit où sont produits nos légumes. Beaucoup d’objets que nous utilisons dépendent de la pétrochimie[16], acquérir des réflexes de réparation, de recyclage et de réutilisation diminuera sans aucun doute la quantité de pétrole que nous consommons.

Collectivement une série d’initiatives, dont l’une des plus importantes est le mouvement des initiatives de transition[17], émergent qui permettent de retisser un tissu communautaire sur lequel s’appuyer pour faire face à la diminution des ressources pétrolières. Les groupes d’achat commun[18], groupes de citoyens qui s’organisent collectivement pour acheter directement à des producteurs locaux, font également partie de ces initiatives qui permettent de relocaliser l’économie et d’ainsi la rendre moins vulnérable aux fluctuations du prix du pétrole. Ces groupes véhiculent une vision positive de l’avenir et une volonté de développer la convivialité et la gratuité des échanges. L’idée est que si le monde d’hier doit s’effondrer celui de demain pourra être plus juste, plus convivial, plus respectueux de l’environnement, moins marchandisé et plus fondé sur la gratuité des échanges.

Ces initiatives invitent à revisiter tout notre modèle de développement. En commençant par nous défaire du mythe du progrès qui nous permettrait de faire face à toutes les avanies auquel nous confronte la nature. La croyance dans ce mythe nous porte à penser que nous pourrons affronter les chocs pétroliers grâce à de nouvelles techniques qui suppléeront au pétrole. Le problème avec le mythe du progrès est qu’il donne une solution unique alors que la solution doit être absolument multiple et il donne l’illusion qu’aucun frein ne sera mis à notre mode de vie énergivore. Il est temps d’intégrer les limites écologiques et l’Autre dans notre modèle de développement, car notre modèle de développement n’est pas généralisable au reste de la planète. L’Occident ne peut pas continuer à drainer toutes les ressources tout en maintenant le reste du monde dans un état où les droits fondamentaux des populations ne peuvent être satisfaits. L’heure est venue de partager le gâteau, de libérer de l’espace écologique pour permettre à ces populations d’accéder à ces droits.

Un autre élément de notre organisation sociale dont nous devons nous libérer est l’association bien-être de la société/croissance : si aujourd’hui la stagnation du PIB va de pair avec des catastrophes sociales, l’organisation de la société doit être repensée pour qu’elles ne soient plus intimement liées. Outre le fait que la croissance du PIB est un très mauvais indicateur de bien-être et de justice sociale, elle est basée sur l’idée qu’on disposera toujours de ressources naturelles en général et d’énergies fossiles à faible coût en particuliers. Le fonctionnement social basé sur la croissance comme élément essentiel à la prospérité est incompatible avec la nécessaire sobriété que nous impose l’environnement. La croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible, le cas du pétrole et plus largement des ressources naturelles en est un excellent exemple tant il est clair que d’une part c’est sur elles que repose notre industrialisation et que d’autre part ces ressources sont finies. Sobriété, répartition des ressources et convivialité sont des concepts qui permettraient de lancer la réflexion sur cette autre voie de développement qu’il est aujourd’hui urgent de tracer.

Bibliographie
 

  • Brocorens P., Le Pic du pétrole, un tournant pour l’humanité. Sommes-nous prêts ? Chimie nouvelle n°97, mars 2008
  • Brocorens P., Jean Baptiste Godinot J-B., Pics du pétrole et du gaz : Bruxelles-Capitale a voté une résolution, il faut maintenant agir ! asbl Respire, ASPO, juillet 2009
  • Parlement de la Région de Bruxelles-capitale, Résolution visant à préparer la Région de Bruxelles-Capitale aux pics du pétrole et du gaz, Décembre 2008. www.weblex.irisnet.be/data/crb/doc/2008-09/113709/images.pdf
  • Parlement Wallon, Compte rendu intégralSéance publique de Commission Comité Pics de pétrole et de gaz, 1 avril 2010
  • Parlement Wallon, Proposition de résolution sur les pics de pétrole et de gaz issue des auditions tenues en Commission de l’Aménagement du Territoire, des Transports, de l’Énergie et du logement, déposée par MM. M. Lebrun, E. Stoffels, H. Jamar et Consorts, juillet 2008. nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2007_2008/RES/818_7.pdf
     

Notes :