Le 28 décembre 2006

Le monde agricole en Wallonie

Enjeux sociaux d’une souveraineté alimentaire

Préface

La démocratie ne peut se construire sans la mise en œuvre des droits sociaux fondamentaux et d’un mieux-être pour toutes les populations. Le Centre Avec se doit d’être particulièrement attentif à la lutte contre la pauvreté et à la réduction des inégalités Nord-Sud. À cet égard, la question de la souveraineté alimentaire mérite attention. Elle concerne plusieurs des objectifs du Millénaire[1].

Cette question touche, bien sûr les populations du Sud de la Planète, mais elle concerne aussi celles du Nord. Il nous paraît dès lors important que, dans notre pays et tout spécialement en Wallonie, le groupe social des agriculteurs soit réellement pris en considération dans les débats qui devront aboutir à des propositions de solutions qui respectent les droits humains de toutes les personnes impliquées.

Telle est la raison de cette étude « Le monde agricole en WallonieEnjeux sociaux d’une souveraineté alimentaire ». Elle permettra notamment de préparer un atelier que le Centre Avec co-organisera en mars 2007 lors d’un colloque sur la souveraineté alimentaire.

Branchée sur les réalités du terrain, on peut espérer qu’elle aidera tant les associations soucieuses des droits des populations du Sud que les agriculteurs du Nord à prendre en compte l’ensemble des facettes d’une question complexe.

Guy Cossée de Maulde
Directeur du Centre Avec

Introduction

Chaque année, huit cents fermes en moyenne disparaissent en Wallonie… A l’heure où la souveraineté alimentaire devient une revendication de plus en plus présente, ces chiffres ont de quoi interpeller. Ils nous rappellent que les transformations du système agro-industriel ne touchent pas que les pays du Sud, mais ont aussi des conséquences importantes en Belgique, non seulement au niveau économique, mais aussi au niveau social et humain.

En effet, que huit cents fermes disparaissent signifie non seulement que huit cents exploitations mettent un terme à leurs activités productives, mais aussi que huit cents familles voient leur mode de vie transformé et bousculé. Derrière les décisions d’ordre économique, se cachent des réalités humaines, sociales et familiales. Cette étude voudrait attirer l’attention du grand public et des associations sur ces aspects du problème, largement sous-estimés.

Chaque être humain est en effet un être social, un être de culture : il vit en relation avec ses semblables et partage avec certains d’entre eux des caractéristiques communes. Celles-ci le définissent comme membre d’un groupe, d’une catégorie sociale spécifique. Or, lorsque qu’un mode de production est transformé, c’est tout le groupe qui l’environne qui est alors bouleversé. Avec un effectif divisé par dix en cent ans, le monde agricole belge a subi une mutation d’une ampleur terrible. Lui qui était autrefois majoritaire dans les campagnes, n’est plus, aujourd’hui, qu’une minorité. Le mode de vie des agriculteurs, leur culture spécifique, ainsi que leur perpétuation en tant que groupe social sont ainsi profondément mis en question.

Or, cette « précarisation sociale » n’est pas une fatalité, elle est le résultat de décisions politiques précises. Ainsi, ce qui se passe aujourd’hui dans nos campagnes, n’est pas tant l’effet des progrès techniques que des décisions économiques et politiques européennes. Il importe donc d’en prendre la mesure. Cette étude ira cependant plus loin que la plupart des analyses strictement économiques et ne se limitera pas à revenir, une fois de plus, sur les seuls effets de la Politique agricole commune (P.A.C.) à ce niveau. Elle tentera plutôt, de voir quelles ont été les transformations sociales majeures induites par ces politiques et la manière dont les paysans, devenus depuis lors des agriculteurs, ont su maintenir, malgré tout, leurs spécificités sociales et culturelles.

En effet, être agriculteur, on va le voir, signifie plus qu’être simplement un éleveur ou un cultivateur. Etre agriculteur, c’est aussi être membre d’un groupe avec une culture spécifique. Or, dans un contexte de transformations extrêmes, le groupe est mis à mal. L’exemple de ce qui se passe dans le Condroz et la Hesbaye[2] montrera que pour se perpétuer, le groupe n’a eu d’autre choix que d’accaparer, à des fins tout à fait sociales (contacts, rencontres…), un mouvement syndical : la Fédération des jeunes agriculteurs. Cette étude de cas en Wallonie ne pourra que soulever de nombreuses questions, notamment quant à l’avenir de ce groupe. En effet, s’il peut se maintenir aujourd’hui grâce à ce type de stratégies, qu’adviendra-t-il si le nombre d’exploitations agricoles continue de chuter ?

Ce texte servira de base à une réflexion plus large qui s’étalera sur toute l’année 2007 et qui aura pour thème les faits sociaux et les droits humains, au rang desquels figure celui de jouir d’une politique agroalimentaire juste. La « souveraineté alimentaire », définie par l’organisation internationale Via Campesina[3] comme un droit international qui laisse la possibilité aux pays (ou aux groupes de pays) de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu’elles puissent avoir un impact négatif sur les populations d’autres pays, va tout à fait dans ce sens. Il s’agit en effet d’une tentative pour prendre en compte, sur le plan politique, non seulement la croissance économique et l’environnement, mais aussi les populations qui vivent de la production et celles qui en bénéficient. Ce faisant, la souveraineté alimentaire est forcément en rupture avec les politiques actuelles de l’O.M.C. (Organisation mondiale du commerce) qui prônent l’ouverture inconsidérée des marchés.

Par cette étude, le Centre Avec voudrait apporter son éclairage propre à une problématique trop souvent cantonnée au Sud. Comme on le voit déjà, ce problème est en effet très loin de se limiter aux pays en développement : ici aussi, les politiques européennes ont bien des difficultés à tenir compte des réalités sociales derrière les chiffres. En effet, si l’augmentation des échanges commerciaux mondiaux couplée à une politique protectionniste comme la Politique agricole commune (P.A.C.) pourrait laisser croire que les agriculteurs du Nord sont les grands vainqueurs de cet échange inégal, lorsqu’on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’ils vivent, au final, le même type de difficultés que les producteurs du Sud. Une véritable réflexion de fond, menée avec tous les acteurs, va donc devoir être mise en place si l’on veut que la P.A.C. soit réellement adaptée aux réalités européennes, sans porter préjudice aux autres populations.

L’objectif est ainsi qu’une réflexion large puisse être menée, qui prenne en compte le Nord comme le Sud (un combat commun Nord – Sud étant aussi le credo défendu par Via Campesina) et les producteurs conventionnels comme les producteurs alternatifs (biologiques, commerce équitable, vente directe) en ayant en vue de proposer des pistes d’actions concrètes pour des politiques humaines et justes.

Le premier chapitre de cet essai propose de décoder les grandes phases de l’évolution de l’agriculture en Wallonie depuis le milieu du XIX° siècle jusqu’à nos jours. Ce n’est en effet qu’en revenant sur les différentes étapes de ce processus qu’on pourra donner un sens à la situation actuelle où agriculture et ruralité sont désormais dissociées. Dans le deuxième chapitre, on verra ce qui fait, aujourd’hui, le monde agricole en Wallonie : en quoi il est spécifique et en quoi, précisément, il ne se confond pas avec le monde rural. Dans le troisième chapitre, on se penchera sur le cas particulier du Condroz et de la Hesbaye, où la Fédération des jeunes agriculteurs permet de répondre à ces mutations de l’espace rural en donnant la possibilité aux agriculteurs de se perpétuer en tant que groupe. Cette étude concrète et précise se révèlera particulièrement utile et précieuse pour comprendre ce qui fonde, aujourd’hui, la catégorie sociale des agriculteurs et pour élaborer des stratégies d’actions locales et globales respectueuses des droits humains.

Chapitre I. L’agriculture et la ruralité en Wallonie : une évolution marquante

Le monde rural a subi des transformations d’une énorme ampleur au cours du vingtième siècle. En 1910, le secteur agricole englobait 22% de la population ; aujourd’hui, par contre, il ne représente plus que 2,7% de la main-d’œuvre nationale[4].

Que s’est-t-il donc passé durant cette période ? Comment une telle transformation peut-elle s’expliquer ? Quels mécanismes économiques et quelles politiques publiques sont à l’origine de ces changements ? Autant de questions qu’il importe de se poser si l’on veut comprendre la situation actuelle de la Belgique agricole et rurale.

Petit historique des transformations de l’espace rural

Si d’énormes transformations ont eu lieu dans le secteur agricole en un peu plus d’un siècle, elles ne se sont pas déroulées au même rythme et deux grandes périodes peuvent être dégagées : une évolution progressive de la moitié du XIX°siècle à l’après-guerre et une période de véritable « révolution »[5], des années cinquante – moment de la prise de conscience du monde rural en tant que tel – à nos jours.

Une première phase : 1850 – 1950

La première grande phase de transformation commence dès la première moitié du XIX° siècle. Vers 1850, en effet, un progrès significatif des techniques agricoles libère une importante main-d’œuvre et un phénomène d’exode rural commence à se marquer en Belgique[6].

Cet exode devient important en Wallonie entre 1880 et 1910 et correspond à la création des banlieues autour des grandes villes et à la naissance des petites agglomérations. Dans un premier temps, il concerne les journaliers (exode dû à la misère) et les ouvriers agricoles (exode « de productivité »[7] dû à la baisse de la demande de main-d’œuvre du fait de la mécanisation). Dès les années trente, il touche aussi les chefs d’exploitation. Par ailleurs, d’importants mouvements interrégionaux ont lieu après la Seconde Guerre mondiale et de nombreux fermiers flamands s’installent en Wallonie.

Une période charnière : 1950 – 1960

Les années cinquante constituent un moment de réorganisation. D’une part, l’agriculture se modernise et utilise de nouvelles techniques et, d’autre part, elle perd une partie importante de sa population. On note aussi une augmentation du travail féminin en dehors des exploitations. Une rentabilité accrue se conjugue à un exode renforcé. « Pour les jeunes en particulier, les possibilités de modernisation agricoles sont à ce moment sans aucun doute perceptibles, mais en même temps, les possibilités d’installation paraissent moins nombreuses, tandis que la conversion vers une autre activité implique souvent un exode. »[8]

Dans les régions rurales, on observe une prise de conscience d’une nouvelle identité : « En Belgique, l’émergence de la catégorie ‘rural’ peut être située avant la dernière guerre ; son essor, juste après celle-ci, dans les années cinquante »[9]. Le monde rural prend conscience de son existence en tant que tel et devient très revendicatif (en ce qui concerne les services, la qualité de vie…). Selon Christine Dasnoy, Marc Mormont et Catherine Mougenot, la crise est très perceptible à l’époque : « Cette restructuration [des campagnes] n’est pas qu’économique, elle est aussi, sociale et culturelle. Et le sentiment de menace, de crainte de disparition du monde rural exprime en fait les sentiments suscités par toute une série de bouleversements qui travaillent ce monde rural : ce sont plusieurs évolutions convergentes qui, dans les années cinquante, se conjuguent pour créer une situation de crise, de restructuration dont l’issue, à l’époque, ne paraît pas décidée ni même toujours prévisible »[10].

Une véritable « révolution » : 1960 – 2006

L’après-guerre signe la fin d’un univers social – celui de la paysannerie – et voit émerger un nouveau mode de production : l’agriculture, intégrée au circuit économique général et loin de l’autarcie d’antan.[11]

a. De la paysannerie à l’agriculture

Les années soixante et les deux décennies qui suivent se caractérisent en effet par une croissance accélérée, la recherche et le développement, l’amélioration des revenus. Ces changements touchent aussi le monde des campagnes dont le niveau de vie rattrape celui des villes.

Les transformations techniques jouent un rôle central dans ces bouleversements et notamment dans la baisse de la main-d’œuvre employée dans le secteur agricole : « La diminution du nombre de personnes occupées en agriculture est un processus commencé il y a de nombreuses années. En effet, la productivité du travail agricole n’a cessé d’augmenter depuis des décennies, grâce aux progrès réalisés dans tous les domaines : utilisation d’engrais, sélection de plantes et d’animaux à haut rendement, mécanisation de nombreuses activités, motorisation, soins apportés aux plantes et aux animaux, encadrement des producteurs, investissement dans la recherche et la formation, … »[12].

Cette évolution fonctionne selon le couple « modernisation-concentration »[13]. Un seul exploitant peut gérer une surface de terres de plus en plus grande et son travail prend un sens très différent : il visait autrefois l’autosubsistance et il signifie désormais production massive. « Les agriculteurs sont alors entrés de plus en plus dans l’économie de marché, tant pour la vente de leur production que pour l’achat des intrants nécessaires. La modernisation des exploitations a également requis la détention de capitaux de plus en plus importants, obligeant nombre d’exploitations à recourir au crédit. Le secteur agricole s’est donc de plus en plus intégré à l’économie générale. L’amélioration de la formation a aussi permis à la classe agricole de sortir de son isolement et d’assimiler les progrès techniques et scientifiques relatifs à ses activités »[14].

Ces transformations techniques ont comme conséquence, on l’a vu, un exode rural important, mais c’est aussi tout le monde agricole qui se restructure et se diversifie. En effet, si, autrefois, il était uniquement composé d’agriculteurs, aujourd’hui, il faut aussi compter avec toute une série d’autres professions adjacentes nées de la modernisation du travail, de l’industrialisation et du développement de la recherche agronomique : représentant d’aliments pour animaux ou de produits phytopharmaceutiques, mécanicien agricole, contrôleur, inséminateur…

b. La Politique agricole commune

En 1957, le traité de Rome qui fonde la Communauté économique européenne prévoit une Politique agricole commune afin d’assurer l’indépendance alimentaire de l’Europe.[15] Elle vise donc, au départ, un objectif de souveraineté alimentaire.

Cette première version est révisée en 1962. Il s’agit d’un tournant capital pour l’agriculture. Après cette date, l’agriculture dépend plus que jamais des pouvoirs publics. La P.A.C. prévoit une uniformisation des prix européens, maintenus plus élevés que pour le reste du monde ainsi qu’une amélioration de la compétitivité agricole. Pour atteindre ces objectifs, l’Europe met en place une politique de soutien des prix et de régulation des marchés. Les marchandises circulent librement dans la Communauté, elles sont favorisées par rapport aux autres et tous les Etats participent au même effort. Il s’agit d’un mécanisme protecteur. Il va permettre un développement important de l’agriculture.

Mais, dans les années septante, le marché devient excédentaire, l’augmentation de la productivité n’est plus compensée par la demande. Des quotas laitiers sont imposés en 1984 et suivra toute une série de transformations de la Politique agricole commune. De plus, la P.A.C. coûte trop cher et le General Agreement of Tariffs and Trade (G.A.T.T.) ne tolère plus ce protectionnisme. Les prix agricoles sont donc revus à la baisse et l’Union européenne met en place des aides compensatoires. Les problématiques environnementales s’imposent aussi au monde agricole. L’agriculteur devient alors tout autant dépendant des aides compensatoires que des recettes : « Ce qui change, c’est la place relative des prix du marché, d’une part, des aides directes, d’autre part, dans les recettes de l’exploitant et donc dans la formation de son revenu »[16]. Son rôle de producteur est aussi remis en cause : l’Europe impose en effet le gel d’une partie des terres. Le recul de l’emploi agricole continue. D’ailleurs, des mesures proposées par la P.A.C. visent à favoriser la cessation anticipée d’activité.

Etat des lieux actuel du monde rural

Les conséquences de ces transformations sont visibles aujourd’hui et continuent d’influencer non seulement le développement agricole et les possibilités de rentabilisation de travail des exploitations, mais, plus largement, la physionomie de l’espace rural contemporain.

L’agriculture aujourd’hui : un avenir incertain

Les chiffres de ces dernières années sont interpellants et confirment la tendance à la réduction du nombre d’exploitations. Ceux qui veulent continuer à travailler dans le secteur se voient par ailleurs contraints à trouver des stratégies alternatives à la production traditionnelle.

a. Quelques chiffres

En Wallonie, la production agricole employait, en 2004, 28.874 personnes dont seulement un peu plus de la moitié à temps plein.[17] La main-d’œuvre est principalement masculine (68,4%), surtout lorsqu’elle est occupée à temps plein (77,9%). En 25 ans, le nombre de personnes travaillant dans le secteur a été divisé par deux.[18]

L’élevage de bovins viandeux représente 23,9 % des exploitations ; les exploitations spécialisées dans les cultures céréalières représentent 18,3 % ; suivi par la production laitière (14,5%). Il existe aussi des exploitations mixtes (production bovine et cultures : 14,2% ; bovins viandeux et lait : 13,5%). Les 15,6% d’exploitations restantes se partagent les autres productions.[19]

Une exploitation moyenne couvre 42,9 hectares en 2004, près du double par rapport à 1980. La reprise des exploitations constitue une difficulté importante. En effet, le plus souvent, lorsqu’un agriculteur part à la retraite, ses terres sont reprises par un agriculteur déjà installé et pas par un jeune. Selon le Ministère de l’Agriculture, au vu de la situation relative à la succession des chefs d’exploitation, il faut s’attendre à ce que ce mouvement se confirme et à ce que la superficie moyenne augmente encore.

b. Perspectives d’avenir

L’exploitant actuel semble avoir trois possibilités principales pour se développer s’il veut malgré tout continuer à travailler dans le secteur.

La première est de faire de l’intensif et de se spécialiser dans un domaine particulier, ce qui mène à une concentration toujours plus grande et constitue une prise de risque important.

La seconde possibilité est la diversification, fortement encouragée. Il s’agit, par exemple, de faire de la vente directe ou de fabriquer des produits dérivés (beurre, fromages, vins de fruits…) – ce qui est néanmoins compliqué par les nombreuses mesures d’hygiène entrées dernièrement en vigueur – ou d’ouvrir l’exploitation aux touristes (gîtes ruraux, fermes pédagogiques…)… Cette façon de faire oriente l’agriculture de plus en plus vers les services[20] et contrebalance l’aspect productif, valorisé durant les dernières décennies. La fabrication de produits de qualité différenciée[21] s’inscrit dans la même optique. Ce qui est visé est donc l’aspect qualitatif et non quantitatif puisque l’autosuffisance n’est plus un problème.

Enfin, la troisième possibilité est la pluriactivité : ceux qui veulent garder une exploitation de taille réduite sans l’ouvrir au tourisme ou à la diversification se voient contraints d’exercer une activité parallèle. Ce fait a été confirmé par une étude de l’I.N.S.E.E. en mai 2000 : la pluriactivité (surtout du conjoint) est un moyen de corriger les inégalités du revenu agricole (variations du marché, fermes trop petites,…).[22]

Une part importante du travail agricole doit désormais consister en travail administratif imposé par les exigences de traçabilité, les contrôles exigés surtout suite aux différentes crises qui ont secoué le monde agricole (vache folle, dioxine, fièvre aphteuse…) et les lois de protection de l’environnement[23] ainsi que les mesures agro-environnementales de la P.A.C.[24]. La pression est très importante. « On n’a plus droit à l’erreur » confie-t-on : ce qui est un important facteur de stress et d’angoisse.[25]

De nombreuses questions restent en suspens quant au suivi des transformations dans les pays qui ont rejoint l’Union européenne en 2004 et ceux qui la rejoindront en 2007. En effet, une grande partie des pays de l’Est fonctionnent encore selon un modèle paysan et des mutations difficiles s’annoncent.

La question du rural

Avec la diminution du nombre d’exploitations, le secteur agricole a perdu la place prépondérante qu’il occupait dans l’espace rural. « Le monde rural n’est plus le monde agricole, il englobe celui-ci sans s’y réduire »[26].

Dès 1975, le mouvement d’exode s’inverse d’ailleurs et les citadins s’installent de plus en plus à la campagne. En fait, le nombre de ruraux ne change guère alors que le nombre d’agriculteurs diminue vertigineusement. La ruralité devient hétérogène, l’opposition entre ville et campagne est atténuée : « La société rurale moderne n’a peut-être pas la cohésion de celles qui l’ont précédée, mais elle en a la diversité. Elle est faite de groupes sociaux qui ne sont plus indépendants ni solidaires, elle est largement ouverte sur l’extérieur, intégrée à l’ensemble de la société urbaine et industrielle »[27].

Cependant, même si on ne peut pas faire de différenciation claire entre zones urbaines et rurales, il paraît tout à fait abusif de dire, comme le fait Bernard Kayser, que, désormais, les ruraux sont « une catégorie d’urbains »[28]. Cette vision du « tout est urbain » définit d’ailleurs l’urbain et le rural sur base des catégories de consommation (confort moderne des habitations, produits de consommation standardisés…) sans tenir compte de l’environnement de vie et cette vision peut se révéler péjorative puisqu’elle considère implicitement le rural comme archaïque. Il paraît plus intéressant de considérer que, aujourd’hui, sont des ruraux : « les habitants de communes rurales dont la relation d’appartenance locale est forte, pour des raisons historiques (ancêtres, passé local…), sociologiques (naissance et attachement au pays), économiques (activité professionnelle locale) ou institutionnelles (responsabilité dans les affaires locales) »[29].

Les oppositions entre ruraux et agriculteurs : conséquence de la dissociation entre ruralité et agriculture

La cohabitation entre agriculteurs et certains autres ruraux (principalement les anciens citadins) semble poser de nombreux problèmes, dont parlent assez spontanément les agriculteurs. Il semble exister une véritable difficulté d’appréhension de la notion de campagne. En effet, pour les anciens citadins, la campagne signifie repos, calme, espace naturel protégé alors que, pour les agriculteurs, elle signifie avant tout lieu de travail. Les uns et les autres n’ayant pas le même imaginaire de la « nature », il est très difficile de pouvoir se comprendre.

Ces oppositions vont se manifester très concrètement lorsque, par exemple, un agriculteur envisage d’installer un poulailler de grande taille. Ce type d’initiative provoque presque systématiquement la colère des habitants du village qui ne peuvent supporter de voir leur espace ainsi défiguré. L’agriculteur, lui, répondra qu’il tente de rentabiliser son exploitation et qu’il en a tout à fait le droit. De même, l’épandage de lisier ou de fumier est très mal perçu par les riverains, mais est nécessaire.

Cette vision de la campagne comme espace de repos voudrait faire de l’agriculteur un « jardinier de la nature » qui entretient un paysage, sans le transformer. Mais « l’agriculteur produit et, pour cela, entretient ses labours et ses vergers »[30] et non l’inverse. La vision de son travail est donc biaisée. Pour que le dialogue soit possible entre les deux parties, il faut avant tout que les uns et les autres s’accordent sur les termes et le sens de leurs activités.

Conclusion : le XX° siècle, un siècle de mutations

Le monde rural et le monde agricole ont connu une véritable révolution durant le siècle dernier. L’agriculture s’est dissociée du monde rural et son destin se joue désormais à un autre échelon : non plus celui du village, mais celui de la région et surtout celui de l’Europe.

Les années cinquante sont une période de sursis pour le monde rural unitaire. Les associations rurales, on y reviendra, tentent d’en préserver la spécificité tout en revendiquant le même confort qu’en ville. Mais, dans les années soixante, la rupture est consommée.

Les améliorations techniques et la Politique agricole commune ont redessiné la manière de travailler des agriculteurs. La préoccupation n’est plus, aujourd’hui, la sécurité alimentaire, mais la qualité et la diversification des productions. Les exploitations sont de grande taille et doivent répondre à des normes de plus en plus strictes. Ces transformations ont aussi conduit à une diversification des professions agricoles : l’agriculture au sens strict n’est plus la seule profession possible d’autant plus que la reprise d’une exploitation est difficile et les investissements sont lourds.

Le monde rural est hétérogène et sa définition complexe. Il englobe désormais le monde agricole sans s’y réduire. Cette dissociation a conduit à une restructuration des réseaux sociaux.

Chapitre II. Etre agriculteur aujourd’hui : travail et identité sociale.

Etre agriculteur implique toute une série d’exigences dues au type de travail : horaires changeants, peu de mobilité possible, nécessité d’avoir une certaine force physique… Mais, plus largement, être agriculteur signifie aussi, dans beaucoup de cas, participer à un certain mode de vie qui dépasse largement le domaine professionnel. Bien entendu, tous les agriculteurs ne se conforment pas à ce modèle, qui n’est d’ailleurs pas un cadre strict et certains d’entre eux peuvent mélanger les styles de vie. Néanmoins, parmi les producteurs conventionnels, quelques traits caractéristiques se dégagent.

Ces caractéristiques sont suffisantes pour qu’on puisse affirmer que les agriculteurs conventionnels forment un véritable « groupe social »[31], c’est-à-dire qu’ils sont non seulement en interaction les uns avec les autres, mais qu’ils partagent aussi une « culture » [32] commune, un même mode de vie qui les différencie des autres ruraux.

Il est tout à fait capital de prendre conscience de cet aspect social de la question, car si le monde agricole n’est pas qu’un univers socioprofessionnel, alors perdre huit cents fermes par an, signifie aussi perdre une minorité socioculturelle, porteuse d’une culture propre. Cela met alors en cause le maintien de la diversité culturelle dans notre pays, là où, peut-être, l’on s’y attendait le moins.

L’agriculture, une pratique socioprofessionnelle particulière

En tant qu’activité professionnelle, l’agriculture est particulière, car elle implique un rapport spécifique à la terre et aux animaux. L’un et l’autre sont en effet des outils de travail, des moyens de production – ce qui est très différent de la vision qu’un citadin se construit de l’environnement et des animaux.

En Wallonie, parmi les différents types de productions, la plus chargée symboliquement est sans conteste l’élevage de bovins viandeux. Or, précisément, « le travail d’éleveur n’est pas un travail ordinaire, car l’animal n’est pas un partenaire de travail comme un autre »[33] et les liens entre animaux et éleveurs sont une donnée capitale pour en comprendre la spécificité.

Les transformations du secteur et, surtout, l’industrialisation des pratiques d’élevage, les dégradent et la frustration apportée par l’impossibilité de contacts et de liens avec les bêtes peut, toujours selon Jocelyne Porcher, être aujourd’hui une source de désaffection du métier pour ceux qui l’envisageraient sous cet angle.[34] Le rapport à l’animal est certes présent, mais s’est donc nettement modifié. Que l’animal soit de concours ou de production, le lien affectif n’est pas valorisé, ce qui est une transformation notable par rapport à l’époque de la paysannerie.

Une profession familiale

La famille se révèle capitale en agriculture aussi bien pour l’élevage que pour les cultures. Dans la majorité des familles, les époux comme les enfants participent aux activités de l’exploitation et le modèle familial est assez classique. La ferme se trouve en général au même endroit que la résidence et le travail au sein de l’exploitation engage souvent toute la famille, surtout lorsqu’il s’agit d’élevage. Il faut « faire la besogne »[35], traire…

En réalité, l’agriculture est un métier qui différencie peu, en général, le temps de travail au sein de l’exploitation et le travail domestique dans l’espace familial. « On est agriculteur tout le temps », dit-on. En effet, si l’on fait de l’élevage, il faut pouvoir se relever la nuit en période de vêlages et, lors des moissons, il faut être disponible dès que le temps le permet pour commencer les travaux des champs.

Une structure familiale traditionnelle

Les familles biparentales et nombreuses (trois enfants et plus) sont la règle. Les couples non mariés résidant ensemble sont relativement rares. L’institution matrimoniale se révèle capitale d’autant plus que la majorité des jeunes est d’obédience catholique même s’ils sont loin d’être tous pratiquants. Enfin, si la ferme hébergeait souvent autrefois la parenté élargie ; désormais, les familles nucléaires sont les plus nombreuses.[36]

Le divorce n’est que peu fréquent. L’absence de statut jusqu’en 2001 pour le conjoint aidant l’a rendu souvent presque impossible. Officiellement « femmes au foyer », les épouses d’agriculteurs travaillant dans l’exploitation ne bénéficiaient d’aucune protection juridique et, bien qu’elles aient travaillé toute leur vie au sein de l’exploitation et soient souvent co-débitrices pour les emprunts, elles pouvaient se retrouver littéralement à la rue en cas de divorce. Depuis lors et après une bataille de plus de trente-cinq ans, l’Union des agricultrices wallonnes a obtenu la création du statut de « conjoint aidant » qui assure une reconnaissance de leur travail et un minimum de sécurité.

De pères en fils ; de mères en filles

Les enfants d’agriculteurs, majoritaires dans le groupe, participent très souvent aux tâches professionnelles des parents. Ce partage des activités est un des aspects de l’éducation non formelle. Michèle Salmona relève d’ailleurs que beaucoup de familles considèrent cela comme un privilège culturel de l’enfant du milieu agricole qui devient ainsi plus vite responsable.[37] De plus, plongé dans cet univers dès son plus jeune âge, l’enfant apprend très vite les gestes de base et la différenciation des rôles en fonction du genre[38]. Comme confie une jeune agricultrice : « S’il y a quelque chose à faire avec une machine, papa demandera à mon frère ; si, par contre, il faut ranger, trier ou tondre la pelouse, ce sera pour moi ou pour ma sœur ».

Il est rare qu’une personne qui ne soit pas originaire du monde agricole devienne agriculteur. L’autorecrutement des agriculteurs est en effet très élevé : 90% des exploitants sont fils d’exploitants.[39] La première raison est que le travail est aussi un choix de vie : l’agriculteur n’a pas d’horaires et est attaché à sa ferme. Deuxièmement, pour reprendre une ferme, il faut savoir qui remet son exploitation et cette information circule avant tout au sein du monde agricole. Ainsi donc, bien que l’agriculture soit une profession à laquelle, légalement, tous peuvent accéder, l’accès en est, dans les faits, limité aux seuls fils d’agriculteurs ou, du moins, aux enfants provenant du milieu agricole ou à ceux qui y entrent par mariage.

Des liens familiaux entre les fermes

De nombreux liens de parenté unissent les agriculteurs d’une même région, ce qui conforte le sentiment d’appartenance à une même communauté.

Tina Jolas et Françoise Zonabend, qui étudient la communauté rurale de Minot, dans le Châtillonnais, affirment que : « La parenté diffuse rejoint en quelque sorte le sentiment d’appartenance à la communauté. On se sait entre soi, car on est tous cousins »[40]. D’ailleurs, les jeunes sont généralement identifiés sur base de leur filiation, ou plus généralement de la parenté : on est le fils, le neveu de… Les noms de famille sont aussi fréquemment utilisés entre agriculteurs au lieu des prénoms pour nommer les personnes.

La parenté est essentielle pour comprendre le fonctionnement du groupe agricole ; elle le structure et lui donne aussi une forme d’identité.

Les différenciations de genre

L’attribution des rôles masculins et féminins est relativement traditionnelle et s’applique tant à la répartition des tâches au sein de l’exploitation qu’au choix des études entreprises par les uns et les autres.

Une différenciation des rôles dans l’exploitation

L’épouse et les filles ont souvent un rôle spécifique au sein de l’exploitation. Les soins des veaux, et les tâches répétitives leur sont souvent assignés, en plus du travail domestique. Selon Michèle Salmona, « les femmes sont spécialisées dans une série de travaux d’entretien : elles sont exclues de l’acte de semer, de planter, de l’arrosage, des traitements » et « quand un travail se mécanise, il devient souvent un travail d’homme »[41].

La division entre les genres peut être très forte. Ainsi, un jeune homme a-t-il dit en riant, au sujet d’une jeune fille qui avait participé au cours d’insémination : « Une femme, c’est pas fait pour inséminer, c’est fait pour vêler ». L’acte d’insémination est bien sûr très connoté masculin et les inséminatrices n’ont d’ailleurs que très peu de crédit auprès des agriculteurs. La femme est ici renvoyée à son rôle de mère et rencontre bien des difficultés pour entrer dans un univers professionnel masculin. Le travail de Martine Segalen sur les rapports entre mari et femme dans la société paysanne montre d’ailleurs combien ces différenciations sont profondément ancrées dans la tradition. [42]

La plupart des femmes ont aujourd’hui un travail extérieur. Par sa pluriactivité, l’épouse compense les diminutions de revenus périodiques et assure une rentrée d’argent régulière, nécessaire à son mari pour mener son exploitation à bien. Elle acquiert du même coup une certaine autonomie, mais celle-ci n’est que relative puisque le salaire est souvent utilisé pour l’exploitation.[43]

L’agriculteur, l’enseignante et l’agronome

S’il fallait dresser un portrait en forme de stéréotype d’un couple de jeunes du milieu agricole, le jeune homme serait agriculteur et la jeune fille institutrice.

Un certain nombre de jeunes issus du milieu agricole se destinent directement au métier d’agriculteur. Ce sont avant tout des garçons. Aucun diplôme n’est requis pour travailler en agriculture, mais il en faut un pour bénéficier du Fonds d’investissements agricoles. Il peut s’agir alors d’un diplôme d’agronomie (supérieur ou universitaire), d’un diplôme d’agriculture (niveau secondaire technique ou professionnel, ou obtenu en cours du soir) ou un diplôme considéré comme ayant un lien avec le monde agricole. Il existe différentes écoles secondaires agricoles dont la plus réputée en Wallonie est l’école St Quentin de Ciney. Dans cet établissement pour les agriculteurs, plus de 80% des élèves sont du sexe masculin.

Il est assez remarquable que bon nombre de jeunes filles du monde agricole (environ un tiers, sans doute) choisissent l’école normale, le régendat ou, pour celles qui s’inscrivent à l’université, qu’elles terminent par une agrégation. Une part importante de la population féminine du groupe a – ou aura – l’enseignement pour profession. La raison invoquée, outre une passion personnelle, est l’adéquation des horaires de travail à la ferme. Le travail dans l’exploitation est en effet encore possible en fin de journée. De plus, le travail d’institutrice est un des plus connotés féminins et peut être vu comme une prolongation, au sein de l’espace public, du rôle traditionnel d’éducation que la femme tient dans l’espace privé.

Les études d’agronomie sont suivies, elles, autant par les garçons que par les filles. La matière, liée à l’agriculture, mais permettant de travailler en dehors de l’exploitation, n’est pas réservée aux seuls futurs agriculteurs et ces cours sont donc davantage ouverts aux deux sexes. Cependant, bien que cette mixité soit indéniable, des préjugés subsistent et les femmes agronomes ont souvent moins de crédit que les hommes.

La sociabilité agricole

Pourtant, au-delà de ces caractéristiques communes, ce qui fonde véritablement l’identité agricole, c’est le partage d’un même espace de sociabilité. Pour les agriculteurs adultes, plusieurs lieux de rencontre peuvent être identifiés. Ainsi, pour les femmes, l’Union des agricultrices wallonnes, l’Action rurale catholique féminine, les groupes d’action locaux sont d’importants lieux de rencontre et, pour les hommes, les associations d’éleveurs et les coopératives d’utilisation de matériel agricole (C.U.M.A.) et la Fédération wallonne de l’agriculture permettent les échanges. Les uns et les autres se retrouvent aussi lors des foires agricoles (Libramont, Agribex) et des fêtes de village. Pour les jeunes, viennent s’ajouter les écoles, avec relativement peu de mixité.

Cependant, ces associations – bien qu’importantes – ne sont pas susceptibles de permettre, à elles seules, le maintien du groupe social agricole. Pour cela, il faut un groupement qui rende possible des rencontres plus larges, mixtes et qui touchent des jeunes, car c’est entre 15 et 30 ans que se dessinent les perspectives professionnelles et se choisit en général le conjoint. Ces caractéristiques sont celles d’un mouvement syndical et de jeunesse : la Fédération des jeunes agriculteurs. Il importe maintenant de l’examiner de plus près afin de comprendre comment il permet au groupe d’exister encore.

Chapitre III. Etude de cas : la perpétuation du groupe agricole au travers de la Fédération des jeunes agriculteurs.
 

Si le groupe agricole a continué à se maintenir en Wallonie malgré la diminution dramatique du nombre de ses membres, c’est parce qu’il a su utiliser les espaces de sociabilité qu’il avait à sa disposition. Aucun groupe ne peut exister si ses membres ne sont pas en interaction de manière régulière. De plus, dans une profession où la famille est aussi importante qu’en agriculture, le fait que les jeunes garçons et les jeunes filles aient un espace où se rencontrer est tout à fait capital.

Cette étude de cas qui prend en compte plus spécifiquement ce qui se passe dans les régions du Condroz et de la Hesbaye permettra de comprendre comment, malgré la diminution de ses membres, le groupe agricole, parvient, dans ce cas, à se maintenir comme groupe et quels sont les défis qu’il va devoir relever à l’avenir.

L’institution centrale dans le cas de cette région est la Fédération des jeunes agriculteurs (F.J.A.). En effet, bien plus qu’un syndicat, bien plus qu’un mouvement de jeunesse, elle constitue le cœur du groupe agricole et mérite, en cela, une étude plus approfondie[44].

Un syndicat agricole

La Fédération des jeunes agriculteurs est tout d’abord un mouvement de défense des intérêts professionnels des jeunes agriculteurs. Née de la fusion de deux syndicats, elle jouit désormais d’un relatif monopole au niveau wallon.

Un monopole de fait

La F.J.A. est une association de fait née en 2001 de la fusion des Jeunes Alliances paysannes (J.A.P.) et des Services professionnels de la jeunesse agricole masculin et féminin (S.P.J.A. et S.P.J.A.F.). Cette fusion, qui avait pour but de regrouper les plus grands syndicats agricoles wallons au sein de la Fédération wallonne de l’agriculture (F.W.A.), s’est réalisée parallèlement à celle des groupes agricoles des aînés. Toute l’histoire du syndicalisme agricole va, d’ailleurs, dans le sens d’une concentration des forces.

D’un côté, les Jeunes Alliances paysannes étaient, depuis 1921, la branche « jeunes » de l’Union professionnelle agricole (U.P.A.), association non confessionnelle de défense des intérêts des agriculteurs et de leur famille. En 1991 eu lieu le premier regroupement : une
« entente cordiale » réunit l’Union professionnelle agricole et l’Union des exploitants familiaux.

Les Services professionnels de la jeunesse agricole masculin et féminin étaient, pour leur part, les branches jeunes de l’Alliance agricole belge. Cet autre grand syndicat provenait de la fusion de quatre associations agricoles chrétiennes de Wallonie créées à la fin du XIX°siècle : la Ligue agricole de la province de Namur et de Liège, la Ligue agricole belge et la Fédération agricole du Hainaut. Peu de temps après sa fondation, elle passa par ailleurs un accord avec le Boerenbond flamand et lui céda la gestion de son service commercial. Souvent qualifiée de « petite sœur du Boerenbond », elle entretiendra avec lui de nombreux liens. L’Alliance favorisait une agriculture familiale de plus petite taille que les U.P.A. et était clairement confessionnelle.

Le regroupement des syndicats s’il permet de ne pas disperser ses efforts pose tout de même d’autres problèmes : il n’y a plus désormais qu’une seule grande voix des agriculteurs au niveau wallon. La Fédération wallonne de l’agriculture est en outre très proche des pouvoirs politiques. Les ministres de l’agriculture fédéraux et wallons sont d’ailleurs souvent issus de ses rangs[45]. Ce rapprochement des politiciens et des syndicalistes est également à mettre en relation avec les transformations du monde agricole et notamment sa prise en charge par des instances supranationales (Europe, O.M.C.) ainsi que l’extrême dépendance, désormais, des exploitants par rapport aux aides d’Etat. Ainsi, la F.W.A. et la F.J.A. ne prennent que rarement des positions nettement opposées à celles des pouvoirs publics belges, mais choisissent plutôt de faire des propositions, jouant, en quelque sorte, le rôle d’organes consultatifs.

Il n’y a donc plus d’opposition véritable, ce que critiquent certains agriculteurs. En effet, au-delà de la F.J.A. et de la F.W.A., il n’existe plus, aujourd’hui, qu’une seule autre association de jeunesse agricole : le Front uni des jeunes agriculteurs et qu’un seul syndicat alternatif pour les aînés : le Mouvement d’action paysanne. Ce dernier veut « promouvoir une agriculture paysanne », ce qui renvoie à une vision d’une agriculture familiale et de taille réduite, moins conventionnelle.

Visée de la Fédération

La charte de la Fédération précise que « ses objectifs sont la protection et la défense des intérêts professionnels, sociaux et moraux des jeunes agriculteurs, aidants et salariés agricoles mais aussi, d’une manière plus générale, l’épanouissement personnel des jeunes intéressés par l’agriculture et la ruralité. L’association organise ou promeut des activités qui tendent principalement au développement de l’agriculture à travers les jeunes, notamment en s’investissant dans le domaine de la formation, de l’information et de l’encadrement de l’installation. L’association a également à cœur le maintien d’un tissu rural actif dans nos campagnes ».

On le voit, la Fédération a une visée plus large que la simple défense des intérêts du secteur. Concrètement, elle organise aussi des activités de formation (cours pour futurs agriculteurs ou agricultrices, conférences), des activités de promotion de l’agriculture (organisation de journées découverte « ferme en ville » ou « fermes ouvertes »), elle participe aux foires agricoles (Libramont, Agribex), et met en place également des activités de divertissement (concours du meilleur juge de bovins, soirée dansante).

Un espace de sociabilité

En plus de la fonction syndicale, les associations de jeunes agriculteurs ont rempli une tout autre fonction, sans doute encore plus importante que celle de l’appui professionnel, ils ont contribué au maintien d’un tissu social entre les agriculteurs. En regroupant les jeunes issus du monde agricole, ils leur ont permis de se rencontrer et assuré ainsi la perpétuation du groupe. Cette affirmation des syndicats comme lieu central de sociabilité s’est faite progressivement et grâce à une série de caractéristiques spécifiques.

Les dirigeants eux-même ne sont pas toujours d’accord avec la multiplication des activités festives et voudraient laisser une place plus grande à l’aspect syndical. Les associations ont, véritablement, été accaparées par les jeunes pour en faire un lieu de sociabilité et de rencontre, sans que cela soit l’objectif premier. Ce n’est que lorsqu’on a à l’esprit que le monde agricole est aussi un groupe social et pas seulement une catégorie socioprofessionnelle, qu’on peut comprendre les raisons profondes de ce télescopage des fonctions au sein de la F.J.A.

Emergence de l’espace de sociabilité

L’histoire de l’expansion des Jeunes Alliances paysannes et, dans une moindre mesure, du Service professionnel de la jeunesse agricole est en fait incroyablement parallèle à celle des transformations de la campagne belge et de l’économie agraire. La diminution du nombre d’agriculteurs nécessitait en effet « l’invention » d’une nouvelle forme de sociabilité. Preuve d’une dynamique sociale très forte, les syndicats agricoles et l’espace qu’ils offraient a ainsi été utilisé pour faire face aux mutations sans précédent dans l’histoire des campagnes.

a. Avant 1950

Les Jeunes Alliances paysannes, fondées en 1923, sont un mouvement de jeunesse traditionnel, mais peu puissant au niveau social : « Au début, c’était [la J.A.P.] un mouvement de jeunesse comme les autres, où l’on organisait surtout le loisir sous toutes ses formes, soit culturelles, soit sportives. Elle a vécu et bien vécu jusqu’aux années 1950 – 1955, juste avant l’arrivée massive de la télévision, des voitures et le début très marqué du dépeuplement des campagnes et de la forte diminution du nombre d’exploitations agricoles »[46].

Avant 1950, la J.A.P. est « un mouvement de jeunesse comme les autres », elle ne fournit donc pas un espace de sociabilité plus puissant que les autres, tout juste égal. Dans les années 30 et 40, la J.A.P. organise des bals à l’occasion des fêtes de Noël et de Pâques.

A cette époque, les mouvements agricoles n’ont qu’une importance limitée dans la vie sociale des jeunes. Des anciens confient : « Avant, on habitait plus le village, on allait aux bals de la J.A.P. seulement une ou deux fois par an. Pour nous, c’était plus souvent les kermesses ». A cette époque, le village suffit en fait pour la sociabilité des jeunes.

b. 1950 – 1960 : dissociation du monde agricole et du monde rural

Les années cinquante sont une période charnière : c’est le moment où le monde agricole se sépare progressivement du monde rural. Guy Gautreau met en évidence, dans son ouvrage, la disparition dans le monde rural des trois formes de sociabilité traditionnelles : l’Eglise, la parenté et l’espace économique spécifiquement agraire ; ce qui provoque, parallèlement, une restructuration des réseaux de sociabilité.[47]

Selon Marc Mormont et Catherine Mougenot, la Jeunesse agricole catholique (J.A.C.) – qui s’appelle Jeunesse rurale catholique dès 1936 – et l’Action catholique rurale féminine (A.C.R.F.) vont constituer de véritables organisations de masse dans le monde rural, se poser en catalyseurs d’énergie et être les relais d’un discours rural revendicatif. Cependant, après les années soixante, elles n’ont plus la même vigueur. Les auteurs consacrent une partie de leur ouvrage au rôle de ces mouvements de jeunesse dans « l’invention du rural » : « …ce sont elles [les associations rurales], bien plus que les organisations agricoles, qui vont porter l’idée du changement en milieu rural, et surtout la redéfinition de ce qu’il est. Les organisations agricoles resteront dans l’ombre ces années-là, ne jouant qu’un rôle mineur et récréatif avant de reprendre un certain nombre de pratiques et d’objectifs de la J.A.C »[48].

A ce moment charnière, l’agriculture s’est dissociée de la ruralité, mais celle-ci n’est pas encore devenue hétérogène, elle peut donc encore être regroupée autour d’un même organisme. Les ruraux des années cinquante sont encore fortement liés au monde agricole. L’installation des citadins à la campagne ne fait que commencer et l’unité est encore de mise.

Mais cette unité rurale est éphémère et ne se maintiendra qu’une décennie environ et « la spécificité du rural va se dissoudre au cours des années soixante...»[49]. Dès lors, on n’observera plus de mouvements capables de rassembler les ruraux autour d’un même discours. Agriculture et ruralité sont deux réalités définitivement dissociées.

c. 1960 – 1670 : l’émergence de la Fédération comme lieu de sociabilité

Dès la fin des années 50, la sociabilité agricole n’est plus assurée au niveau du village. Les agriculteurs n’y sont plus majoritaires et le nombre d’exploitations diminuant sans cesse, dans certains villages ne subsiste qu’une poignée de fermes. Parallèlement, les Sections locales des J.A.P. (et S.P.J.A.) sont le lieu de rencontres des jeunes agriculteurs.

A ce stade, le groupe agricole a deux possibilités : ou se fondre dans le groupe rural hétérogène et perdre sa spécificité, ou se regrouper à un niveau supérieur pour maintenir une sociabilité spécifique.

Dans les faits, c’est la deuxième solution qui se réalisera et dès le début des années soixante, les J.A.P. s’affirment comme un espace de sociabilité spécifiquement agricole. Les soirées se multiplient.

On se trouve en présence d’une remarquable dynamique sociale : plutôt que de disparaître, le groupe a trouvé le moyen de se maintenir en vie. La sociabilité spécifiquement agricole ne pouvant être assurée au niveau du village où la profession se fait de plus en plus rare, elle s’est déplacée vers une sociabilité régionale. Les Sections locales (qui regroupent plusieurs villages) deviennent le centre de la sociabilité de la jeunesse agricole. Et, en organisant des activités auxquelles participent les autres sections de la région, la perte de membres au niveau local est compensée par une plus grande étendue du tissu des relations dans l’espace. La Fédération devient ainsi la structure qui rend possible le maintien du groupe agricole, elle est utilisée par la jeunesse agricole pour se donner une unité, une référence, un nom. « La J.A.P. » (et le S.P.J.A.), désormais sera l’espace typique de la jeunesse agricole du Condroz et de la Hesbaye.

d. 1970 – … Une affirmation de la fonction de la Fédération

Après les années soixante, alors que, « l’éclatement du milieu rural se traduit par une multiplication de petits cercles de sociabilité »[50], la fonction sociale de la J.A.P. a continué à évoluer et à s’affirmer. Les anciennes fédérations rivales catholiques et laïques ont par ailleurs fusionné pour donner naissance à la Fédération des jeunes agriculteurs.

Les soirées se sont multipliées et ont attiré de plus en plus de monde venant parfois de plus loin. De même, les concours de meilleur juge qui se déroulaient au départ l’après-midi, ont lieu désormais le soir et c’est avant tout la soirée dansante qui attire du monde.

Depuis une dizaine d’années, les activités de promotion de l’agriculture se sont développées afin d’intéresser les citadins. Il s’agit également d’une réponse aux transformations subies par le milieu rural. En effet, les activités agricoles sont désormais moins connues des citadins, les fermes en ville et les journées fermes ouvertes qui présentent le métier sont conçues pour combler ce fossé qui s’est creusé petit à petit entre les deux mondes.

La F.J.A. : un espace social unique

Si la F.J.A. est le cœur du groupe agricole, c’est parce qu’elle a des caractéristiques particulières qui lui permettent d’assurer cette fonction.

a. Un espace spécifiquement agricole

Tout d’abord, la F.J.A. a la caractéristique d’être un lieu de sociabilité spécifiquement agricole et fortement lié à la profession d’agriculteur (par les concours du meilleur juge de bétail, les cours sur des thèmes agricoles, les activités telles que les fermes en ville…), mais aussi ouvert à tous ceux qui, bien que du milieu, ne reprendront pas directement une exploitation agricole, mais travailleront néanmoins dans le secteur. Le fait qu’elle soit ouverte au groupe agricole au sens large tout en restant séparée du monde citadin, connoté négativement, est perçu positivement, notamment par les parents des jeunes : « Probablement les trois quarts des jeunes de la F.J.A.. ne deviendront pas agriculteurs, ils sont là parce que c’est leur famille, que c’est un coin privilégié pour sortir et que c’est un secteur un peu préservé. Les soirées F.J.A.., elles, restent en dehors des villes. C’est très important pour les jeunes de ne pas tomber au milieu d’un bal de ville où ils se battent et tout ça… ».

Comme le souligne un ancien président national, la F.J.A. permet aussi de créer des liens, autrement, déficitaires : « …si le mouvement et les activités qui en découlent n’existaient pas, on ne serait pas soudés comme on peut l’être avec certaines personnes. Sinon, c’est seulement au niveau de la commune qu’on pourrait avoir des contacts avec les agriculteurs ».

Les évènements par excellence de la F.J.A. sont d’ailleurs tout à fait spécifiques au monde agricole. Il s’agit en effet des concours du meilleur juge de bovins blanc bleu belges. Durant la belle saison (d’avril à octobre), ils ont lieu chaque dimanche soir dans des fermes différentes. Chaque section locale des régions de production de vente bovine (Ardennes, Condroz et Famenne principalement), organise, tous les ans, un de ces concours. La ferme est ouverte dès la fin de l’après-midi. Les jeunes (en très grande majorité des garçons) s’inscrivent alors pour participer au concours d’évaluation du poids et de la valeur des bêtes de l’exploitant. Les filles, elles, peuvent participer au concours de la meilleure agricultrice (petits jeux et arts ménagers).  Les deux concours sont récompensés par des prix : matériel agricole pour les uns, accessoires ménagers pour les autres. Bon nombre d’agriculteurs de la région viennent aussi se promener lors des concours et l’ambiance est très familiale. Une soirée commence ensuite vers 23h et peut rassembler jusqu’à mille personnes. Il n’est pas rare de voir des jeunes parcourir jusqu’à deux cents km aller-retour pour participer aux concours.

Bien que les soirées et les concours soient accessibles à tous, l’ouverture de ces activités aux personnes extérieures n’est en fait que relative et elles restent donc, de facto, réservées à la jeunesse agricole. De plus, lors des soirées, les membres de la Fédération sont favorisés : avec la carte de membre, le prix d’entrée est moins élevé.

Un autre mécanisme de sélection est celui de la circulation de l’information. Les soirées ainsi que les concours organisés par la Fédération ne font pas l’objet d’une publicité extérieure si ce n’est celle, assez mal perçue d’ailleurs, que pourrait faire la sono. La fête reste donc, de facto, réservée aux membres du groupe qui l’apprennent, soit par le bouche-à-oreille, soit par le journal Plein Champ, soit par la distribution d’invitations lors d’autres soirées ou concours.

b. Pour des jeunes filles et garçons à une période charnière

De plus, la F.J.A. s’adresse officiellement à des jeunes de seize à trente-cinq ans c’est-à-dire à des personnes qui sont dans une période charnière de leur existence. En effet, c’est, en général, à ce moment-là qu’a lieu la rencontre du conjoint et que se dessine le choix de la profession. La F.J.A. a donc un grand avantage par cette position. Elle peut avoir, à ce moment-là, un maximum d’influence.

La mixité des activités est aussi l’un des grands avantages de la F.J.A. par rapport à d’autres espaces sociaux agricoles, notamment les écoles, ce qui en fait un espace de rencontres privilégié. En effet, les rôles masculins et féminins sont nettement codifiés et, en dehors de la F.J.A., les femmes et les hommes partagent peu d’espaces sociaux agricoles communs : les syndicats des aînés sont séparés, les études le sont aussi souvent, les associations d’éleveurs sont avant tout masculines.

La F.J.A. propose un nombre impressionnant d’activités. Les membres les plus assidus sortent ainsi dans le milieu une à deux fois par semaine. En plus des soirées s’ajoutent également les réunions syndicales, les formations et les tournois sportifs. Les occasions de rencontres ne manquent donc pas.

Un exemple incroyable de dynamique sociale

Ainsi, à la base, fondées comme mouvement syndical, les associations de jeunes agriculteurs ont été a petit à petit accaparées par les membres à des fins de sociabilité et cela au moment où, la restructuration des campagnes s’accélérant, le groupe agricole ne trouvait plus d’espaces de sociabilité propres lui convenant.

Aucun autre espace social ne possède en effet ces caractéristiques : la spécificité agricole, l’âge des jeunes, la mixité, la fréquence des activités. Or, la Fédération, ce faisant, favorise les contacts et les rencontres, ce qui permet au groupe d’y trouver un espace pour s’y manifester et a indéniablement des conséquences sur la vie des jeunes : en premier lieu en ce qui concerne le choix d’un conjoint.

Un moyen pour assurer la continuité du groupe

On comprend mieux l’importance d’un espace social agricole si l’on garde à l’esprit que, comme on l’a vu plus haut, la famille a une place centrale pour les agriculteurs. Le choix du conjoint se révèle donc crucial, non seulement au niveau personnel, mais aussi sur le plan professionnel. Derrière un agriculteur, il y a en général toute une famille qui partage ce mode de vie. Pour le jeune qui voudrait suivre la voie de ses parents et reprendre une exploitation, trouver un conjoint qui soit prêt à accepter ce mode de vie et qui puisse assurer le rôle adéquat au sein du ménage est donc essentiel. Dans les faits, cela signifie souvent épouser également un fils ou une fille d’agriculteur.

Mais, avec la diminution du nombre d’exploitations, le nombre d’enfants d’agriculteurs diminue également et il est donc plus difficile d’en rencontrer dans le village ou dans son cercle d’amis de l’école, par exemple. La F.J.A. a donc un rôle clé : en proposant des activités aux jeunes, elle joue en fait le rôle d’une grande agence matrimoniale et leur permet de trouver facilement un conjoint dans le monde agricole.

Une formidable agence matrimoniale

La mixité et la fréquence des activités, le nombre et l’âge des jeunes rassemblés, tout concourt ainsi à faire de la Fédération le lieu de rencontre idéal. Comment cela se joue-t-il ? Quelles sont les conséquences des unions entre jeunes de la F.J.A. pour le milieu agricole ?

a. Un taux impressionnant de mariages internes à la Fédération

Chaque été, dans le journal de la Fédération, fleurissent des articles qui célèbrent les heureux évènements des Sections locales. L’analyse des généalogies révèle que le pourcentage de membres actuels ou anciens de la F.J.A. – J.A.P. ayant trouvé leur conjoint parmi les membres du syndicat agricole est de 84,4%[51].

Les jeunes ont d’ailleurs relativement conscience de la fonction matrimoniale de la F.J.A. comme en témoigne cet extrait d’un article écrit par les membres à l’occasion de mariages : « …l’autre aspect, celui-là non avoué, mais dont personne n’osera nier l’existence, s’apparente à l’agence matrimoniale, car c’est lors de ces multiples rencontres que beaucoup de nos amis ont trouvé l’âme sœur »[52].

Ces mariages participent fortement à la tendance des jeunes issus du milieu agricole à se marier entre eux (homogamie[53]). En effet, on l’a vu, les membres de la Fédération sont majoritairement fils d’agriculteurs. Il s’ensuit donc qu’une personne prenant part aux activités de la F.J.A. (issue en général du milieu agricole) a plus de chance, statistiquement, de rencontrer une autre personne du milieu agricole. Cette homogamie se vérifie d’ailleurs pour la génération des parents des membres actuels. Souvent fils ou filles d’agriculteurs participant à la J.A.P., ils ont eux-mêmes épousé un fils ou une fille d’agriculteurs.

Avec la F.JA., les jeunes et leur parents s’assurent, d’une certaine manière que « la foudre, lorsqu’elle tombe, ne tombe pas n’importe où »[54]. Ainsi, le choix d’un espace de sociabilité est donc aussi le choix d’un cadre possible de rencontres amoureuses, ce qui évite aux participants de devoir, par la suite, se poser la question de la correspondance sociale. Ainsi, selon Bozon et Héran, « n’importe qui ne choisit pas n’importe quel lieu pour ‘choisir’ son conjoint »[55] et le choix d’un espace de sociabilité influe de manière décisive sur les possibilités de rencontres : « Ainsi, derrière la multiplicité des scènes de rencontre se fait jour une logique qui est déjà celle de l’homogamie. L’opposition principale des lieux publics [davantage réservés aux classes populaires selon les auteurs] et des lieux réservés [davantage réservés aux classes supérieures] , jointe à l’opposition secondaire des lieux réservés [espaces étroits où n’entre pas qui veut] et des lieux privés, tend à segmenter le marché matrimonial sans qu’il faille nécessairement y voir l’effet de stratégies spécifiquement matrimoniales : une part considérable du travail de sélection se réalise déjà en amont, à travers des stratégies plus générales de sociabilité »[56]. Et donc, « les formes de sociabilité très diverses d’une catégorie sociale à l’autre, constituent l’une des principales médiations qui tendent à assurer de facto l’homogamie des unions ».[57]

La relation entre la participation aux activités, la rencontre d’un partenaire parmi les membres et le mariage avec un agriculteur semble d’ailleurs quasi aller de soi. En témoignent cette fille d’agriculteurs qui a évité de participer aux activités de la Fédération explicitement « pour ne pas prendre le risque de tomber amoureuse d’un fermier » parce qu’elle ne désirait pas vivre au sein d’une exploitation agricole et cette autre qui avoue avoir participé aux activités de la F.J.A. expressément parce qu’elle voulait épouser un agriculteur.

b. Qu’en est-il du célibat agricole ?

L’idée que les jeunes agriculteurs ont des difficultés à trouver une épouse est très répandue, tant à l’intérieur du groupe qu’en dehors. Cependant, « les célibataires de profession agricole ne semblent pas plus nombreux que les célibataires actifs de Wallonie, bien que les femmes soient plus touchées par le célibat, il existe une certaine contradiction entre les chiffres et les perceptions du célibat des individus interrogés. Selon la plupart des individus interrogés, le célibat masculin est en effet plus fréquent dans ce milieu professionnel qu’ailleurs »[58].

Mais alors, pourquoi le célibat semble-t-il plus problématique en agriculture qu’ailleurs ? Peut-être parce que ce célibat est souvent rattaché à une image négative de l’agriculture. Cette combinaison entre dévalorisation de l’agriculture et célibat masculin se retrouve d’ailleurs dans la bouche des responsables agricoles : « Il n’y a plus beaucoup d’agriculteurs et les jeunes ont du mal à trouver une épouse ». De plus, si le célibat masculin catalyse toutes les remarques et préoccupe davantage, c’est peut-être aussi parce que c’est le seul qui s’explique par des raisons spécifiquement agricoles.[59]

Une autre explication, c’est que l’agriculture étant une profession familiale et le modèle valorisé étant celui de la famille biparentale, cette absence du conjoint serait redoutée plus qu’ailleurs. Une forte pression matrimoniale est en tout cas perceptible chez certains jeunes : « On se disait l’autre jour qu’à notre âge [vingt et un et vingt-deux ans], il fallait commencer à se tracasser, car bientôt toutes les personnes bien seront toutes prises ».

Enfin, il faut souligner que, dans l’espace de sociabilité de la F.J.A., il y a en effet moins de filles que de garçons qui participent aux activités. En réalité, seules 40,5% de filles y sont inscrites pour 59,5% de garçons et ce qui signifierait que si tous les jeunes se mariaient à l’intérieur de la Fédération, 30% des jeunes hommes ne trouveraient pas d’épouses.

Cela oblige donc certains garçons à chercher d’autres lieux de rencontres, mais, ce qui, sur le marché matrimonial agricole, est un atout ne l’est pas en dehors : « Les atouts qu’ils [les agriculteurs] ont sur le marché matrimonial qui regroupe des ‘mêmes qu’eux’ peuvent être considérés comme des atouts, tandis que sur le marché matrimonial plus élargi, ils ne sont plus vus comme tels, au contraire. L’élargissement du marché matrimonial se veut une stratégie productive, alors qu’il se transforme pour les célibataires interrogés en une stratégie contreproductive »[60].

Une réponse à des transformations sociales : la restructuration du marché matrimonial

L’exode rural et les transformations du monde agricole ont nettement influencé la transformation de l’espace de sociabilité de la jeunesse agricole et ces transformations ont aussi, parallèlement, amené à une restructuration du marché matrimonial.

Ainsi, le nombre de jeunes issus du monde agricole n’étant plus suffisant au niveau local pour assurer des unions homogames, la Fédération a été aussi une réponse à ces transformations et a permis de maintenir l’union des mêmes alors que le nombre de conjoints potentiels chutait.

Le travail de Michel Bozon et François Héran confirme d’ailleurs cette thèse. Selon eux, le déclin des rencontres de voisinage dans les campagnes a déterminé l’émergence du bal – dans le cas qui nous occupe, de la soirée J.A.P. – F.J.A. – , qui rassemble davantage de monde, comme l’institution matrimoniale par excellence : « On soupçonnait déjà […] que le bal était en plein essor au moment même ou s’amplifiait l’exode rural, comme s’il s’était agi pour les ruraux de compenser l’effondrement de l’interconnaissance villageoise par le recours à un marché plus large recrutant à l’échelle du canton ou de l’arrondissement. […] Le succès matrimonial du bal ne s’est affirmé dans les campagnes qu’avec l’amplification de l’exode rural, lorsque l’interconnaissance villageoise n’a plus suffi à former des couples sur place  »[61].

L’émergence de la Fédération en tant que lieu de sociabilité durant les années soixante marque aussi son émergence en tant qu’espace matrimonial privilégié de la jeunesse agricole.

Caroline Artoisenet constate également que l’étendue dans l’espace permet de compenser la perte de possibilités matrimoniales homogames au niveau local : « Les hommes paysans sont obligés d’étendre leur aire de prospection, dans les limites de l’homogénéité sociale, pour compenser la restriction de leur aire sociale de prospection. Généralement, les individus interrogés ne sortent plus seulement dans les alentours du village pour faire des rencontres amoureuses, mais vont dans des soirées qui se déroulent dans un rayon de 20 – 25 kilomètres autour du village »[62]. Selon elle, le succès des soirées F.J.A. est donc bien dû au fait qu’elles permettent ce maintien de l’homogamie par une compensation d’une baisse des relations de localité.

On raconte à la F.J.A. qu’« avant de demander le nom d’une fille, on lui demande le nombre d’hectares qu’elle a » ! Bien entendu, une telle situation ne se produit que très rarement telle quelle, mais l’existence de cette histoire est néanmoins significative. Des stratégies de regroupement de terres (auxquelles il faut ajouter celles des quotas de production[63]) peuvent en effet passer par le mariage.

Cet extrait d’une conférence sur la reprise des exploitations confirme que, pour certains parents, l’idéal pour s’assurer que leur fils reprenne leur exploitation est, en plus des études spécialisées en agriculture, que leur fils épouse une jeune fille d’agriculteurs : « Le premier cas de figure[d’exploitation à remettre], qui rapproche le monde agricole des Chinois, c’est monsieur et madame priant pendant neuf mois pour avoir un garçon. Ensuite, ils re-prient pendant douze années pour qu’il s’intéresse au métier d’agriculteur. Ils sont heureux quand, à l’âge de douze ans, il rentre à la sacro-sainte école St Quentin. Après quelques années, ils se remettent à prier pour que le fiston se trouve une jeune et jolie fille d’agriculteurs »[64].

Les parents désireux de voir leur fils – ou leur fille – reprendre l’exploitation, ne peuvent, souvent, qu’être rassurés de les voir participer à la F.J.A., car c’est là qu’ils ont le plus de chances de rencontrer un conjoint prêt à reprendre avec lui – ou elle – l’exploitation familiale. Dans tous les cas, pour un (futur) agriculteur, épouser une fille d’agriculteurs (ou l’inverse) présente de nombreux avantages, car elle (ou il) connaît déjà la profession et est susceptible d’en accepter les contraintes.

Perspectives

La fonction principale de la Fédération des jeunes agriculteurs est sans nul doute celle d’offrir un cadre de sociabilité à la jeunesse agricole. Or, ce cadre, on vient de le voir, favorise le maintien de l’homogamie dans le milieu agricole. La F.J.A. offre donc un espace matrimonial privilégié qui renforce les liens de parenté avec le groupe. De plus, au travers de ses activités, la F.J.A. participe à la culture agricole, et la renforce. Les couples qui se forment tendent donc à continuer dans la même ligne que celle de leurs parents et à maintenir les spécificités du groupe agricole.

En Wallonie, et plus spécifiquement dans le Condroz et la Hesbaye, participer à la F.J.A., c’est ainsi affirmer son appartenance à ce groupe. Avant cela, le jeune n’y est intégré que par l’intermédiaire de ses parents. Son intégration à lui, en tant que sujet, est un choix. Pour ceux qui se destinent au métier d’agriculteur, c’est particulièrement important puisque c’est à ce moment-là que les liens se créent entre les membres et qu’il peut trouver un conjoint prêt à accepter, en principe, les contraintes d’un métier qu’il connaît déjà. Le choix d’un style de vie agricole et le choix d’être membre de la Fédération fonctionnent souvent de pair. Si toutes les personnes du groupe ne se destinent pas au métier d’agriculteur, presque tous ceux qui veulent reprendre une exploitation conventionnelle participent aux activités de la Fédération. Faire partie de la F.J.A., c’est s’inscrire dans le monde agricole et il est logique que quelqu’un qui veuille reprendre une exploitation et donc maintenir un style de vie agricole cherche le contact avec le groupe qui le représente le mieux. Voici à cet égard, l’avis de plusieurs membres : « Si tu veux reprendre une ferme, tu sors ici… Parce que c’est ici le monde agricole » ; « Je ne connais pas de fils d’agriculteurs qui veulent continuer et qui ne sortent pas à la F.J.A. Souvent, celui qui veut reprendre une ferme, je le vois à la F.J.A. ».

Ainsi donc, la F.J.A. permet véritablement le maintien du groupe agricole en tant que tel puisque, d’une part, elle joue le rôle d’agence matrimoniale pour ses jeunes, et, d’autre part, en renforce la culture. Elle est donc bien le moteur social du groupe : c’est grâce à elle qu’il maintient un isolat (communauté de parenté) et des spécificités culturelles propres.

Une question se pose bien entendu, celle de savoir si la fédération va pouvoir, à l’avenir, continuer à assurer le maintien du groupe social agricole.

Ainsi, lors de ses activités, la F.J.A. accueille, plus qu’auparavant, des personnes étrangères au monde agricole. Qu’est ce que cela signifie ? Est-ce l’expression d’une évolution inéluctable du groupe qui doit accueillir en son sein des personnes extérieures au monde agricole afin d’assurer sa pérennité? Ces nouveaux venus, s’ils s’intègrent à la Fédération, ne vont-ils pas lui faire perdre ses caractéristiques? C’est en tout cas la crainte de certains pour qui l’ouverture du groupe peut en effet être perçue comme une menace pour l’unité car, selon eux, l’autre, s’il est trop différent, risquerait de leur faire perdre leur spécificité…

Or, derrière ces questions se cachent des enjeux fondamentaux et qui doivent désormais être largement débattus. La réforme de la Politique agricole commune qui est en train de se faire devrait ainsi aller dans le sens d’un plus grand respect des aspects humains et environnementaux.  A chaque citoyen de l’exiger. De même, les agriculteurs qui se trouvent au défi de devoir « inventer » de nouvelles formes de production qui leur permettent de continuer leur profession, devront faire en sorte que celles-ci soient réellement durables : pour leur environnement comme pour eux…

Conclusion

Les transformations du monde rural au cours des dernières décennies ont été d’une ampleur sans précédent : la mécanisation du travail, la mondialisation de l’économie et les politiques européennes ont profondément modifié non seulement le travail agricole, mais aussi la structuration sociale des campagnes.

En effet, au-delà des enjeux strictement économiques de ces mutations, se cache aussi un enjeu social : celui de l’existence du groupe social des agriculteurs, porteurs d’une culture et d’un mode de vie spécifique. Aujourd’hui, si ce groupe se perpétue en Wallonie, c’est parce qu’il utilise l’espace social de la Fédération des jeunes agriculteurs, mais rien ne dit que cette stratégie suffira pour assurer son maintien à l’avenir.

Chaque jour, des exploitations disparaissent et le nombre d’agriculteurs diminue considérablement. Au vu des tendances actuelles (ouverture des frontières, réforme de la P.A.C., pression de l’O.M.C.), cette situation ne semble pas devoir s’inverser. Va-t-il falloir désormais penser la campagne sans agriculteurs ? La minorité agricole disparaîtra-t-elle définitivement ? Devra-t-on importer l’ensemble de nos produits alimentaires ? Cela semble encore inimaginable. Pourtant, si le rythme actuel de disparition de huit cents exploitations par ans se maintient, les dix-sept mille fermes de Wallonie auront été rayées de la carte dans vingt ans.

L’enjeu de la souveraineté alimentaire se situe donc bel et bien ici, aujourd’hui, et on ne peut penser ce qui se passe ailleurs, sans regarder d’abord ce qui se passe en Belgique. Pour survivre, les paysans ont dû totalement transformer leur manière de produire et chaque jour la vie d’un agriculteur dans une exploitation moyenne est un peu plus complexe.

Seule la définition de nouvelles politiques qui tiennent compte de la notion de souveraineté alimentaire au Nord et au Sud, pourrait permettre aux producteurs européens et aux paysans des pays en développement de continuer à vivre du travail de la terre et à exister en tant que groupe. Une régulation du marché mondial est donc urgente, ce qui ne signifie pas, pour la cause, tomber dans les dérives d’un protectionnisme exacerbé. Comme le résument très bien Marcel Mazoyer et Laurence Roudart : « la question n’est donc pas, aujourd’hui de choisir entre mondialisation et non mondialisation, la question est d’opter entre une mondialisation apparemment libérale, mais en fait tronquée et excluante […] et une mondialisation régulée, équitable, élargie au profit de tous. Elle est de choisir entre une mondialisation sauvage et une mondialisation à visage humain »[65].

Le défi est grand : affirmer l’importance de l’aspect social, aller à contre-courant des politiques néolibérales, de l’ouverture complète des frontières et des politiques de l’O.M.C. n’est pas une mince affaire. La seule manière d’y parvenir est de travailler en réseau. Comme le défend Susan George, vice-présidente d’ATTAC France et auteure d’un livre dérangeant sur la faim dans le monde[66], ce n’est qu’en faisant alliance et en réunissant ceux qui veulent que les choses bougent qu’on peut espérer se faire entendre au niveau politique.

C’est justement pour favoriser ce type de dialogue que le Centre Avec a décidé de participer activement, au cours des prochaines années, à une large dynamique de réflexion. Celle-ci regroupera différents partenaires du Nord et du Sud, des membres d’O.N.G. ainsi que des représentants des filières conventionnelles et alternatives. Elle aura pour but d’identifier les actions qui pourraient contribuer à faire changer le système agroalimentaire dans son ensemble dans le sens d’une prise en compte de ses dimensions sociales.

Enfin, face à ce défi, c’est aussi chaque citoyen qui est appelé à agir. Réfléchir à nos choix de consommation et aux types de productions que nous favorisons est une première manière – très concrète – d’affirmer notre volonté d’un système plus respectueux des réalités humaines, familiales et sociales qui existent derrière les chiffres. L’alimentation est un droit humain fondamental qui doit être concrétisé dans un système qui permette réellement plus de justice sociale.

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Notes :

  • [1] Dans sa déclaration du Millénaire (8 septembre 2000), l’Assemblée générale des Nations Unies a tout spécialement mis en avant les huit objectifs suivants : 1. Réduire l’extrême pauvreté et la faim ; 2. Assurer l’éducation primaire pour tous ; 3. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ; 4. Réduire la mortalité infantile 5. Améliorer la santé maternelle ; 6. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies ; 7. Assurer un développement durable ; 8. Mettre en place un partenariat mondial pour le développement. La souveraineté alimentaire rejoint notamment les objectifs 1, 7 et 8.

    [2] Soit la plus grande partie de la province de Namur, le sud du Brabant wallon et l’ouest de la province de Liège.

    [3] La Vía Campesina est un mouvement international composé d’organisations paysannes de petits et moyens agriculteurs, de travailleurs agricoles, de femmes ainsi que par des communautés indigènes d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Pour plus d’information : www.viacampesina.org

    [4]Source : DASNOY, Christine, MORMONT, Marc, MOUGENOT, Catherine, Ruralité et environnement, Arlon, Fondation universitaire luxembourgeoise, vol. I, 1991p. 15 et INSTITUT NATIONAL DE STATISTIQUES. Recensement agricole de 2005, résultats définitifs, [en ligne], www.statbel.fgov.be.

    [5]Selon le terme de Pierre Daucé : DAUCE, Pierre, Agriculture et monde agricole, Paris, La documentation française, « Notes et études documentaires », n°5176, septembre 2003, p. 141.

    [6] DASNOY, Christine, MORMONT, Marc, MOUGENOT, Catherine, Op. Cit, vol. I, p. 15.

    [7] DAUCE, Pierre, Op. Cit, p. 16.

    [8] DASNOY, Christine, MORMONT, Marc, MOUGENOT, Catherine, Op. Cit, vol. I, p. 21.

    [9] Idem, p. 22.

    [10] Ibidem.

    [11] Voir : MENDRAS, Henri, La fin des paysans, suivi d’une réflexion sur la fin des paysans vingt ans après, Paris, Actes Sud – Labor – L’Aire, coll. « Babel », 1991, pp. 17-20.

    [12] DIRECTION GENERALE DE L’AGRICULTURE, L’évolution de l’économie agricole et horticole de la Région wallonne 2002, Jambes, Ministère de la Région wallonne, 2003p. 47.

    [13] DASNOY, Christine, MORMONT, Marc, MOUGENOT, Catherine, Op. Cit.vol. I, p. 20.

    [14] Idem

    [15] Pour toute information complémentaire, voir LIMOUZIN, Pierre, Les agricultures de l’Union européenne, Paris, Armand Collin, 1996 et DAUCE, Pierre, Op. Cit..

    [16] DAUCE, Pierre, Op. Cit., p. 44.

    [17] Derniers chiffres disponibles. Institut national de statistiques, Op. Cit.

    [18] DIRECTION GENERALE DE L’AGRICULTURE, Op. Cit.

    [19] Source : REGION WALLONNE, L’agriculture wallonne en chiffres, [prospectus], Jambes, éd. par Jean Renault, 2004.

    [20]Voir : MULLER, Pierre, « Campagne de l’an 2000, une agriculture de service », in Pour, Paris, L’Harmattan, septembre 2001, n°130 / 131, pp. 101-114.

    [21] Il s’agit de produits qui répondent à des caractéristiques de production et de transformation identifiables et qui respectent un cahier des charges spécifique. La marque Eqwalis, promue par la région wallonne en est un exemple.

    [22] BULTAULT, Jean-Pierre « et al. », La pluriactivité : un correctif aux inégalités du revenu agricole, [en ligne], www.INSEE.fr. Sur de nombreux points, la situation française se rapproche de la situation belge, il est donc intéressant d’utiliser les recherches produites chez nos voisins, car elles décrivent très souvent le même type de réalités de terrain.

    [23] Comme, par exemple, la directive Nitrate qui limite les épandages et le projet Natura 2000 qui vise la protection des espèces menacées. Pour plus d’information.

    [24] Les Mesures agro-environnementales de la P.A.C. permettent aux agriculteurs d’obtenir des primes si, par exemple, ils plantent une haie, fauchent tardivement les abords d’un champ…

    [25]Un numéro de téléphone gratuit (Agricall) a d’ailleurs été mis en place pour offrir une écoute aux agriculteurs qui le souhaiteraient.

    [26] DASNOY, Christine, MORMONT, Marc, MOUGENOT, Catherine, Op. Cit., vol. I, p. 26.

    [27] BERGER, Guy, CHASSAGNE, Marie-Elisabeth, « Le rural mort ou vif, à la rencontre des ruralités », Paris, Privat, numéro hors série Pour, octobre 1982, p. 21.

    [28] Bernard KAYSER in KAYSER, Bernard et MENDRAS, HenriSociété, ruralité, culture, Toulouse, Ed. de l’Université de Toulouse – Le Mirail, coll. « GEODOC », n°50, 2000, p. p. 33.

    [29] BERGER, Guy, CHASSAGNE, Marie-Elisabeth, « Le rural mort ou vif, à la rencontre des ruralités », Paris, Privat, Numéro hors série Pour, oct. 1982, p. 22.

    [30] MENDRAS, Henri, in KAYSER, Bernard et MENDRAS, Henri, Op. Cit., p. 36.

    [31]La définition de groupe social qui sous-tend cette affirmation est celle, classique, de Robert King Merton: « Le concept sociologique de groupe définit un certain nombre de gens ayant entre eux des rapports sociaux caractéristiques et fixés. Dans les deux cas, le critère objectif est l’interaction. […] Les individus en interaction se définissent eux-mêmes comme membres du groupe. […] Les gens en interaction sont définis par les autres, membres et non membres, comme membres du groupe. […] Les frontières des groupes ne sont pas fixes, elles sont en changement dynamique en réponse à des situations spécifiques ». (MERTON, Robert King, Elément de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon, 1965, pp. 239-241).

    [32] Selon Ward H. Goodnough : « A society’s culture consists of whatever it is one has to know or believe in order to operate in a manner acceptable to its members, and do it so in any role that they accept for any one of themselves.» (GOODNOUGH, Ward H., « Cultural anthropology in linguistics » in GARVIN, P. (éd. par), Report of the seven round table meeting on linguistics and language study,Washington D.C., Georgetown university, 1957, monograph series on language and linguistics, n°9, p.167-173.) La culture est donc, selon lui, ce qui permet à une personne de savoir si une autre personne appartient à son groupe ou non. En croisant la définition de Goodnough et celle de Merton, la culture est alors ce qui permet aux membres en interaction de se reconnaître comme tels, autant grâce à des critères comme celui de l’apparence extérieure que par le style de vie.

    [33] PORCHER Jocelyne, Eleveurs et animaux, réinventer le lien, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Partage du savoir », 2002, p. 244.

    [34] Idem, pp. 186-197.

    [35] Expression utilisée pour parler des soins réalisés chaque jour comme le soin des bêtes.

    [36] Voir le paragraphe sur l’extension de la famille nucléaire dans GAUTREAU, Guy, L’éclatement rural et les valeurs humaines, s.l., Ed. universitaires U.N.M.F.R.E.O., 1988, pp. 130-131.

    [37] GAUTREAU, Guy, Op. Cit., p. 322.

    [38] Il s’agit bien d’une différenciation de genres car, selon Véronique Huens, dans une famille où il n’y aurait que des filles, l’une d’elles serait poussée, dans une certaine mesure, à prendre le rôle du fils. Voir : HUENS, Véronique, Jeunes agricultrices wallonnes : entre « être » et « devenir », [Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de licenciée en sociologie], Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 2001, pp. 92-94.

    [39] THELOT, Claude, Tel père, tel fils ?, Position sociale et origine familiale, Paris, Bordas, 1982, p. 39.

    [40] JOLAS, Tina, PINGAUD, « et al. », Une Campagne voisine, Minot, un village bourguignon, Paris, Maison des sciences de l’homme, coll. « Collection ethnologique de la France », 1990, p. 119.

    [41] SALMONA, Michèle, Op. Cit, p. 209.

    [42] Pour ce qui est de la répartition des tâches masculines et féminines dans la société paysanne française, se référer à : SEGALEN, Martine, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion, coll. « Bibliothèque d’ethnologie historique », 1980.

    [43] Sur la pluriactivité, voir BULTAULT, Jean-Pierre, « et al. », Op. Cit.

    [44] Cette étude de cas se base sur des données de terrain collectées pour une recherche en 2004 réalisée à l’Université de Liège. PICCOLI, Emmanuelle, Entre transformations et dynamisme. La Fédération des Jeunes agriculteurs au cœur du groupe agricole. Le cas du Condroz et de la Hesbaye, [Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de licenciée en Information et Communication], Liège, Université de Liège, 2004.

    [45] C’est notamment le cas de Sabine Laruelle et de José Happart.

    [46] HAPPART, José, « J.A.P., Qui es-tu ? », in JEUNES ALLIANCES PAYSANNES, Op. Cit., Bruxelles, Jeunes Alliances paysannes, 1993, p. 5.

    [47] GAUTREAU, Guy, Op. Cit.., p. 189.

    [48] MOUGENOT, Catherine, MORMONT, Marc, Op. Cit.., p. 117.

    [49] Idem, p. 279.

    [50] GAUTREAU, Guy, Op. Cit., p. 190.

    [51] Evaluation réalisée à partir des arbres généalogiques en 2004 dans trois comités de sections locales : sur 147 couples dont un des deux est -ou était- membre de la F.J.A.-J.A.P., des 124 cas, le conjoint l’est -ou l’était- aussi. L’évaluation n’a été réalisée qu’à partir des cas où les jeunes étaient certains de leurs affirmations. Voir : PICCOLI, Emmanuelle, Op. Cit., pp. 123-124.

    [52] F.J.A. D’EGHEZEE ET DE WAVRE-PERWEZ-JODOIGNE, « Il y a du mariage dans l’air », in L’Echo des jeunes, n°18, novembre 2002.

    [53] Par le terme d’homogamie, on se désigne la tendance des jeunes issus d’un même milieu à se marier entre eux.

    [54] BOZON, Michel, HERAN, « La découverte du conjoint, II. Les scènes de rencontres dans l’espace social », in Population, n°1, 1988, p. 947.

    [55] Idem, p. 121.

    [56] Idem, pp. 127-128.

    [57] Idem, p. 121.

    [58] ARTOISENET, Caroline, Célibat et stratégies matrimoniales des agriculteurs wallons, [Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de licenciée en sociologie], Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 2002, p. 45.

    [59] Ce sont en effet les hommes en général qui sont chefs d’exploitation et qui, pour cette raison, ne trouveraient pas de femme, parce qu’elles « ne veulent pas de cette vie-là ». Ainsi, épouser un agriculteur pour une jeune fille veut dire, à long terme, devenir agricultrice, du moins adhérer au projet de son mari alors que l’inverse ne se vérifie pas.

    [60] ARTOISENET, Caroline, Op. Cit, p 68.

    [61] BOZON, Michel, HERAN, François, « La découverte du conjoint, I… », Loc.Cit., pp. 953-954.

    [62] ARTOISENET, Caroline, Op. Cit., p. 101.

    [63] Voir : SALITOT, Michelle, SEGALEN, Martine, ZONABEND, Françoise, « Anthropologie de la parenté et société contemporaine », in SEGALEN, Martine (sous la dir. de), L’autre et le semblable, Regard sur l’ethnologie des sociétés contemporaines, Paris, Centre national de recherche scientifique, 1989, p. 82.

    [64] BOURGEOIS, Xavier, cité par HUET, Brigitte, « Assemblée provinciale du Brabant wallon au sujet de la transmission des exploitations agricoles » in Pages mensuelles de l’U.A.W., mai 2004, n°37, p. 2.

    [65] MAZOYER, Marcel, ROUDART, Laurence, « Mondialisation, crise et conditions de développement durable des agricultures paysannes », in VIA CAMPESINA, Une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale, Genève, Centre Europe – Tiers Monde, 2002, p. 39.

    [66] GEORGE, Susan, La faim dans le monde pour débutants, Paris, éd. De L’aube, 2006.