Le 15 décembre 2015

Logements collectifs et alternatifs

Habitats groupés, colocations, occupations… La vie en collectivité permet de mutualiser et rationaliser les dépenses économiques et énergétiques. Elle entraine des mécanismes d’entraide et elle incite l’individu à se socialiser. Mais, malgré ces avantages, cela reste souvent une lutte administrative pour faire valoir son droit à l’habitat alternatif.

A l’heure des défis écologiques et sociaux posés par notre société, le logement constitue un axe d’action très important. Cette analyse retrace différentes alternatives possibles aux logements conventionnels en se focalisant sur la vie en groupe.

A l’heure où notre société est confrontée à des défis écologiques et sociaux sans précédents, le logement constitue un axe d’action très important. Cette analyse retrace les différentes alternatives possibles au logement conventionnel en se focalisant sur la vie en collectivité.

Le logement collectif apporte toute une série d’avantages : il permet de mutualiser et rationaliser les dépenses économiques et énergétiques, il entraine des mécanismes d’entraide et il incite l’individu à se socialiser, à sortir de l’isolement.

Aujourd’hui, vivre en collectivité c’est choisir entre deux pôles sensiblement opposés : le premier ne met que certains éléments au centre de la vie commune et conserve une grande liberté individuelle (habitat groupé, petites cellules de colocation, etc.). Le deuxième prône carrément l’effacement de l’individu et de l’ego (au sens spirituel du terme) pour se consacrer entièrement à la vie collective (communautés). Entre ces deux pôles il existe une infinité de nuances.

En dehors du pôle choisi, toute vie collective se structure autour de point(s) commun(s) : des aspects pragmatiques (réduction des frais, accès à un logement plus grand…) et éventuellement des aspects politiques et/ou philosophiques. Les formes que prend la vie collective dépendent de trois grands groupes de critères : la formule d’habitation (location, sous-location, achat, occupation temporaire, échange de services, etc.), les activités (spiritualité, agriculture, socio-culturel, ateliers, etc.) et, enfin, le type d’implication souhaitée dans le groupe (épisodique, régulière, totale).

La diversité des formes d’habitat collectif repose également sur l’originalité de l’architecture mobilisée. Celle-ci devient en elle-même vecteur d’innovation : d’une part, les habitats légers ont de plus en plus la cote (yourte, cabane, roulotte, camionnette, etc.). D’autre part, les auto-constructions à base de récupération ou de matériaux locaux et moins coûteux (terre-paille, bouteilles de verre, containers, palettes, etc.) représentent une autre alternative aux logements conventionnels. Ces solutions supposent néanmoins une relation avec un bâti classique en « dur » afin de partager l’eau et l’électricité.

La formule obtenue par la combinaison de ces différents éléments influence le type d’habitat et de vie commune. Pour s’en faire une idée plus précise, nous allons passer en revue trois formes courantes de logements collectifs alternatifs : colocations, occupations et acquisitions.

Colocations
 

De nos jours, en milieu urbain, la colocation est devenue un mode de vie répandu, qui se développe également en milieu rural. Elle constitue souvent le degré le plus faible de la cohésion de groupe. Au minimum, il s’agira simplement de partager les dépenses communes et de diminuer le prix du loyer. Néanmoins, un grand éventail de degrés de cohésion existe et beaucoup de colocations à projets naissent : ces projets diminuent le prix de la vie commune, apportent une dynamique socio-culturelle de quartier et permettent à des personnes qui sont loin de leur famille de tisser des liens solides. Il existe également des initiatives spécifiques aux étudiants (kots à projets, cohabitation intergénérationnelle, etc.) qui permettent de structurer la vie commune.
 

Plus d’infos :

Colocations intergénérationnelles : www.collectiflogement.be ; www.coteacote.info/v2/concept.php ; www.lestroispommiers.be

Habitats étudiants à projets : www.kapuclouvain.be/web/index.php

Occupations
 

Un nombre croissant de personnes ne dispose pas du pouvoir d’achat nécessaire à la location d’un bien. En parallèle, il existe un nombre impressionnant de logements vacants : en région bruxelloise, on parle le plus souvent de 15 à 30.000 logements vides depuis les années 2000[1]. L’IBDE (réseau de distribution d’eau) mentionne en 2005 35.000 compteurs qui ont consommé moins de 5m³ d’eau[2], et plus récemment, en 2015, la RTBF évoque 48.000 compteurs électriques inactifs[3]. Tout cela sans compter le million de mètres carrés de bureaux inoccupés (60 % d’entre eux sont vides depuis plus de trois ans)[4] comptabilisés entre 2009 et 2012[5]. Tous ces chiffres sont néanmoins à prendre avec précaution, vu qu’il n’existe aucune étude exhaustive.

Dans ce contexte, depuis plus de 30 ans, les mouvements de squatteurs se préoccupent de combler les vides laissés par les spéculateurs ou par les propriétaires en mal de fonds pour rénover et louer leurs bâtiments. Depuis 2007, s’est créé à Bruxelles un mouvement dit « d’occupation » qui cherche à obtenir l’accord des propriétaires de biens vacants afin de les occuper légalement, en mettant en avant les avantages mutuels d’un tel projet commun (rénovations, entretien du bâtiment, possibilité de voir fleurir des projets socioculturels et participer ainsi à la vie de quartier, etc.). Squats et occupations peuvent inclure une grande diversité de niveaux d’implication : le plus souvent les occupants sont très intéressés par la dimension artistique, militante et sociale des projets (ex : 123 rue Royale, Communa). Ce type de mouvement existe également en milieu rural mais est plus rare (ex : la Ritabaga). Quant au quartier de la Baraque de Louvain-la-Neuve, il constitue un mélange suburbain au statut particulier entre squat et espace d’expérimentation circonscrit en concertation avec la commune. Il existe depuis 1972. Il est intéressant de préciser que certaines occupations ne font pas d’habitat mais présentent des activités socio-culturelles, ce qui engendre une autre manière de valoriser le patrimoine (ex : Toestand).

Les « ZAD » (pour zone à défendre) reprennent certaines caractéristiques aux initiatives citées ci-dessus mais y rajoutent une dimension fortement militante. Elles se destinent à occuper un endroit, non seulement pour un projet d’habitation mais surtout pour empêcher la destruction, la pollution ou la bétonisation d’un espace vert. L’exemple le plus marquant étant la ZAD de Nantes (contre la construction d’un deuxième aéroport à Nantes), et plus près de nous la ZAD du Keelbeek à Haren, contre le projet de Maxi-prison de la ville de Bruxelles.

Plus d’infos ?

Asbl Woningen 123 logements : première association ayant signé un contrat d’occupation temporaire, devenant la “mère spirituelle” de toutes les occupations légales à Bruxelles.  www.123rueroyale.be

Toestand : association qui n’héberge pas mais propose des espaces et événements socio-culturels à destination de publics multiculturels et variés. http://toestand.be

Communa asbl : association qui occupe deux maisons, propose des activités de récupération et redistribution de nourriture (en partenariat avec Collectactif) et cherche à créer un réseau alternatif. www.communa.be

Quartier de la Baraque : occupation de résistance à l’urbanisation de Louvain-la-Neuve ayant débouché sur une régularisation. hwww.habiter-autrement.org/08.minimaliste/05_min.htm;  https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Baraque_(Louvain-la-Neuve)

Ritabaga à Liernu : occupation rurale qui propose de l’agriculture et de l’échange de savoir-faire. Pas de site web.

ZAD de Nantes : souvent comparé à la lutte du Larzac ce mouvement de résistance réussit depuis 2010 à entraver la construction d’un deuxième aéroport à Nantes. http://zad.nadir.org

ZAD du Keelbeek : résistance à l’enclavement de Haren, à la destruction d’un espace vert et à la construction d’une Maxi-prison. http://haren.luttespaysannes.be

Acquisitions
 

Enfin, l’achat collectif suppose la plupart du temps un haut degré d’implication et permet de faire des économies d’échelle. Ces économies peuvent aussi bien mener à la création d’un groupement d’habitats privatifs (Leignon), qu’à la création d’un bâtiment totalement collectif (Communautés de l’Arche de Lanza del Vasto) ou encore la simple acquisition d’un terrain pour des activités socio-culturelles (carrière de Modave). L’achat peut également parfois reposer sur une partie de la communauté, qui loue ou prête ensuite des espaces à d’autres (Vévy-Wéron).

Plus d’infos ?

Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto : réseau de différentes communautés spirituelles engagées politiquement, inspirées par les ashrams d’Inde. http://arche-nonviolence.eu

Ferme de Vévy-Wéron : habitat groupé qui rassemble maraichage, boulangerie, chèvrerie, épicerie et salle d’activités & fêtes. www.vevyweron.be

Cravirola – Ferme du maquis : un lieu mêlant agriculture paysanne, engagement social et action culturelle. Solidarité, transmission des savoirs, autogestion, mise en commun des outils et revenus y sont les maîtres mots. www.cravirola.com

Leignon : acquisition d’un terrain constructible et construction du gros œuvre par des artisans auto-constructeurs conduisant à la mise en place d’un groupement d’habitats.

 www.preat.net/maisonspassives

Modave : acquisition du terrain d’une ancienne carrière à des fins d’activités socio-culturelles. Pas de site web.

Une école de la vie…
 

Au-delà du gain énergétique et financier et de l’amélioration de la qualité de vie, mettre le pied dans le logement collectif, c’est s’initier à un nouveau mode de vie et développer un tas de nouvelles compétences. La plupart des personnes qui font ce genre d’expérience en ressortent transformées et pleines d’innovations pour le futur.

Freins législatifs
 

Malheureusement, malgré les intérêts et avantages évidents de tous les modes de vie collectifs dont nous avons parlé, les autorités ne sont pas toujours enchantées par de telles initiatives, et souvent en retard sur les initiatives et innovations des citoyens face au bouleversement des rythmes de vie.

Les statuts de ménage ne permettent pas toujours aux habitants des colocations de se domicilier, les règles urbanistiques interdisent à des personnes d’installer une yourte ou une cabane. Cela peut être souvent la croix et la bannière pour obtenir le droit d’habiter comme on l’entend, même quand on est propriétaire de son propre terrain ! Ce droit « dépend largement du pouvoir […] des communes, pour le meilleur et pour le pire. Certaines ferment les yeux tant que l’occupation est discrète et, surtout, qu’il n’y a pas de dénonciation d’un voisin, principale raison des expulsions »[6].

Dans la région de Bruxelles-Capitale, le Secrétaire d’État au logement Christos Doulkeridis a, durant son mandat (2009-2014), procédé à la révision du code du logement (décembre 2012). Cette révision coïncide avec une série d’avancées qui ont directement ou indirectement bénéficié au logement alternatif : reconnaissance des conventions d’occupation précaire, protection des occupants, mise en branle de l’identification et de la taxation des logements vides, mise à disposition de logements sociaux dans l’attente de leur réaffectation.[7] Malheureusement, on ne peut pas dire autant de bien des politiques communales : les pionniers du logement alternatif sont toujours à la merci d’une politique « à la tête du client ». En effet, les suites d’une dénonciation pour un habitat léger illégal, l’attribution d’une domiciliation, d’un statut d’isolé ou encore l’intervention du service d’inspection de l’urbanisme dépendent fortement de l’empathie de l’agent de quartier. Par ailleurs, la commune adaptera généralement son discours à la qualité d’argumentation et de protection juridique des personnes concernées, ainsi qu’au degré d’adhésion des riverains au projet. Tout ceci, combiné à des politiques et des approches très différentes au sein des communes des régions bruxelloise et wallonne, rend très chaotique le parcours des candidats à la reconnaissance d’un logement alternatif. Dans la lignée des progrès déjà réalisés, Il est important que l’opinion publique et les législateurs bougent afin de stimuler ces initiatives bénéfiques à la société !
 

Pour aller plus loin :

Le poids du léger : documentaire sur l’habitat léger en Wallonie : www.youtube.com/watch?v=azT__da3TB4

Numéro spécial du périodique « Bruxelles en Mouvements » consacré à l’habitat léger & mobile : www.ieb.be/IMG/pdf/bem262_01-02-2013.pdf

Ouvrage de Nicolas Bernard constituant une mine d’informations juridiques sur l’habitat alternatif : la norme à l’épreuve de l’habitat alternatif (La Charte, 2012).

Guide pratique pour l’autogestion des groupes et l’animation de réunions sans hiérarchie : http://agirpourlapaix.be/formations/boite-a-outils

De l’espoir plein tube
 

Pour conclure sur une note positive, on peut considérer l’habitat comme la première pierre de la mise en place d’un réseau alternatif global qui inclue la production et la distribution de biens et services (agriculture, artisanat, culture, enseignement, etc.). En témoigne notamment la spectaculaire organisation de la « Cooperativa Integral Catalana » qui réussit à mettre en réseau une grande quantité d’initiatives de transition ; producteurs, consommateurs et habitants se retrouvent ainsi connectés à travers un marché local. Lancée par une dizaine de fondateurs, animée par une soixantaine de participants permanents, cette initiative touche en bout de course approximativement 4.000 utilisateurs/participants/consommateurs occasionnels[8]. Ayant trouvé des failles dans le système juridique catalan, ils ont réussi à monter légalement un projet solide et efficace. Une initiative à reproduire dès que possible dans d’autres pays, et dont des collectifs (Mouvement Clanic, Plate-forme occupation) qui sont en train de se mettre en place actuellement sont déjà les embryons.
 

Pour aller plus loin :

Cooperativa Integral Catalana (site en espagnol, anglais et catalan) : http://cooperativa.cat/en/

Vidéo sur le mouvement Clanic en Belgique :  https://vimeo.com/114934721

Le site des habitats groupés en Wallonie et à Bruxelles : www.habitat-groupe.be

Portail des habitats et modes de vie alternatifs : www.habiter-autrement.org  

A venir : structuration en réseau de la plate-forme occupations de Bruxelles et mise en place d’un périodique. Infos et contact : gazetteoccupation@gmail.com

Notes :