Les femmes d’Afrique subsaharienne en Belgique : Participation d’une diaspora
Selon les Nations Unies, « les femmes migrantes représentent près de la moitié des 195 millions de migrants internationaux de par le monde[1] ». On remarque en effet une féminisation de la migration. En ce qui concerne la migration africaine, en 2005, près de 47 % des 17 millions de migrants africains étaient constitués de femmes contre 43 % en 1960. Cette faible augmentation concerne des migrantes venant principalement d’Afrique Centrale, de l’Est et de l’Ouest. Même si les données fiables sont rares, on admet qu’en Afrique du Nord, la mobilité des femmes est plus limitée que celle des hommes à cause des normes socioculturelles[2].
En Belgique, en 2006, la population étrangère[3] s’élevait à 900.473 habitants dont près de la moitié de femmes. Entre 2005 et 2006, il y a eu une augmentation de la population étrangère de 3, 4 %, l’augmentation étant de 3 % d’hommes (de 445.710 en 2005 à 459.070 en 2006) et de 3,8 % de femmes (de 425.152 en 2005 à 441.403 en 2006)[4]. Dans la région bruxelloise, la plus forte concentration d’immigrés d’Afrique subsaharienne se trouve à Ixelles.
Dans cette analyse, nous exposerons la situation et le rôle des femmes d’Afrique subsaharienne en Belgique[5]. Nous tenterons d’examiner les raisons de leur départ d’Afrique avec leur projet. Ensuite, nous examinerons le rôle des femmes d’Afrique subsaharienne en Belgique, leur vision des Belges ainsi que le regard des Belges sur elles. Nous mettrons l’accent sur l’aspect organisationnel de quelques associations de femmes africaines. Enfin, nous traiterons de l’engagement de ces femmes par rapport à l’Afrique.
Pour mener cette analyse, je me suis appuyée sur un certain nombre d’études et sur des rencontres avec quelques Africaines[6] auxquelles, j’ai posé les mêmes questions. Cette recherche a été complétée par des observations personnelles.
Pourquoi les femmes africaines quittent-elles leur pays pour la Belgique ?
Comme les autres migrants, les femmes émigrent pour différentes raisons qui sont notamment liées au bien-être socio-économique.
Beaucoup de femmes arrivent en Belgique dans le cadre du regroupement familial en suivant les maris généralement étudiants africains ou époux belges.
Des femmes subissent des réalités atroces dans leur pays d’origine : la guerre, des maltraitances inhumaines en raison de leur sexe (viols, mutilation), mariage forcé, pression sociale etc. N’ayant plus le choix, elles sont obligées de fuir en espérant un meilleur avenir dans l’Eldorado de l’Occident.
Par ailleurs, la pauvreté, les sombres perspectives constituent également des éléments déclencheurs qui font que ces femmes émigrent. Elles partent à la recherche d’un travail permettant de leur assurer un meilleur revenu pour soutenir leur foyer et subvenir aux besoins de leur entourage. Elles voudraient pouvoir vivre aisément et réaliser des projets.
Enfin, des femmes quittent le continent africain pour poursuivre leurs études en Belgique. En effet, l’impossibilité d’effectuer certaines études et formations amène ces femmes à partir.
Mais qui sont ces femmes africaines qui viennent en Belgique ?
Tentons de dresser une typologie de ces femmes. Les premières femmes subsahariennes à être présentes en Belgique furent des religieuses venues pour leur formation. A l’initiative du Cardinal Joseph-Albert Malula[7], des filles congolaises, les premières postulantes ou aspirantes religieuses, ont été envoyées dans des internats, d’abord en Belgique puis dans d’autres pays en Europe.
D’autres femmes, qui n’étaient pas religieuses, arrivèrent dans le cadre du regroupement familial à partir des années 60. En effet, après les indépendances des colonies, certains hommes africains avaient obtenu des bourses pour venir compléter leurs études secondaires en Belgique. Ces hommes venaient en Belgique avec leurs épouses. Dans les années 60-70, ces femmes bénéficiaient d’un suivi durant leur séjour en Belgique. Mais depuis la loi du 15 décembre 1980, sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, la migration des Subsahariens, surtout des femmes, a pris un autre visage[8]. Les visas seront délivrés aux étudiants ayant été admis aux études universitaires et supérieures[9]. A partir du début des années 80, on constate un flux de femmes migrantes seules comme étudiantes, réfugiées ou demandeuses d’asile[10]. Remarquons que d’autres femmes arrivent en Belgique avec des statuts de diplomates, de fonctionnaires (dans les institutions africaines), d’employées (dans des entreprises privées), etc.
On constate également l’arrivée de quelques femmes artistes dans différentes disciplines, peinture, sculpture, musique, danse, couture et stylisme, etc. Parmi elles, certaines viennent en tant qu’étudiantes ou dans le cadre du regroupement familial.
Célibataires, mariées, avec ou sans enfants, l’ensemble de ces migrantes sont jeunes (souvent en dessous de 40 ans) lorsqu’elles arrivent en Belgique. Ces femmes sont habituellement originaires des pays suivants : République Démocratique du Congo, Angola[11], Cameroun, Rwanda, Burundi, Guinée, Côte d’Ivoire, Ghana, Tchad, Togo, Burkina Faso, Sénégal, etc. Les chiffres de l’Institut National de Statistiques en 2004 montrent qu’il y avait 34.879 ressortissants d’origine d’Afrique subsaharienne. En raison de liens coloniaux, on retrouve la présence d’un nombre important de Congolais (13.823) dont 6842 femmes et 6981 hommes. Loin derrière viennent le Ghana (2.509), le Cameroun (2.432), le Rwanda (1.123) et le Burundi (874)[12]. A l’exception du Ghana, tous ces pays sont francophones.
Projet des femmes africaines en arrivant en Belgique
Quels sont les projets de ces femmes en arrivant en Belgique ? Ils sont multiples. Dans le cadre du regroupement familial, elles s’occupent du ménage et des enfants. Du point de vue économique, les femmes constituent un pilier en Belgique et dans leur pays d’origine. Certaines travaillent chez les particuliers comme ménagères pour faire vivre la famille ici et envoyer un peu d’argent à la famille dans leur pays d’origine.
Celles qui sont venues pour des raisons purement économiques liées à la pauvreté exercent toutes sortes de métiers pour gagner de l’argent et préparer leur retour au pays d’origine. Elles ne cherchent pas forcément à s’intégrer.
Par contre, nous remarquons que certaines étudiantes comptaient achever leurs études et rentrer aux pays pour travailler. Néanmoins la situation politique et économique dans certains pays a empêché la plupart de ces étudiantes de retourner dans leur pays d’origine. En effet, la guerre, le risque de perdre la vie, l’impossibilité de trouver un emploi qui soit à la hauteur de leur qualification acquise, etc. ont fait que certaines femmes sont restées en Belgique et ont décidé d’y construire leur avenir. Ceci nous amène à nous interroger sur le rôle que ces femmes peuvent jouer dans la société belge.
Rôle des femmes africaines en Belgique
Le rôle que jouent les femmes africaines en Belgique dépend de différents facteurs. Ces facteurs concernent le niveau d’études, le statut en Belgique, la génération d’immigrés, le motif de départ et la catégorie socio-économique de ces femmes. Parmi celles qui restent sur le territoire belge, certaines cherchent à s’intégrer au niveau social, professionnel et à devenir des citoyennes belges. Pour ce faire, elles vont faire, par exemple, des études, lutter pour la reconnaissance de leurs diplômes, approfondir leur français et apprendre le néerlandais, prendre la nationalité belge, essayer d’accéder à des postes qui correspondent à leur niveau d’études…
Ce souci d’intégration et d’engagement a permis à des femmes de trouver leur place dans notre société. Souvent, elles exercent les métiers suivants: femme de ménage, garde d’enfants, coiffeuse, serveuse ou aide cuisinière. Elles occupent parfois des postes à responsabilité comme dirigeantes d’entreprises, chercheuses scientifiques, responsables dans le milieu associatif, culturel et des organisations non gouvernementales. Elles sont également employées, fonctionnaires dans le service public, engagées en politique. D’autres exercent des professions libérales comme avocates, médecins, expertes comptables, etc. En outre, quelques femmes travaillent dans les médias même si elles sont très minoritaires.
La plupart de ces femmes ont souvent une bonne connaissance du fonctionnement des institutions belges et montrent une certaine ouverture à la culture belge… Cependant, nous constatons que bon nombre de ces femmes font un travail considérable, qui n’est pas toujours reconnu.
La présence de ces femmes, qu’elles soient connues ou peu connues, est profitable à la Belgique. En effet, elles y remplissent des rôles multiples, d’où l’image des « femmes caméléons[13] ». Elles jouent un rôle d’actrices intermédiaires entre la population, les institutions belges et les populations africaines. Par leurs différentes activités, les femmes africaines influencent positivement la société belge en apportant leur savoir-faire, leur expérience et leurs richesses culturelles. Par exemple, dans le travail d’accompagnement et d’aide aux personnes souffrantes (jeunes, personnes âgées), on stipule qu’elles sont bien appréciées parce qu’elles sont respectueuses, chaleureuses et douces avec les gens. Mais on peut se demander si ce jugement ne repose pas sur des clichés. En effet, ce travail est dur et les conditions salariales ne sont pas avantageuses. Comme autre illustration, on retrouve des projets d’encadrement de jeunes délinquants africains qui sont mis sur pied grâce à l’intervention d’une association de femmes africaines qui peut faire le relais entre la police et les gens.
En résumé, ces femmes forment des modèles pour d’autres femmes et immigrés en Belgique. Comme disait Bibiane Mokeni Sanato[14], « ma participation citoyenne est mon implication dans la société à tous les niveaux, dans mon quartier et dans le milieu associatif. J’ai un rôle à jouer : être modèle de référence pour les femmes qui arrivent et pour les enfants ».
A côté de ces femmes actives, il y a sans doute celles qui profitent du système belge. Celles qui renforcent les clichés sur les Africaines, Africains et autres étrangers. Par exemple, elles sont aux CPAS[15] et ne vont pas chercher à trouver du travail. Il arrive que cette catégorie de femmes travaille au noir pour pouvoir vivre aisément. Nous ne parlons pas de celles qui ont réellement besoin d’aide et qui vivent dans des conditions insupportables. Ces dernières ne peuvent plus travailler pour des causes diverses, par manque de formation ou pour cause de maladie physique ou mentale.
Les femmes remplissent également un rôle positif en créant leur propre association. Elles génèrent du travail pour elles-mêmes et pour d’autres femmes et jouent un rôle social constructif.
Les associations de femmes d’Afrique subsaharienne
Voyons de près quelques caractéristiques des associations de femmes d’Afrique subsaharienne qui contribuent socialement et économiquement à la société belge.
Les associations constituent un « espace » de dialogue et d’échanges. Il y a différents types d’associations : les associations informelles, les associations de fait et les associations sans but lucratif. Ces associations défendent les intérêts des femmes, des jeunes, des migrants, ou font des récoltes de fonds afin de pouvoir atteindre plusieurs objectifs. Certaines femmes se regroupent de manière informelle. Il s’agit souvent de regroupements par pays d’origine, fonctionnant selon un système de caisses de solidarité appelées « tontines ». Ce système très courant en Afrique permet aux femmes de cotiser régulièrement une somme fixe. Ponctuellement, elles se réunissent pour déterminer qui percevra la somme totale en fonction des besoins urgents, selon les tours ou par tirage au sort[16]. L’argent peut être utilisé pour les grands événements : mariage, décès, achat d’urgence, actions ponctuelles…
Cependant, certaines associations présentent des faiblesses qui résultent notamment de problèmes liés aux ressources humaines, à la formation, aux conflits d’intérêts et aux idées non novatrices. Les faiblesses de ces associations se ressentent rapidement et s’expliquent par leur méconnaissance de l’administration et du contexte politique belge. Le manque de moyens financiers dresse également des barrières dans leurs initiatives.
Les manques de temps et d’idées novatrices posent des problèmes. Au début, les femmes lancent une bonne idée mais, débordées par leurs activités, elles ne prennent plus le temps de réfléchir et de développer de nouvelles idées. Ce manque de temps peut s’expliquer par le fait que la majorité des femmes travaillent dans les associations à titre bénévole ou en activité secondaire. En plus de leurs responsabilités familiales, elles ont en général un boulot alimentaire, ce qui fait qu’elles ont peu de temps à consacrer à un engagement dans une association. Il peut en résulter une image d’amateurisme.
De façon générale, les associations de femmes africaines se heurtent toutes au même problème : celui de la durabilité dans le temps. La question de la durée est particulièrement importante pour les associations qui ont des projets pertinents comme celui de construire et de renforcer l’unité entre les femmes en Belgique (telle l’Union des Femmes Africaines).
Des femmes sollicitent la collaboration de politiciens pour certaines activités qu’elles mènent en espérant obtenir des appuis financiers et/ou administratifs. Certaines disent parfois qu’elles se sont senties instrumentalisées car leurs idées ou projets ont été réalisés sans leur accord et implication.
De temps en temps, il existe une certaine tension entre associations de femmes qui entrent en conflits d’intérêts. Nous avons affaire à la concurrence entre associations où chacune cherche à gagner son pain en réalisant ses activités. Mais cette compétition n’est-elle pas positive pour développer de nouvelles idées ? Néanmoins, certaines associations ont peur que d’autres reprennent leurs idées et fassent des demandes de subsides, ce qui porterait préjudice à leurs moyens de subsistance quotidienne.
Il semble que le phénomène de conflits est présent, en particulier, dans la première génération des femmes qui, en général, ont fait peu d’études. Des femmes peuvent créer une association pour se créer un emploi. Mais très vite, elles se rendent comptent des difficultés en matière de gestion et de maîtrise des projets. Elles peuvent avoir des faiblesses au niveau administratif et manquer de compétences. Par exemple, si elles ne connaissent pas les modalités d’obtention des subsides. Ainsi, elles n’arrivent pas à travailler avec les autres femmes qu’elles peuvent considérer comme des rivales.
Cependant, il semble que la nouvelle génération, celle des jeunes qui sont nées et ont grandi en Belgique, a mieux intégré le mécanisme belge et travaille de manière plus professionnelle et régulière. En effet, elles ont souvent les formations adéquates. Les différences se voient notamment dans la tenue de boutiques où les femmes font appel à des techniques de marketing. Certaines même encadrent d’autres associations en difficultés issues de la première génération.
Nous remarquons également, que certaines femmes travaillent pour leur profit financier personnel et pas vraiment pour le bien des associations. Il faut porter un jugement sévère sur certaines associations créées, par exemple, dans le cadre de la coopération au développement mais qui gardent l’argent pour leur propre compte
Madame H. Madinda pense qu’« en dépit des apparences certaines associations fonctionnent bien mais les personnes qui les dirigent n’ont pas toujours les outils, les formations adéquates… ». Certaines associations fonctionnent bien, par exemple, celles qui ont pour projet le suivi médical spécifique des communautés, l’aide aux primo-arrivants, l’accompagnement des personnes âgées et la défense des droits et intérêts des femmes.
Quelles sont les difficultés que peuvent rencontrer les femmes d’Afrique subsaharienne en Belgique ?
Les obstacles que rencontrent les femmes africaines
Comme d’autres femmes migrantes, les femmes d’Afrique subsaharienne rencontrent des difficultés à plusieurs niveaux.
Une difficulté importante concerne la reconnaissance du rôle social de la femme et de son action citoyenne[17]. Malgré l’effort que certaines femmes fournissent, elles ne reçoivent pas toujours de la société belge la reconnaissance qu’elles méritent. D’autres difficultés surgissent au niveau des études. Il faut beaucoup de temps pour obtenir l’équivalence des diplômes et parfois, il n’est pas possible de l’obtenir. Il convient également de prendre en compte l’éventuelle discrimination liée à la couleur de la peau ainsi que les responsabilités multiples que les femmes assument (faire des études en étant mères et épouses, voire en exerçant aussi un travail…).
Une fois les études terminées, elles doivent faire face aux réalités du marché du travail. Elles sont rares à trouver un travail en rapport avec leur qualification. La plupart se rabattent sur des fonctions de sous-qualification ne correspondant ni à leur formation ni à leurs compétences. Ainsi, en raison de cette non- reconnaissance de leurs diplômes, de leur savoir-faire et de leur expérience, certaines vont carrément exercer un travail qui n’a rien à voir avec leurs capacités. C’est souvent le cas de la plupart des femmes à Matonge. Par exemple, une Guinéenne infirmière se retrouve à exercer le métier de coiffeuse.
En plus d’une formation insuffisante chez certaines femmes, l’usage des langues française et néerlandaise représente un souci pour quelques femmes. Le fait de ne pas maîtriser une des langues nationales réduit les possibilités d’intégration sociale et économique en Belgique. Certaines femmes arrivent analphabètes ici par le fait que la scolarité des filles en Afrique reste encore défaillante.
Parmi celles qui se sont engagées dans le milieu politique, certaines se sentent un peu menacées par rapport à leurs concurrents (c’est un phénomène que l’on constate dans le milieu politique). Ces femmes sont stigmatisées deux fois, d’abord en tant que femmes, ensuite en tant que Belges d’origine africaine. Elles doivent fournir plus d’efforts pour prouver leurs compétences et faire preuve de courage pour faire face à certaines rumeurs émanant de leur communauté d’origine, même si certains de leurs compatriotes les encouragent à persévérer.
Même si les discriminations existent pour les diverses couches d’étrangers, être femme immigrée et de peau noire peut constituer un handicap supplémentaire. Les stéréotypes et les préjugés renforcent une image négative des femmes africaines. Elles sont constamment jugées incompétentes, pas sérieuses dans la profession, seulement bonnes à faire du nettoyage ou à devenir gardiennes d’enfants. Certains patrons craignent de nuire à l’image de leur entreprise lorsqu’ils engagent une femme noire. D’après nos entretiens, le problème du logement a été pointé. Selon une enquête rapportée par Alain Gérard, « 58 % des propriétaires refusent de louer à des personnes d’origine étrangère[18] ». Ces dernières sont surtout originaires d’Afrique subsaharienne.
Les femmes migrantes dites « sans-papiers »
A côté des femmes immigrées venues en Belgique pour le regroupement familial ou pour des raisons économiques, il existe les femmes dites « sans-papiers » qui n’ont aucun statut juridique même si elles vivent et travaillent depuis longtemps en Belgique. Comme le dit, dans un rapport, le Lobby Européen des Femmes[19], cette situation crée une « dépendance de l’Etat, pour les femmes demandeuses d’asile qui n’ont pas l’autorisation de travailler avant d’obtenir le statut de réfugié ». Ces femmes sans-papiers rencontrent divers obstacles. L’absence de reconnaissance officielle, niant leur existence dans le pays d’accueil, fait qu’elles vivent dans l’insécurité et la précarité. Elles souffrent parfois de solitude et de traumatisme. Elles ont le souci de se débrouiller, par exemple en s’occupant de leurs enfants, en trouvant un logement, en se nourrissant quotidiennement selon leurs moyens. Selon Sabine Madilu Kakunga, « certaines de ces femmes acceptent de se mettre en ménage avec des hommes (souvent des compatriotes) qui ont des papiers. Elles vont faire des enfants et espérer avoir les papiers par le statut de l’homme et des enfants. Mais ces arrangements tournent souvent à l’exploitation de la femme par l’homme et sa famille. Elle doit se soumettre, se plier en quatre, car elle cherche des papiers ».
En Belgique comme au niveau européen, les migrantes sans-papiers rencontrent des problèmes au niveau de l’accès aux soins de santé décents, aux conditions de travail équitables et au logement. Néanmoins, ne négligeons pas le fait que certains Etats membres comme la Belgique assurent des services de soins de santé gratuits aux migrant-e-s sans papiers[20].
Les femmes face à la vieillesse
Malgré la diversité de situations des femmes âgées africaines, leur vieillesse se passe comme pour toutes les personnes âgées mais elles sont davantage dépaysées. La majorité des femmes âgées d’Afrique subsaharienne ont peur du vieillissement, comme les autres immigrés, parce qu’elles se retrouvent dans des homes où elles ne peuvent plus garder les habitudes ‘africaines’[21]. Cette peur est entre autres liée aux différences culturelles. Elles ont peur de l’isolement, de la solitude, de la maltraitance (soins et hygiène), du changement culinaire (ne pas avoir des plats africains) et de la discrimination.
Il est aussi question de différences de mentalité entre la première et la deuxième génération des migrants. La deuxième génération a tendance à vouloir placer leurs parents dans des homes alors que la première génération se sent traumatisée car elle a été socialisée autrement. Les femmes immigrées de la première génération ne peuvent pas vieillir comme elles le feraient au pays, entourées des enfants et petits-enfants qui s’occuperaient d’elles. Elles ne bénéficient plus du respect accordé aux aînées ni de leur rôle de « conseillères » ou de « Mamans » qui jouent un rôle social. Elles souffrent du fait de ne plus pouvoir remplir ce rôle social, en s’occupant, par exemple, des petits enfants. On remarque que même avec peu de moyens, certaines continuent à envoyer de l’argent à la famille dans leur pays d’origine. Le problème est de faire le deuil de ce qu’elles ont toujours connu et d’accepter leurs nouvelles situations.
Regards africains et belges
Les femmes africaines ont un regard tantôt positif tantôt négatif sur la Belgique et les Belges. Positivement, elles ont la liberté de s’exprimer (parler, exercer différentes activités) et elles apprécient, par exemple, le fait d’être écoutées même lorsqu’on ne trouve pas de solutions à leurs problèmes.
D’autres femmes éprouvent de la nostalgie par rapport à leur pays d’origine et une « perte » des côtés positifs de leur culture, par exemple, le contact social, les vêtements, etc. Certaines semblent perdues et ne connaissent pas leurs droits.
Mais qu’en est-il du regard des Belges sur ces femmes ? Pour mieux comprendre ces regards qui conduisent parfois à des situations d’injustice et d’inégalité, il est nécessaire de revenir au passé colonial. Cela permet de faire des liens entre les représentations passées et présentes qui sont basées sur l’imaginaire, les stéréotypes et des rumeurs. La propagande coloniale a façonné les mentalités collectives. Dans l’imaginaire collectif, le nègre est vu comme un être primitif proche de la nature qui est seulement capable de réaliser des travaux manuels et physiques. Comme l’indique N. Bolland, « en règle générale le Belge dit ne rien avoir contre le noir mais lui dénie malgré tout toute forme de compétence ». Elle constate également que « les noirs ne sont pas pris au sérieux, peu importe leurs diplômes, leur intelligence est constamment remise en question ». Il arrive parfois à un Belgo-Belge d’avoir du mal à accepter un noir qui exerce une fonction supérieure, surtout si elle est une femme.
Dans le mode de vie belge, on retrouve les préjugés à l’égard des Africains portant sur leur « incapacité à entretenir un logement car ils sont irrespectueux et bordéliques, insensibilité à la saleté et aux mauvaises odeurs, qu’il s’agisse de leur propres odeurs corporelles ou de celles qui émanent de leur cuisine ». Cette vision a un lien avec les descriptions de l’époque coloniale qui montrent que le nègre n’a pas d’hygiène de vie dans des logements misérables et crasseux[22].
Nous pouvons conclure en exprimant que les regards ne sont pas figés et sont multiples, tout dépend de l’histoire, de l’expérience de chaque femme d’origine africaine avec les Belges et de chaque Belge avec ces femmes.
Projet de retour
Au regard de leur engagement par rapport à l’Afrique, plusieurs femmes continuent à aider les membres de la famille qui sont restés dans leur pays d’origine. En effet, elles envoient dans leur pays d’origine de l’argent, des médicaments et des vêtements, etc. En témoignent les chiffres des envois de fonds[23] des diasporas vers l’Afrique. Comme le mentionne l’étude de l’Institut supérieur du Travail de l’université catholique de Leuven, « les envois de fonds officiellement enregistrés sont devenus la deuxième source de financement externe pour les pays en voie de développement – avant l’Aide publique au Développement (APD), mais après les Investissements directs à l’étranger[24] ».
Par ailleurs, il y a d’autres contributions sociales importantes (idées, compétences, attitudes, connaissances, etc.). Par exemple, lors des dernières élections en République Démocratique du Congo, les Congolaises expatriées en Belgique ont soutenu les actions menées par leurs compatriotes pour avoir plus de représentation des femmes à l’Assemblée nationale[25].
Il semble difficile pour la plupart des femmes de concevoir des projets de retour définitif notamment à cause du décalage de mode de vie. En effet, le mode de vie en Belgique a une influence importante : quand elles rentrent dans leur pays d’origine, les gens trouvent qu’elles ont changé (elles aussi). De plus, le rôle de la femme dans leur société d’origine n’est pas le même qu’en Europe.
Nous constatons que les femmes qui avaient au départ comme objectif le souci économique, retournent chez elles ou changent facilement de pays. Mais les femmes formées et intégrées en Belgique y restent. Cependant, elles manifestent la volonté de retourner, de transférer leur savoir-faire et d’apporter des améliorations à différents niveaux dans leur pays d’origine. Il y a, par exemple, des femmes qui retournent régulièrement pour initier des projets de développement parce qu’elles ont acquis de l’expérience et la maîtrise de gestion des projets, de plus, elles ont acquis également une autre vision de la « démocratie » et sont moins confrontées aux difficultés sociales du pays d’origine.
Celles qui retournent de manière définitive, fortes de leur expérience, trouvent plus facilement du travail et peuvent monter leurs projets. Néanmoins, parmi celles-ci, certaines ne peuvent plus vivre dans leur pays d’origine à cause de la pression sociale (soutien à la famille et aux proches…). Toutefois, les situations sont variables selon les personnes, les pays et le contexte socio-économique et politique.
On peut dire que ces femmes de la diaspora jouent un rôle éducatif et de relais entre la Belgique et leur pays d’origine. Dans la stratégie de l’Union européenne pour l’Afrique, le rôle de la diaspora dans la coopération internationale a été mis en exergue. En effet, un nouveau débat porte sur migrations et développement[26] ; nous pensons que les femmes d’origine africaine en Belgique ont aussi leurs expériences à partager et leur mot à dire sur cette nouvelle politique. D’après Sabine Madilu Kakunga, « le retour des femmes est plus difficilement envisageable que celui des hommes. Sur le plan social et familial, il faut reconnaître que le droit coutumier valorise beaucoup les femmes mais leur demande aussi beaucoup des sacrifices pour le bien-être familial. En Belgique, les femmes découvrent le droit individuel, certaines ont peur du retour, de la pression et du regard familial sur leur vie privée. Certaines femmes ne partagent pas leur mari ici en Belgique avec d’autres femmes, en Afrique, il y a la polygamie et le système du deuxième bureau[27] ».
Conclusion
Dans cette analyse, nous nous sommes concentrés particulièrement sur les femmes d’Afrique subsaharienne. Consciente de notre position spécifique, nous pensons que cet exemple peut recouper la situation d’autres femmes et hommes issus de l’immigration en Belgique.
Au terme de cette analyse, nous formulons quelques propositions. Tout d’abord, il faudrait permettre une meilleure collaboration entre associations belges et africaines et entre associations africaines. Par exemple, l’Union des Femmes Africaines, la seule association qui, en Belgique, regroupe des femmes africaines de tous les horizons d’Afrique, pourrait avoir de meilleures structures si elle disposait de plus de personnel permanent, de moyens financiers et de suivi régulier. Pour ce faire, il est nécessaire d’avoir plus de soutien de l’Etat pour les différentes initiatives : création d’entreprises, associations, assurer une assistance technique, administrative et financière si nécessaire pour renforcer les capacités. Il existe sans doute des structures, mais nous pensons que l’Etat belge pourrait aider ces associations à avoir plus facilement accès à l’information sur les dispositifs en place.
Par ailleurs, il est important de veiller à l’apprentissage des langues nationales et à la bonne connaissance de la société belge et de son fonctionnement. Les formations devront être continues et les femmes ne doivent pas seulement s’arrêter à l’obtention d’un diplôme.
Par rapport à la vieillesse, il n’y a pas encore assez d’initiatives pour accompagner les personnes âgées dans leurs vieux jours. Une réflexion et des solutions peuvent être mises en place. A titre d’exemples, mettre sur pieds des échanges entre jeunes Belges et Africains et ces personnes âgées, organiser plus de rencontres entre les personnes âgées belges et d’origine africaine ou créer des cadres de vie pour que ces personnes se sentent comme en Afrique tout en étant intégrées en Belgique. Il est aussi important de mieux préparer ces femmes à la vieillesse par des formations et en les sensibilisant à leur avenir (informations sur leurs droits, les soins …).
A l’égard des personnes qui sont dans les pays plus pauvres et qui veulent immigrer, il serait important de renforcer le système d’information et de sensibiliser les gens sur les réalités de la migration pour briser l’image de l’Eldorado du Nord véhiculée notamment par les médias[28].
En outre, vu l’importance du rôle de la diaspora dans la coopération au développement, il est souhaitable que l’on donne un rôle également aux femmes. A cet égard, il est utile d’entendre les propos de M. Durant « les femmes africaines représentent le plus grand espoir d’un continent qui croule sous les mauvaises nouvelles : guerres, sida, corruption, famines. Partout elles s’engagent pour améliorer le sort des leurs[29] ». Nous considérons que l’apport des migrantes en Belgique devrait être plus valorisé par les Belges et les migrantes elles-mêmes.
Enfin, rappelons le titre d’une intervention lors de la journée mondiale de la femme « Le défi des femmes : une force positive pour le changement[30] ». Les femmes originaires d’Afrique subsaharienne jouent un rôle important en Belgique. Malgré le peu de place qu’elles occupent, leurs contributions à notre société sont réelles et diverses tant dans les domaines social, culturel, politique et économique qu’au niveau des valeurs humaines (respect, solidarité, etc). Ceci constitue une richesse pour une Belgique qui devient de plus en plus multiculturelle.
Notes :
-
[1] Organisation internationale pour les migrations, Les femmes migrantes ont un rôle clé à jouer dans le débat sur le développement, communiqué de presse, New York, 14-09-2006, www.iom.int
[2] Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) Etat de la Population mondiale, vers l’espoir : les femmes et la migration internationale, New York, 2006, p.23.
[3] En plus des données avancées ici, il faut également tenir compte de la présence des sans-papiers sur le territoire belge. Les ONG estiment qu’il existe entre 100 et 150.000 sans-papiers en Belgique. Voir L’Info de Confédération des Syndicats Chrétiens, 22 juin 2007, p.7. écrit par A.M.P. En outre, un certain nombre de personnes d’origine étrangère sont devenues Belges et ne figurent pas dans les statistiques. Parmi elles, un certain nombre sont originaires d’Afrique subsaharienne.
[4] Institut national de statistique (INS), Population étrangère par sexe et par région (2000-2006), http://www.statbel.fgov.be/figures/d21_fr.asp#5
[5] Par Afrique subsaharienne, on entend la zone de l’Afrique située au Sud du Sahara : Afrique de l’Est, de l’Ouest et Centrale. Nous ne parlons pas ici des femmes d’Afrique du Nord.
[6] Je remercie tout particulièrement Eugénie Kalimunda (Présidente de l’Union des Femmes Africaines de Belgique), Hélène Matinda (secrétaire générale au Conseil des communautés africaines en Europe et en Belgique), Hélène Rijckmans (le Monde Selon les Femmes), Louise Ngandu (Politologue, ex-présidente de l’Union de Femmes Africaines de Belgique), Sabine Madilu Kakunga (membre de la « Commission femmes et développement » au sein de la DGCD), Suzanne Monkasa (Présidente de Conseil des communautés africaines en Europe et en Belgique), Yvette Makilutila Masamuna (Membre du Conseil des Femmes Francophones de Belgique et présidente de la Zaïroise et ses sœurs asbl).
[7] de SAINT-MOULIN Léon, Ouvres complètes du Cardinal Malula, Textes concernant la vie religieuse. volume 5, Facultés catholiques de Kinshasa, 1997, p.15.
[8] Outre l’augmentation des réfugiés ou demandeurs d’asile, on constate une augmentation des migrants à caractère économique. Selon Laura Oso Casas, « c’est durant les années 80, que commence l’étude de la migration féminine proprement dite. Cela coïncide avec l’augmentation des courants migratoires de femmes à caractère économique. Ces femmes se déplacent seules, sont prisonnières de la migration familiale ou soutiennent économiquement la famille au pays ». In Femmes migrantes : de l’invisibilité à la reconnaissance ?, Universidade da Coruna, Espagne, 2007, p.5.
[9] KAGNE Bonaventure & MARTINIELLO Marco, La présence africaine en Belgique, L’immigration subsaharienne en Belgique, Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), Bruxelles, 2001 pp.6-7.
[10] NGANDU Louise, « Colloque sur les discriminations à l’emploi, quelles réalités pour les femmes subsahariennes », L’insertion socioprofessionnelle des femmes d’Afrique subsaharienne, organisé par le Conseil des Femmes Francophones de Belgique (CFFB), Bruxelles, 21 janvier 2006, p.2
[11] La plupart des Angolais et Angolaises sont entrées en Belgique avec un passeport congolais.
[12] Ibidem.
[13] Brochure du Monde selon les femmes, Je suis une femme caméléon, réédition 2007, Bruxelles.
[14] Citée dans Reyna Sanchez Cristina, La reconnaissance des femmes migrantes en Belgique : au-delà d’une citoyenneté sur papier, Le Monde selon les femmes, Bruxelles, 2002, p.113.
[15] Centres Publics d’Action Sociale.
[16] FELDMAN Nehara, Femmes dans la migration – L’ethninicisation des rapports de genre, Centre d’informations et d’études sur les migrations internationales (CIEMI), revue trimestrielle, Vol.17, n°99-100, mai-août 2005, Paris, p.116.
[17] REYNA SANCHEZ, Cristina, La reconnaissance des femmes migrantes en Belgique : au-delà d’une citoyenneté sur papier, Le Monde selon les femmes, Bruxelles, 2002, p.109-110.
[18] Article paru dans Le Soir du 29 Août 2002, résultat de l’enquête menée par le groupe Action pour le logement accessible aux réfugiés à Molenbeek, le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat et le Centre pour l’égalité des chances.
[19] Lobby Européen des Femmes, Mêmes droits, mêmes voix : les femmes migrantes dans l’Union européenne, 19-20 janvier 2007, Bruxelles, p. 21-22.
[20] Idem, p. 27, 54.
[21] Nous observons que la première génération des femmes a gardé très fortement les traditions et habitudes qu’elles avaient en Afrique.
[22] BOLLAND Nathalie, La situation des « Noirs » de Belgique au regard du passé colonial belge, article www.mrax.be, Bruxelles, 2006, p.5-10.
[23] Envois de fonds fait référence aux transferts de liquidités comme aux transferts en nature d’un lieu à un autre.
[24] De Bruyn Tom & Wetz Johan, Envois de fonds et développement – Prise de position, Institut supérieur du Travail, KU Leuven, Session VA, Belgique, p. 2, 3.
[25] Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) Etat de la Population mondiale, vers l’espoir : les femmes et la migration internationale, New York, 2006, p. 29.
[26] Du 9 au 11 juillet 2007, s’est tenu pour la première fois le « Forum mondial sur Migrations et Développement », organisé par le gouvernement Belge à Bruxelles. Parallèlement la société civile a organisé un Forum portant sur le même thème le 10 juillet à Bruxelles.
[27] La maîtresse.
[28] A ce propos, une initiative vient d’être lancée en septembre 2006 par l’Union des journalistes africains (UIJA) pour inciter les jeunes à rester en Afrique. Voir l’article de BANGRE Habibou, in Afrique Asie, « Migrations », février 21007, p.74.
[29] DURANT Monique, Les africaines prennent leur destin en main, article paru dans le journal Le devoir au Québec, le10 août 2005.
[30] Le rôle de la femme dans le développement du continent africain, conférence organisée par la Maison Africaine à l’occasion de la journée internationale des femmes, 8 mars 2007, Bruxelles. Intervention de Madame Ella Ellesse, porte-parole et représentant de Madame Gisèle Mandaila, secrétaire d’Etat aux familles et aux personnes handicapées.