Le 27 mars 2010

Les défis climatiques après Copenhague : quelques réflexions…

On ne peut avoir participé à la conférence climatique qui s’est tenue à Copenhague du 7 au 18 décembre 2009[1], sans être amené à réfléchir en profondeur sur notre avenir. Nous voulons présenter ici quelques faits qu’il nous semble utile de relever et y ajouter quelques réflexions sur le travail auquel nous avons à nous atteler[2].
 

(1)       Les participants à la conférence et parmi eux surtout les scientifiques, nous ont rappelé que nous nous trouvons en face d’un défi urgent et menaçant, complexe et à dimensions planétaires. D’ici cinquante ans le visage physique, politique, économique et social de la planète aura profondément changé. Bien que nous ne puissions pas prédire en détail ces changements, il est clair qu’ils auront des conséquences importantes pour nous tous et nos manières de vivre, ainsi que pour la planète et la vie qu’elle porte. D’ailleurs, déjà maintenant les effets du changement climatique et du réchauffement planétaire se font sentir, parfois de façon dramatique comme dans le cas de la Nouvelle Orléans, des îles menacées de disparition dans l’Océan Pacifique ou de l’accroissement du nombre de réfugiés ou migrants écologiques. Il n’est pas étonnant que les signataires de l’accord de Copenhague s’accordent à ne pas dépasser un réchauffement de plus de 2° Celsius. Mais pour respecter cette limite, il faudra mettre en œuvre des moyens sur lesquels il est beaucoup plus difficile de se mettre d’accord. Nous entrons dans une période cruciale de transition au niveau personnel, national et planétaire. Sommes-nous prêts à faire cette transition?

(2)       De sérieux efforts de recherche scientifique sont entrepris par l’IPCC[3] et des organisations telles que le Hadley Centre[4] au Royaume Uni afin de mieux comprendre les changements climatiques, leurs causes, leurs conséquences et les moyens que nous pouvons faire jouer en vue d’une mitigation de ces conséquences et d’une meilleure adaptation à une réalité nouvelle, particulièrement dans le cas des pays les plus pauvres et les plus vulnérables qui ne disposent pas des ressources nécessaires. Ces efforts scientifiques sont en pleine évolution, car les scientifiques se trouvent devant des complexités qu’ils ne parviennent que très difficilement à comprendre et à maîtriser. D’un côté, on poursuit des études précises et détaillées : la fonte des glaciers dans des régions montagneuses, les effets de la destruction des forêts et de la disparition de la biodiversité, l’acidité et les courants océaniques, les dynamiques atmosphériques, l’accumulation du méthane dans l’atmosphère à cause de la fonte du permafrost, l’utilisation de ressources énergétiques alternatives, etc. D’un autre côté, on continue à élaborer des modèles climatiques de plus en plus raffinés, qui tiennent compte d’une vision holistique de la terre comme un tout et qui reflètent les efforts interdisciplinaires des scientifiques. On tient aussi de plus en plus compte des aspects militaires et sociaux et ceux-ci seront plus nettement présents dans le cinquième rapport de l’IPCC, prévu pour 2013. Dans le contexte actuel, les scientifiques doivent aussi apprendre à mieux communiquer au grand public les résultats de leurs recherches et leurs méthodes d’évaluation et d’interprétation. Au beau milieu de tous ces efforts, le message auquel adhère la grande majorité des scientifiques est sans ambiguïté : la crise climatique est sans précédent, elle est en grande partie causée par l’être humain et ses manières de vivre, il faut agir maintenant car il y a urgence.
 

(3)       Le phénomène d’un éco-scepticisme croissant inquiète, mais il faut, à mon avis, essayer de bien le comprendre, car il révèle plusieurs dimensions humaines importantes du défi climatique qu’il faudra relever. Une cause importante de l’éco-scepticisme réside sans aucun doute dans les angoisses devant des défis menaçants qui nous dépassent dans leur complexité, que nous ne parvenons plus à contrôler, et devant lesquels nous nous sentons impuissants. Nous nous rendons aussi compte que, pour faire face, il faudra changer nos styles de vie et nos habitudes rassurantes, tout cela sans bien savoir comment il faudra le faire et où ça nous mènera. Cela nous inquiète profondément. Il faut donc encourager, montrer que même au niveau individuel on peut agir, et trouver les moyens pour déployer des initiatives publiques et communes.

Très souvent aussi, les éco-sceptiques expriment une méfiance profonde à l’égard de la science et des scientifiques : on ne peut se fier à des gens qui commettent tant d’erreurs et qui en premier lieu cherchent à trouver des fonds pour leurs recherches et leurs institutions. Cette méfiance à l’égard des sciences, qui reçoit un appui très fort de la part de certains courants religieux et qui entre en complicité avec des politiques au service de puissants intérêts économiques, me paraît dangereuse mais symptomatique de nos sociétés postmodernes contemporaines. Il faut donc aussi travailler les attitudes et pensées profondes qui déterminent, parfois sans que nous en soyons conscients, nos sociétés et notre comportement social.

Une troisième observation de la part des éco-sceptiques concerne le fait que l’attention pour les défis climatiques se fait aux dépens de la lutte contre la pauvreté et l’injustice, un argument qui met en compétition le droit au développement et les politiques environnementales. J’aurai à revenir sur ce point, mais il doit être clair qu’une utilisation idéologique du débat écologique afin de détourner des ressources prévues dans la lutte contre la pauvreté et l’injustice[5], est en tout cas inacceptable. Mais il faudra surtout très bien comprendre que répondre à la crise écologique fait partie intégrante et détermine même la lutte contre la pauvreté et l’injustice. Les crises devant lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui – crises écologiques, économiques, de violences, de pauvretés, d’injustices, … – se durcissent et se renforcent mutuellement.
 

(4)       La présence à COP15 d’un grand nombre d’ONGs et de larges représentations du public, est réconfortante. Il y a une mobilisation très nette des mouvements de base qui d’ailleurs ont organisé des rencontres alternatives à Copenhague. Il s’agit d’acteurs très actifs qui sont prêts à faire des changements dans leurs vies personnelles et qui agissent aussi au niveau politique. Dans ces milieux surgissent une créativité et une énergie qui peuvent initier d’importants changements. Ici aussi, on trouve un espace de concertation et de discernement au niveau mondial, au service duquel se mobilisent les ressources et possibilités des réseaux en internet. Les nouveaux moyens de communication permettent une information plus rapide et plus diversifiée, tout comme ils offrent une plateforme qui permet des processus de décision démocratique et en concertation.
 

(5)       Les politiciens se trouvent devant de grandes difficultés, car il faut repenser leurs rôles dans un contexte mondial nouveau et en face de défis que la politique n’a jamais connus. Les politiciens sont pour la plupart habitués (et forcés en vue de leur réélection) à penser en perspective du court terme et d’intérêts particuliers ou nationaux. Peuvent-ils se permettre le luxe – un luxe qui serait pourtant nécessaire – d’agir en vue du long terme et au nom de la planète entière ?  Les perspectives de politiciens de pays développés, de pays émergents, de pays en voie de développement et de pays qui souffrent déjà des conséquences du réchauffement planétaire, sont très différentes et il faudra pourtant les accorder dans une perspective planétaire. Dans le contexte actuel on peut, à mon avis, craindre un certain cynisme politique. En effet, on peut s’imaginer des politiciens qui sont conscients des conséquences du changement climatique et qui veulent en profiter pour servir les intérêts particuliers de certaines élites, d’autant plus qu’ils sont convaincus que seulement une population humaine moins importante qu’aujourd’hui peut survivre sur la planète. Dans cette perspective, les arguments sécuritaires et militaires gagneront en importance. Il y a donc urgence à repenser le politique à l’échelle planétaire et à long terme – cela implique aussi un changement de mentalité dans le grand public duquel dépend la marge de manœuvre des politiciens.
 

(6)       Une question importante à poser est la suivante : au milieu des défis qui se présentent aujourd’hui, qui sont les pauvres ?  On a remarqué la présence des jeunes à COP15, qui portaient des T-shirts avec la question : « Quel âge aurez-vous en 2050? » afin de mettre l’accent sur la durabilité et les responsabilités transgénérationnelles. Ces jeunes de différents pays agissaient de concert et en tant que citoyens de la planète : ils formaient un contraste impressionnant avec les politiciens qui souvent ne parvenaient pas à dépasser les intérêts nationaux. À côté des jeunes, il y avait aussi les représentants des peuples indigènes de différentes parties du globe : ils vivent un lien et une symbiose profonde avec leur environnement et la nature. À cause de cela, ils sont très souvent des victimes directes de l’exploitation excessive des ressources naturelles. Tout comme les représentants des îles en voie de disparition dans l’Océan Pacifique, ils souffrent déjà aujourd’hui les conséquences du réchauffement planétaire. Ils démontrent combien les plus pauvres et les plus démunis sont aussi ceux qui souffrent le plus les conséquences des changements climatiques – un fait qui offre une réponse à ces éco-sceptiques qui pensent que l’engagement écologique se fait au dépens des pauvres. Une autre victime qu’il faut considérer, c’est la nature et la planète elle-même. Le déclin de la biodiversité et le recul de la vie en offrent l’illustration la plus puissante. Nous ne sommes pas habitués à voir les défis écologiques du point de vue de la nature, tellement nous sommes concernés par la situation des êtres humains. Il faudra revenir sur la place et le rôle de l’être humain sur la planète terre ainsi que sur cette perspective anthropocentrique qui est aussi une des causes de la crise dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
 

(7)       Il faut, en effet, bien penser la place et le rôle de l’être humain sur la planète terre et en tant que faisant partie de son environnement. La crise que nous vivons a été en large partie causée par l’être humain qui a commencé à exploiter de façon systématique son environnement, en le considérant simplement comme un lieu de ressources facilement exploitables sans limites. L’être humain s’est comme détaché de son environnement et considère celui-ci comme un objet hors de lui, quelque chose de différent sur lequel on peut agir à son bon plaisir. Il faut réapprendre l’importance de l’environnement comme condition d’existence de l’être humain, ainsi que réapprendre qu’on ne peut pas détacher cet être humain de l’ensemble de la planète, de la nature, de l’univers, de la création. L’être humain est certes une créature ou un être très spécial, doté de cette capacité de distance qui lui permet de penser. Mais nous découvrons que ce serait une erreur de considérer cette spécificité comme quelque chose qui détacherait l’être humain de son contexte. Au contraire, il faudrait presque dire que l’être humain est une possibilité que la nature se donne à elle-même afin de développer plus fortement sa capacité à la vie –  il se pourrait que pour permettre à la vie de survivre sur ou à partir d’une planète telle que la terre, il faille cette capacité de recul que la nature se donne dans l’être humain. Donc, quand l’être humain pense, ce n’est pas lui qui pense pour lui-même, mais c’est la planète et la nature entière qui se pensent en lui.
 

(8)       La crise actuelle – et les scientifiques sont d’accord à le dire – est anthropogène : ce sont les manières de vivre des êtres humains et leur exploitation des ressources naturelles de leur environnement qui ont causé et précipité la crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’il y ait eu mauvaise intention. En effet, le développement industriel s’est fait dans le but d’améliorer les conditions de vie et sans qu’on se soit  vraiment rendu compte des limites de la planète. Aujourd’hui, cependant, on en a pris conscience et cela implique un nouveau mode de responsabilité, une nouvelle conscience éthique. Ne pas changer son comportement ou ses attitudes aujourd’hui est moralement inacceptable. Il faut le dire bien clairement. Il y a des modes de vie qui sont en question, des réalités économiques et sociales à prendre en compte. Il faut aussi dire clairement que le mode de développement du monde occidental n’est pas universalisable à la planète entière. Il y a plus : il faut reconnaître que les développements qui coûtent tant à la planète sont l’œuvre d’une partie seulement de sa population humaine. Une grande partie de nos concitoyens planétaires n’ont pas profité ou ne profitent pas du développement qui a eu lieu. Cela veut dire qu’il y a un effort de réconciliation historique à faire, un effort de réparation dans le contexte d’une histoire différenciée et complexe. Si le monde riche ne reconnaît pas sa dette écologique, le monde en voie de développement et les pays émergents ne parviendront pas à renouveler l’idée du développement, un renouvellement dont pourtant nous avons tous besoin.
 

(9)       On a remarqué à Copenhague l’absence des religions, sauf dans le circuit alternatif où des personnalités comme l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams[6], ou Desmond Tutu ont joué un rôle de mobilisation important. Les religions ont pourtant un rôle important à jouer : elles ont une capacité de mobilisation à l’échelle mondiale, elles disposent d’institutions importantes aux niveaux très divers de la recherche, de l’éducation, de l’assistance au développement, de la résolution des conflits, etc. Souvent, elles sont présentes là où les gens souffrent et elles parviennent à influencer les politiques. Leurs spiritualités peuvent encourager les gens même au milieu de la détresse. Il faut voir, même si nous nous sommes habitués au contraire, ce côté positif des religions, particulièrement des religions à échelle mondiale et bien organisées. Dans cette perspective, le grand scientifique français Jacques Blamont tient un plaidoyer pour un nouveau concile œcuménique sur l’écologie. Nous espérons en tout cas que le message pontifical 2010 pour la paix, dans lequel Benoît XVI accentue le lien intime entre la construction de la paix et la protection de la création[7], inaugure une présence plus vigoureuse de l’Église Catholique dans le débat. 

Les frustrations de Copenhague révèlent clairement les difficultés que nous éprouvons à nous adapter à un monde nouveau, à tenir compte des exigences des plus démunis, à revoir nos idées préconçues du développement et de la croissance, à penser le long terme transgénérationnel et durable, et à agir ensemble à un niveau planétaire. Ce sont des défis non seulement pour nous, les êtres humains, mais pour la planète entière sur laquelle nous vivons et de laquelle nous dépendons pour notre survie. COP15 nous réveille et nous éveille à changer nos manières de vivre et à participer aux mouvements publics qui animent ces changements et cette transition vers un monde différent et plus durable.

Notes :