Le 12 octobre 2006

Migrations dans le monde, hier et aujourd’hui

Malgré son titre, cette analyse est consacrée à l’histoire et à l’état actuel de l’immigration en Belgique, mais elle s’efforce de les situer dans le contexte mondial. Les immigrés d’hier étaient des travailleurs, venus dans le cadre d’accords bi-latéraux ; en assumant les tâches non qualifiées, dont les Belges ne voulaient plus, ils ont rendu possible l’essor économique et le développement social des trente années qui ont suivi la guerre. L’arrêt de l’immigration en 1974 a eu pour effet la stabilisation de cette population dont les enfants (3e et 4e générations) ont aujourd’hui la nationalité belge. Elle n’en est pas moins, globalement parlant, en situation plus précaire que la moyenne, souvent encore discriminée et quelquefois tentée par un repli communautaire. L’immigration a repris, à partir de 1986, par le biais de la demande d’asile. Cette nouvelle immigration provient de toutes les parties du monde, dans une grande variété de filières, de statuts et de succès. Elle rejoint souvent les descendants de l’ancienne immigration dans les mêmes territoires urbains. La recherche de solutions aux problèmes de cohabitation et d’insertion harmonieuse passe par un respect inconditionnel de chaque être humain, reconnu dans sa dignité, par une solidarité attentive et par une hospitalité du cœur et de l’esprit. La présence des immigrés parmi nous est la présence du monde entier ; en les accueillant et en cherchant avec eux à améliorer la vie, nous pouvons travailler à une mondialisation vraiment humaine. 
 

Je voudrais citer en exergue un passage de l’Épître aux Hébreux : « N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges » (Hb 13, 2). L’auteur de l’Épître fait allusion à la visite de Dieu à Abraham, au chêne de Mambré. Je veux souligner que le mot grec traduit par hospitalité est philoxénia, littéralement « amour de l’étranger », l’exact opposé de la xénophobie. L’intention de cette analyse serait d’inviter ceux qui la liront à rendre leurs cœurs et leurs actes hospitaliers à l’égard de tous les étrangers parmi nous. Il faut commencer par voir : rappeler l’histoire des migrations, faire le point de la situation actuelle.  Mon exposé comportera quatre parties : 1. Les immigrés d’hier ; 2. Les immigrés d’hier, aujourd’hui ; 3. Les immigrés d’aujourd’hui ; 4. Les immigrés parmi nous.

1. Les immigrés d’hier.

La migration est un phénomène aussi ancien que l’humanité. C’est par la migration qu’à partir des premières souches émergées de l’animalité, quelque part en Afrique orientale ou ailleurs, l’homo sapiens a peu à peu peuplé la terre. Dès les débuts de l’ère historique, les premières traces écrites, nous assistons à des mouvements de population, massifs ou progressifs, violents ou pacifiques, souvent attirés par les civilisations les plus avancées, elles-mêmes écloses dans les terres les plus fertiles. La Bible nous fournit un bon reflet de ce phénomène universel. Les pérégrinations d’Abraham et de ses descendants nous fournissent un condensé, comme disent les sociologues,  des mobiles push (répulsion, motifs qui poussent à partir) et pull (attraction, motifs qui attirent) des migrations : la famine qui force les fils d’Abraham à chercher des vivres en Égypte, l’accueil dans ce pays qui les y installe et profite de cette main d’œuvre immigrée ; plus tard les discriminations et les persécutions dont ils sont victimes – leur nombre, leur prospérité causant l’inquiétude des autochtones-, et l’espoir d’une terre promise. Beaucoup plus tard, après la destruction des Royaumes d’Israël et de Juda, ils connaîtront la déportation forcée, autre cas de figure. Mais déjà à ce moment, a commencé leur diaspora dans tout le pourtour de la Méditerranée ; le récit de la Pentecôte, dans le livre des Actes des Apôtres,  nous donne une idée de la variété de leur implantation…

Quant à notre pays, le livre Histoire des Étrangers et de l’immigration en Belgique, de la préhistoire à nos jours, publié en 1992 sous la direction d’Anne Morelli jette un regard nouveau sur sa genèse et son développement. Les Celtes qui peuplent nos régions à partir du VIIe ou VIe siècle avant Jésus-Christ sont déjà des migrants (ou des envahisseurs) par rapport aux représentants d’une première civilisation d’agriculteurs originaires de la Hongrie actuelle qui avaient eux-mêmes supplanté des chasseurs néolithiques. Pris dans une perspective historique large, le slogan qu’on lançait quelquefois dans les manifestations : « Nous sommes tous des immigrés » est rigoureusement exact. Mais, rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de survoler cette immense histoire des migrations qui coïncide avec celle de l’humanité ; en fait de retour en arrière, je voudrais seulement, dans cette première partie, reprendre les données de l’histoire récente qui permettent de cadrer avec justesse le problème actuel, en l’occurrence faire le point sur les migrations vers l’Europe Occidentale, en particulier vers la Belgique, depuis la deuxième guerre mondiale.

Rappelons toutefois qu’au XIXe siècle et jusque dans les débuts du XXe, les Belges étaient plutôt des émigrants : émigrants au long cours et pour une installation à vie vers les États-Unis ou l’Australie, « coloniaux » vers le Congo, la plupart rentrant en Belgique pour leurs vieux jours, travailleurs migrants, Flamands surtout vers le Nord de la France. Il faudrait d’ailleurs d’abord parler des migrations internes à l’espace belge : avant les Italiens et les Polonais, ce sont les ouvriers flamands qui venaient travailler dans les mines et les usines du sillon industriel wallon. Et dès l’entre-deux guerres, un flux de travailleurs, de l’Italie et de Pologne surtout, arrive en Wallonie. Pourtant, c’est après la guerre que le mouvement va reprendre et s’amplifier : ce sont ces immigrés-là essentiellement que nous appelons les immigrés d’hier.

À l’inverse des migrations européennes vers l’Amérique, les migrations vers l’Europe occidentale après la seconde guerre mondiale (mis à part le cas des réfugiés dont nous parlerons plus loin), ne sont pas des migrations de peuplement mais de main d’œuvre. Les travailleurs, des hommes souvent seuls, n’émigrent pas pour s’installer et vivre dans un  autre pays mais pour y travailler, y gagner mieux leur vie qu’ils pourraient le faire en restant chez eux et, idéalement, être en mesure, après quelques années, de retourner au pays, « fortune faite » (de quoi acheter une maison, un lopin de terre, monter un commerce, etc.). Même quand ils amènent leur famille ou la font venir au bout d’un certain temps, le projet migratoire se termine par le retour. Qu’il puisse toujours se réaliser est une autre question. Ce fut pourtant le cas pendant une trentaine d’années (de 1945 à 1975 environ).  Les migrants vers l’Europe occidentale sont des travailleurs-migrants (Wanderarbeiter ou Gastarbeiter).

Les flux vont du Sud vers le Nord. De l’Europe du Sud d’abord : l’Italie ruinée après la guerre et qui utilise ce moyen pour retrouver une place dans le concert des pays démocratiques ; l’Espagne, le Portugal, et la Grèce (où le motif « répulsion », push du régime dictatorial se joint avec le mobile économique).  Puis le Maghreb (Algérie et surtout Maroc) et enfin la Turquie à la fin des années soixante. En Belgique, on le sait, les premiers furent les Italiens engagés pour l’exploitation des mines, indispensable à la remise en route de notre économie après la guerre. « Per un sacco di carbone » est le titre d’un livre-souvenir : il évoque l’espèce de troc qui présida à ce premier recrutement. Après la catastrophe du Bois du Cazier, à Marcinelle en 1956, le recrutement italien est arrêté et la Fédération des Charbonnages s’en va recruter en Espagne, en Grèce, au Maroc, en Turquie (particulièrement pour les charbonnages de Campine). Entretemps, la main d’œuvre immigrée a occupé de nombreux autres secteurs : industrie lourde, travaux publics et bâtiment (par exemple à Bruxelles, dans les années soixante) et bien d’autres, à l’exception de secteurs protégés comme tout ce qui est fonction publique et parastatal (gaz, électricité, etc.). Dans son livre  Les immigrés, la politique belge d’immigration de 1945 à 1970, étude fondamentale sur la question, Albert Martens ne craint pas d’affirmer que, pendant ces 25 ans, les immigrés ont assumé les travaux non qualifiés, lourds, pénibles, insalubres qui étaient délaissés ou refusés par la population autochtone. On peut dire que, pendant cette période, l’emploi d’une main d’oeuvre immigrée a été la condition et la contrepartie de l’expansion économique et du progrès social de l’ensemble du pays

L’arrêt officiel de l’immigration de main d’œuvre étrangère a été décrété dans les divers pays industriels d’Europe occidentale au milieu des années septante, en Belgique en 1974, par une simple décision gouvernementale. Une récession, qui allait bientôt se révéler une crise structurelle, commençait. Toute nouvelle immigration de main d’œuvre était interdite. Restait permis le regroupement familial : dans les années qui suivirent, les communautés marocaine et turque continuèrent à se développer, car beaucoup de travailleurs venus les derniers, n’avaient pas encore fait venir leurs familles. Autre exception à l’arrêt de l’immigration, les réfugiés, – nous allons y venir. Il y eut aussi quelques permis de travail concédés pour des emplois bien précis et une marge d’illégaux. Pourtant on peut dire que l’arrêt fut effectif et respecté pendant une dizaine d’années. Mais son effet, inattendu bien que prévisible, fut de stabiliser la population d’origine immigrée : avec la précarité de l’emploi, avec le regroupement familial, le retour espéré comme terme du cycle migratoire devint pratiquement impossible. Le processus, entamé depuis longtemps mais devenu dès lors inéluctable, fut celui de l’insertion et de l’intégration. Il a fallu du temps, la patience vitale des immigrés et de leurs enfants et un long et difficile combat politique pour le mener à bien ou, en tous cas, le rendre irréversible. Le droit a suivi la vie, avec beaucoup de retard. Ce n’est qu’en décembre 1980 qu’a été votée une loi qui donne un statut à l’étranger. C’est entre 1989 et 1993 que la Commissaire Royale Mme D’Hondt a fait accepter par la majorité de l’époque – et pratiquement par l‘opinion publique, l’idée que la population d’origine immigrée était établie de façon définitive en Belgique et que la seule politique possible était une politique d’intégration harmonieuse. La revendication ancienne (dès la fin des années septante) du droit de vote communal pour les immigrés n’a été honorée qu’en 2004 mais l’accélération des naturalisations et le nombre croissant de jeunes d’origine immigrée qui sont automatiquement belges ont eu notamment pour effet, à Bruxelles surtout, l’élection de nombreux députés régionaux et conseillers communaux et de quelques échevins.

2. Les immigrés d’hier aujourd’hui.

Dans son premier rapport (1989), le Commissariat Royal donnait comme objectif à la politique recommandée, l’intégration des immigrés et de leurs descendants et donnait de cette intégration une définition nuancée.

Ce concept d’intégration :

1. part de la notion d’insertion  répondant aux critères suivants :

            b) promotion conséquente d’une insertion la plus poussée conformément aux principes sociaux fondamentaux soutenant la culture du pays d’accueil et tenant à la « modernité », à l’ « émancipation » et au « pluralisme confirmé » dans le sens donné par un État occidental moderne   

            a) assimilation là où l’ordre public l’impose

            c) respect sans équivoque de la diversité culturelle en tant qu’enrichissement réciproque dans les autres domaines

2. va de pair avec une promotion de l’implication structurelle des minorités aux activités et objectifs des pouvoirs publics.

Cette définition a besoin de quelques mots d’explication. L’insertion suppose l’assimilation « là où l’ordre public l’impose » : la loi est la loi pour tout le monde. La promotion conséquente, etc. veut dire qu’il y a des valeurs communes à notre société dont il est souhaitable qu’elles soient partagées par tous ceux qui y vivent : la modernité et le pluralisme confirmé disent la laïcité de l’État, l’émancipation, l’égalité entre l’homme et la femme. Ici il ne s’agit pas d’imposer mais une évolution progressive est clairement souhaitée. Enfin la définition parle d’un « respect sans équivoque » de la diversité culturelle considérée comme un enrichissement réciproque, – ce qui évoque l’idée d’une intégration « en avant », de la construction d’une société non seulement multiculturelle où les cultures différentes se côtoient mais « interculturelle » où elles s’enrichissent mutuellement et constituent ensemble quelque chose de nouveau. Enfin, et c’est très important, la définition appelle à « l’implication des minorités » aux activités des pouvoirs publics, ce qui en clair signifie des droits politiques.

Cette définition visait très explicitement les populations issues de l’immigration d’hier. Nous dirons plus loin que c’est justement vers cette époque (un peu plus tôt, fin 86) que l’immigration a repris après un arrêt effectif d’une douzaine d’années. Mais il est très éclairant d’étudier la situation actuelle des 2e, 3e, 4e générations à la lumière de cette définition. Y a-t-il eu effectivement une intégration ou faut-il dire, comme le fit avec éclat en 2002  Mr Daniel Ducarme, alors président du MR, que l’intégration a échoué ? « Du côté de communautés étrangères, commentait-il, beaucoup disent : ‘on ne se sent pas chez soi’.Et, de l’autre côté, pas mal de ceux que j’appellerais des Belges de souche disent : ‘on ne se sent plus tellement chez soi’. L’alliage n’a donc pas pris ».

Cette déclaration était évidemment démagogique et d’autant plus mal venue qu’à cette époque, Ducarme était conseiller communal à Schaerbeek où le changement a été particulièrement spectaculaire. Dans les années 80, la commune de Schaerbeek était gouvernée par le bourgmestre Nols qui menait ouvertement une politique xénophobe, soutenu par une forte majorité. Aujourd’hui, (et dès les élections de 2000), il y a des candidats d’origine turque, marocaine ou africaine sur toutes les listes démocratiques, le collège sortant comptait quatre échevins de ces origines et, aux dernières élections, le Vlaams Belang de Demol est passé de quatre à un siège.  Cette situation électorale reflète le fait que les populations issues de l’immigration d’hier sont «  installées », elles font désormais partie intégrante de la société. Les immigrés d’hier et leurs descendants seraient plutôt, au sein de la population belge, une minorité encore marquée par son origine et sa culture et trop souvent discriminée : un peu comme les Noirs aux USA.

Malgré de nombreux exemples de promotion économique et sociale, la majorité de la population issue de l’immigration, surtout marocaine et turque, continue à appartenir à ce que, faute de meilleure appellation, je désigne par le terme : couches défavorisées. Une récente étude des Universités de Liège et d’Anvers, commanditée par la Fondation Roi Baudouin, étaie solidement cette constatation. Une beaucoup plus grande proportion des ménages d’origine turque ou marocaine vivent dans la précarité (taux des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire 60% du revenu national médian : Belges d’origine belge : 10,16 %, origine européenne : 14,99, origine italienne : 21,49, origine marocaine : 55,56, origine turque : 58,94). Ils appartiennent au monde ouvrier, au monde populaire. Ils partagent donc les difficultés qui sont celles de ce monde : bas salaires, insécurité de l’emploi, chômage, précarité. Les descendants des travailleurs qu’on a fait venir parce qu’on avait besoin de main d’oeuvre ont aujourd’hui de la peine à trouver du travail. Beaucoup continuent à vivre dans les mêmes quartiers où ils cohabitent avec des Belges de longue souche, familles pauvres ou personnes âgées et où ils sont rejoints aujourd’hui par toutes les couches de « nouveaux arrivants ». Le taux élevé des chômeurs bruxellois (à comparer avec l’abondance d’emplois occupés à Bruxelles par des navetteurs) résume bien l’importance du problème. Un voyage  d’un terminus à l’autre d’un de ces tramways bruxellois qui traversent toute la ville fait percevoir la diversité et les inégalités de la capitale.

La concentration dans certains quartiers, le dépaysement culturel des parents, les conditions de vie difficiles ont pour conséquence que beaucoup de jeunes d’origine immigrée ont des parcours scolaires peu  efficients et sont mal préparés à trouver de l’emploi. Mais on est bien obligé de constater qu’ils se heurtent en outre à une très réelle discrimination à l’embauche en raison de leur origine. Peu importe qu’ils aient la carte d’identité belge ; leur nom, leur apparence physique suffisent à les faire rejeter, sous des prétextes ou sans explication. Cette discrimination est un fait reconnu, encore qu’il soit de plus en plus difficile à établir du fait que les statistiques  distinguent les nationalités mais s’abstiennent, pour des raisons de principe, de mentionner l’origine. On a parlé d’un « plafond de verre ». La discrimination existe aussi dans l’accès au logement, l’accès aux lieux publics et d’autres réalités plus délicates à établir comme le comportement des forces de l’ordre à l’égard des personnes « d’apparence étrangère ».

Mais on peut se demander si, outre les obstacles d’ordre économique et social qui freinent l’intégration harmonieuse des populations d’origine immigrée, il n’y a pas, de la part de celles-ci ou d’une partie de celles-ci, un refus d’accepter la société où ils vivent, un repli sur leur identité. Ce qui est en question ici, c’est  principalement – je ne dirai pas l’islam, qui est la religion de la plupart de ceux dont nous parlons ici – mais certaines manières de vivre cette religion, d’adopter comme exigées par elle des pratiques fortement singularisantes, de les promouvoir et éventuellement de vouloir les imposer. Le diagnostic est difficile à poser : selon quelles mesures peut-on apprécier la progression ou la régression de manières de vivre dans une société donnée ? Pourtant des observateurs compétents et bienveillants (enseignants, militants de quartiers…) constatent des signes qui les inquiètent : recrudescence dans le port du voile, avec des cas extrêmes de burqas qui couvrent le corps entier et que complètent des gants et des lunettes noires, dans certains quartiers contrôle étroit des comportements, par exemple pendant le Ramadan, par des jeunes qui créent une pression, ou encore, dans un registre un peu différent, réactions antisémites violentes de jeunes qui s’identifient facilement avec les jeunes Palestiniens de l’Intifada…

Si la mesure de ce rejet est difficile à prendre, ses causes sont sans doute plus faciles à découvrir. Le repli identitaire est sans doute, pour une bonne part, une réponse à la difficulté de s’intégrer économiquement et socialement. Pour un certain nombre de jeunes, la rencontre de l’islam est une réhabilitation, une véritable conversion après un itinéraire quelquefois tumultueux. Marginalisés par la société qui est perçue plus comme de « non-accueil » que d’accueil, ils retrouvent une dignité en renouant avec des racines religieuses.

Pour clore ce chapitre de « l’immigration d’hier aujourd’hui », on peut comparer la situation des jeunes de la 3e génération avec celle de leurs grands parents : ceux-ci ont été appelés en Belgique et recrutés pour des travaux durs et ingrats. Ils en ont bavé de toutes manières : dureté, dangerosité du travail, logement et conditions de vie précaires, manque d’accueil, racisme. Mais ils avaient un boulot, on avait besoin d’eux, ils étaient dans une dynamique de progrès. Les jeunes sont belges, font ou ont fait des études, bénéficient des lois sociales belges, mais ils se heurtent au « plafond de verre » de la différence et de la discrimination larvée. Ils ne se sentent pas bienvenus dans ce qui devrait être la société d’accueil et qui est plutôt de non-accueil. Cet aspect d’échec renforce une tendance qui a été observée depuis longtemps dans toutes les immigrations : si la 2e génération tend à mettre tous ses efforts pour s’adapter à la société d’accueil, la 3e souhaite retrouver ses racines. Enfin un troisième élément  renforce la tentation du  repli identitaire : c’est la répercussion dans nos pays des tensions internationales.

3. Les immigrés d’aujourd’hui.

L’immigration de main d’œuvre a été stoppée en 1974. Les seules voies qui restaient pour venir en Belgique étaient le regroupement familial et la demande d’asile. Beaucoup de familles, marocaines et turques surtout, se sont complétées après 1974 et le regroupement familial est resté et est encore toujours d’actualité dans le cas de figure du mariage avec une personne du pays d’origine. Quant à la demande d’asile, la Belgique a ratifié dès 1953 la Convention de Genève de 1951 et elle avait  délégué la compétence de reconnaître la qualité de réfugié à une instance internationale, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (H.C.R.) dans la personne de son représentant à Bruxelles. Ce système a été en vigueur de 1954 à 1988. Jusqu’au milieu des années 80, il a fonctionné sans problème. Les candidats réfugiés étaient, soit des cas individuels, surtout des réfugiés des pays de l’Est qui réussissaient à passer le rideau de fer, soit des afflux plus importants lors de crises majeures, bien identifiées : Hongrie, Indochine, Chili. L’État belge et la population ont assumé leur accueil correctement, voire avec une certaine générosité. Le taux de reconnaissance des candidats réfugiés dépassait les 80 %. C’est à partir de 1985 environ que la situation s’est modifiée.

 Avec le recul de quelques années, on peut dire que c’est à cette date que les migrations vers l’Europe occidentale, et en particulier la Belgique, – jamais complètement arrêtées- ont repris et qu’on peut parler de « nouvelles migrations » (voir mon livre de 1993 : Réfugiés et nouvelles migrations). Au moment même où, par les rapports de la Commissaire Royale, l’idée d’une stabilisation de la population d’origine immigrée était enfin acceptée, la question de nouveaux flux migratoires se posait chez nous. Ce fut par le biais d’une arrivée de candidats réfugiés, non seulement plus nombreux mais surtout d’origines de plus en plus diversifiées, et pour des motifs moins aisément identifiables. Alors qu’en 1981 encore, le taux de reconnaissance (par le H.C.R.) des demandeurs d’asile en Belgique était de 83,6 %, en 1985, il est descendu à 38 %. Le moment crucial en Belgique est l’hiver 1986-1987 qui voit la création du Centre d’accueil du Petit Château. Une loi du 14 juillet 1987 crée le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) et la Commission permanente de Recours ; le premier entre en fonction le 1er février 1988, la seconde ne sera opérationnelle que presqu’un an plus tard. Le caractère compliqué de la loi (avec l’étape préliminaire de la reconnaissance de recevabilité par l’Office des étrangers) et l’insuffisance notoire des moyens mis à la disposition du CGRA ont pour effet, dès le départ, des retards notables. C’est une sorte de « péché originel » de la législation et des procédures en matière d’asile. La loi subira des modifications successives en 1991 (Wathelet), 1993  (Tobback), 1996 (Vande Lanotte), toujours dans le but d’accélérer et d’améliorer la procédure. En 1999, le nouveau ministre de l’Intérieur, Antoine Duquesne annonce un projet de refonte fondamentale qui sera mis au rancart quelques mois plus tard mais vient d’être repris et adopté (juin 2006). Entretemps, la majorité arc-en-ciel a décidé en décembre 1999 une opération de régularisation, qui commence en janvier 2000 et aboutira un an plus tard à la reconnaissance d’environ 50.000 personnes. Le but proclamé de cette opération « one shot » était d’assainir la situation ; en principe il ne devait plus y avoir de retard parce qu’on allait accélérer les procédures, y mettre les moyens. Un nouveau Commissaire général entré en fonction fin 2000 applique le principe « last in, first out » (lifo) pour créer un effet dissuasif ; du coup les demandes introduites avant le 1e janvier 2001 restent en rade et des retards invraisemblables s’accumulent à nouveau…

Ce que je viens de dire concerne un premier type de « migrations  d’aujourd’hui », les demandeurs d’asile, reconnus et donc, en principe du moins, en voie d’intégration, ou encore en procédure (quelquefois depuis des années) ou déboutés. Ils proviennent de tous les coins du monde : on peut dire que, depuis le milieu des années 80, toutes les crises politiques, guerres, guerres civiles, violations des droits humains, dans quelque coin du monde, ont envoyé vers la Belgique un contingent plus ou moins important de candidats réfugiés. Tous, loin de là, ne sont pas reconnus : la moyenne des dernières années tourne autour de 10 %. Mais une bonne proportion des déboutés reste en Belgique, en situation plus ou moins précaire, en attente de régularisation. Il y a d’autres « immigrés de l’ombre », autant qu’il y a de manières d’arriver en Belgique : on peut arriver avec un visa de touriste, pour beaucoup de pays (notamment les « nouveaux Européens » et même les ressortissants de pays candidats comme la Bulgarie et la Roumanie) sans visa du tout, ou encore passer les frontières sans contrôle. Quant aux nationalités représentées, il n’est pas rare aujourd’hui que, dans une école de quartier populaire à Bruxelles, accueillant des nouveaux arrivants, on vous parle de vingt à 40 nationalités représentées. Les contingents les plus nombreux sont d’abord les ressortissants des pays de l’Est de l’Europe, aujourd’hui citoyens de l’Union Européenne comme les Polonais ou candidats à l’intégration toute proche, comme les Bulgares et les Roumains. Parmi ceux-ci les Roms tiennent une place à part : persécutés ou au moins fort discriminés de longue date dans le pays qu’ils quittent, objets de méfiance et de préjugés parmi nous. Pour l’Europe encore les rescapés des guerres de l’ancienne Yougoslavie, de la Bosnie au Kosovo. Et les victimes des crises qui traversent l’ancienne U.R.S.S., la Tchetchénie en premier lieu, la Kazakhstan, la Biélorussie…Ce sont ensuite les Latino-Américains : Colombiens, Équatoriens, Péruviens, Brésiliens, Dominicains…Ce sont enfin les Africains, Rwandais, Burundais et Congolais mais aussi originaires de toutes les autres parties de l’Afrique, de la Sierra Leone à la Somalie, du Togo à l’Angola…Certains espèrent s’installer pour longtemps, faire ou refaire leur vie ici, d’autres (Polonais, Bulgares…) sont en quelque sorte des « saisonniers », font des allers et retours avec le pays de départ. Du point de vue économique, un bon nombre s’en tirent relativement bien, « intégrés » (entre guillemets) dans le travail au noir (bâtiment, horeca…), pas tellement préoccupés de régulariser une situation suffisamment lucrative et qui s’inscrit dans un projet de retour. D’autres sont à la dérive, vivant de petits boulots, d’aides diverses, de réseaux informels de solidarité élémentaire…

Les demandeurs d’asile reconnus et les personnes qui, après une attente plus ou moins longue, ont été régularisées, ont entamé leur parcours d’intégration. Beaucoup, assez rapidement, demandent et obtiennent la nationalité belge, leurs enfants deviennent belges. En raison de leurs qualifications et de leur milieu social d’origine, ils vont quelquefois plus vite que les travailleurs de l’ancienne immigration. Mais ils commencent par vivre dans les mêmes quartiers, envoyer leurs enfants dans les mêmes écoles que les descendants de l’immigration d’hier. Quant aux sans papiers de toutes provenances et de toutes sortes, ils se retrouvent eux aussi dans les mêmes territoires, avec la précarité en plus, qui les cantonne au bas de l’échelle (les plus mauvais logements, les filières d’exploitation, etc.). Peuvent naître alors des problèmes de cohabitation, un racisme intercommunautaire, par exemple, entre personnes d’ascendance marocaine et Africains noirs, voire Polonais ou Latinos… Il y a des filières d’exploitation, des négriers, des vendeurs de sommeil dans toutes les ethnies, sans excepter les Belges de souche, comme tel professeur d’Université, naguère inquiété pour son exploitation de logements insalubres. Les plus réticents à l’égard des nouveaux migrants sont quelquefois les pères, (voire grands pères et mères) de famille de la migration d’hier qui s’inquiètent de la concurrence que les nouveaux venus font à leurs enfants.

Pour les migrants d’hier, il y avait une « heureuse » correspondance entre les motifs  push (la misère, le manque de travail) qui poussaient à partir et les motifs  pull (le besoin de main d’œuvre en Belgique). Pour ceux d’aujourd’hui, les motifs  push restent en partie les mêmes (mais il faut ajouter l’insécurité), ils sont renforcés par les motifs pull (attrait du modèle économique, social et démocratique occidental), mais ceux-ci sont totalement indéterminés et aléatoires. Les gens se mettent en route avec de grands espoirs mais sans aucune garantie. Il n’y a plus l’ombre de « Conventions » de pays à pays ; on chercherait plutôt des accords de dissuasion. Mais dans un monde où l’information, comme la circulation des marchandises et des capitaux, est mondialisée et où, en même temps, subsistent d’énormes inégalités, il est inévitable que les personnes aussi se mettent en route. Le cas le plus impressionnant et le plus tragique est celui des Africains qui risquent leur vie, hier à Ceuta et Melilla, aujourd’hui en s’embarquant sur de misérables barques vers les Îles Canaries.

Ceux qui ont réussi à passer et se trouvent enfin en Europe, en Belgique, ont une grande volonté d’intégration et même d’assimilation. Ils voudraient à toute force trouver leur place dans la société. Le slogan de l’U.D.E.P. (Union de Défense des Sans Papiers, une organisation des sans papiers eux-mêmes, qui a organisé, ces derniers mois, les occupations d’églises) est celui-là : pouvoir travailler pour avoir une vie normale, apporter sa pierre à la construction du pays. Mais ils ne sont pas accueillis, ils se heurtent à un mur. Il est profondément injuste de parler d’eux comme de profiteurs, de personnes qui veulent avant tout émarger à la sécurité sociale (peut-être trouverait-on de ces « profiteurs » parmi les gens qui ont des papiers, qui sont devenus Belges… Les « nouveaux » aspirent à être intégrés et ne se replient éventuellement sur une identité nationale ou religieuse qu’en désespoir de cause, parce qu’ils ne sont pas reçus.

4. Les immigrés parmi nous.

Sous ce titre, je voudrais, très brièvement esquisser quelques grandes orientations qui nous aideront à vivre l’hospitalité (la philoxénia).

Le premier point serait « la conscience vive de notre commune humanité ». « Tu aimeras l’étranger comme toi-même », recommande le livre du Lévitique (Lv 19,33) « car vous avez été étrangers au pays d’Égypte ». Ainsi est affirmée une communauté de sort, une sorte de fraternité universelle. Dans un beau passage de son encyclique « Pacem in Terris », ce texte révolutionnaire qui donne droit de cité dans l’Église à la Déclaration des Droits de l’Homme, le pape Jean XXIII affirmait le « droit de tout homme, moyennant des motifs valables, de se rendre à l’étranger et de s’y fixer » et le justifiait en ces termes : « Jamais l’appartenance à telle ou telle communauté politique ne saurait empêcher qui que ce soit d’être membre de la famille humaine, citoyen de cette communauté universelle où tous les hommes sont rassemblés par des liens communs » (Pacem in Terris, 25). De cette conscience devrait résulter le respect élémentaire de chaque être humain, interdisant en toutes circonstances « les traitements inhumains et dégradants », ce qui n’est pas inutile à rappeler en ces jours où toutes sortes de faits divers et de témoignages appellent l’attention sur les pratiques des centres fermés, des prisons et des commissariats.   Plus fondamentalement, c’est en fonction de ce respect que le FAM  (forum asile-migrations, coordination de nombreuses associations pour une meilleure politique d’immigration) insiste pour que soient reconnus des critères clairs de régularisation et mise en place une structure pour les appliquer (il est inhumain que des personnes, des familles soient laissées dans l’incertitude pendant des années et que la décision soit laissée au jugement de l’administration, au risque d’être ressentie comme arbitraire).  La conscience de notre commune humanité nous invite aussi à accepter fondamentalement la présence dans notre société, l’apparition sur notre route de personnes et de groupes différents, venus d’ailleurs hier ou venant aujourd’hui, à ne pas dresser mentalement ou pratiquement des frontières intérieures. Ils sont là, parmi nous : ce titre que j’ai donné à ces conclusions est celui d’un document déjà ancien des évêques de Belgique : « Immigrés et réfugiés parmi nous » (1995).  Membres de la famille humaine, chaque homme, chaque femme peut être un « tu », reconnu comme tel, respecté dans sa dignité, solidaire dans la prise en charge d’un avenir commun.

Le second aspect est justement la solidarité ou l’amour du prochain.  J’évoquerais ici la parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 25-37). « Qui est mon prochain ? », demande le docteur de la loi, après avoir rappelé le double commandement de l’Amour de Dieu et de l’amour du prochain. Et Jésus répond par ce récit où le beau rôle est joué par le Samaritain, un étranger qui « voit l’homme blessé et est saisi de compassion ». Et il conclut  par une question : « Qui s’est fait le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? » Dans notre monde contemporain, où les problèmes et les drames du monde entier sont universellement connus, où ils ont aussi « parmi nous » leur répercussion avec la présence des candidats réfugiés et des sans papiers, l’interpellation est forte, presqu’insupportable. On rapporte toujours le mot trop célèbre du ministre français Michel Rocard : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde » en oubliant de citer la deuxième partie de la phrase : « mais nous devons en prendre notre part ». La Constitution « Gaudium et Spes » du Concile Vatican II a mis en relief la doctrine traditionnelle de la destination universelle des biens : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et Spes, 69). La solidarité est un problème et une exigence aux dimensions universelles : transformer la mondialisation libérale qui engendre l’inégalité et l’injustice en une autre mondialisation humaine et solidaire, dont nul ne soit exclus. La présence parmi nous de personnes en détresse ou simplement en recherche d’une vie meilleure et plus digne, est le signe de l’injustice du monde et l’occasion proche de nous engager pour plus de partage, de « prendre notre part » humblement selon les rencontres et les occasions. Il n’y a pas de solution simple et totalement satisfaisante. Si l’on ne peut se protéger par des murs, on ne peut pas non plus tout simplement « ouvrir les frontières ». Aux points de vue mondial, européen et belge, il faut trouver des solutions qui, parce qu’elles doivent être négociées, faire l’accord des politiques et être admises par l’opinion, ne seront jamais parfaitement satisfaisantes et totalement justes. Mais on ne peut se laver les mains de cette responsabilité planétaire. Les migrants, en particulier ceux d’aujourd’hui, parmi nous, nous la rappellent. Et, ajouterai-je encore, il ne serait pas juste de les recevoir et les voir seulement comme « une partie de la misère du monde », car ils sont aussi une partie de la richesse de l’humanité.

Le troisième aspect pourrait s’intituler accueillir l’autre, intégration et diversité. On revient à la définition de Madame D’Hondt avec son double versant : promotion « conséquente » des valeurs communes à notre société et respect « sans équivoque » de la diversité culturelle des groupes qui la composent. Il n’est pas toujours facile de discerner les bonnes attitudes, les bonnes décisions. Un analyste politique comme Henri Goldman, directeur de la revue « Politique » a bien mis en relief ce qu’il appelle « la crise de l’antiracisme », notamment à partir des discussions (en France surtout) autour du port du voile. L’antiracisme classique, porté par les couches les plus avancées de la population du pays d’accueil, souligne les valeurs universelles (de l’Occident démocratique) et prône l’accès des immigrés à ces valeurs et à ces droits. L’antiracisme nouveau, porté par les populations discriminées, revendique le respect des diversités. Et Goldman invite les uns et les autres à s’ouvrir au point de vue opposé. Pour ma part, je pense que deux préalables sont nécessaires : ceux justement que nos deux premiers points ont établis. La conscience de notre commune humanité permet de découvrir et de respecter (sans équivoque) les valeurs de l’autre : à partir de la ressemblance, il est possible de reconnaître et d’apprécier la différence. La solidarité effective donne toute leur place et toutes leurs chances aux populations d’origine immigrée (d’hier ou d’aujourd’hui) et rend ainsi possible un accès « conséquent » aux valeurs communes de la société. Le fil conducteur devrait être le développement ou épanouissement des personnes. Cela suppose leur enracinement dans la famille, le milieu, la culture et il est important de permettre cet enracinement en encourageant les lieux culturels propres ; mais on ne peut enfermer personne dans sa culture. « Naître, c’est appartenir mais grandir, c’est partir ». Chaque personne humaine est appelée à trouver son équilibre et son épanouissement propres, ce qui suppose des conditions matérielles, un emploi, un toit et des conditions culturelles ou spirituelles : l’éducation,  la religion, les convictions. On ne peut permettre que quelqu’un soit enfermé dans sa culture, que ce soit la communauté elle-même qui l’enferme en se repliant, ou la société dans son ensemble qui l’enferme en le rejetant. Mais il est un peu hypocrite de reprocher à un jeune d’origine étrangère par exemple un repli identitaire si une discrimination plus ou moins ouverte l’exclut de la prospérité nationale. Nous sommes donc appelés tous ensemble à construire une société juste, respectueuse de chacun et à travailler à résoudre dans la bonne volonté et le dialogue les situations litigieuses. Cette société est en avant de nous : ce ne sera pas la société d’autrefois, avant que les « étrangers » n’arrivent, ce ne sera pas une société dominée par de nouvelles valeurs, colonisée par l’islam (« au secours, on va avoir un bourgmestre musulman ! »), ce sera une société autre, non seulement multiculturelle (avec des cultures différentes au coude à coude ou affrontées les unes aux autres) mais interculturelle : où les diversités s’harmonisent pour inventer l’avenir.

En terminant, je voudrais parler de l’espérance. La situation du monde sous l’empire  de la mondialisation libérale, les tensions internationales apparemment insolubles et qui se répercutent chez nous, semblant rendre inévitable un choc des civilisations, la complication des problèmes et la confusion des opinions que nous rencontrons jusque dans la vie la plus quotidienne, tout cela peut peser sur nous de manière accablante. Que pouvons-nous faire ? À cette question, dans une session récente, Talbia Belhouari, députée fédérale d’origine marrocaine, répondait en parlant de « la force des peuples ». J’aime cette réponse, je la comprends comme un acte de foi dans l’humanité, dans les gens : ces femmes et ces hommes de bonne volonté partout dans le monde qui, simplement, essaient de travailler, de faire le bien, d’élever leurs enfants, de mettre autour d’eux plus de fraternité, de douceur, de justice et de paix. Au fond ce sont tous ceux-là dont l’évangile de Matthieu, au chapitre 25, nous  révèle qu’au jour du jugement ils s’entendront dire par « le roi » : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, etc. » Dans ma foi et mon espérance de chrétien, j’ose affirmer que ce sont tous ceux-là qui font grandir le Royaume de Dieu, le monde selon le cœur de Dieu. Et que, dans le combat de toujours entre les forces de mort et les forces de vie, c’est la vie qui est la plus forte, c’est l’Amour qui est le plus fort.