Le choix de la simplicité en famille
Bien vivre le temps
Avant-propos
Les rythmes de vie auxquels nous sommes confrontés épuisent l’être humain et la nature. Nos modes de vie nous poussent à consommer toujours plus, à posséder toujours plus, à courir toujours plus. Face à ces constats, des citoyens font le choix de la simplicité volontaire. Ils se mettent en route pour désencombrer leurs vies en vue de vivre le partage et de générer plus de liens que de biens. Mais qu’en est-il en famille ? Comment faire ce choix comme parents ? Comment impliquer nos enfants – petits, mais aussi adolescents ? Comment donner du sens à notre démarche à leurs yeux ?Telles sont les questions qui ont animé les participants lors d’une journée organisée par le Centre Avec, en collaboration avec l’asbl Couples et Familles[1] et le Centre spirituel ignatien La Pairelle[2]. La présente réflexion, en deux volets, propose un retour sur cette journée d’animation, ainsi que quelques éléments pour élargir la démarche entamée. La journée ne se voulait pas un lieu où les animateurs auraient donné des recettes toutes faites ou des solutions « clé-sur-porte » pour vivre la simplicité en famille, elle se voulait plutôt l’occasion d’ouvrir une réflexion.
Deux portes d’entrée ont guidé la réflexion déployée lors de cette journée :
- le temps : l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, les temps libres des parents et des enfants, etc. ;
- les biens matériels.
Cette analyse est consacrée à la question du temps. Une deuxième analyse reviendra sur la question des biens matériels.
Bien vivre le temps
La question du temps se pose de façon singulière pour chacun-e. Pour certains, ce sera un accident de la vie (burn-out, etc.) qui force à se la poser. Pour d’autres, ce sera la maladie qui limite et invite à repenser son rapport au temps. Pour d’autres encore, ce sera une insatisfaction ressentie dans la routine du quotidien qui va si vite… Nul doute que pour les participants à la journée, la question se pose également. La matinée a donc été consacrée à cette question.
Un exercice de simplification : s’accueillir soi
On est dans une société du « faire ». Le monde s’interdit de s’arrêter. Souvent, nous avons le sentiment d’être pris dans une course folle. Au dire des participants à la journée, rares sont les moments où ils s’arrêtent pour « ne rien faire ». D’entrée de jeu, nous leur avons donc proposé un exercice de simplification : pendant 20 minutes, sortir dehors et se promener – ou s’asseoir sur un banc – et procéder à un retournement intérieur : ne pas être dans le « faire », mais être dans l’accueil, le recevoir, se rendre disponible pour laisser venir les choses, se remettre en lien avec son être profond, retrouver le lien avec la nature. S’accueillir soi, c’est la première simplicité. Un des animateurs a donné quelques indications pour bien vivre ce temps (être attentif à ses sens, à son souffle, à ses pieds qui se posent sur le sol, aux tensions que l’on peut ressentir, etc.). Chacun-e aura vécu ce moment de façon différente (l’une aura été remise en contact avec des moments de son enfance, l’autre aura été surpris par la variété des chants d’oiseaux, une autre encore aura été étonnée des tensions qu’elle ressentait dans son corps, etc.). Cela dit, pour toutes et tous, ce moment aura été bienfaisant et l’évaluation de la journée révélera que ce point de départ de l’animation aura changé la disposition intérieure des participant-e-s pour le reste de la journée.
Si ce moment n’est pas qu’une parenthèse mais impacte le vécu du reste de la journée, comment donc vivre cela dans la vie quotidienne ? Certes, c’est plus évident lors d’une journée de retrait, mais après avoir fait l’expérience de cet exercice et goûté à ses bienfaits, les participants se demandent comment trouver de ces moments pour « s’accueillir soi » et se rendre disponible à ce qui vit en soi… Un des animateurs de la journée a partagé son expérience : il suffit parfois de quelques minutes, voire même de 30 secondes, pour se remettre en contact avec son être profond : avant un rendez-vous important, ou alors qu’on attend que le feu passe au vert… chacun-e trouvera dans le rush de la vie telle ou telle occasion de s’arrêter pour prendre conscience de soi. Ce genre de petits exercices rejoint les pratiques de pleine conscience. Nul besoin cependant de se former à cette technique pour faire de cette pratique une habitude quotidienne[3].
Pour les enfants, cela veut notamment dire qu’il faut leur laisser l’occasion de s’ennuyer. L’ennui n’est pas bien vu par la société… on baigne en permanence dans une logique de rentabilité : l’adage ne dit-il pas « le temps c’est de l’argent » ? Mais de l’ennui peut surgir la créativité, la contemplation, ou tout simplement le fait de « ne rien faire ». Pour les parents, la tendance est plutôt, et dans un souci de bien faire pour son enfant, de chercher à l’occuper à tout prix. Pourtant, si une des dimensions de l’autonomie est la capacité de choisir et décider seul de ce à quoi on occupe son temps, l’apprentissage de l’autonomie passe aussi par l’ennui, ou en tout cas par de l’espace pour avoir des choix à faire dans sa journée ou sa semaine. Surcharger les enfants d’activités parascolaires ne leur laisse pas l’occasion de faire cet apprentissage. Et c’est sans parler du phénomène qui accompagne toutes ces activités : celui des « parents taxi » dont on entend certains se plaindre parfois.
Ce qui énerve, c’est la lenteur
Paradoxalement, ce qui nous énerve le plus, c’est la lenteur : être bloqué dans un embouteillage, se prendre tous les feux rouges, faire la file dans un supermarché, être dans la salle d’attente du dentiste qui a du retard, attendre de passer commande au restaurant, attendre qu’une page web s’ouvre… Tant de situations où ce n’est pas la vitesse mais bien la lenteur qui nous énerve. En général, on vit ces moments comme si on nous volait du temps, comme si on nous volait notre vie. Comment dès lors mieux les vivre ? Peut-être justement en en faisant des occasions pour « s’accueillir soi ».
En famille, on éduque à la vitesse
« Vite, prends ton cartable, on doit partir ». Pour certains participants à la journée, parents de jeunes enfants, la question du temps se pose de cette manière-là : comme une contradiction entre ce que l’on voudrait vivre avec ses enfants (leur apprendre à prendre le temps, ne pas les presser, etc.) et l’aménagement de l’horaire familial tel qu’on le vit. La prise de conscience de cette contradiction est certainement un premier pas pour reprendre prise sur notre manière de vivre le temps ; la prise de conscience de ses effets sur nos enfants en est un deuxième. Une autre piste d’action est dans certains cas une réflexion sur le choix des activités et la manière dont on remplit le temps des enfants, le temps des parents, et le temps de la famille.
Par ailleurs, il y a aussi, en famille, la possibilité d’éduquer à l’attente. La Saint-Nicolas ou les anniversaires sont par exemple des occasions pour faire l’éloge de l’attente et développer une pédagogie du désir.
Bien vivre le temps : une question pas si neuve…
Certes, le sentiment d’accélération du temps et le sentiment d’urgence sont très actuels et la question de bien vivre le temps se pose avec une acuité et une pertinence nouvelles à l’ère de la mondialisation et du numérique où l’instantané règne. Comme le dit Nicole Aubert[4], nous ne sommes plus dans l’ « urgent », ni dans le « très urgent », mais dans le « TTU », le « très très urgent ».
Mais en réalité, la question du temps n’est pas si neuve. On trouve en effet dans les traditions juives et chrétiennes l’exigence du Sabbat :
« Tu travailleras pendant six jours et tu feras tout ce que tu as à faire. Mais le septième jour est le jour du repos consacré à l’Éternel ton Dieu ; tu ne feras aucun travail ce jour-là, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni tout ton bétail, ni l’étranger qui réside chez toi, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi » (livre du Deutéronome 5, 13-14).
Les textes bibliques de l’Ancien Testament donnent deux légitimations à l’exigence du Sabbat :
- La première est le fait que le travail n’est pas le tout, il n’est pas le dernier mot. Le dernier mot, dans le récit de la création, c’est le pas en arrière contemplatif, celui que fait Dieu au soir de chaque jour de création : « Dieu vit que cela était bon/très bon ». C’est là que le travail trouve son accomplissement.
- La deuxième, c’est la référence à la libération d’Egypte :
« Tu te souviendras que tu as été esclave en Égypte et que l’Éternel ton Dieu t’a tiré de là en intervenant avec puissance ; c’est pourquoi l’Éternel ton Dieu t’a demandé d’observer le jour du Sabbat » (livre du Deutéronome 5, 15).
Être incapable de s’arrêter, faire du travail son maître, c’est en quelque sorte retourner en esclavage. Demeurer libre, c’est donc se donner cet espace où le travail s’arrête[5].
Dans les textes de l’Ancien Testament, on trouve aussi l’exigence du repos de la terre :
« Pendant six ans tu ensemenceras ton champ, pendant six ans tu tailleras ta vigne et tu en récolteras le produit. Mais la septième année sera un sabbat, un temps de repos pour la terre, un sabbat en l’honneur de l’Éternel : tu n’ensemenceras pas ton champ et tu ne tailleras pas ta vigne, tu ne moissonneras pas ce qui proviendra des grains tombés de ta moisson et tu ne vendangeras pas les raisins de ta vigne non taillée » (livre du Lévitique 25, 3-5-).
Ainsi, ces textes articulent une dimension personnelle (avec le temps personnel de la contemplation : « Dieu vit que cela était bon »), une dimension sociale (c’est pour chacun-e : « ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante […] ni l’étranger qui réside chez toi ») ainsi qu’une dimension écologique (avec le repos de la terre, mais aussi du bétail). Même si ces textes sont très anciens, ils ont une pertinence très actuelle et montrent que la question de bien vivre le temps n’est pas aussi neuve qu’on pourrait le croire.
En conclusion
Les participants à la journée ont été étonnés par un exercice qui leur a été proposé : choisir une journée de la semaine précédente et voir où la question du temps s’y est posée. L’étonnement venait du fait de ressentir une difficulté à se souvenir de ce qu’on avait fait pendant la semaine qui venait de s’écouler.
Nous leur avons proposé de prendre l’habitude de « relire » leurs journées ou leur semaine, c’est-à-dire prendre le temps de regarder en arrière (les choix qu’on a faits, la cohérence – ou l’incohérence – que l’on ressent par rapport, notamment, à la manière dont on vit le temps, etc.) pour mieux aller de l’avant, un peu plus ajustés à qui nous sommes vraiment. C’est ainsi que petit à petit s’ouvre un espace pour faire un travail sur le sens de la vie. C’est peut-être là une piste d’action appropriée pour qui veut mieux vivre le temps.
Notes :
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[1] L’asbl Couples et Familles est une association d’éducation permanente qui se donne pour objectifs de réaliser et proposer des outils qui permettent aux personnes de mieux vivre leurs relations, leur vie de couple et de famille en tenant compte de toutes les préoccupations matérielles et spirituelles. Elle tient à favoriser l’éclosion d’une société où chacun peut construire des relations épanouissantes basées sur les valeurs d’égalité, d’autonomie et de solidarité. Voir www.couplesfamilles.be.
[2] Le Centre La Pairelle accueille les chercheurs de sens et les chercheurs de Dieu. Il propose des activités (journées, week-ends, formations, retraites) afin que toute personne puisse, à partir du point où elle en est, faire son propre chemin. Voir www.lapairelle.be.
[3] Un exercice de la sorte est possible avec des enfants également. On peut s’aider d’outils comme ceux présentés dans le livre d’Eline Snel, Calme et attentif comme une grenouille, Paris, Les Arènes, 2012. Pour un exemple accessible gratuitement : www.youtube.com/watch?v=JwRjwDluA30.
[4] Auteure du livre Le culte de l’urgence. La société malade du temps, Paris, Flammarion, 2003. Voir son commentaire dans la bande annonce du film Tout s’accélère. Paroles d’enfants sur un monde qui va trop vite, avril 2016.
[5] Si la question se pose au niveau personnel, elle se pose également au niveau politique : que met-on en place pour aider les travailleurs à trouver cet espace où le travail s’arrête et où le travail trouve son accomplissement ?
Type de Publication: Analy