Le 01 février 2005

Les causes des migrations : pistes d’analyses et d’action

Malgré des mesures de plus en plus restrictives, les migrants se trouvent à nos portes, entrent dans nos pays, souvent au péril de leurs vies, s’y installent, et de plus en plus, de façon clandestine, ce qui les pousse dans des situations de détresse, de fragilité, d’exploitation. De nombreux débats ont lieu sur la politique d’asile et d’immigration de l’Union Européenne et de la Belgique en particulier. Mais quelles sont les causes qui poussent à quitter son pays ? Et comment agir pour permettre aux personnes de vivre dignement dans leur propre pays ?

Cette analyse tente dans un premier temps d’aborder de façon assez générale les causes des mouvements internationaux de populations et leurs liens complexes avec le développement. Ensuite, elle tente à travers les Objectifs du Millénaire pour le développement et les pistes d’action du PNUD, de proposer quelques actions pour agir sur ces causes de migrations et pour améliorer le bien-être des populations des pays en difficultés. 
 

La question des migrations internationales, avec son ensemble complexe de causes et de conséquences démographiques, sociales, économiques et politiques, s’est placée à l’avant-scène des agendas nationaux et internationaux. Ces quelques dernières années, l’immigration est devenue un sujet de préoccupation majeure dans un nombre croissant de pays et en ce qui nous concerne, en Europe. Plus récemment, dans le sillage des événements du 11 septembre 2001, certains pays ont encore resserré leurs politiques à l’égard des immigrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Or malgré ces mesures restrictives, ils sont encore très nombreux à venir frapper aux portes de l’Europe. Les habitants des pays de l’Union craignent pour leur sécurité, leur emploi, leur avenir, leur culture. Certains argumentent leur frilosité à accueillir par ‘on ne peut tout de même pas accueillir toute la misère du monde !’

Mais voilà, les migrants se trouvent à nos portes, entrent dans nos pays, souvent au péril de leurs vies, s’y installent, et de plus en plus, de façon clandestine, ce qui les pousse dans des situations de détresse, de fragilité, d’exploitation. De nombreux débats ont lieu sur la politique d’asile et d’immigration de l’Union Européenne et de la Belgique en particulier. Ces débats sont influencés par la montée des nationalismes et le repli individualiste de nos sociétés occidentales.

La question se pose au niveau européen mais pas seulement. Dans son rapport intitulé « Renforcer l’ONU » (A/57/387), le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a déclaré que le moment était venu d’examiner dans son ensemble et sous ses divers aspects la question de la migration, qui concerne désormais des centaines de milliers de personnes et se pose aux pays d’origine, de transit et de destination, et qu’il fallait mieux comprendre les causes des mouvements internationaux de populations et leurs liens complexes avec le développement.

Mais quelles sont les causes principales des migrations ?

1) Les causes des migrations : multiples et complexes

Les causes des migrations sont multiples : d’ordre politique, économique, social, culturel. Ces causes se croisent et se renforcent. En effet, à titre d’exemple, comment se défendre contre des discriminations ethniques quand on est dans une misère matérielle, comment se faire entendre des tribunaux locaux ou internationaux dans ce cas, quand on n’a rien et qu’on est considéré comme rien ?

Si une personne quitte son pays, sa famille, ses proches, sa culture, ce n’est souvent pas uniquement pour une seule raison. Différents facteurs l’ont poussée, pourrait-on, dire à bout, au bout des souffrances cumulées.

Dans une communication de la Commission européenne du 3.12.2002 au Conseil et au Parlement européen intitulée « Intégrer les questions liées aux migrations dans les relations de l’Union européenne avec les pays tiers », le Commission donne une série de causes des migrations.

Les voici en résumé[1].

Les principaux facteurs de la migration sont entre autres: une croissance économique faible, une répartition inégale des revenus, la surpopulation étroitement liée à une forte croissance démographique, des taux élevés de chômage, les conflits armés et les épurations ethniques, les violations des droits de l’homme, les persécutions, les catastrophes naturelles (la dégradation de l’environnement en général) ainsi qu’un faible niveau de gouvernance. L’évolution positive d’un pays en développement peut – dans un premier temps – renforcer les migrations internationales parce qu’ un nombre de personnes acquiert des moyens d’immigrer mais ils ne trouvent pas encore de perspectives satisfaisantes dans leur pays. En général, ce phénomène (intitulé « rebond migratoire ») diminue ultérieurement.

Je pense qu’il est intéressant de continuer à étudier, à mettre plus au jour encore les causes qui poussent des millions d’hommes et de femmes hors de leurs pays afin de voir comment travailler sur ces causes pour permettre à tout être humain de vivre dignement dans son propre pays entouré de sa famille et de ses proches.

A ce niveau les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont un outil fondamental.

2) Agir sur les causes des migrations

Voici quelques éléments de réflexion pour agir sur les causes de migrations

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

En septembre 2000, les dirigeants du monde entier se sont réunis à l’occasion du Sommet du Millénaire des Nations Unies pour s’engager au nom de leurs pays à accroître les efforts en faveur de la paix, des droits de l’homme, de la démocratie, de la gouvernance, de la viabilité de l’environnement et de l’élimination de la pauvreté, ainsi qu’à faire avancer les principes de la dignité humaine, de l’égalité et de la justice sociale. De là, les OMD ont été fixés ainsi qu’un calendrier bien défini.

Travailler à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté humaine), c’est agir directement sur les causes des migrations. Les OMD sont un ensemble qui comprend 8 Objectifs proprement dits, accompagnés de 18 cibles et de 48 indicateurs[2].

Les OMD sont

  • Objectif 1 : réduire l’extrême pauvreté et la faim
  • Objectif 2 : garantir à tous une éducation primaire.
  • Objectif 3 : promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
  • Objectif 4 : Réduire la mortalité des enfants.
  • Objectif 5 : améliorer la santé maternelle
  • Objectif 6 : Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies
  • Objectif 7 : assurer un environnement durable
  • Objectif 8 : Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Quelques pistes d’actions proposées par le PNUD pour agir sur les causes des migrations[3]

Pour traiter ce point, je pars des actions possibles où les pays occidentaux ont un rôle important, peut-être même moteur à jouer dans le sens où ce sont eux qui détiennent la majeur partie des outils, moyens, techniques, budgets nécessaires à ces actions et même le pouvoir politique de les mettre ou pas en oeuvre.

Agir sur les causes des migrations c’est créer les conditions d’une croissance économique en faveur des pauvres[4] (Cfr Objectifs 1 et 8). En effet, il existe de grandes différences de croissance économique entre les pays du Nord et les pays du Sud ou de l’Est. Par exemple dans l’Union Européenne, le PIB par habitant est 14 fois plus élevé que le PIB des pays du Maghreb.

Comment créer ces conditions d’une croissance économique partagée par tous ? Par le biais d’un commerce équitable, de la réduction de la dette des pays pauvres, par l’ajustement des politiques d’agro-exportations qui pour le moment ont pour conséquence de déstructurer les circuits alimentaires régionaux car la production des villages est intégrée à la production mondiale et les communautés s’appauvrissent mangeant ce qu’elles ne produisent pas et produisant ce qu’elles ne mangent pas. La pauvreté jette sur les routes des hommes, des femmes, des enfants qui cherchent tout simplement à survivre. Les aider à produire, exporter, vivre de leur travail, réduira les migrations pour sortir de la misère.

L’OMC a aussi un rôle à jouer car elle peut définir des règles commerciales mondiales qui accroissent les possibilités d’exportation et réduisent les coûts d’importation pour les pays pauvres, il est important de mener une action politique pour l’encourager dans ce sens. Il est important également d’agir pour que les entreprises mondiales participent à une croissance économique en faveur des pauvres. Leurs décisions d’investissement ont un impact énorme sur la croissance économique, les conditions d’emploi et l’environnement et elles peuvent contribuer à l’expansion des opportunités de travail et au renforcement des capacités des pauvres.

Pour agir sur les causes des migrations, il est également important de restructurer les budgets (Cfr les OMD : santé, éducation, …) afin que des dépenses adéquates soient consacrées à la satisfaction des besoins essentiels de tous, et notamment aux services sociaux de base, il faut revoir les priorités et éliminer toute discrimination à l’encontre des plus démunis.

Ne pas pouvoir se soigner, éduquer ses enfants, poussent les parents à chercher ailleurs des conditions de vie meilleure. Agir sur les biens essentiels (santé, éducation, nourriture, …), c’est aider les personnes à vivre dans leur environnement, leur pays, leur région tout en assurant une vie digne et un avenir à leurs enfants.

Les institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale et autres banques et donateurs multilatéraux) (Cfr Objectif 8) peuvent promouvoir des politiques macroéconomiques en faveur des pauvres par les conditions dont sont assortis leurs prêts, elles doivent être invitées expressément à le faire sans tarder.

Garantir la participation (Cfr Objectif 8) : les pauvres sont en droit d’être consultés sur les décisions qui les concernent directement, ce qui nécessite d’élargir l’espace politique de manière à permettre aux pauvres et à leurs représentants notamment les ONG, les médias indépendants et les associations de travailleurs de faire entendre leurs voix au sein du FMI et de la Banque mondiale par exemple. Selon le PNUD, les économistes, les ONG des pays industrialisés et les observateurs des pays en voie de développement reprochent fréquemment à ces institutions de faire reposer leurs avis économiques et les conditions de leurs politiques sur une vision étroite qui reflète les intérêts de leurs membres les plus puissants. Cette remise en cause de la représentation au sein du FMI et de la Banque mondiale prend de l‘ampleur car ces institutions ont tendance à prescrire des mesures portant sur un éventail de domaines de plus en plus large. Ce nouveau rôle du FMI et de la Banque mondiale souligne la nécessité d’accroître la participation des emprunteurs, à savoir les pays en voie de développement. Il est temps de passer à un réel partenariat avec les pays en voie de développement.

Protéger les ressources environnementales et le capital social des communautés pauvres (Cfr Objectif 7).

L’environnement naturel et les réseaux sociaux constituent en effet des ressources sur lesquelles peuvent s’appuyer les pauvres pour assurer leur existence et sortir de la pauvreté1 (exemple : favoriser les initiatives de coopératives locales développant le marché local et permettant aux plus démunis de participer à l’activité économique de leur région). Protéger cela, c’est aider les personnes à garder leur lieu de vie, leurs réseaux sociaux, leurs façons de vivre.

Eliminer la discrimination fondée sur le sexe, l‘appartenance éthique ou la race. Des réformes sociales sont nécessaires pour supprimer toutes les formes de discrimination.

A nos frontières viennent frapper des femmes dont les droits ne sont pas respectés dans leur propre pays, des femmes jeunes que l’on veut marier à des hommes âgés, des femmes à qui la liberté de se mouvoir, de s’exprimer, de prendre leur vie en main est refusée.

Les droits de l’homme sont essentiels au développement humain. Les droit de l’Homme doivent être garantis par la loi. La législation est une des composantes clé des droits de l’homme et les obligations juridiques à cet égard doivent se refléter dans les politiques notamment économiques. Il est important de renforcer le système international des droits de l’homme et d’aider les institutions régionales à promouvoir les droits de l’homme.

Les secteurs des médias, de l’information et des loisirs, qui grâce à leurs moyens considérables sont présents dans le monde entier, peuvent puissamment aider à éradiquer ou à faire reculer la pauvreté. Ils façonnent non seulement l’information et les loisirs mais aussi une culture et des valeurs nouvelles. Nous avons besoin de valeurs qui tolèrent la diversité culturelle et respectent la dignité des pauvres, afin de renforcer la solidarité avec ces derniers et de mobiliser les individus, les communautés, les entreprises et d’autres encore contre la pauvreté et l’injustice.

Les médias ont tendance à rendre attrayants certains pays par des données et des images ne reflétant pas la réalité sociale de ces pays. Ceux-ci sont donc considérés faussement comme des ‘modèles idylliques’ par les habitants de pays moins favorisés et les poussent à faire le grand saut de la migration pour rejoindre ce qu’ils espèrent être le ‘Paradis’.

Prévenir les conflits meurtriers par la mise en place de systèmes d’alerte avancée (exemple : système FEWER , Forum for Early Warning ans Early Response, le Forum sur les dispositifs d’alerte avancée et de réaction rapide est un consortium indépendant regroupant des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ainsi que des universités. Il vise à fournir aux décideurs des informations et des analyses pour détecter d’éventuels conflits, ainsi que des solutions pour des interventions rapides. Le FEWER travaille en collaboration avec les Nations Unies, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et d’autres organisations) et le désarmement au profit du développement (exemple : en Albanie, reddition d’armes en échange d’une aide au développement a eu lieu).

Les guerres, conflits ethniques, insécurités créent des mouvements incessants sur notre planète. Les éviter permet de favoriser une vie digne aux populations et agit sur les causes des migrations.

Dans le contexte actuel où de plus en plus les pays de l’Union Européenne se ferment aux migrants, je veux être clair sur l’utilisation qu’on pourrait faire de cette analyse. L’objectif n’est pas d’ « empêcher » les migrations mais bien de donner à tout homme, la possibilité de vivre dignement dans son pays dans le respect de sa dignité, de sa liberté de penser et d’agir et des droits de l’homme. C’est lui donner d’avoir part aux différentes responsabilités de la cité, c’est aussi lui permettre de se développer, d’avoir part aux découvertes technologiques, économiques, sociales, culturelles, facteurs du développement humain. Je souligne à nouveau que les phénomènes migratoires dépendant en grande partie du non respect des droits de l’homme et de la démocratie dans les pays d’où viennent les populations migrantes. Les droits de l’homme et la démocratie doivent faire l’objet d’un souci permanent dans le plus grand nombre de pays. Une politique globale et cohérente d’asile et de migration est également nécessaire, elle est à voir comme faisant partie d’un tout.

Les migrations étant essentiellement des phénomènes multi-factoriels, il y a lieu d’insister sur la multiplicité des démarches ou actions à entreprendre plutôt que sur la prééminence de certaines par rapport à d’autres.

Ce document n’est pas une prise de position sur les migrations en tant que telles, mais bien sur les facteurs qui peuvent pousser des gens à quitter leur pays.

Le travail sur les causes des migrations ne suppose pas de reproduire en d’autres endroits le style de vie occidental. Bien au contraire, il est une occasion supplémentaire pour approfondir la réflexion sur le caractère nécessairement global du développement durable, avec la remise en cause nécessaire de certains processus décisionnels, ainsi que certains modes de vie et de production.

Comme le souligne le PNUD dans son rapport sur le développement mondial humain 2000 : « les pays pauvres ont besoin d’une politique internationale éclairée et responsable pour avancer dans la réalisation de tous les droits. Cette aide ne se résume pas à de simples transferts de ressources mais passe davantage par l’instauration d’un environnement mondial facilitant le développement des pays les plus pauvres ».

Notes :

  • [1] Communication de la Commission du 3.12.2002 au Conseil et au Parlement européen: Intégrer les questions liées aux migrations dans les relations de l’Union européenne avec les pays tiers [COM(2002) 703 final – Non publié au Journal officiel]. Tiré de la synthèse se trouvant à l’adresse : http://europa.eu.int/scadplus/leg/fr/lvb/l33207.htm.

    [2] Repris du Rapport mondial sur le développement humain 2003 du PNUD.

    [3] Source principale : le Rapport mondial sur le développement 2000, 2001, 2002 du PNUD.

    [4] Repris du rapport mondial sur le développement humain 2000 du PNUD.