Le 09 avril 2015

L’intelligence collective au service des collectifs citoyens

Le Centre Avec remercie chaleureusement pour avoir nourri la réflexion Cécile Imberechts d’ITECO, Bénédicte Allaert du Réseau de Consommateurs Responsables, Evelyne Dodeur d’Exposant-D, Jean-Philippe Dor, Daniel Cauchy du GRAC, Julien Didier et Chloé Crokart du Réseau ADES, Olivier Chaput, Pascale Prignon, Véronique Felis de Rencontre des Continents.

Nous nous trouvons dans un monde qui cumule différentes crises, mais cela n’est pas tout à fait une donne négative, parce qu’en réponse aux multiples difficultés auxquelles fait face notre temps présent, nous constatons l’émergence d’une multitude d’initiatives collectives et citoyennes potentiellement porteuses de changement. La nature collective de ces nouvelles formes d’engagement peut pourtant représenter une arme à double tranchant. Tout le monde a expérimenté la difficulté du travail en collectif, cela est d’autant plus vrai pour une société où chaque individu est poussé à l’autonomie, l’isolement, le repli sur soi. La notion d’Intelligence collective essaye de répondre à la question du comment renforcer notre savoir-être en groupe. Le présent travail est pensé pour accompagner le lecteur dans la découverte de ce concept : de quoi parle-t-on quand on parle d’Intelligence collective ? Quel est l’intérêt de ce concept ? Comment et pourquoi travailler notre manière d’être ensemble ? Quels sont, en Belgique, les exemples de collectifs qui mettent en pratique cette notion ? Pour une action collective plus créatrice, durable et pour plus de bien-être ensemble. 

1. Introduction
 

Vous êtes membre d’un GASAP[1] de votre quartier et vous investissez beaucoup de temps dans ce groupe. Vous êtes toujours là les jours des livraisons et de distribution des paniers… vous et une ou deux personnes, toujours les mêmes, les autres… passent récolter leurs paniers de légumes ! Les réunions mensuelles ne sont pas fréquentées régulièrement par tous les membres. Dernièrement trois familles ont quitté le groupe. Quant à vous, vous commencez à vous poser des questions par rapport au sens de ce que vous faites et sur le manque d’investissement des autres membres !

Dans votre collectif étudiant, on se rencontre ce soir pour discuter de l’organisation d’une action pour protester contre la prochaine réforme universitaire. Comme d’habitude, trois personnes du collectif ont la capacité d’amener des idées nouvelles et des réflexions approfondies, mais elles n’ont pas du tout la même vision sur la manière dont cette action devrait se dérouler. On discute pendant des heures, chaque tentative d’arriver à une décision commune trouve des oppositions et, à la fin, on est obligé de voter à la majorité. Ça y est, vous êtes finalement arrivés à un accord, mais au moment où l’on décide de la répartition des tâches, le silence tombe sur votre réunion !

Vous êtes en réunion d’équipe et, une fois encore, vous trouvez que certains de vos collègues interviennent de façon disproportionnée. Ils veulent absolument faire passer leurs idées et leurs opinions sur chaque point à l’ordre du jour. L’écoute mutuelle fait défaut, on se coupe souvent la parole, ce sont toujours les mêmes personnes qui parlent et, c’est dommage, on n’arrive pas à entendre la voix de la fille récemment engagée. Pourtant, vous espériez que son enthousiasme et ses multiples expériences, si intéressantes, donnent un nouvel élan à l’équipe ! Vous le sentez, cette mauvaise manière de fonctionner crée des petites rancœurs, qui persistent au-delà des réunions, dans votre travail quotidien.

Beaucoup d’entre nous, d’une manière ou d’une autre, ont pu vivre des situations similaires. Cela peut nous arriver dans des cadres très différents : au travail comme à l’école, pendant une formation ou une conférence, au sein des groupes ou des associations dont on fait partie. On a beau vouloir lancer des projets et des initiatives, l’écueil de la coordination en équipe ou les doutes sur la participation des autres membres du groupe peuvent nous décourager facilement. Les difficultés liées au fonctionnement en groupe sont encore plus difficiles à accepter quand on est volontaire ou qu’on milite pour une cause qui nous tient au cœur. Et pourtant, ne sommes-nous pas là pour les mêmes raisons ?

À quoi est-il lié ce malaise qu’on ressent parfois quand on travaille avec d’autres personnes ? Est-il possible de trouver des manières de mieux collaborer tous ensemble ? Ou est-on condamné à la faillite collective et à la frustration individuelle ? C’est à ce genre de questions que le paradigme de l’Intelligence collective[2] essaie de répondre.

À la fois domaine d’étude, propriété de tout groupe et philosophie de l’être ensemble, l’Intelligence collective est un mot qui fait peur à certains et qui enchante bien d’autres. Ce concept difficile à définir fait dernièrement la une de conférences, formations, livres et groupes de pratiques. Au Centre Avec, nous avons décidé de nous pencher sur la question, avec une bonne dose de modestie et un angle d’approche qui nous semble pertinent en termes d’éducation permanente.

Notre premier objectif dans cette étude sera de cerner l’Intelligence collective dans sa complexité et sa multiplicité. Ensuite nous illustrerons l’apport potentiel de ce paradigme en tant qu’appui au meilleur fonctionnement des collectifs citoyens qui prônent la participation et l’engagement dans une société en transition. Il n’est pas anodin que les « pratiques d’Intelligence collective » soient de plus en plus adoptées (mais pas de manière exclusive) dans les différentes initiatives qui se rattachent au concept de la « Transition »[3] : initiatives locales liées à l’agriculture urbaine et à la consommation alternative, nouvelles formes d’habitation participative ainsi qu’associations incubatrices de nouveaux projets liés au développement durable et solidaire.

Nous souhaitons également faire connaitre ce qui se fait déjà en Belgique autour de l’Intelligence collective. Dans ce but, nous sommes allés à la rencontre non seulement de formateurs et experts en la matière, mais aussi de groupes et associations qui essaient de penser (ou repenser) leur mode de fonctionnement avec les balises de ce paradigme et de se former pour diffuser et appuyer d’autres groupes dans l’adoption de cette démarche.

L’étude est ainsi structurée en trois parties : 1) une partie « analytique », dans laquelle nous traçons la définition du concept d’Intelligence collective et en analysons la pertinence, à partir d’une réflexion sur notre société ; 2) une partie « méthodologique », dans laquelle nous développons des pistes plus concrètes pour comprendre la mise en pratique de l’Intelligence collective ainsi que ses atouts, ses bénéfices et ses prérequis ; 3) une partie dans laquelle nous analysons des « cas concrets » d’organisations et de collectifs qui mettent en pratique ce concept.

Il nous a semblé à la fois intéressant et pertinent de marier, dans cette étude, approches analytique et méthodologique. Ceci, pour nous, n’est pas anodin : parler d’Intelligence collective signifie s’interroger sur la manière dont les membres d’un groupe sont et agissent ensemble. Cela comporte l’apprentissage de certains savoir-être, chose qui passe nécessairement par la méthodologie. Toutefois, il s’agit également d’un enjeu de société qui mérite d’être appréhendé comme tel. Réfléchir sur notre manière d’être ensemble est nécessaire non simplement au niveau de la qualité et du potentiel de projets porteurs de changement, mais également pour le meilleur fonctionnement de la société entière.

2. Un concept nouveau pour répondre à un besoin de société
 

Qu’est-ce qu’on entend précisément quand on parle d’Intelligence collective (Ic) ? Au fil de nos rencontres et recherches, nous n’avons pas trouvé une seule définition de l’Intelligence collective, mais plusieurs. Pour nous, cela tient à deux explications majeures. La première relève du fait qu’on peut parler d’Intelligence collective dans différents domaines. On en trouve des références dans les sciences humaines et de gestion comme la sociologie des organisations et la psychologie du travail[4], mais aussi en biologie et en informatique. C’est ainsi que, selon l’expression de Jean-François Noubel, « l’Intelligence collective devient une discipline, avec son cadre théorique, son savoir-faire pratique, ses domaines de recherche, ses méthodologies, son heuristique »[5]. Deuxièmement, beaucoup d’experts parlent d’une « discipline en émergence », née dans les années ’90 (donc très récemment), issue de la systématisation de différentes approches et pratiques[6] qui, au final, ont pris le nom d’Intelligence collective.

Dans ce premier chapitre, il nous semble important de poser les bases pour mieux clarifier ce nouveau concept. On essayera aussi de mieux cerner les besoins qui ont amené à l’émergence et à la formulation de ce paradigme.

Une première tentative de définition…
 

Selon Jean-Philippe Dor[7], formateur et facilitateur en Ic, dès qu’il y a un ensemble d’êtres vivants, en interaction directe ou indirecte entre eux, on peut constater l’existence d’une certaine forme d’Intelligence collective. Elle serait donc une propriété du vivant social.

Cette propriété n’appartiendrait donc pas uniquement aux êtres humains. Dans le milieu naturel, on peut trouver beaucoup d’exemples d’interactions intra et inter-espèces. La définition même de l’écosystème[8] en témoigne.

Un premier élément qu’on peut retenir c’est que, quand on parle d’Ic, on parle nécessairement d’interactions. Or, le résultat de ces interactions est un des éléments clés qui définit l’Intelligence collective : la somme des intelligences des agents, au moment où ils interagissent, est supérieure à la simple addition de leurs intelligences individuelles, prises de façon isolée. Ces interactions amènent donc à un résultat qui aurait été impossible à obtenir et à concevoir sans l’existence même de ces interactions : dans la mathématique de l’Intelligence collective donc, 1+1 = 3. On est face à la création de quelque chose en plus.

…et de classification
 

Noubel[9] affirme que plusieurs types d’Intelligences collectives coexistent dans les différentes formes d’organisation humaines et animales. Plus précisément, il en distingue trois.

L’Intelligence collective originelle. Elle est présente dans les petits groupes qui agissent en « proximité spatiale et sensorielle ». Des exemples typiques sont tirés du monde animal : on retrouve cette caractéristique chez les meutes de mammifères qui s’organisent autour d’un objet précis, par exemple une proie ou un danger. Un autre exemple est une équipe sportive, elle aussi se coordonne autour d’un objet matériel. Mais cet objet peut être aussi de nature symbolique, comme c’est le cas dans la plupart des collectifs humains. Une autre caractéristique des groupes en Intelligence collective originelle est l’existence d’un attribut, un caractère spécifique au groupe : pensez par exemple à un groupe musical que vous aimez, il a un style qui le définit et qui le différencie de tous les autres, qui permet d’ailleurs à tous ses fans de le reconnaitre. Les caractéristiques données plus haut (groupe restreint et proximité spatiale) sont aussi les limites de ce type d’Intelligence collective.

L’Intelligence collective pyramidale. Innovation sociale typiquement humaine, cette Intelligence se trouve à la base de la plupart de nos organisations passées et contemporaines. Elle essaie de dépasser les deux limites de l’Intelligence collective originelle, c’est-à-dire le nombre limité d’agents en interaction, dans un espace circonscrit. À la base de cette évolution organisationnelle, il y a l’écriture, qui permet à une information de circuler « sans être physiquement attachée à son émetteur »[10], donc de toucher un nombre potentiellement illimité de personnes dans un espace lui aussi illimité.

Trois caractéristiques fondamentales sont à noter : 1) la présence de la division du travail, qui permet la coordination de plusieurs entités, éloignées spatialement, fonctionnant en intelligence collective originelle ; 2) un ou plusieurs degrés d’autorité, qui coordonnent et dirigent cette division du travail ; 3) des normes et standards, qui facilitent le fonctionnement de l’autorité et la circulation des informations. Si nous pensons à l’organisation d’une grande entreprise ou même à celle de nos Etats modernes, ce modèle nous semble tout à fait familier. Il constituerait, pour Noubel, la base du paradigme économique actuel[11]. Pour ce même auteur la limite principale à ce type d’Intelligence serait son manque de capacité d’adaptation et de créativité.

L’Intelligence en essaim. Ce modèle particulier d’Intelligence collective est celui des sociétés d’insectes. À l’intérieur de ces groupements, chaque individu répond à des stimulations venant de l’extérieur, n’ayant pas conscience de l’entité collective. Pourtant, la somme de ces interactions élémentaires, décentralisées et autonomes (pas dirigées d’en haut), amène à un résultat collectif qui est remarquable, si on pense par exemple à la complexité du fonctionnement d’une colonie d’abeilles ou de fourmis. La limite de ce type d’Intelligence se trouve dans la négation de l’importance de l’individu (jusqu’à la possibilité du sacrifice) au nom de l’équilibre du système, chose en soi inacceptable dans les collectifs humains. Cependant, le modèle des interactions indifférenciées entre personnes est à la base de beaucoup de théories économiques (celle de l’équilibre général du marché, illustrée par la référence à la main invisible d’Adam Smith, en est l’exemple le plus célèbre[12]), chose qui, comme Noubel le souligne[13], serait « au pire une doctrine fort dangereuse ».

Il nous semble que les systèmes pyramidaux dans lesquels nous vivons et nous agissons, présentent différentes formes de disfonctionnements qui nous incitent de plus en plus à chercher une autre forme d’Intelligence collective. Un détour pour analyser ces disfonctionnements nous semble donc intéressant à proposer.

Quels constats provenant de notre société ?
 

Comme souligné ci-dessus, un mode de fonctionnement de type pyramidal est, grosso modo, celui dans lequel fonctionnent les deux systèmes qui façonnent notre société actuelle :

  • le système politique, marqué par la démocratie représentative (tant au niveau national qu’international, si on pense à des entités comme l’Union européenne et l’ONU) ;
  • le système économique, avec le modèle de l’entreprise né à partir de la révolution industrielle.

Ces deux systèmes font face aujourd’hui à des limites et des blocages de plus en plus profonds. Beaucoup d’auteurs se sont penchés ces dernières années sur l’analyse de notre société, en utilisant pour la décrire le mot « crise ». Ce terme peut être décliné de différentes façons pour décrire notre situation actuelle. On peut parler de la crise économique et financière, une crise qu’on peut dire sociale, bien entendu, une crise écologique, en allant jusqu’à parler d’une crise de sens. Patrick Viveret parle à ce propos d’une véritable « crise systémique »[14] à laquelle l’humanité doit faire face. Cette crise est-elle le produit du mode de fonctionnement sur lequel notre société repose ? En partie, il nous semble que oui.

On peut expliquer cela à partir de deux portes d’entrée : d’une part, la difficulté de trouver une réponse à la crise systémique est due aux limites de nos modes de prise de décision actuels ; d’autre part, ces systèmes déjà limités font face à une complexité grandissante, produit de l’évolution de notre monde.

Des limites structurelles
 

Une problématique que l’on peut mettre en avant est, par exemple, le décalage entre le temps du politique et de l’économique vis-à-vis du temps qui concerne les problématiques actuelles. L’historien et sociologue Pierre Rosanvallon[15] parle d’une « préférence pour le présent qui marque l’horizon politique des démocraties » dictée, de façon structurelle, par les rythmes électoraux et le poids des sondages. La temporalité de l’économie se tourne de plus en plus vers la recherche d’un profit à très court terme au lieu de penser à la viabilité et à la durabilité. C’est entre autres à cause de cette myopie structurelle des mondes politique et économique qu’on assiste à la faillite cyclique des tentatives de résoudre nos problèmes, comme c’est le cas, par exemple, avec le dérèglement climatique.

Une autre question touche à l’influence que les groupes économiques ont sur le fonctionnement politique. Ces problèmes concernent une faiblesse importante du système démocratique dans son état actuel : le poids exagéré de certaines minorités (minoritaires numériquement mais pas en termes de pouvoir), tels les groupes économiques, sur la majorité, les citoyens et leurs intérêts, pourtant censés être souverains dans une démocratie. Ce poids limite dangereusement la possibilité du monde politique de décider et d’agir sur des sujets urgents et vitaux, comme par exemple l’urgence vitale d’une réforme de notre fonctionnement économique.

Une complexité grandissante
 

Finalement, on ne peut pas parler du blocage de notre système sans mentionner la question des « défis de la complexité »[16] propre à notre époque. La mondialisation et l’innovation technologique, surtout en matière de communication et de transports, sont à la base de l’accroissement sans égal d’échanges (d’informations et de marchandises), d’interactions et d’interdépendances entre différents acteurs et organisations. Cela se passe à un niveau qui brasse la planète entière et à un rythme de plus en plus élevé. Dans cette complexité, l’individu se trouve perdu, parce qu’incapable d’absorber la masse de plus en plus importante d’informations produites et mises en circulation.

La plupart des organisations fatiguent à s’adapter aux changements qui se produisent à un rythme frénétique. En raison de la rigidité de leur structuration, elles manquent souvent d’une capacité d’apprentissage, de création et d’adaptation, chose qui les mène fréquemment à l’échec, face à la complexité.

Certains auteurs aujourd’hui parlent de la nécessité, en plus de la possibilité de sa mise en place[17], d’une nouvelle forme d’Intelligence collective originelle[18] élargie au niveau global, comme enjeu de survie de l’humanité[19]. Cela devrait avoir lieu au niveau de nos instances plus importantes, politiques et économiques. Cette perspective est bien sûr très intéressante à discuter, étant donné le constat, qu’on vient de faire, du disfonctionnement et des blocages de nos macro-systèmes. Bien que conscients de cette nécessité, nous avons décidé de nous pencher sur les perspectives qu’un paradigme comme celui de l’Intelligence collective ouvre seulement aux petites collectivités humaines porteuses d’un renouveau social, puissant dans ses potentialités. On parle à ce propos des « nouveaux collectifs citoyens »[20].

Sortir de l’impasse : les nouveaux collectifs créateurs
 

En réponse à cette crise à multiples facettes et aux impasses rencontrées par nos systèmes et organisations actuels, on constate depuis quelques années la naissance de nouvelles formes d’engagement, différentes de celles des années ’60 et ’70. Mais en quoi consisterait cette nouveauté ? Si on se réfère à un auteur comme Benasayag[21], cette nouveauté peut être résumée avec le mot « alternative ». Mettre en place, proposer des alternatives, serait l’objectif de ces nouveaux mouvements. Le mot « alternative » suggère aussi, par rapport aux mouvements sociaux qui ont caractérisé le siècle passé, la façon dont cela s’est fait : non pas instaurer ces alternatives par le haut à travers la tentative de prise du pouvoir, mais au contraire à travers l’adoption de ces alternatives initiées du bas, à travers leur mise en œuvre dans l’immédiat, dans le quotidien. Ces nouveaux collectifs et mouvements seraient caractérisés aussi par le refus du modèle « classique » du militantisme et par une forme de créativité, à la fois dans le contenu des alternatives proposées et dans les formes de mise en œuvre de ces alternatives.

Ces collectifs représentent le début d’une nouvelle manière d’être et d’agir ensemble, image de ce à quoi, à un niveau plus large, pourrait ressembler la société idéale de demain. Ils sont une manière, pour de plus en plus de citoyens, de répondre aux difficultés de notre temps. Pourtant, « beaucoup de ces dynamiques nécessairement idéalistes expérimentent parfois avec douleur les difficultés et les contradictions à vouloir construire un monde différent en agissant comme hier »[22]. Le risque serait de retomber dans le piège du disfonctionnement organisationnel dont il a été brièvement question dans l’introduction de cette étude et qui affecte d’une manière ou d’une autre, comme on l’a vu, beaucoup de nos « systèmes ». Ce piège est, en effet, toujours là.

Les écueils à l’action en collectif
 

L’apprentissage d’une manière différente de fonctionner ensemble est quelque chose qui est loin d’être anodin. Si on réclame de vive voix la réforme pour les grandes institutions pyramidales (les Etats, les Eglises, les partis politiques, l’école, les syndicats, les entreprises) ou même pour les systèmes entiers de gouvernance globale, comment peut-on prétendre que des personnes qui sont nées et se sont formées à l’intérieur de ces mêmes institutions soient capables de créer tous azimuts les bases pour un être ensemble radicalement nouveau ? Ce problème serait d’ailleurs également lié à notre culture. Pour Daniel Cauchy, psychologue systémicien et formateur[23], « nous sommes d’une culture qui a tout appris mais surtout pas à faire du collectif, certainement pas à apprendre ensemble, certainement pas à collaborer ».

Quels sont ces écueils à l’ »agir en collectif » ? Ils peuvent prendre différentes formes, parfois difficilement décodables même par les membres du groupe. Ils sont alimentés par les non-dits, qui alimentent à leur tour des frustrations, cela dans un cercle vicieux qui est souvent compliqué à briser. Ils touchent à des questions comme la prise de décision, la parole, l’action, le pouvoir, la participation ou encore la gestion des ressources. Ils peuvent être liés à l’une des différentes étapes de la vie d’un groupe (sa naissance, sa maturité ou sa dissolution). Bref, ces problématiques sont nombreuses et variables bien qu’en même temps récurrentes[24]. Elles peuvent mener au naufrage des initiatives pourtant intéressantes, créatives et porteuses de changement. Elles sont parfois à la base du découragement et du désengagement des personnes motivées à apporter une contribution à des projets collectifs. Quand cela se passe dans la cadre du travail, c’est même le bien-être personnel qui en subit les conséquences. Face à cela, le paradigme de l’Intelligence collective peut nous apporter une réponse.

Intelligence collective : redéfinir pour aller plus loin
 

Nous avons essayé de dresser dans ces pages le constat d’une difficulté de fonctionnement de nos modes d’organisation actuels, qu’il s’agisse de nos macro-systèmes politiques ou économiques ou de petits collectifs humains qui essaient de donner un élan pour un changement de société. Arrivé à ce point, on voit plus clairement l’intérêt de l’émergence de ce paradigme qu’on appelle aujourd’hui « Intelligence collective ». Les personnes qui écrivent et qui mettent en pratique ce paradigme s’interrogent, analysent et décortiquent le fonctionnement de nos dynamiques de groupe pour ensuite créer et mettre en œuvre des outils, des méthodes, des processus capables d’améliorer cet être ensemble, pour y amener plus de coopération et de bien-être pour le groupe et les individus qui en font partie. Dans ces termes, on peut mieux définir l’Intelligence collective à travers une autre définition donnée par Jean-François Noubel : elle serait la « capacité d’un groupe de personnes à collaborer pour formuler son propre avenir et y parvenir en contexte complexe »[25] et elle viserait « à maximiser le potentiel d’action et de liberté des collectifs humains »[26].

C’est l’angle d’approche que nous souhaitons prendre dans la suite de cette étude : quels sont ces outils, ces méthodes, ces approches, ces savoir-faire, ces habitudes et ces apprentissages qui peuvent nous permettre de créer, en groupe, de l’Intelligence collective ? Dans les prochains chapitres, nous nous donnons donc comme objectif d’explorer ces dispositifs dits d’Intelligence collective ainsi que de présenter des groupes qui les utilisent et qui travaillent à leur diffusion.

3.   L’Intelligence collective en action
 

Comment créer de l’Intelligence collective dans un groupe ? Comment mettre en pratique ce paradigme ? En quoi cela consiste ? Qu’est-ce que cela amène et comporte ? C’est à ces questions que nous souhaitons répondre dans ce deuxième chapitre.

Il existe beaucoup de publications, analyses, manuels et boites à outils en ligne. Ils illustrent, de manière plus ou moins technique, les différents outils et méthodes d’animation, de co-création et de gouvernance inhérentes au paradigme de l’Ic. L’objectif ici n’est donc pas de répéter ce qui a déjà été fait. Ce que nous voulons faire, c’est d’abord vous donner quelques repères dans le domaine très articulé des outils d’Ic, tout en jetant un regard d’analyse critique sur cette thématique.

Toutefois, nous concentrer uniquement sur les outils et les méthodes, nous semble réducteur. Les experts et les formateurs sont tous d’accord pour affirmer que l’Intelligence collective ne se résume pas à un ensemble spécifique de techniques, mais va bien au-delà. Quels sont donc, concrètement, les effets de la pratique de ce paradigme ? Qu’est-ce qu’il peut nous apporter, tant au niveau individuel que collectif ?

D’autre part, il nous semble important de souligner ici que certains prérequis sont nécessaires pour atteindre l’Intelligence collective dans un groupe. Ces derniers sont de l’ordre de la posture personnelle et des objectifs poursuivis dans l’utilisation des techniques d’Ic. De quoi s’agit-il, nous le verrons également dans ce chapitre.

Des outils et des techniques
 

Les outils d’Ic sont nombreux et très variés. Certains sont de plus en plus connus et utilisés, d’autres moins. Ils sont créés et naissent dans différents cadres, souvent dans celui de l’entreprise, toujours de plus en plus en recherche de techniques managériales porteuses d’efficacité et d’évolution. Ils sont de plus en plus « vulgarisés » au sein des collectifs plus informels ou des organisations n’ayant pas de buts lucratifs. Parmi ces derniers, le mouvement des Initiatives de Transition, en Belgique comme ailleurs, a été pionnier dans la diffusion de certains outils auprès de groupes de citoyens.

Toutefois ces outils ne sont pas, la plupart du temps, de création très récente. Ils ont été créés par différentes personnes à différents moments et endroits du monde. Souvent on ne sait pas dire de manière précise qui a inventé quoi, où et quand. Les outils ont circulé et se sont affinés en passant de main en main, au fil des expériences. Tout cela reflète le mouvement d’émergence et de systématisation qui est la base du paradigme de l’Intelligence collective et dont on a parlé au début de cette étude. Qu’est-ce que ces différentes techniques ont en commun ? Pour résumer, elles créent une ambiance différente au niveau d’un groupe, l’aident dans un fonctionnement qui est de l’ordre de la coopération, en facilitant l’émergence du réel potentiel de création et d’action du collectif.

Cependant, un outil ne vaut pas l’autre. Selon Jean-Philippe Dor, formateur en Intelligence collective, « il n’y a pas de bons ou de mauvais outils. Il y a ceux qui sont adaptés à une situation déterminée, tandis que d’autres ne le sont pas ». Voyons donc quelles sont les occasions et les conditions dans lesquelles on utilise le plus souvent ce type d’outils.

Les outils d’Ic : à quels moments et occasions…
 

Tout d’abord, certaines des techniques d’Intelligence collective sont spécifiquement adaptées pour animer des évènements particuliers. Ici, on entend la notion d’évènement au sens large. Il peut s’agir :

  • d’une réunion, à la cadence plus ou moins routinière ou dont le contenu touche à une question spécifique. Élire quelqu’un pour une charge, évaluer des actions menées auparavant, tout simplement se rencontrer régulièrement une fois par mois ou par semaine pour continuer les activités du groupe : ce ne sont en rien des moments banals pour un collectif, donc pourquoi ne pas se concentrer sur la méthodologie pour les mener à bien, et pas uniquement sur la raison pour laquelle on les mène ? Dans ce cas, nombreux sont les petits outils d’animation de réunion qui peuvent faciliter, dans ces occasions, la présence d’éléments importants pour le bien-être du groupe comme la circulation de la parole, l’attention à l’écoute, la bienveillance et le respect, la créativité.
  • Un évènement, c’est-à-dire souvent quelque chose qui comprend la présence d’un public extérieur, ou tout simplement plus large que celui qui se réunit habituellement. On peut penser dans ce cas à une conférence, une journée de rencontre, un festival, une retraite… la liste peut être très longue ! Dans ce cadre, l’intérêt d’utiliser des techniques d’Intelligence collective est sûrement celui d’amener le plus possible les personnes externes dans une dynamique d’implication et de participation. Si on part du postulat que chacun a quelque chose d’important et d’intéressant à partager avec les autres, la question à se poser est la suivante : comment organiser un cadre, une structure où ce partage peut avoir lieu de la manière la plus adaptée ?

Penser à l’Intelligence collective pour organiser un évènement particulier est une pratique de plus en plus courante. Il existe aussi d’autres moments importants dans la vie d’un groupe, d’une équipe, d’un collectif, pour lesquels, selon le formateur Ivan Maltcheff, une bonne règle est de faire attention au processus, à l’organisation. Il s’agit de phases particulières, qui peuvent représenter des moments de changement et parfois de tension. On peut ici donner quelques exemples[27] :

  • Le moment de la naissance d’un collectif autour d’une idée novatrice, qui suscite l’enthousiasme parmi les fondateurs, est un moment très délicat. Souvent, dans ces premiers mois riches de bonne volonté, le groupe fait très rapidement face aux difficultés liées à la mise sur pied du projet voulu, ainsi qu’aux impacts de ces difficultés. C’est un moment de dépression à travers lequel tous les collectifs passent[28]. On sent que le groupe se démotive et il risque de renoncer à son initiative. À ce stade, créer des moments de partage pour faire le diagnostic de la situation est très important. Le faire en favorisant la participation de tout le monde, pour déployer l’Intelligence collective du groupe, permet de résoudre plus facilement la situation, au lieu de s’appuyer sur l’initiative d’un leader. Si la vision du moment est partagée, le groupe peut plus facilement sortir de la situation de blocage.
  • D’autres situations de tension pour un groupe peuvent se manifester quand on se rend compte qu’il y a une asymétrie dans la participation des membres d’un groupe. Ces situations sont souvent marquées par la présence de beaucoup de non-dits, de tensions et malaises qui peuvent empêcher le groupe de travailler dans la bonne entente, allant jusqu’à la création de sous-groupes opposés et à l’explosion de conflits. L’important dans ce type de situations est, si possible, de les anticiper, par exemple en créant collectivement une forme de gouvernance, des règles de gestion et de partage des tâches explicites. Quand par contre on sent qu’un malaise est présent, un moyen pour sortir du cercle vicieux est de faire le constat de la situation, en essayant d’arriver à mettre le doigt sur les besoins, les sentiments et les émotions qui se cachent derrière les (non)comportements de chacun.
  • Les moments souvent les plus difficiles se trouvent dans la gestion des désaccords. Il y a des groupes dans lesquels ces désaccords ne semblent pas exister, souvent par peur de devoir les gérer, il y en a d’autres où tout fait désaccord (au moins pour certaines personnes, qui trouvent dans le droit de s’opposer un indice de santé démocratique ou une manière d’exprimer leur existence aux yeux des autres), et cela fatigue. Pourtant, dans les deux cas, il faut garder le cap sur le fait que la divergence est une forme d’enrichissement pour le groupe, parce que ceux qui l’expriment amènent un regard autre sur les choses et permettent au reste des membres de ne pas s’enfermer dans une vision unique. La gestion du désaccord est donc une thématique importante à traiter pour chaque groupe. Se donner le temps pour aborder de manière constructive et sans jugement ces désaccords ou même construire une méthodologie collective pour les traiter est donc une bonne pratique pour tout groupe.
  • L’implication de nouveaux membres ou le départ d’autres constituent des moments délicats et importants dans la vie d’un groupe. Dans le premier cas, il est important que les nouveaux puissent se sentir bien intégrés et puissent avoir accès à toutes les informations sur la vie, les activités et le fonctionnement du collectif. Dans l’autre cas, lors du départ d’un membre, il est important de faire le bilan avec cette personne et, surtout, de pouvoir traiter ouvertement les motivations qui l’amènent à quitter, ces dernières pouvant être personnelles ou liées au fonctionnement du groupe et à son ressenti par rapport à cela.

Les occasions qu’on vient de décrire sont, d’après Maltcheff, des moments assez récurrents dans la vie des collectifs citoyens. Toutefois, il s’agit toujours d’évènements précis et souvent délimités. Or, d’après Jean-Philippe Dor, « souvent on pense à l’Intelligence collective pour organiser un évènement particulier et ça c’est réducteur par rapport au potentiel de ce paradigme ». Viser à atteindre l’Ic peut être, en effet, une attitude permanente dans la manière d’être et d’agir d’un groupe. Certains collectifs se structurent en s’inspirant de formes de gouvernance qui relèvent de ce paradigme. Dans le prochain chapitre, nous présenterons le cas d’une association belge, Rencontre des Continents, qui s’est lancée dans un processus de redéfinition et de reconstruction de son fonctionnement interne.

…avec deux objectifs principaux
 

Un autre type de classification qui peut être faite parmi les outils et les techniques d’Intelligence collective est liée à l’objectif poursuivi avec l’utilisation de ces derniers. En gros, nous pouvons distinguer[29] deux objectifs principaux.

En premier lieu, beaucoup d’outils ont la fonction spécifique de créer un cadre où la créativité d’un groupe peut se multiplier. Cela peut être nécessaire, par exemple, quand le groupe a besoin de ou se trouve face à un changement. D’autres situations sont également celles où on a besoin d’être créatifs : quand on a besoin de nouvelles idées, quand on est face à un blocage, quand on trouve difficilement une solution à un problème donné ou bien quand il faut penser à quelque chose de nouveau, à une nouvelle phase, à une nouvelle initiative, à comment mettre en place quelque chose de nouveau, à comment y aboutir… En créant des conditions pour que l’Intelligence collective d’un groupe se déploie, on peut trouver l’énergie créatrice qui est capable de répondre au défi auquel on fait face quand on est dans la nécessité d’inventer ou d’innover.

Deuxièmement, une autre série de techniques est conçue pour développer la gouvernance au sein d’un groupe en vue d’en améliorer le fonctionnement, de faciliter les relations parmi les personnes qui en font partie tout en favorisant l’Intelligence collective du groupe. Souvent la vie d’un groupe est conditionnée par des règles, des habitudes, des manières de fonctionner qui peuvent être explicites, décidées de commun accord, ou bien implicites, adoptées naturellement sans y avoir réfléchi, « parce que cela se fait comme ça ». Parfois c’est à cause de ces règles non écrites, de ces mécanismes invisibles, que des tensions se créent au sein d’un groupe. Ces techniques de gouvernance offrent, au contraire, des règles et des mécanismes qui sont explicites. Elles permettent de tester, ou même d’adopter, en l’adaptant aux besoins et caractéristiques spécifiques de chaque collectif, un nouveau type de fonctionnement, qui essaie de traiter ce type de tensions, soit en évitant leur création, soit en allant mettre le doigt sur elles, pour les mettre en évidence et les résoudre.

Deux exemples d’outils
 

Nous avons voulu dresser un aperçu de quelques occasions et motivations pour lesquelles l’utilisation d’outils dits d’Intelligence collective nous semble intéressante, utile, pertinente. S’agissant d’un aperçu, cette liste ne se veut pas exhaustive. Comme affirmé plus haut, la liste de ces outils d’Ic est bien longue. Notre objectif ici n’est pas de rédiger un manuel d’utilisation pour animateurs de dynamiques collectives. Toutefois, nous souhaitons vous proposer deux outils qui, selon nous, illustrent bien ce qu’on entend quand on parle d’Intelligence collective. Il s’agit, d’une part, du Forum ouvert et, d’autre part, de la Sociocratie. Ce sont deux outils dont l’utilisation est de plus en plus fréquente, la littérature à leur propos est abondante et les formations à leur sujet se multiplient. Essayons donc d’y voir plus clair ensemble.

Le Forum ouvert
 

Le Forum ouvert[30] doit une partie de son « succès » et de sa diffusion à l’ouvrage de Rob Hopkins, le Manuel de Transition[31], dans lequel cette technique est décrite[32]. Rob Hopkins décrit le Forum ouvert comme « une façon simple de tenir des rencontres productives de 5 à 2.000 personnes et aussi un puissant outil pour encadrer le changement dans n’importe quelle organisation. En théorie ça ne devrait pas marcher. Un grand groupe de personnes qui se réunit pour explorer un sujet particulier, sans ordre du jour, sans échéancier… Pourtant, à la fin de chaque réunion, chacun avait dit ce qu’il avait à dire, des notes complètes avaient été prises puis tapées, des nombreuses connexions s’étaient mises en place et une quantité d’idées et de visions avaient été énumérées et définies »[33].

Harrison Owen a mis au point cette technique dans les années ’80[34]. À la base de son invention, il y a un constat : les meilleures idées, les plus créatives et novatrices, n’émergent pas dans des moments formels (par exemple, lors d’un colloque, duquel Owen avait personnellement expérimenté la difficile et frustrante organisation) mais plutôt dans l’informalité, par exemple durant la pause-café. « L’idée lui est venue alors d’organiser une pause-café géante »[35], un Forum ouvert. Cette technique est donc marquée par l’informalité, et également par une bonne dose de simplicité.

Le Forum ouvert est divisé en trois phases : 1) une phase commune d’émergence, où tout le monde est invité à réfléchir et à proposer des idées (via post-it) autour d’une question bien précise ; 2) les ateliers (que les participant choisissent librement), conçus à partir des idées proposées dans la première phase, dans lesquels les idées principales (une par atelier) sont analysées et discutées ; 3) une étape finale de convergence, où le résultat de chaque atelier est affiché et remis en ordre de priorité.

Les règles à la base de cet outil sont peu nombreuses mais fondamentales :

  1. Ceux qui sont présents au Forum, sont les bonnes personnes ;
  2. Quoi qu’il arrive, c’est la seule chose qui pouvait arriver ;
  3. Quand ça commence, ça commence ;
  4. Quand ça termine, ça termine ;
  5. La règle des deux pieds, c’est-à-dire, si je ne suis pas en train d’apprendre ou de contribuer à un atelier, je peux changer d’atelier.

Le Forum ouvert s’adapte, pour reprendre les classifications proposées au paragraphe précédent, à l’organisation de réunions et d’évènements, pour des groupes en quête de créativité. Toutefois, d’après son auteur[36], cette technique permettrait aussi et surtout de consolider les groupes, créer des liens, susciter l’engagement, tout cela en passant au-dessus, au moins momentanément, des disparités en termes d’éducation, d’ethnie, de culture ou de conditions socio-économiques. À la clôture d’un Forum ouvert, un des participants aurait témoigné « qu’il ne s’était jamais senti si écouté et si partie prenante d’une rencontre »[37].

Une forme modifiée de Forum ouvert (utilisant les technologies informatiques) a eu lieu en Belgique, sous l’œil des principaux médias nationaux, en faisant beaucoup parler d’elle[38]. Il s’agit du G1000[39], idée initiée par David Van Reybrouck et Paul Hermant qui, entre 2011 et 2012, en pleine crise institutionnelle belge, ont organisé un très important meeting citoyen où plus de 3.000 propositions ont été lancées et votées et où plus de 700 participants se sont réunis pour discuter. Les objectifs de cet évènement : questionner notre forme de démocratie et donner aux citoyens la possibilité de s’exprimer de manière directe et de délibérer autour d’enjeux de nature politique, choisis par les citoyens eux-mêmes. Un résultat important qui a été mis en avant, non loin de ceux décrits par Owen pour les autres Forum ouverts, c’est qu’ « une des caractéristiques la plus impressionnante du G1000 est la diversité des participants au niveau du genre, de l’âge, des préférences politiques, de la profession et du bagage culturel »[40].

La Sociocratie
 

La Sociocratie est une méthode qui vise à amener plus de coopération au niveau d’un groupe. Elle permet, sous certaines conditions, d’atteindre un bon niveau d’Intelligence collective au sein d’un collectif.

Etymologiquement parlant, le terme Sociocratie est la composition de deux mots : « socius », du latin, qui signifie « compagnon, associé » et « kratos », en grec « force, pouvoir ». Comme l’indique Servigne[41], on peut mettre en relation « Sociocratie » avec la notion bien plus connue de « Démocratie », le « pouvoir du peuple » (du grec « demos »). La différence entre le peuple et les associés se trouve dans le lien, plus fort pour ces derniers que pour le premier. Son étymologie explique une caractéristique importante de cette méthode, qui s’intéresse aux relations et au dialogue entre les personnes[42].

Parmi les méthodes d’Intelligence collective, la Sociocratie développe un cadre pour la gouvernance au sein d’un groupe. Elle peut être adoptée comme manière de concevoir entièrement le fonctionnement d’une organisation. En même temps, certains outils conçus à partir de cette méthode peuvent être employés de façon isolée, pour les nécessités spécifiques d’un groupe (par exemple élire une personne pour une fonction ou un rôle, prendre une décision sur une proposition).

La Sociocratie n’est pas la seule méthode de gouvernance qui contribue à l’Intelligence collective, mais c’est sûrement une des plus connues à l’intérieur de ce paradigme. En Belgique, les formations se multiplient, et avec elles les accompagnateurs formés à la méthode. À l’origine, cette méthode a été élaborée par Gérard Endenburg, ingénieur hollandais en électronique, pour être appliquée au sein de son entreprise familiale. L’objectif d’Endenburg était de résoudre les conflits qui avaient pris trop d’ampleur durant la période où l’entreprise était gérée par son père. Il s’est inspiré, pour la création de cette méthode, des principes de la cybernétique ainsi que du fonctionnement de la communauté religieuse des Quakers. De plus en plus, au-delà du secteur marchand, cette méthode se propage dans le milieu associatif et militant.

Comment fonctionne, en gros, la Sociocratie ? Les principes clés sont au nombre de trois :

  • Visant surtout la prise de décision en groupe, la Sociocratie s’appuie sur la notion du consentement. Le consentement diffère du consensus. Ce dernier est atteint quand tout le monde se trouve en accord avec la décision à adopter (tout le monde dit oui). Une proposition, pour trouver l’accord de tout le monde, est souvent modifiée jusqu’au plus petit commun dénominateur, semblable parfois à un compromis par le bas. Au contraire, en Sociocratie le consentement ne demande pas l’accord mais l’absence d’objections raisonnables (il est présent quand plus personne ne dit non).
  • On fonctionne en cercles, jamais plus nombreux que 15 personnes. Un groupe plus large fonctionnant en Sociocratie est donc formé par plusieurs cercles, subdivisés selon le type de tâches ou la thématique travaillée. Les membres d’un cercle partagent la même raison d’être et les mêmes objectifs. À l’intérieur du cercle, les membres sont équivalents. Ils ne sont pas égaux (ils n’ont pas, par exemple, le même rôle ou la même expérience), mais leur voix est écoutée de la même manière.
  • Quand les cercles sont organisés de manière hiérarchique, on instaure le principe du double lien. À l’intérieur du cercle supérieur (en autorité, pouvoir, responsabilité), il y a deux représentants (les deux liens) issus de chaque cercle. Le premier lien est chargé de la bonne mise en pratique des décisions prise dans le cercle supérieur, il fait donc le lien entre le haut et la base (de manière descendante). Le deuxième lien est responsable du fait que l’esprit, les décisions et les nécessités exprimées à l’intérieur du cercle inférieur soient prises en compte dans le cercle supérieur (le lien va donc du bas vers le haut).
     

Le mécanisme à la base du cadre sociocratique prévoit plusieurs tours de parole (à l’intérieur du cercle), avant l’adoption définitive d’une décision. Une fois une proposition soumise au cercle, on effectue d’abord 1) un tour de clarification de la proposition, puis 2) un tour de réactions qui est suivi par 3) des propositions d’amendement. Ensuite, une fois la proposition amendée on passe à 4) l’analyse des objections à propos de la proposition modifiée et à 5) un dernier tour pour bonifier, de manière collaborative, les objections restantes. Une fois la dernière objection levée, la décision est finalement adoptée. Cela change, notamment par rapport à un simple vote par majorité. Ce processus est valable pour la prise de décision. Une démarche sociocratique, basée sur les mêmes mécanismes, a été créée pour l’élection d’une personne à un poste[43].

La Sociocratie offre un cadre très intéressant pour ce qui concerne la distribution de la parole au sein du cercle, l’écoute de l’autre et le respect de ce qui est dit. À la base de cette méthode il y a, en effet, aussi la valeur de la bienveillance. C’est pour cela que les formateurs en Sociocratie conseillent d’adopter, surtout pendant la formulation des objections, la technique du « parler en ‘je’ ». En cas de risque de dérapage ou de discussion concernant des enjeux très importants, il est également conseillé de se servir d’un facilitateur extérieur, formé à cette technique.

La prise de décision par consentement, à travers le mécanisme laborieux des tours de parole, amène à un gain d’efficacité et de participation : une décision à laquelle tout le monde a contribué est plus facilement et rapidement mise en place, d’autant plus que chacun sent y avoir participé. Le principe du double lien permet, dans les organisations hiérarchiques, un partage du pouvoir, sans que le pouvoir soit bouleversé.

On peut affirmer, d’après de nombreux témoignages et pour l’avoir expérimentée, que cette méthode permet de redécouvrir le pouvoir du collectif et de réellement comprendre la richesse de l’Intelligence collective. Bien sûr, la Sociocratie présente des inconvénients, tels sa complexité et le temps que l’on prend pour arriver à la conclusion du processus. À vous le rôle de tester cette méthode et de voir si elle peut servir les besoins de vos collectifs.

Ressources accessibles pour animer ou auto-organiser des dynamiques collectives

MultiBàO : est une multi Boite à Outils en ligne, liée à une plateforme de discussion, en pleine évolution. Elle est dédiée à l’organisation coopérative en collectif et à la gestion de projet et pensée en appui aux animateurs de groupes et de réseaux. Elle rassemble une multitude de fiches d’outils, mises à disposition sous licence Creative Commons. À la base de ce projet, Thomas Wolff et le « Centre des Pratiques de la Coopération » de Montpellier.

www.multibao.org/

www.dropbox.com/sh/vryv33xp4bwwhx0/AAAGx_8JJZO_Gtipmg4GMFIKa

Asbl Barricades : a produit une analyse très intéressante qui passe en revue huit outils d’Intelligence collective (la Sociocratie, l’Holacratie, la Communication non violente, la Démocratie profonde, le Forum ouvert, le Café-débat, le Bocal à poissons, les Six chapeaux de Bono) et donne des pistes intéressantes pour les creuser.

Pablo Servigne, « Outils de facilitation et techniques d’Intelligence collective », Barricades asbl, leur site

Quinoa asbl : mets en accès libre deux manuels liés aux techniques d’Education populaire. Le premier s’appelle « Education populaire : manuel de techniques participatives ». Le deuxième, « Systématiser nos expériences : manuel pour apprendre de nos pratiques », met ensemble une série de techniques d’Education populaire conçues pour faciliter l’apprentissage à partir de l’expérience.

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Agir pour la Paix : met à disposition un ensemble de mini-guides, autour de différentes thématiques (la facilitation en réunion, le consensus, etc.), qu’elle a rédigés dans le but de soutenir les démarches collectives. 

La Fondation Roi Baudouin : a publié la traduction française d’un guide très riche et complet sur les Méthodes participatives, à découvrir en ligne. Fondation Roi Baudouin, « Méthodes participatives, un guide pour l’utilisateur », leur site

Scoop Le Pavé : est une coopérative française, maintenant dissoute et en voie de refondation, très active dans le domaine de l’Education populaire. Elle met à disposition sur son site web quelques outils « pour discuter », « pour s’écouter » ou bien « pour décider » (voir à l’onglet « Outils et Méthodes »), leur site

Au-delà des outils
 

Une fois passée en revue la question des outils et des techniques dits d’Intelligence collective, il nous semble important de refaire le point sur cette notion, pour ne pas perdre la boussole de notre analyse. En effet, quand on veut expliquer l’Intelligence collective, on ne peut pas se limiter à une liste d’outils et de techniques, la question va bien au-delà. Pourtant, cette erreur est souvent commise.

Tout d’abord, chaque outil vise un objectif spécifique et il est conçu avec à la base une logique bien précise, dont il faut tenir compte quand on veut l’utiliser. Pour Jean-Philippe Dor : « ceux qui adorent les outils d’Ic ne réfléchissent pas nécessairement en termes de ‘qu’est-ce qui est le plus adapté à mon groupe ?’. La méthode est contreproductive par rapport à l’objectif de départ, si on l’applique de manière bête et méchante »[44]. Pour donner un exemple de ce cas concret, « ce n’est pas parce qu’on doit faire une réunion à 250 personnes, et que l’outil Forum ouvert est adapté à un groupe de cette taille, qu’on doit forcément organiser un Forum ouvert ». D’après Daniel Cauchy, trop concentrer son intérêt sur l’outil en soi risque même d’être nuisible à la dynamique d’un groupe. « Si j’introduis une solution préétablie dans un système [humain], cela ne marchera pas, parce que la solution doit être toujours co-construite par le système. […] je pense que des choses comme la Sociocratie ou l’Holacratie[45] peuvent avoir ce danger », d’où l’importance, pour chaque groupe, de s’approprier un outil pour, au final, le modifier et l’adapter à ses propres caractéristiques et besoins.

Pour ne pas tomber dans ces pièges, il est fondamental de se rappeler que les outils ne sont qu’un moyen pour atteindre l’Intelligence collective au sein d’un groupe. Il faut garder en tête que l’objectif de leur application est la chose la plus importante : porter un regard autre sur notre manière d’être ensemble (au sein d’un groupe constitué) et, si on trouve cela nécessaire, mettre en place des mécanismes pour l’améliorer. L’atout réel de ce paradigme est pour nous, celui de permettre aux collectifs citoyens de trouver une cohérence entre des objectifs de changement social et le processus avec lequel on les met en pratique.

Pour aller réellement au-delà d’un discours qui focalise son attention sur des outils ou des techniques, comme c’est le cas jusqu’ici dans ce deuxième chapitre, nous souhaitons clarifier, à ce stade, ce que, selon notre vision, l’application de ce paradigme au sein d’un groupe comporte et ce qu’elle peut amener.

Quelques principes de base
 

Quels sont les principes à la base de tout processus d’Intelligence collective ? Au fil de notre recherche, nous en avons repérés beaucoup. Essayons ici de les récolter et de les décrire.

  1. Intelligence collective signifie tout d’abord que le processus est aussi important que les objectifs visés. La manière dont je veux atteindre mes objectifs influence mes résultats : l’efficience (en termes de temps, d’énergie et de moyens) n’est pas la seule unité de mesure à prendre en compte. Il faut surtout ne pas oublier le côté ‘relationnel’ au sein d’un groupe. L’idéal est de trouver une cohérence entre processus, objectifs et valeurs.
  2. Pour travailler en Intelligence collective en mettant en place un projet quel qu’il soit, il faut essayer de penser au sens précis de chaque action qu’on veut adopter. Pourquoi ne pas essayer d’innover dans notre manière de faire en groupe, sortir des chemins battus, simplement parce que « c’est comme ça qu’on a toujours fait » ? La créativité et l’initiative de chacun et du groupe doivent être valorisées et avoir de l’espace pour se déployer.
  3. En Intelligence collective, on essaye d’aller vers un partage du pouvoir et vers une recherche d’horizontalité dans les prises de décision. Autorité et leadership signifient tout d’abord ‘plus de responsabilité’ (au lieu de ‘plus de pouvoir’).
  4. Pour être en Intelligence collective, il faut ne pas craindre ou nier l’existence de divergences au sein d’un groupe. Une divergence peut être un enrichissement potentiel. Traiter et, si elles sont raisonnables, inclure les divergences, au lieu de s’y opposer, peut donc amener à améliorer l’élément sur lequel on diverge.
  5. Le respect, l’écoute et la bienveillance à l’égard de chacun, en Intelligence collective, sont très importants. À tout moment il est essentiel d’essayer de donner une place à chacun. Dans ce cadre, le tour de parole est une pratique récurrente dans les dynamiques d’Intelligence collective.
  6. Dans les dynamiques collectives, il est important d’être attentif au bien-être de chacun. Il ne faut pas avoir peur d’amener la question des émotions dans le débat et dans la prise de décision. La recherche de la convivialité au sein du groupe est aussi cruciale.
  7. L’objectif principal de toute dynamique d’Intelligence collective est de renforcer la participation de chacun et de stimuler la coopération au sein d’un collectif.

Des attitudes nécessaires
 

Mettre en œuvre les principes qu’on vient d’énumérer, comme vous pouvez l’imaginer, n’est pas forcément simple. Certains sont des prérequis nécessaires. Etre dans un groupe qui travaille avec ce paradigme comporte parfois, pour les individus, le devoir d’adopter une attitude différente. Il peut être nécessaire d’aller jusqu’à une remise en question de soi et de son fonctionnement au sein d’un collectif. Il s’agit donc d’un travail sur sa posture personnelle. À ce propos, Jean-François Noubel parle de talents, savoirs et pratiques à développer sur le plan individuel[46].

En particulier, certaines attitudes nécessaires au mieux-être en groupe sont difficiles à adopter. Une de celles-ci est la prise de conscience de ses propres émotions (ce qui ne veut pas forcément dire les exprimer devant tout le monde), parce que souvent elles sont à la base de nos comportements et de nos choix, beaucoup plus que le raisonnement rationnel. Cela n’est pas forcément négatif et ne donne pas non plus moins d’importance à notre action. Il est toutefois important de le comprendre, pour mieux orienter aussi notre façon d’être dans un groupe. Un exemple concret : intervenir souvent dans les réunions ou être tout le temps en contradiction, cela peut émaner d’un besoin personnel plus que d’une nécessité réelle. Mettre de côté son propre ego n’est pas évident mais pourtant très important, dans le cadre des relations au sein d’un collectif. Un autre apprentissage évidemment fondamental est celui de l’écoute de l’autre, ce qui n’est pas du tout anodin pour favoriser l’Intelligence collective.

Aller vers l’Intelligence collective en groupe, un développement collectif, implique donc de travailler en même temps sur un développement, une transformation de nature personnelle. Ce lien est mis en avant par beaucoup de formateurs et experts.

Des bénéfices pour l’action collective
 

Malgré les difficultés, les personnes ou les collectifs qui essaient de mettre en pratique l’Intelligence collective nous parlent des apports potentiellement très positifs pour la dynamique de groupe. Ces derniers se trouveraient tant sur le plan individuel que collectif.

Un premier apport important concerne la plus grande implication de chaque personne au sein d’un groupe. En effet, une place majeure donnée à l’écoute et le renforcement des pratiques de prise de décision collective impliquent une valorisation de chaque individu, avec sa personnalité et ses caractéristiques, et non un effacement au service des nécessités du collectif. En même temps, le fait que cette démarche induise (comme vu plus haut) de mettre de côté les ego les plus « forts » et parfois « écrasants », permet de donner de la place à ceux qui le sont moins. Si chacun a la possibilité de chercher quelque chose à partager avec les autres, et peut réellement le faire, non seulement le groupe sera gagnant, mais aussi l’individu, en matière d’auto-estime.

Une deuxième contribution est liée à la création de lien social et de solidarité mutuelle, chose recherchée par beaucoup de collectifs qui se placent dans l’alternative en poursuivant une forme de convivialité. Les démarches d’Intelligence collective auraient comme résultat d’inviter les personnes à être plus authentiques (notamment en référence aux émotions et aux besoins, comme souligné dans le paragraphe précédent), chose qui renforce la compréhension mutuelle et qui permet de redécouvrir (notamment dans le cadre professionnel) la présence de l’être humain derrière les rôles parfois imposés, parfois assumés.

Toujours sur le plan individuel, cela permettrait, tout simplement, de pouvoir retrouver du plaisir, et parfois même du sens à ce que l’on fait. Ceci ressort fréquemment des feed-back des personnes ayant testé des outils ou des techniques d’Ic pour la première fois : « ce qu’on me dit à la fin d’un exercice c’est ‘Qu’est-ce que cela nous a fait du bien !’, ‘Qu’est-ce que cela nous change du mode de fonctionnement classique où on a l’impression de parler et que cela ne sert à rien’, ’Ici on a vraiment l’impression qu’on peut apporter quelque chose’ »[47].

Au niveau collectif, les apports positifs sont différents. Le fait que les participants puissent se sentir plus impliqués, écoutés, valorisés, prendre du goût, peut bien sûr avoir un impact positif en termes de durée de vie des collectifs. Une créativité et une participation plus importantes renforcent également le potentiel des actions que les groupes souhaitent mettre en place.

4. Des exemples en Belgique francophone
 

Qu’est-ce qui se passe sur le territoire belge en matière de dynamiques d’Intelligence collective ? On constate que depuis quelque temps, ce concept est de plus en plus utilisé en Belgique par différents types d’acteurs. Les formations et les publications se multiplient dans le domaine privé ainsi que dans ce qu’on appelle le « non-marchand ».

Nous nous intéressons dans ce chapitre à des « cas d’étude » à Bruxelles et en Wallonie. En suivant la logique de cette étude, nous nous sommes concentrés sur des exemples de dynamiques qui mettent l’accent sur l’aspect « citoyen » de l’Intelligence collective.

Tout d’abord, nous avons rencontré une association, Rencontre des Continents, qui s’est lancée dans un processus très novateur (presque révolutionnaire) de réorganisation interne, dans le but d’aller vers un fonctionnement plus participatif, horizontal et transparent (avec un accent important mis sur le rôle des bénévoles au sein de l’association). Ensuite, pour répondre à la question « quel accès pour des groupes n’ayant pas beaucoup de moyens financiers pour s’assurer des accompagnements dans leur dynamiques collectives », nous avons rencontré deux collectifs, « le Pétrin » au sein du Réseau ADES et le GRAC, qui œuvrent pour le partage et la mutualisation d’outils, méthodes, expériences et savoir-faire en matière d’Ic.

Rencontre des Continents

Rencontre des Continents (RdC) est une asbl d’éducation à la citoyenneté mondiale qui, depuis 2005, vise la sensibilisation d’un public de jeunes et d’adultes aux enjeux écologiques. L’ « angle d’approche » souvent utilisé pour aborder cette thématique est celui de l’alimentation. Des animations, des formations, des évènements et des cours de cuisine écologique et politique sont organisés par trois permanents, avec l’appui d’un dense réseau de bénévoles. Ils accompagnent des collectifs, des associations ou des écoles dans la réflexion sur nos modes de développement et dans la mise en place d’alternatives. La mise en réseau avec d’autres organisations est un autre axe de travail très important pour RdC[48].

Nous avons rencontré RdC pour connaitre l’expérience de restructuration interne et de mise en place de nouveaux modes de fonctionnement dans laquelle l’association s’est lancée depuis plusieurs mois[49]. Ce processus est né du besoin de l’association de trouver un nouvel équilibre entre ses parties prenantes : 1) trois permanents de plus en plus sollicités, vivant le sentiment d’être « surchargés » ; 2) un groupe important de bénévoles impliqués directement dans la mise en place des activités de l’association, mais ayant peu d’autonomie ; 3) un conseil d’administration (CA) à l’origine d’idées novatrices mais ayant peu de disponibilité pour les mettre en place. Suite à une formation de l’Université du Nous[50], à laquelle certaines personnes de l’association ont participé, il a été décidé de s’inspirer, pour cette réorganisation, de processus d’Intelligence collective comme la Sociocratie ou l’Holacratie, tout en adaptant ces modes d’organisation aux caractéristiques de l’association.

Entre week-end à la ferme et réunions, une démarche pour repenser et redéfinir l’association s’amorce et mobilise bénévoles, administrateurs et permanents, à l’aide d’un facilitateur en Ic. Les principaux objectifs de cette « mise en crise » sont les suivants : recréer un sentiment collectif d’appartenance à l’asbl ; permettre aux bénévoles de se mobiliser non seulement dans l’exécution des tâches, mais dans l’entièreté de l’association ; travailler plus en horizontalité ; rendre plus transparent et participatif le processus de construction des décisions.

Les activités de l’association sont remises à plat et analysées. Elles sont ensuite réorganisées et regroupées à l’intérieur de neuf cercles[51] (sous-groupes de travail thématiques). Chaque cercle s’organise de manière autonome, à son rythme, en gérant à la fois les activités et la réflexion liées à la thématique propre au cercle. Des bénévoles et un membre de l’équipe des permanents font partie de chaque cercle. Tout au long de ce parcours, des processus plus ponctuels d’Intelligence collective pour la gestion ou pour la prise de décision[52] ont été utilisés à certains moments. Ce type d’outils est aussi adopté à l’intérieur des cercles.

La prochaine étape que RdC est en train de mettre en place consiste à repenser et à réorganiser de manière plus participative ses organes de décision : le conseil d’administration et l’assemblée générale. Le défi a été, dans ce cas, de respecter les prérequis légaux inhérents à une asbl, en y juxtaposant ce modèle alternatif de fonctionnement en cercles. Cela a abouti à une proposition qui est dans sa phase initiale de mise en œuvre. L’idée est de créer, à côté d’une assemblée générale « classique », un CA élargi, appelé « cercle cœur ». Ce dernier comprendrait à la fois les administrateurs (élus pendant trois ans, portant la responsabilité légale et administrative de l’asbl), un représentant de chaque cercle, issu de la partie « opérationnelle » de l’association, ensemble avec d’autres membres extérieurs à même de participer à la réflexion interne.

L’enjeu principal de cette transformation interne à Rencontre des Continents tourne autour du rôle des bénévoles, qui a été complètement repensé. S’appuyer à différents niveaux sur l’engagement volontaire, qui est par nature mouvant, est un beau défi pour l’équipe comme pour les bénévoles impliqués. Véronique Felis, coordinatrice de l’asbl, nous précise : « on est parti du principe : les personnes qui sont là sont les bonnes personnes et on va travailler avec elles ». Cela exige plus de prise de responsabilités et d’implication de la part des bénévoles, mais cela leur permet d’enrichir leurs compétences et d’élargir leur bagage d’expériences.

L’enjeu collectif a pris aussi toute son importance. Selon Véronique Felis, ce processus a redynamisé l’association et a sorti les permanents d’un sentiment d’isolement : « on avait l’impression d’être débordés et cela a ouvert à un collectif. On se sent être plus un collectif, plutôt que trois permanents, on sent que toutes les parties prenantes se sont impliquées dans ces enjeux structurels ». Ce sentiment d’appartenance s’est construit au fur et à mesure du processus et il est continuellement entretenu avec des moments de prise de décision par consentement et des moments plus informels et de convivialité.

C’est à partir d’un besoin d’équilibre et d’un souci de participation que Rencontre des Continents a entamé cette expérience d’auto-redéfinition. Celle-ci a impliqué, au sein de l’association, un travail d’organisation considérable, avec la soumission de dossiers pour financer l’accompagnement du processus[53], avec une surcharge de travail importante. De plus, cette « mise en crise » a amené des inconnues et donc de l’inconfort pour les membres de RdC. Loin encore de pouvoir en tirer les leçons définitives, ce parcours a déjà porté des fruits positifs en termes de dynamique collective et d’engagement, en renforçant la cohérence entre la dynamique interne et la mission de l’association, qui vise la réflexion et le changement, avec un focus sur le collectif. Cela a fait aussi de RdC un lieu d’apprentissage à la fois personnel, collectif et citoyen pour tous ses membres, et en outre une organisation qui poursuit, de plus en plus, une cohérence entre ses objectifs et son fonctionnement interne. Le nouveau fonctionnement de RdC est maintenant plus alternatif, participatif et horizontal. Cela a marqué la manière dont ce fonctionnement a été réfléchi, et cela fait de cette expérience un très bel exemple de mise en place du paradigme de l’Intelligence collective au sein d’une organisation, qui est grâce à cela toujours plus citoyenne.

Le Réseau ADES

Le Réseau pour des Alternatives Démocratiques, Ecologiques et Sociales (ADES)[54] est à la fois un réseau militant et un groupe d’animation citoyenne. Il naît de l’initiative d’un groupe d’amis, tous sortis de l’UCL, fort impliqués, pendant la période universitaire, dans différentes associations estudiantines. Le Réseau s’est au fur et à mesure élargi et il anime maintenant différents projets et activités. Au total, « il y a une équipe moteur d’une douzaine de personnes qui s’investissent pour ADES tous les jours, un noyau de 40-50 personnes investies à différents niveaux (dans les groupes de travail) et 300 autres personnes suivent [leurs] activités et sont potentiellement mobilisables »[55].

Les activités du réseau sont très variées. Elles vont de la participation et l’appui à différentes mobilisations, l’organisation de journées de formation ou d’ateliers d’échange, recyclage et réparation jusqu’à l’animation d’un espace (L’Ades’if, composé de deux locaux), qui est mis à la disposition d’associations et initiatives de tout genre.

En son sein, les membres du Réseau ADES ont également donné élan à trois projets semi-indépendants. Un premier est celui de la Bees COOP, composée de personnes qui s’organisent pour mettre en place un supermarché coopératif et participatif (sur le modèle de ceux qui existent aux Etats-Unis), avec l’objectif d’offrir « un accès à bas prix à une nourriture de qualité, dans une démarche respectueuse de l’environnement et de l’humain »[56]. Ensuite, il y a le collectif journalistique Engrenages, qui œuvre pour une « information citoyenne pour la transformation sociale »[57]. Enfin, il y a le collectif « le Pétrin », dont l’objectif est la transmission des différentes méthodes d’Intelligence collective. C’est sur ce projet de transmission, en lien avec notre sujet d’étude, que nous avons focalisé notre attention[58].

Le collectif est composé de plusieurs personnes déjà impliquées, que ce soit au niveau professionnel ou volontaire, dans la recherche et dans la mise en pratique des méthodes d’Intelligence collective. Le collectif a deux types d’activités.

D’abord, chaque premier mardi du mois, le groupe organise et anime une rencontre qu’ADES dénomme les Pratiques d’Intelligence Collective (PIC). L’objectif principal de cette rencontre, ouverte à toute personne intéressée à la question de l’Intelligence collective, est la découverte et l’expérimentation de nouveaux outils ou méthodes d’Ic. Les thèmes varient de mois en mois : comment faire une Election sans candidat[59] ; comment récolter des idées ; comment établir des pistes d’action. Les PIC se font de manière conviviale et participative, chacun peut amener un thème qui l’intéresse ou animer une des rencontres.

Ensuite, le collectif « le Pétrin » est actif dans l’accompagnement et l’appui à des groupes, des collectifs ou des associations qui souhaitent mettre en pratique des processus d’Intelligence collective. Voici quelques exemples de projets que le groupe a déjà soutenus : un groupe de chercheurs qui voulait mettre en œuvre un processus de co-construction d’une recherche avec des organisations du terrain ; une asbl culturelle, dans la mise en place d’un parcours d’évaluation du festival de musique qu’elle organise, parcours impliquant directement les participants au festival ; un mouvement social, dans l’organisation d’une grande assemblée générale participative. Etant donné que les membres du collectif s’engagent comme volontaires (à côté de leurs activités rémunératrices), le travail d’accompagnement se fait prioritairement, d’une part pour des groupes avec lesquels le collectif partage les objectifs et les valeurs, d’autre part pour des entités qui, au niveau financier, ne peuvent pas se permettre de rémunérer des formateurs ou facilitateurs privés. L’accompagnement proposé par le collectif n’est pas pour autant gratuit : il se fait moyennant « participation consciente »[60] (la contribution est ensuite versée et sert à soutenir les projets et activités du Réseau ADES entier) et échange de services.

La démarche de ce groupe, dont l’objectif est de partager et transmettre les différentes méthodes d’Ic auprès de différents acteurs et au sein du Réseau-même, nous semble très intéressante à partager. Cela parce que le tout est fait de manière volontaire et auto-organisée, avec le souci d’appuyer des initiatives au contenu citoyen et engagé − logique dans laquelle tout le Réseau ADES est fortement impliqué.

Le GRAC

Le Groupe de Recherche et d’Action en faveur des Collectifs (GRAC) est un groupe informel, composé d’un ensemble d’associations. Son objectif ? On peut le résumer avec les mots d’un de ses initiateurs, le psychologue et accompagnateur Daniel Cauchy, « œuvrer pour créer différents types de dispositifs qui soient au service des groupes citoyens, pour permettre l’utilisation d’outils d’intelligence collaborative, de processus participatifs ». Cette idée a surgi du constat posé par des travailleurs associatifs, déjà engagés professionnellement dans l’accompagnement de groupes citoyens : les collectifs et les projets se multipliant, dans un moment de très grand dynamisme de la société civile, les demandes d’appui et d’accompagnement augmentent, parce que les problèmes liés à l’organisation, au savoir-être ensemble, sont toujours là.

Pourtant, l’objectif du GRAC n’est pas de proposer simplement des services à des associations ou à des collectifs, mais plutôt de mettre en place des processus collaboratifs entre ces différents acteurs, c’est-à-dire un vrai réseau d’entraide qui travaille le renforcement des capacités en matière d’aspects organisationnels.

Plusieurs dispositifs ont été pensés et sont en train d’être mis en place. Tout d’abord, une idée du GRAC est de collaborer avec les concepteurs et animateurs de MultiBàO[61] et d’associer à cette plateforme d’outils un réseau de personnes basé en Belgique : des personnes, ayant déjà mis en place tel ou tel outil, se rendraient disponibles pour aider ceux qui ont envie de les utiliser. Une autre idée est de mettre en place des parcours de formation et d’auto-formation autogérés par les adhérents au GRAC, dans lesquels, par exemple lors d’un week-end ou d’une soirée, chacun pourrait partager ses savoirs et expériences pratiques sur un outil ou une méthode particuliers.

Le GRAC envisage aussi la création de groupes d’« intervision » (en opposition à la notion de « supervision »[62]), dans lesquels des travailleurs actifs dans le domaine associatif se mettraient ensemble pour s’auto-observer et réfléchir collectivement à leurs pratiques. Un autre groupe, qui est en train de se créer au sein du GRAC, réunit des facilitateurs d’habitats groupés. Dans ce type d’habitat collectif, souvent des animateurs externes appuient des moments de prise de décision ou de création de projet collectifs. Souvent aussi, les participants aux habitats groupés ont l’expérience de la mise en place de démarches collectives, mais il est difficile qu’ils puissent le faire au sein même de leur habitat, puisque ils sont immédiatement impliqués dans les relations et donc difficilement neutres. L’idée du GRAC est donc de mettre en place un groupe de partage où des participants d’habitats groupés se mettraient à disposition pour faciliter les dynamiques au sein d’autres habitats groupés.

L’idée à la base des projets du GRAC est de mettre « les outils [d’Intelligence collective] au service des collectifs »[63]. Le désir est de le faire dans une logique d’abondance et de partage. La créativité et l’innovation présentes dans les projets que le GRAC est en train de construire méritent une attention particulière.

5. Conclusion
 

Dans cette Etude nous avons analysé le concept d’Intelligence collective sous différents aspects. Tout d’abord nous avons posé le constat de l’émergence de ce qu’on a appelé un « paradigme ». Cela parce qu’il construit, dans son entièreté, une approche qui, une fois adoptée, sert à orienter notre manière d’être et d’agir ensemble, en collectivité, dans sa globalité. Nous avons également analysé l’intérêt de ce paradigme : étant donné l’efflorescence d’initiatives citoyennes, engagées et alternatives, qui ont un caractère collectif, nous pensons que les démarches d’Intelligence collective peuvent aider ces projets à aller vers plus de durabilité, à augmenter leur capacité d’action et à assurer une cohérence entre les objectifs de changement recherchés et le processus pour les atteindre.

Ensuite, dans une partie plus méthodologique, nous avons proposé des pistes concrètes aux lecteurs pour essayer de mettre en pratique ce paradigme. Il nous a semblé intéressant, en effet, de rapprocher dans cette étude réflexion et pratique : réfléchir à la nécessité d’améliorer notre manière d’être ensemble pour une société meilleure, requiert de parler du « pourquoi » autant que du « comment » atteindre ce mieux-être en collectif. Nous avons ainsi décrit des outils concrets qui peuvent aider les groupes à atteindre une bonne dynamique d’Intelligence collective, ainsi que les principes plus généraux des démarches d’Ic, y compris leurs prérequis. Finalement, nous avons présenté quelques initiatives belges qui s’efforcent de mettre en pratique ce concept, ainsi que de le diffuser.

Toutefois, arrivés à ce stade, il importe, en prenant un instant de recul, de poser un regard critique sur le concept d’Intelligence collective. Plusieurs questions peuvent être posées. Tout d’abord, il faut constater que le concept d’Intelligence collective est, comme cela arrive souvent et tous domaines confondus, un concept qu’on peut dire « à la mode ». Ceci représente à la fois une opportunité et un risque. Une opportunité, parce que ce concept, étant donné la rapidité avec laquelle il se diffuse et l’intérêt croissant qu’il suscite, peut toucher de plus en plus de personnes et de collectifs. Pourtant, chaque « mode » comporte un aspect éphémère et superficiel. Le risque dans ce cas est, que l’intérêt puisse s’éteindre aussi rapidement qu’il s’est allumé ou même qu’on passe définitivement à côté, parce que ça ne vaut pas la peine de s’intéresser à quelque chose qui, bientôt, ne sera plus d’intérêt partagé (justement parce que plus « à la mode »).

D’ailleurs, il est également important de rappeler ici, comme cela a été le cas précédemment, que ce qu’on trouve au sein de ce paradigme n’est pas quelque chose de tout à fait nouveau. Il s’agit, d’une certaine manière, de la systématisation d’un ensemble d’approches et méthodes diverses, mais qui ont le commun dénominateur de porter leur attention sur l’ « être ensemble ». Par exemple, les deux méthodes qu’on a pu décrire au sein de cette étude, le Forum ouvert et la Sociocratie, ont été créées avant que le concept d’Intelligence collective ne soit formulé et appliqué aux dynamiques collectives humaines. C’est le cas également pour certains des principes qui sont à la base de ce concept. On ne peut pas s’empêcher de penser aux dynamiques d’éducation populaire, quand on parle de l’importance de la valorisation de chacun, au sein d’un processus collectif et participatif. De la même manière, le paradigme de l’autogestion tourne autour de la mise en question des concepts d’autorité et de hiérarchie dans la mesure où il prône le fonctionnement horizontal des dynamiques collectives.

L’intérêt du concept d’Intelligence collective ne réside pas pour nous dans sa nouveauté ou dans le fait qu’il fait « le buzz »[64]. L’intérêt se trouve dans l’attention qu’il porte aux modalités selon lesquelles nous sommes et nous travaillons en groupe, en collectif. Bien que ce concept puisse être appliqué à beaucoup de contextes[65], nous avons fait le choix de souligner son apport en matière d’appui à ces initiatives citoyennes qui, pour le dire avec les mots de Rob Hopkins, « changent le monde »[66]. En faisant cela, nous nous positionnons au sein de ce qu’on appelle le courant de l’Intelligence collective citoyenne. L’apprentissage d’un mieux-être comporte la possibilité d’avoir un engagement riche de sens, de se former humainement, de mettre en place des projets plus durables, mobilisateurs, cohérents et efficaces. Cela nous semble une des clés pour la réussite de tout collectif citoyen, pour une société civile plus participative, dynamique et créatrice ainsi que, en général, pour l’avenir d’une société meilleure.

Notes :

  • [1] Groupe d’achat solidaire de l’agriculture paysanne, www.gasap.be/-Qu-est-ce-qu-un-Gasap-

    [2] Nous utiliserons dans cette étude le mot « Intelligence », au sein de l’expression « Intelligence collective », avec un « I » majuscule. La raison en est que cette expression désigne, comme nous le verrons au fur et à mesure de l’ouvrage, un concept spécifique à part entière. De plus, c’est également la forme utilisée par d’autres auteurs qui parlent du même concept. Etant donné que l’expression sera souvent répétée, nous utiliserons parfois l’abréviation « Ic ».

    [3] Pour plus d’éclairage sur ce concept, en plus du livre-phare du fondateur du mouvement des villes en transition Rob Hopkins, Manuel de transition, de la dépendance du pétrole à la résilience locale (Les éditions Ecosociété, Montréal, 2010), vous pouvez lire l’Etude 2014 du Centre AVEC, coordonnée par Claire Wiliquet, La transition énergétique : vecteur d’émancipation ou de reproduction des inégalités sociales ? (www.centreavec.be/site/la-transition-energetique-vecteur-d-emancipation-ou-de-reproduction-des-inegalites-sociales), août 2014, ou l’analyse de Claire Brandeleer, Petit guide pratique d’initiatives locales et alternatives (www.centreavec.be/site/petit-guide-pratique-d-initiatives-locales-et-alternatives), octobre 2014.

    [4] C’est en se positionnant dans ces domaines qu’Olfa Zaïbeit Greselle fait l’état de l’art des définitions d’Intelligence collective, dans son article « Vers l’intelligence collective des équipes de travail : une étude de cas », Management & Avenir, 2007/4, n°14, pp.41-59.

    [5] Jean-François Noubel, « Intelligence Collective, la révolution invisible », p.5, http://testconso.typepad.com/Intelligence_Collective_Revolution_Invisible_JFNoubel.pdf.

    [6] Christine Marsan, dans l’ouvrage collectif L’intelligence collective, Editions Yves Michel, 2014, p.16, parle à ce propos d’expériences de team-building, processus de co-création, empowerment et coaching. On peut ajouter à cette liste différentes méthodes dites participatives, sans pour cela vouloir réduire, comme on verra plus tard, la définition de l’Ic à un ensemble de techniques de gestion et d’animation d’un groupe.

    [7] Que nous avons rencontré en novembre 2014. Jean-Philippe Dor est aussi membre du GRAC, que nous allons décrire plus bas.

    [8] Un écosystème est un ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement biologique, géologique, hydrologique, climatique, etc. Les éléments constituant un écosystème développent un réseau d’échange d’énergie et de matière permettant le maintien et le développement de la vie.

    [9] Jean-François Noubel, op. cit., pp.5-15.

    [10] Ibid., p.10.

    [11]Ibid., p.11.

    [12] D’après cette théorie, l’équilibre général de l’offre et de la demande dans un marché déterminé est atteint à travers une multitude de transactions, qui ont la capacité de déterminer le prix optimal d’un bien ou d’un service. Ces transactions seraient dictées par les intérêts particuliers des agents opérants sur le marché. L’expression de la « main invisible » décrit le fait que les agents, malgré leur volonté affichée – l’intérêt personnel – participent, à travers leur action, à l’intérêt général.

    [13]Ibid., pp.14-15.

    [14] Autrement dit une crise qui touche l’ensemble du système, l’ensemble de la société. Patrick Viveret, « Vers une sobriété heureuse. Du bon usage de la fin des temps modernes », Leçon inaugurale, Groupe ESA, Angers, 2009.

    [15] Pierre Rosanvallon, « La myopie démocratique : comment y remédier », Académie des Sciences Morales et Politiques, séance du lundi 3 mai 2010, www.asmp.fr/travaux/communications/2010_05_03_rosanvallon.htm.

    [16] Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Unesco, 1999, p.17. Nombreux sont les auteurs, dont notamment Morin (dans Introduction à la pensée complexe, Editions du Seuil, 1990), qui prônent la prise en compte de la complexité dans notre manière de penser et d’agir. A ce propos, on peut parler aussi de l’Ecole de la pensée systémique, initiée entre autres par Gregory Bateson (dont on peut citer l’ouvrage Vers une écologie de l’esprit, vol. 1 et 2, Editions du Seuil, 1977), et de l’Ecole de Palo Alto. Sur le lien entre complexité et engagement, dans le même esprit, ce que dit Majo Hansotte dans « Par où passe le devenir ? Mouvements émergents et nouvelles modalités de l’engagement politique » (Etopia, 2007) est intéressant : « on relativise ou on décourage souvent l’engagement citoyen au nom de la complexité. La complexité fait partie du réel et elle pousse à développer de la créativité permanente ».

    [17] Jean-François Noubel, op. cit., p.16.

    [18] Ibidem, p.5.

    [19] Ibidem, p.5.

    [20] Ivan Maltcheff, Les nouveaux collectifs citoyens. Pratiques et perspectives, éditions Yves Michel, 2014.

    [21] On peut citer Miguel Benasayag et Diego Szulwark, Du contre-pouvoir, La Découverte et Syros, 2002 ou Florence Aubenas et Miguel Benasayag, Résister, c’est créer, Editions La Découverte, 2002.

    [22] Ivan Maltcheff, ibid., p.18.

    [23] Que nous avons rencontré en décembre 2014. Daniel Cauchy est également un des membres fondateurs du GRAC, Groupe de recherche et d’appui aux collectifs, dont on parlera dans la troisième partie de l’étude.

    [24] Si vous voulez creuser ces questions ainsi que ses possibles résolutions, deux auteurs ont produit des ouvrages intéressants, travaillant sur la systématisation d’expériences collectives. Dans ces deux livres, ils passent en revue différentes situations-problèmes et des pistes pour les approcher. Il s’agit d’Ivan Maltcheff, op. cit., et de David Vercauteren, Micropolitiques des groupes, pour une écologie des pratiques collectives, Les prairies ordinaires, 2011.

    [25] Jean-François Noubel, ibid., p.21.

    [26] Cfr., p.5.

    [27] Ces exemples sont tirés de l’ouvrage d’Ivan Maltcheff, op. cit., chapitre I.

    [28] Ivan Maltcheff, ibid., p.29.

    [29] Voir également les analyses de Pablo Servigne, « Outils de facilitation et techniques d’intelligence collective » et « Au-delà du vote ‘démocratique’, les nouveaux modes de gouvernance », Barricades asbl, 2011.

    [30] Connu en anglais comme The Open Space Technology.

    [31] Un guide pour toute personne souhaitant lancer une initiative locale de transition. Rob Hopkins est en effet l’initiateur de ce mouvement, dit des Initiatives de Transition, qui depuis quelques années se diffuse de plus en plus en Belgique. Le site de la plateforme des Initiatives de Transition en Wallonie-Bruxelles se trouve à l’adresse www.reseautransition.be/.

    [32] Il s’agit d’ailleurs d’une description très bien faite, à laquelle nous vous renvoyons : Rob Hopkins, op. cit., pp.164-165.

    [33] Rob Hopkins, op. cit., pp.155-158.

    [34] L’histoire de la création de cet outil est tracée, par le même auteur, dans cet article en ligne : « L’approche Forum ouvert », extrait de Harrison Owen. Open Space Technology: A User’s Guide, Abbott Publishing, 1992, www.openspaceworld.org/languages/french/intro.html.

    [35] Pablo Servigne, « Outils de facilitation et techniques d’intelligence collective », cit., p.5.

    [36] Harrison Owen, op. cit.

    [37] Ibidem.

    [38] Plus que tous les autres Forums ouverts qui, pourtant, ont également été organisés.

    [39] Pour une description complète de cet évènement vous pouvez consulter l’étude de Jean Marie Faux sj, Claire Wiliquet et Claire Brandeleer, Solidarité et responsabilité politique. Un défi pour la démocratie, Centre Avec asbl, 2012, pp.37-43.

    [40] Ibid., p.40.

    [41] Pablo Servigne, op. cit, p.3.

    [42] Ibidem.

    [43] Il s’agit de la technique appelée « Election sans candidat » : à travers des processus sociocratiques, une personne est choisie pour assumer un certain poste, mission ou responsabilité, cela sans qu’il soit nécessaire que des personnes se portent candidates.

    [44] Jean-Philippe Dor.

    [45] L’Holacratie est une autre méthode de gouvernance en Intelligence collective qui reprend certains principes de la Sociocratie pour les approfondir : « alors que la Sociocratie s’intéresse aux relations entre individus et désamorce des tensions, l’Holacratie permet de dépasser les egos en se focalisant sur l’organisation, la ‘raison d’être’ des groupes. » (Pablo Servigne, op. cit., p.4).

    [46] Jean-François Noubel, op. cit., p.37.

    [47] Jean-Philippe Dor.

    [48] Nous avons rencontré Véronique Felis, Coordinatrice de Rencontre des Continents, en janvier 2015. Pour plus d’informations sur l’asbl Rencontre des Continents et ses activités, vous pouvez consulter leur site web http://rdcontinents.canalblog.com/.

    [49] Lorsque nous avons rencontré l’association en janvier 2015, le processus était entamé depuis plus ou moins un an.

    [50] L’Université du Nous est une organisation qui, à travers des séminaires et des accompagnements, a comme objectif d’accompagner la transformation sociétale en favorisant l’émergence de nouvelles formes d’organisations http://universite-du-nous.org/.

    [51] Le fonctionnement en cercle est fondamental dans la Sociocratie. Il repose sur un principe d’équivalence : les personnes – chacune avec son expérience, sa personnalité, ses atouts et ses capacités − ne sont pas égales mais s’équivalent : on donne de l’importance à chacun de la même manière.

    [52] Des processus de prise de décision par consentement.

    [53] Qui a été financé par le Fonds-4S (Fonds Social du Secteur Socioculturel et Sportif ; www.fonds-4s.org/).

    [58] Pour le découvrir, nous avons rencontré, en novembre 2014, Chloé et Julien, deux des chevilles ouvrières du collectif « le Pétrin ».

    [59] Un outil lié à la Sociocratie.

    [60] C’est-à-dire le prix décidé par le bénéficiaire du service après une intervention, à hauteur de la valeur qu’il donne à ce service, sans se mettre lui-même financièrement en danger.

    [61] Pour plus d’infos sur le projet de MultiBàO, voir le descriptif qu’on en a fait dans le chapitre 3 (encadré).

    [62] Où une personne, à partir d’une position d’expert (donc supérieure), évalue des pratiques professionnelles dans le but de donner des pistes d’amélioration. En opposition à cette notion, l’« intervision » se démarque par le fait que tout le monde a un statut égal.

    [63] Daniel Cauchy.

    [64] En langage journalistique, « il fait parler de soi ».

    [65] Cela a été souvent le cas.

    [66] Rob Hopkins, Ils changent le monde, 1001 initiatives de transition écologique, Editions du Seuil, Paris, 2014.