Le 01 avril 2005

Le travail intérimaire, solution pour entrer dans le travail aujourd’hui ?

Constatant les difficultés rencontrées pour obtenir du travail en 2005, une approche est de lancer l’analyse par type de travail. Et un des types de travail à envisager est le travail intérimaire. Après l’avoir clairement défini et donné quelques éléments chiffrés, la question posée est de savoir si le travail intérimaire permet aux travailleurs de trouver plus facilement une place sur le marché du travail. La Fédération des partenaires de l’emploi (Federgon) répond assez positivement à la question, en montrant que le passage par l’intérim favorise l’accès au marché du travail. La difficulté pour confirmer ou infirmer cette hypothèse réside dans le manque de données de comparaison avec d’autres canaux d’insertion que l’intérim pour les divers types ou catégories de demandeurs d’emploi. La transformation globale de la structure du travail (plus de flexibilité, travail plus fragile et plus précaire) n’aide guère à voir le travail intérimaire futur comme un vrai tremplin pour tous vers un emploi stable. 

De quel travail s’agit-il ?

Le travail intérimaire est défini comme un travail temporaire effectué par un travailleur, l’intérimaire, pour le compte d’un employeur, l’entreprise de travail intérimaire, chez un tiers, le client-utilisateur.

Dans ce cadre, deux contrats sont conclus par l’entreprise de travail intérimaire : un premier entre elle et le travailleur intérimaire et un second entre elle et l’utilisateur.

Le travailleur effectue dans ce contrat une mission d’intérim.

Afin de garantir la qualité du travail intérimaire en Belgique, un régime d’agrément est appliqué, ce qui ne permet qu’aux seules entreprises de travail agréées par les autorités régionales compétentes d’exercer cette activité.

On dénombre quelque mille agences d’une centaine d’entreprises de travail intérimaire dans le pays.

En Belgique, la loi du 24 juillet 1987 autorise le travail intérimaire dans trois cas bien précis : le remplacement d’un travailleur dont le contrat est temporairement suspendu ou a pris fin, un surcroît temporaire de travail ou l’exécution de certains travaux exceptionnels.

Les personnes faisant appel au travail intérimaire occupent l’ensemble des fonctions exercées dans les entreprises : ouvriers (63 % des intérimaires en 2004) et employés.

Les travailleurs intérimaires bénéficient d’un statut social complet. La commission paritaire 322, où siègent les représentants des entreprises de travail intérimaire (Federgon) et les organisations syndicales, concernent spécifiquement le secteur. Un Fonds social, une Commission de Bons Offices et un Service de Médiation existent pour les intérimaires.

Quelques données chiffrées

Les données publiées par Federgon montrent que, le nombre total d’heures d’intérim prestées en Belgique a connu une croissance permanente de 1985 à 2000. De 2001 à 2003, la situation s’est pratiquement stabilisée. En 2004, ce nombre a connu une progression de 14 % par rapport à 2003.

Chaque année quelque 315.000 personnes travaillent dans le circuit de l’intérim. Quelque 110.000 étudiants jobistes passent également chaque année par ce circuit. (En 2004, les données communiquées par Federgon sont de 325.827 personnes et de 103.000 étudiants jobistes.)

En 2003, le nombre d’intérimaires en équivalents temps plein par rapport à la population salariée est de 1,89 %, en 2004, il est de 2,15 %.

Sur base des résultats des enquêtes sur les forces de travail fournis par l’Institut national de statistiques, Béatrice Van Haeperen[1], montre que, en moyenne sur la période 1999-2002, les travailleurs intérimaires représentent, en Belgique, 1,5 % des travailleurs salariés et que le travail intérimaire est beaucoup plus fréquent chez les travailleurs jeunes que chez les plus âgés : l’intérim représente 6,1 % des salariés de 15-24 ans, 1,1 % des 25-49 ans et 0,4 % des 50 ans et plus.

Revenons-en à la question : le travail intérimaire permet-il aux travailleurs de trouver plus facilement une place sur le marché du travail ?

Pour nourrir la réflexion, nous avons interrogé Matthieu de Nanteuil-Miribel, Thomas Périlleux[2] et Béatrice Van Haeperen

Centre Avec : En parcourant les communiqués de presse de la Fédération des partenaires de l’emploi (Federgon), on trouve plusieurs résultats encourageants, parmi lesquels « Plus d’un intérimaire sur deux trouve un emploi fixe au terme de sa dernière mission d’intérim. » « Accès à l’emploi fixe en progression. » [3],

T. Périlleux : Il est important de nuancer ces propos. Notamment, en tenant compte de différents « types » de travailleurs intérimaires. Il y a de nombreuses et significatives différences entre eux – tranches d’âge, niveaux de diplôme, de qualification ; intérimaires volontaires, intérimaires contraints… Tenant compte de ces éléments, répondre globalement à la question devient effectivement très complexe. Comment comparer une personne très qualifiée qui choisit et monnaie chaque nouvelle mission ou emploi et une personne peu qualifiée qui accepte n’importe quelle mission « en attendant mieux » ? Leur parcours professionnel et leur expérience de l’intérim seront profondément différents. Selon certaines enquêtes qui portent sur l’expérience des travailleurs intérimaires, une minorité d’entre eux, souvent les plus jeunes et les plus qualifiés, choisissent l’intérim comme un « tremplin professionnel » ; ils disposent de compétences à la fois spécifiques et transférables d’une entreprise à l’autre, qui leur permettent de construire une carrière « nomade ». Mais pour la plupart des autres, la stabilisation dans l’emploi est plus difficile et lointaine.

B. Van Haeperen : De plus, le  taux d’insertion donné ci-dessus est calculé par rapport au nombre de personnes qui ont effectivement réalisé une ou plusieurs missions d’intérim au cours de l’année et ne tient pas compte des candidats à l’intérim qui n’ont effectué aucune mission. Ceci conduit à une surestimation du taux d’insertion par l’intérim. De plus, le laps de temps entre la première mission d’intérim et le placement n’est pas précisé : avant d’obtenir un contrat fixe, une personne a pu effectuer de nombreuses missions d’intérim entrecoupées de périodes de chômage. Des études montrent en effet que le type de contrat de travail obtenu à la sortie d’un épisode de chômage est fortement lié au type de contrat que l’on a quitté. Toutes choses égales par ailleurs, avoir travaillé sous un type de contrat avant un épisode de chômage augmente la probabilité d’obtenir ce même type de contrat à la sortie du chômage. En particulier, avoir travaillé sous contrat d’intérim avant l’épisode de chômage augmente la probabilité de sortir du chômage vers un contrat d’intérim. Le lien entre intérim et insertion durable est plus complexe qu’il ne pourrait sembler de prime abord. 

M. de Nanteuil-Miribel : Une autre approche consiste à bien se rendre compte que le travail intérimaire fait partie de l’emploi atypique ou précaire. Entrer dans le travail sous un type de contrat autre que celui à durée indéterminée reste, quelles que soient les améliorations de statuts et de sécurité, tenant compte des approches actuelles de flexibilité, du domaine de la précarité. Si l’entrée dans le travail aboutit à un niveau de travail faible, plus ou moins instable, il est difficile de parler d’insertion réelle dans l’emploi.

Centre Avec : Selon Federgon, « La sélection dans le secteur de l’intérim s’opérant sur base des compétences (connaissances, aptitudes, attitudes) nécessaires pour effectuer une mission, les candidats sont proposés plus facilement pour une mission que s’ils s’étaient présentés à une sélection classique où un premier tri est opéré en fonction de critères tels que l’âge, le sexe, les périodes d’inactivité (chômage, éducation des enfants, maladie,…) ou la nationalité. C’est une des raisons pour lesquelles le travail intérimaire offre plus de chances aux allochtones et aux non-belges de s’intégrer sur le marché du travail. Dans cet esprit, le « Code de bonnes pratiques relatif à la prévention de la discrimination raciale à l’égard des travailleurs intérimaires immigrés » est mis en œuvre depuis 1997. »

L’intérim limite-t-il la discrimination à l’embauche ?

M. de Nanteuil-Miribel : Un aspect important concerne les canaux d’entrée dans l’emploi : le constat est qu’ils sont de plus en plus étroits et deviennent de vrais filtres. Les agences intérimaires se spécialisent de plus en plus et le parcours du candidat à l’emploi devient de plus en plus difficile.

B. Van Haeperen Si les entreprises utilisatrices sont moins « sélectives » lorsqu’elles recrutent des travailleurs intérimaires, c’est probablement parce que le tri s’opère en amont. Reste à savoir quelle proportion des intérimaires allochtones s’intègre par la suite dans l’emploi stable ?

Centre Avec : « Grâce au travail intérimaire, le travailleur peut rester en contact avec le monde du travail, poursuivre son activité professionnelle et préserver son « employabilité ».

Une « Enquête sur le travail intérimaire » de la Sobemap (Bruxelles, 1996) montre que 90 % des entreprises estiment que le fait d’avoir travaillé comme intérimaire est une bonne référence qui traduit, entre autres, la détermination du travailleur à trouver un emploi.

Le travail intérimaire peut constituer la seule voie d’accès au circuit du travail classique pour certains travailleurs qui n’ont plus de contact avec le monde de l’entreprise et empêcher ainsi qu’ils ne restent bloqués au stade de l’accompagnement social. »

B.Van Haeperen :  L’intérim contribue, à côté d’opérateurs du secteur public, à mettre en contact des travailleurs et des entreprises. En ce qui concerne les travailleurs les plus éloignés de l’emploi, l’intérim s’inscrit dans un parcours qui a généralement commencé par une étape de socialisation et ou de (re) qualification chez un opérateur public.

Alors quoi ?

La plus grande prudence s’impose au stade de la conclusion.

Les données avancées par Federgon montrent en effet que le passage par l’intérim favorise l’accès au marché du travail. Ces données concernant le travail intérimaire en général ne reflètent cependant pas les différentes catégories de demandeurs d’emploi.

Il est possible que le travail intérimaire soit une voie privilégiée d’accès à l’emploi stable pour certains types de demandeurs d’emploi. La difficulté pour confirmer ou infirmer cette hypothèse réside dans le manque de données de comparaison avec d’autres canaux d’insertion que l’intérim pour les divers types ou catégories de demandeurs d’emploi. Dans le cas des demandeurs d’emploi les plus éloignés du monde du travail, l’intérim n’est qu’une des étapes d’un parcours d’insertion, plus ou moins long selon le degré d’éloignement de l’emploi. L’insertion en emploi des personnes fragilisées repose sur la complémentarité des services d’intermédiation (publics et privés) et des dispositifs (publics) visant, par des actions de socialisation et de qualification, à restaurer leur « employabilité ».

La transformation globale de la structure du monde du travail vers plus de flexibilité, rendant le travail plus fragile et plus précaire, n’aide guère à voir le travail intérimaire futur comme un vrai tremplin pour tous vers un emploi stable.

Pour en savoir plus…

C. Jourdain (2002), Intérimaires, les mondes de l’intérim

M. de Nanteuil (2002), Vers de nouvelles formes de vulnérabilité sociale ? Réflexion sur les rapports entre flexibilité et précarité dans « Regards croisés sur les emplois flexibles » Revue Travail et Emploi n° 89 de janvier 2002.

C. Delbar et E. Léonard (2002), Le travail intérimaire dans Le Courrier Hebdomadaire du CRISP n° 1778

B. Van Haeperen (2004), Formes d’emploi et durée du travail : évolution comparée de la Belgique, de ses régions et des pays voisins au cours de la période 1992-2002, Discussion paper n° 0403, Institut wallon de l’évaluation de la prospective et de la statistique.

Site :

www.federgon.be

Notes :

  • [1] attachée scientifique à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique et chargée de cours à l’Institut des sciences du travail de l’Université Catholique de Louvain

    [2] Matthieu de Nanteuil et Thomas Périlleux sont professeurs à l’Institut d’Administration et de Gestion de l’Université Catholique de Louvain.

    [3] Communiqués de presse du 26 mars 2003 et du 18 novembre 2004 sur le site www.federgon.be