Le 21 décembre 2013

Mondialisation dérégulée :

Invitation à l’espérance agissante

Préface
 

La mondialisation fait couler beaucoup d’encre… Beaucoup d’ouvrages, articles et autres émissions (radio, télé, etc.) lui sont consacrées, touchant le sujet de très près ou d’un peu plus loin. Au moment d’entamer cette étude, la question de la manière d’aborder le sujet s’est donc évidemment posée. Nous avons voulu prendre la réalité qu’est la mondialisation au sérieux, tout en gardant le souci de la vulgarisation. Nous avions pu constater, lors d’expériences d’animation (notamment à propos de questions liées à l’environnement et à la justice sociale), que prendre la réalité au sérieux suscite différentes attitudes : colère, fatalisme, sentiment d’impuissance, ou refus de se résigner à l’impuissance, gratitude, espérance, recherche de chemins d’émancipation, etc. Nous pensons que ces attitudes concernent la vie spirituelle (entendue dans un sens large) de chacun. Le choix dans la manière d’aborder la mondialisation a donc été naturel, puisqu’il tient compte de la spécificité du Centre Avec et de son ancrage chrétien : tout en analysant de façon rigoureuse le processus de la mondialisation, nous accompagnerons le lecteur vers des questions de sens et des questions spirituelles.

Signalons également que la présente étude aborde le sujet de la mondialisation pour lui-même, mais qu’elle est aussi l’aboutissement du travail d’éducation permanente mené par le Centre Avec les cinq dernières années, puisqu’elle prend en compte une grande partie des problématiques sociétales analysées par le Centre durant cette période.

L’étude se déroule en trois temps. Dans le premier, Claire Brandeleer étudie les logiques à l’œuvre dans le processus de mondialisation, ainsi que les tensions, les acteurs en présence, les rapports de force en jeu. Le constat des multiples impasses dans lesquelles la configuration actuelle de la mondialisation nous mène lui permet de poser des questions de sens.

Dans un deuxième temps, Claire Wiliquet examine les fondements et les valeurs sous-jacentes de notre modèle de développement, à partir des questions de la recherche du bien-être, de la définition de nos besoins et de la manière dont nos sociétés y répondent.

Enfin, dans un troisième temps, Claire Brandeleer explore les pistes d’une transition vers un développement durable. Elle accorde une attention particulière aux initiatives alternatives qui, comme autant de « chemins de traverse », inventent, à leur manière, une autre mondialisation. Pour terminer, elle aborde la question de l’espérance et ose affirmer que rien n’est plus responsable que d’espérer !

L’équipe du Centre Avec

Première partie : La mondialisation, d’où vient-on, où va-t-on ?
 

Un récit en guise de préambule
 

Rana Plaza. Ce nom vous dit peut-être quelque chose ? Le 24 avril 2013, un immeuble situé dans la banlieue de Dacca, capitale du Bangladesh, s’effondre. Cinq usines textiles employant des milliers d’ouvriers, essentiellement des femmes, se partageaient les neuf étages du bâtiment. L’issue du drame est désolante : plus de 1.100 morts. Pourtant, l’alerte avait été donnée la veille. Le jour de l’accident, les ouvriers ont été forcés de travailler, malgré le danger.

Le Bangladesh est devenu la deuxième plus grande industrie textile – la première étant la Chine et la troisième l’Inde –, abritant sur son territoire plus de 4.000 usines textiles, pour la plupart sous-traitant de grandes enseignes occidentales. Le secteur textile emploie 4 millions d’ouvriers et représente 80% des exportations annuelles ; il constitue donc le véritable moteur de l’économie de ce pays asiatique – qui reste cependant très pauvre.

Cinq mois après l’accident du Rana Plaza, à l’heure d’écrire ces lignes (23 septembre 2013), des manifestations ont lieu depuis quelques jours dans les environs de la capitale bengali : des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues, dénonçant leurs conditions de travail déplorables et revendiquant un salaire mensuel minimum de 8.144 taka, soit l’équivalent de 100 dollars US. Actuellement, leur salaire de base mensuel est un des plus bas au monde et ne s’élève qu’à 3.000 taka, soit l’équivalent de 38 dollars US, les ouvriers travaillant 10 à 12 heures par jour. Les patrons d’usines refusent d’augmenter au-delà de 3.600 taka, alors que même 100 dollars US mensuels ne suffisent pas pour mener une vie digne… Le sort des ouvriers du secteur textile est pourtant meilleur que celui du reste de la population du Bangladesh, dont les deux-tiers vivent, ou plutôt survivent, grâce à l’agriculture de subsistance.

Ici, de l’autre côté du globe, le drame du 24 avril 2013 a fait la Une des journaux. A l’autre bout de la planète, nous en avons été informés en temps pour ainsi dire réel. Dans un journal ou sur un écran – télévision, ordinateur, laptop, tablet, iPad, ou autre smartphone, etc. −, nous avons (re)découvert les conditions de travail de milliers de personnes. On en a parlé pendant quelques jours, on s’en est ému, pour laisser cela de côté jusqu’au prochain accident. Seules quelques dépêches nous informent de la colère qui s’exprime dans la rue en ce début d’automne…[1]

Du drame du Rana Plaza… à la mondialisation
  « La mondialisation est une merveilleuse excuse pour beaucoup de choses ». Robert M. Solow, Prix Nobel d’économie

Ce triste évènement n’est malheureusement pas unique en son genre : c’est un exemple parmi d’autres, à l’issue plus ou moins tragique. Il est cependant emblématique de la mondialisation dérégulée à l’œuvre aujourd’hui. Ce bref récit comporte effectivement plusieurs éléments – qui apparaissent explicitement ou « en transparence » – permettant de mieux saisir les tensions et les dynamiques en présence, les défaillances, les acteurs à l’œuvre, ainsi que les rapports de force en jeu dans ce processus qu’est la mondialisation. Sans les approfondir à ce stade, et sans être exhaustive, nous pouvons citer : la décomposition internationale des processus de production, le maillage de réseaux de filiales et sous-traitants de multinationales, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), l’émergence de certaines économies dans l’économie globalisée (notamment celles qu’on appelle les BRIC : Brésil, Russie, Inde et Chine), la mise en concurrence des travailleurs de la planète entière, des conditions de travail inhumaines, la connivence des consommateurs occidentaux, l’absence de l’Etat, l’exploitation des ressources naturelles, l’absence de considérations environnementales…

Plus essentiellement encore, le drame du Rana Plaza illustre bien qu’il y a les gagnants et les perdants de la mondialisation. Il y a ceux qui savent tirer avantage des opportunités qu’elle offre, et ceux qui n’en subissent que les risques et souffrent d’être laissés aux périphéries de ce mouvement qui concerne, in fine, toute l’humanité.

Comme le dénonce Robert M. Solow, prix Nobel d’économie (1987), « la mondialisation est une merveilleuse excuse pour beaucoup de choses ». Effectivement, elle sert notamment d’excuse à certains penseurs et hommes d’affaire ainsi qu’à une partie de la classe gouvernante pour justifier des politiques qui mènent à des situations d’injustice[2]. La mondialisation a bon dos quand il s’agit d’expliquer le maintien voire la dégradation de situations de violation des droits humains. En invoquant la mondialisation et ses contraintes, des régressions sociales, des dominations nouvelles, des accumulations de puissances sont présentées comme inévitables[3].

Si elle génère des lignes de fracture, des asymétries et de la souffrance, la mondialisation est une réalité qui comporte également son lot de bonnes nouvelles et de promesses. Processus d’ouverture sans précédent, elle est un mouvement d’universalisation par lequel l’humanité devient une. En tension avec les particularismes, les impérialismes et les néocolonialismes, il y a la conscience d’universalité. Mais que faisons-nous de cette universalité ? La mondialisation s’accompagne d’une conscience grandissante d’une communauté de destin qui lie l’humanité pour le pire et le meilleur[4]. La logique « on est tous dans le même bateau » s’affronte à celle du « chacun pour soi ».

La mondialisation est parfois présentée comme une dynamique irréversible. Pour autant, la configuration actuelle de la mondialisation n’est pas un fait inéluctable mais résulte d’un tournant idéologique incarné dans des choix personnels et collectifs. Si nous tenons cette affirmation pour vraie, et en nous appuyant sur la conscience grandissante d’universalité, nous pouvons dès lors également affirmer que donner un autre visage à la mondialisation est possible, où il n’y a plus perdants et gagnants, mais où tous les peuples et chaque être humain en particulier sont respectés dans leur dignité et ont la possibilité de vivre une vie épanouie, au plus près de leurs aspirations profondes. Pour que nos choix individuels et collectifs concourent à façonner cet autre visage à la mondialisation, ils nécessitent d’être éclairés et raisonnés. C’est l’objectif de cette étude de contribuer, modestement, à éclairer et raisonner les choix que nous sommes et serons amenés à poser, tant individuellement que collectivement.

Un parti pris, une tension et un regard…
  « Le dénonciateur est dans le dénoncé.J’en suis et j’en profite, de ce que je déplore. C’est bien là le piège d’aujourd’hui : il n’y a pas d’en dehors ». Maurice Bellet, La traversée de l’en-bas, p.141.   « L’espérance est la passion du possible » Søren Kierkegaard (1813-1855)

Avant d’entrer dans le vif du sujet et par honnêteté envers le lecteur, nous voudrions poser quelques fondamentaux et expliciter les balises qui nous aident à nous orienter. Ce sont les trois points de repère de notre réflexion et de notre engagement : un parti pris, une tension et un regard.

D’emblée, nous annonçons la couleur : nous prenons parti pour les personnes et les peuples qui sont relégués à la marge du processus de mondialisation. Ce parti pris pour les perdants, les exclus, s’ancre dans des valeurs : la recherche du bien commun et le respect de la dignité de la personne humaine. Bien que de portée universelle, ces valeurs sont ici éclairées par un ancrage chrétien. Mater et Magistra, une encyclique de Jean XXIII, définit le bien commun comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement » (65). Gaudium et Spes, un des documents aboutis du Concile Vatican II, reprend la définition en l’élargissant aux groupes (« tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres », 26). Notre espérance est que ce mouvement qu’est la mondialisation puisse concerner, comme le disait le Pape Paul VI « le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes »[5]. Le développement intégral de tout l’homme, c’est-à-dire l’être humain considéré dans toutes ses dimensions : sociale, culturelle, psychique, spirituelle, etc. En résonance, il y a cet appel de l’Evangile : « Que tous aient la vie, et la vie en abondance » (Jn 10,10).

Ecrivant cela, nous sommes consciente d’être parmi les gagnants de la mondialisation. Comme le dit le philosophe et théologien Maurice Bellet, « Le dénonciateur est dans le dénoncé. J’en suis et j’en profite, de ce que je déplore. C’est bien là le piège d’aujourd’hui : il n’y a pas d’en dehors ». Il n’y a pas d’en dehors… Il s’agit là d’une tension que nous assumons. Etre parmi les gagnants nous donne des responsabilités : celles d’être solidaire et de rechercher la justice. La solidarité et la justice sont, dans la pensée sociale chrétienne, des responsabilités qui découlent du fait que nous sommes créés par Dieu non pas comme des individus isolés mais comme des personnes qui sont essentiellement interdépendantes. La solidarité exprime notre amour pour les personnes que nous ne rencontrerons jamais mais que nous reconnaissons comme nos sœurs et frères. La justice, quant à elle, est l’expression d’une autre forme d’amour : la recherche du bien-être des autres, même à un coût personnel, dans leurs réalités socio-politiques spécifiques[6].

Cette tension peut mener à des sentiments divers, qu’il est important de reconnaitre et de nommer afin de mieux les gérer. Colère ou culpabilité sont des sentiments qui peuvent nous envahir dès lors qu’on s’attache à la compréhension du fonctionnement de notre monde. On peut également ressentir un sentiment de gratitude[7] pour tout le bien reçu. Tous ces sentiments sont susceptibles de mener à un engagement pour plus de justice. Cependant, parce que la gratitude engage à une prise de responsabilité et à la solidarité, elle nous semble être un meilleur moteur pour tenir dans la durée que la culpabilité et la colère, qui souvent paralysent. Une des clefs de la pérennité d’un engagement est celle du bonheur, rien de moins. Si l’on considère qu’une des logiques à l’œuvre dans l’économie mondialisée est celle du « toujours plus », il nous semble qu’un sentiment de gratitude peut aider à se satisfaire de moins et surtout à en être heureux – c’est la sobriété heureuse[8], ou l’abondance frugale[9].

On voit ici combien un sujet tel que la mondialisation est complexe et comporte aussi des questions de sens et d’ordre spirituel, qu’il serait dommage de négliger. Il ne faudrait pas simplifier à outrance : la réalité est mêlée – tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir non plus –, nos sentiments aussi. Face à la réalité de la mondialisation, d’autres sentiments – tous légitimes – tels que la peur, le sentiment d’impuissance et de fatalité, peuvent nous gagner. Que le lecteur ne s’imagine pas ici que cette étude lui donnera la clef lui permettant de démêler la pelote de ses sentiments entremêlés… Ce n’est pas l’ambition de ce document de réflexion. Par contre, pour mieux éclairer nos choix et nos actions, nous voudrions contribuer à la prise de conscience que ces questions qui concernent notre vie spirituelle sont à prendre au sérieux et qu’il s’agit, pour chacun, de clarifier au mieux là où il en est.

Dernier point de repère de notre réflexion : l’espérance. Le philosophe et théologien protestant danois Søren Kierkegaard disait de l’espérance qu’elle est « la passion du possible ». C’est une passion qui nous porte, celle qui semble animer les altermondialistes qui clament sans répit qu’ « un autre monde est possible ». C’est avec ce regard d’espérance que nous voulons regarder la réalité, en affirmant que rien n’est plus responsable que d’espérer[10] ! Pari osé que cette affirmation, dans le monde désenchanté qui est le nôtre. Ajoutons aussi que notre regard d’espérance est résolument porté en avant : si créer du neuf nécessite de tirer les leçons du passé, nous ne désirons pas un retour en arrière (« le bon vieux temps »). Cela peut être insécurisant, mais « espérer, c’est prendre appui sur ce que l’on ne voit pas encore ». Nous reviendrons à la question de l’espérance dans la dernière partie de cette étude ; cependant nous voulions l’annoncer dès le départ au lecteur, pour l’y inviter lui aussi.

Dans cette étude, nous n’entrerons pas dans les détails techniques de la finance, etc. L’objectif est plutôt de tracer les contours de la mondialisation, pour arriver à des questions de sens et des questions qui, finalement, ont trait à notre vie spirituelle. Nous entendons vie spirituelle dans le sens d’espace d’intériorité où l’être humain fait ses choix librement, mais aussi dans le sens d’ouverture à une dimension plus profonde de la réalitéquelque chose qui nous dépasse – et qui donne de nouvelles orientations à notre vie et à nos sociétés[11]. Les chrétiens diront : la vie de l’Esprit en nous.

Une question de vocabulaire
 

Avant de nous lancer, clarifions le vocabulaire. La langue française – ce n’est pas le cas de toutes les langues – distingue mondialisation et globalisation. La mondialisation vise surtout le fait que le monde devient un « village planétaire » : grâce aux progrès technologiques et notamment au développement des NTIC, les limites imposées par le temps et l’espace s’effacent et tout devient plus accessible, les biens, les cultures, les idées, etc. C’est donc un processus d’interconnexion et d’interdépendance – cela dit, il s’agit d’une interdépendance très inégale. La globalisation quant à elle désigne un autre phénomène, plus récent, qui est celui de l’extension de la logique marchande à des activités traditionnellement publiques parce que d’intérêt général (infrastructures, services publics, santé, éducation, culture,…) ou d’autorité régalienne (police, justice,…)[12]. En prolongement, la globalisation financière, c’est « l’interconnexion des marchés de capitaux aux niveaux national et international, conduisant à l’émergence d’un marché unifié de l’argent à l’échelle planétaire »[13]. Mondialisation et globalisation sont donc étroitement liées, bien que distinctes. Jean-Claude Guillebaud, qui ne distingue pas mondialisation et globalisation, dit in fine la même chose quand il parle de la mondialisation comme étant « réalité d’un côté, idéologie de l’autre »[14]. Suivant cela, nous pourrions dire ainsi que la globalisation est la face idéologique de la mondialisation, depuis son tournant néolibéral.

Dans la suite de ce texte, nous continuerons de parler de mondialisation. La globalisation n’est qu’une des dimensions du processus de la mondialisation, bien qu’elle caractérise de façon spectaculaire l’étape dans laquelle nous sommes entrés récemment.

Histoire longue
  « Avant, les évènements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas liés entre eux.Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres ». Polybe, IIème siècle avant J.-C.

On peut bien sûr remonter loin dans le temps pour retrouver la genèse de la mondialisation. Cela dit, on pourrait la faire correspondre aussi aux débuts du capitalisme, celui-ci s’étant transformé au cours des siècles pour devenir le capitalisme dérégulé que l’on connait aujourd’hui. Comme Jacques Adda le résume, la mondialisation est l’ « expression de l’expansion spatiale du capitalisme, qui épouse désormais les limites du globe »[15]. C’est un processus historique toujours en cours d’approfondissement, qui a connu différents épisodes où les choses se sont accélérées… Ainsi, au XVIème siècle, il y a la découverte du « Nouveau monde », pendant que les échanges commerciaux de l’Europe avec le monde arabe et la Chine s’amplifient[16]. C’est le début de l’internationalisation de l’économie. A ce stade, on parle de capitalisme marchand. Ensuite, au XIXème siècle, il y a la révolution industrielle. Les marchandises et les capitaux s’échangent de plus en plus entre l’Europe et les Amériques. Cela correspond à la période du capitalisme industriel.

Viennent ensuite les deux guerres mondiales, avec l’entre-deux-guerres et ce que l’on appelle la « grande dépression » des années 1930. A partir de 1945 suivent ce que l’on appelle les « trente glorieuses », trois décennies de forte croissance économique où le fordisme (une nouvelle organisation du travail inventée par le constructeur automobile Henry Ford) favorise le protectionnisme et l’interventionnisme des Etats ; l’économie et la finance sont organisées sur des bases nationales. Le capitalisme est encadré et les bénéfices de la croissance sont relativement bien redistribués, grâce aux rapports de force socio-politiques permettant le consensus de la social-démocratie, mais également à ce qu’on peut appeler la « rente coloniale »[17] qui permettait d’accéder à des matières premières à bas prix fournies par les pays du Sud. Les pays du Sud, eux, achetaient les produits manufacturés du Nord, à un prix relativement élevé. Les « trente glorieuses » n’étaient donc pas glorieuses pour tout le monde… Pendant toute cette période, de la première guerre mondiale à la fin des trente glorieuses, le processus de mondialisation se fige, pour reprendre de plus belle durant la deuxième moitié des années 1970.

Notons qu’il n’y a toutefois pas que les marchandises et les capitaux qui s’échangent : il y a aussi la confrontation des idées, les êtres humains qui se déplacent et se métissent au gré des migrations.

Avant de passer à l’histoire courte, relevons un élément qui apparait après ces quelques paragraphes retraçant l’histoire longue : même si la mondialisation concerne l’humanité entière, il est très difficile, de là où nous sommes, d’échapper à une vision eurocentrique. Les points de repère ci-dessus, comme la découverte du « Nouveau monde » l’illustrent bien. En être conscient nous parait important.

En lien avec cela et sur le mode de l’anecdote, permettez-nous de noter ceci : en Lingala, une des langues parlées en République Démocratique du Congo, « homme blanc » se dit « mundele ». D’où l’invention du mot « mundelisation » pour parler de la mondialisation quand d’aucuns veulent ajouter cette nuance, très certainement bien à propos : celle de l’imposition de la vision du monde de l’homme blanc sur le reste du monde[18]. Révélateur…

Histoire courte
 

A la période des trente glorieuses succède une crise économique (amplifiée par les chocs pétroliers de 1973 et 1979), et sous l’émergence de l’idéologie néolibérale, le capitalisme entre dans une nouvelle phase. Avec l’éclatement du bloc de l’Est et la chute du mur de Berlin en 1989, c’est la mondialisation du capitalisme, c’est-à-dire l’emprise du système économique qu’est le capitalisme sur l’espace mondial[19]. Les institutions financières internationales, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), contribuent largement à la diffusion de cette logique de marché[20]. Echappant de plus en plus au contrôle des Etats, l’économie mondiale acquiert progressivement sa dynamique propre. Comme le résume Adda, « la mondialisation est aussi et avant tout un processus de contournement, délitement et, pour finir, démantèlement des frontières physiques et réglementaires qui font obstacle à l’accumulation du capital à l’échelle mondiale »[21]. Avant de considérer cette dynamique plus en détails, il est nécessaire de faire un détour du côté de la technologie, en particulier les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

De l’huile dans les rouages de la mondialisation
 

La tournure qu’a prise la mondialisation a été favorisée par les NTIC[22]. Se développant dans les trois domaines que sont la téléphonie, l’audiovisuel et l’informatique, les NTIC représentent une véritable mutation technologique, qui influence les différentes dimensions de la vie en société : économique et financière, sociale, politique et culturelle. Cela dit, l’impact dans les secteurs économique et financier est le plus important, car ce sont les acteurs de ces secteurs (notamment les entreprises multinationales) qui ont su le mieux tirer parti des NTIC en s’y adaptant avec grande flexibilité et à force de restructurations. L’entreprise se réorganise en réseau ; elle ne colle plus à un modèle hyperhiérarchisé où l’information est centralisée. Dans ce nouveau modèle d’entreprise, l’information est davantage distribuée, et l’objectif du management est le meilleur usage du capital intellectuel, au service des besoins des clients. En résulte une course au savoir. L’automatisation réduit aussi le nombre de postes consacrés à la production en tant que telle. L’emploi est concentré entre deux grands types de tâches : la conception (de nouveaux produits et de nouvelles techniques de production), et la distribution (marketing, vente, etc.). Cette nouvelle manière de s’organiser en réseau permet à l’entreprise de fragmenter ses processus de conception, de production, de distribution et ainsi de délocaliser certaines de ses activités. Dans cette configuration, les entreprises multinationales ou transnationales, sont comme des poissons dans l’eau. Comme le note Dominique Plihon, « l’économie mondiale tend ainsi à se transformer en un maillage de réseaux constitués par les filiales et les sous-traitants des entreprises multinationales »[23]. Un autre tournant dans le secteur économique induit par le développement des NTIC, est la capitalisation et la numérisation des connaissances et des informations dans des bases de données. Tout cela ouvre des possibilités qui semblent sans fin. Si l’on en croit Plihon, « l’économie fondée sur la connaissance a trouvé une base technologique appropriée pour se développer. Il y a désormais un processus de consolidation mutuelle entre l’essor des activités intensives dans l’utilisation des connaissances, d’une part, la production et la diffusion des NTIC, d’autre part »[24]. La connaissance, le travail qualifié, le capital, le talent, l’information stratégique, les réseaux privés : autant de facteurs de production rares à l’échelle mondiale[25] et dès lors facteurs clés de la croissance, c’est pourquoi on parle de knowledge economy et d’économie immatérielle ou virtuelle.

En résumé, Plihon distingue trois effets majeurs des NTIC sur l’économie : le gain d’efficacité (essentiellement dans le traitement, le stockage et l’échange d’informations), l’émergence et le développement de nouvelles industries (multimédia, logiciel, commerce électronique), l’implémentation de nouveaux modèles d’organisation permettant une meilleure exploitation des nouvelles possibilités de production et de distribution de l’information[26]. En définitive, on peut dire que les NTIC ont permis une accélération de la mondialisation.

Nous venons de décrire comment le capitalisme est désormais fortement dominé par le savoir et l’information stratégique. Cependant, une autre force d’ampleur sans précédent est à l’œuvre : l’essor des marchés financiers. C’est ainsi qu’on parle de capitalisme financiarisé, de financiarisation de l’économie, ou de globalisation financière, comme déjà noté plus haut. A nouveau, les NTIC ont servi d’huile dans les rouages. Pour Plihon, « la finance de marché ‘fait système’ avec les NTIC »[27]. Dans un système où l’industrie de la finance repose effectivement sur le traitement et la transmission de l’information, les capitaux peuvent se déplacer à l’échelle de la planète, sans qu’il n’y ait de limites imposées par le temps (les capitaux s’échangent instantanément, et sans discontinuer sur les places financières de la planète, successivement de l’Est à l’Ouest) ou l’espace (les places financières sont interconnectées).

L’idéologie néolibérale
 

Bien qu’aidé par les NTIC, le processus de mondialisation n’a rien d’une trajectoire naturelle ou inéluctable. Ce sont des choix politiques inspirés par l’idéologie néolibérale qui ont donné une place démesurée aux marchés financiers dans l’économie mondiale et qui ont permis la circulation sans entrave des capitaux. En 1971, en pleine crise économique, avec une croissance économique qui stagne, un taux d’inflation élevé et des taux de profit des entreprises en baisse, les accords de Bretton Woods (conclus en 1944 et organisant le système monétaire international autour du dollar américain, mais avec un rattachement nominal à l’or) sont suspendus quand Nixon impose le découplage du dollar et de l’or. L’effondrement du système monétaire international plonge l’économie mondiale dans l’instabilité. Les milieux de l’industrie et de la finance font pression sur les gouvernements[28] pour engager ce que l’on a, par après, appelé la « révolution conservatrice ». C’est l’avènement de la doctrine néolibérale impulsée par Margaret Thatcher, Premier Ministre du Royaume-Uni, et Ronald Reagan, président des Etats-Unis, arrivés au pouvoir respectivement en 1979 et en 1981. Aujourd’hui, la pensée néolibérale s’est affirmée et finalement imposée comme « pensée unique » (c’est le principe TINA, There is no alternative).

Comme le note Pierre Defraigne[29], deux propositions résument la dynamique du néolibéralisme : d’une part, c’est le « tout au marché » : il n’y a pas de limites à la marchandisation ; et d’autre part, c’est « tout par le marché » : le marché est rationnel, et les défaillances du marché sont toujours moins graves que celles du politique. Au départ du contexte de crise économique des années 1970, cette logique l’emporte : l’initiative individuelle, l’esprit d’entreprise et le libre-échange ne doivent surtout pas rencontrer d’obstacles ni être limités par des réglementations, ceci afin de redynamiser l’économie. Le rôle de l’Etat doit être restreint au maximum, et le marché doit être totalement libéralisé. Le marché est censé être autorégulateur : c’est le processus de la « main invisible », qui veut que le marché parvient, de lui-même, à transformer des intérêts individuels en une allocation des biens et des ressources qui soit la meilleure possible pour l’ensemble. S’installe ainsi un programme de « laisser faire ». Le dogme néolibéral est pour ainsi dire consacré dans le « consensus de Washington »[30], constitué d’une série de principes à suivre si un pays veut entrer dans le processus de mondialisation. L’idée est que « le mieux-être des peuples passe par l’ouverture des frontières, la libéralisation du commerce et de la finance, la déréglementation et les privatisations, le recul des dépenses publiques et des impôts au profit des activités privées, la primauté des investissements internationaux et des marchés financiers ; en somme, le déclin du politique et de l’Etat au profit des intérêts privés »[31].

Ces politiques de dérégulation et de libéralisation ont transformé le système financier international en un « mégamarché unifié de l’argent »[32] qui suit aujourd’hui sa propre logique, qui n’est plus celle de financer le commerce international. Si l’on en croit Plihon, « l’essentiel des opérations financières internationales consiste en des va-et-vient incessants, de nature spéculative, entre les monnaies et les principales places financières de la planète »[33]. Cette hypertrophie de la finance est sans doute l’aspect le plus spectaculaire de la mondialisation contemporaine, qui est « sans commune mesure avec les besoins de l’économie mondiale »[34]. D’après Plihon, le nombre de transactions financières sur le marché des changes est cent fois plus important que le nombre de transactions liées au commerce international de biens et services[35]. La finance, en suivant sa propre logique, devient rentière et prédatrice, et n’est plus directement au service de l’économie réelle.

Par ailleurs, on remarque une forte asymétrie dans la finance internationale, dont toute une partie de la planète est exclue. Les pays en développement représentent 80% de la population mondiale, mais n’attirent qu’une petite partie des capitaux en circulation sur les marchés financiers, soit 27% des flux d’investissements directs étrangers (IDE), dont les trois-quarts vont à une dizaine de pays émergents. Seule une partie infime des flux d’IDE va donc aux pays les plus pauvres[36]. On voit ainsi que le mégamarché financier mondial n’équilibre pas spontanément les intérêts individuels de sorte que les ressources soient allouées équitablement.

Une catégorie d’acteurs qui s’est fortement développée dans ce contexte est celle des « fonds d’investissement »[37] ou « investisseurs institutionnels », parmi lesquels on trouve les fonds de pension, les fonds mutuels ou sociétés d’investissement (SICAV) et les compagnies d’assurance, mais aussi les fonds spéculatifs (hedge funds). Les actifs financiers des particuliers sont de plus en plus gérés par ces fonds d’investissement, qui investissent dans des entreprises, ce qui a pour résultat que le capital de ces dernières est essentiellement détenu par un nombre relativement limité de gros investisseurs. L’influence de ces fonds d’investissement sur les marchés financiers est considérable, notamment du fait de leur comportement grégaire. Leur influence sur la stratégie et la gouvernance des entreprises est également importante : l’objectif devient la création de valeur actionnariale, au détriment de la masse salariale et de l’emploi, qui deviennent tous deux des variables d’ajustement au service de la rémunération du capital. Pour inciter les managers de grandes entreprises à poursuivre l’objectif de maximisation de la valeur actionnariale, des formes de rémunération variables[38] (les bonus) sont mises en place qui concourent à tout faire (y compris prendre des risques) pour augmenter la valeur des actions de l’entreprise[39]. C’est une nouvelle phase du capitalisme : le capitalisme actionnarial. Un employé d’une entreprise peut donc, en cotisant à un fonds de pension, participer à cette dynamique et éventuellement à sa propre mise au chômage, sans vraiment s’en rendre compte… En outre, on observe que la rémunération du capital se fait au détriment de l’investissement des entreprises. Cela met à mal l’adage selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et l’emploi d’après-demain ».

Une autre donnée importante dans ce fonctionnement est l’évasion fiscale des entreprises multinationales (mais aussi des particuliers) grâce à la prolifération des places financières « offshore », les paradis fiscaux. D’après Dupré et Merckaert, « environ la moitié des flux financiers et commerciaux internationaux transite, du moins sur le papier, par ces territoires opaques, indépendamment de la localisation des activités réelles correspondantes »[40].

Un autre ressort de la mondialisation actuelle est la logique de compétition. D’une part, tous les travailleurs de la planète sont mis en concurrence : une grande partie du travail non qualifié de l’industrie manufacturière se déplace vers la Chine et l’Inde et d’autres pays émergents, où bien souvent les législations sociales sont quasi inexistantes. D’autre part, il y a aussi la mise en concurrence des Etats par les acteurs privés. Le pouvoir de négociation des multinationales par rapport aux autorités publiques est devenu énorme : il y a évidemment le recours aux délocalisations mais aussi le chantage au départ. Du côté de la haute finance internationale, comme le relève Plihon, les fonds de pension, les fonds mutuels et les banques, « qui concentrent l’offre des capitaux, ont les moyens d’imposer leur loi aux Etats : une seule journée de spéculation brasse une masse de capitaux supérieure à la totalité des réserves de change des banques centrales. Aucun pays ne peut résister à une vague spéculative fondée sur une défiance à l’égard de sa politique »[41].

Deux derniers éléments complètent notre description de la mondialisation néolibérale. Un premier est celui de la mobilité : « Le capital industriel et financier devenu mobile gagne en pouvoir de négociation vis-à-vis du travail et des Etats qui restent rivés à des territoires »[42]. Le pouvoir de se déplacer, dans un contexte de mondialisation et d’ouverture des frontières, est devenu un pouvoir d’imposer sa loi et de choisir le plus offrant, ou le plus accommodant… Le dernier élément à mentionner est celui du manque de transparence, ou plutôt de l’opacité des informations. La finance moderne fonctionne là-dessus : agences d’audit qui conseillent des opérations frauduleuses, agences de notation aux silences coupables, banques d’affaires aux innovations financières douteuses, etc.[43].

En définitive, un paradoxe surgit : le politique est subordonné aux logiques économiques et financières de la mondialisation, que, sous la pression des partisans de l’idéologie néolibérale, il a lui-même fait advenir. Cela dit, ce n’est pas pour autant que les Etats perdent toute autorité sur les marchés. Les politiques publiques influencent les marchés de trois manières[44] : par des lois et des réglementations, notamment celles liées à la fiscalité, à la concurrence et à la protection de la propriété intellectuelle, ensuite par le financement de la recherche, et enfin en étant lui-même demandeur de biens et services. On peut donc dire qu’il y a bien de la marge de manœuvre pour influencer les secteurs économique et financier dans un tout autre sens, pourvu que le pouvoir politique s’affirme vis-à-vis du pouvoir économique, c’est-à-dire qu’il influence le pouvoir économique de sorte que celui-ci serve le bien de la société entière.

La crise financière de 2007/2008 et l’enchainement que nous connaissons aujourd’hui (crise de l’euro, crise de la dette, etc.)[45], et plus largement les différentes « bulles » spéculatives (bulle technologique, bulle immobilière, etc.) montrent l’incapacité du capitalisme, tel qu’il s’est développé dans le contexte de globalisation financière, à s’autoréguler. La prétendue « discipline » du marché ne fonctionne pas. La crise des subprimes et ses prolongements sont venus nous confirmer l’instabilité financière inhérente au capitalisme dérégulé. D’où la nécessité de « remettre la finance dans son lit », là où elle doit être, c’est-à-dire au service de l’économie réelle, qui à son tour doit être ordonnée au social et à l’humain. Pour cela, il est impératif que la finance et les marchés soient subordonnés à l’ordre politique, qui lui, a la mission de servir le bien commun.

Emergence d’un monde multipolaire
 

L’émergence de nouvelles puissances économiques a de grandes répercussions au niveau géopolitique[46]. Le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace progressivement des Etats-Unis vers l’Asie de l’Est et du Sud. Tout d’abord, quatre pays d’Extrême-Orient surnommés les « dragons » (la Corée du Sud, Hong Kong, Taiwan et Singapour) se sont affirmés et ensuite deux « géants » au point de vue démographique : la Chine et l’Inde. A cela s’ajoute l’émergence de puissances régionales telles que le Brésil, la Russie, le Mexique, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Indonésie, l’Argentine. La part dans le PIB mondial des BRIC (40% de la population mondiale) est passée de 15 à 25% au cours de la dernière décennie[47]. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ose élargir le constat en titrant son dernier rapport annuel « L’essor du Sud »[48]. Ce rapport pointe l’augmentation de la part du commerce Sud-Sud dans le commerce mondial des marchandises[49].

Selon la théorie néolibérale, l’intégration rapide et indifférenciée des pays en développement au marché mondial est supposée profiter aux plus démunis par ce que l’on appelle un « effet de ruissellement »[50]. Dans les faits, on voit que ce sont plutôt les pays dont l’intégration au marché mondial a été contrôlée et encadrée politiquement qui ont réussi à tirer profit de la mondialisation (avec notamment une réduction globale de la pauvreté). L’exemple des pays émergents, qui ont su garder une marge de manœuvre quant à leurs politiques socio-économiques, montre donc qu’il est possible de n’accepter qu’en partie les modalités contemporaines de la mondialisation. Ces pays ont réussi à trouver un équilibre entre les contraintes induites par leur intégration dans le marché mondial (contraintes liées aux accords sur le commerce et l’investissement et aux règles de l’OMC, contraintes liées aux prêts des institutions financières internationales et contraintes liées à l’instabilité intrinsèque du système international) et leur autonomie dans les politiques publiques menées afin de corriger les imperfections du marché. Ainsi, le rôle et l’action de l’Etat sont des données importantes, a contrario de ce que les tenants du néolibéralisme veulent faire entendre.

Le rééquilibrage global mis en relief par le rapport du PNUD est en soi une bonne nouvelle. Néanmoins, il est porteur de tensions et il est important de voir le revers de la médaille. D’une part, la réduction globale de la pauvreté dans des pays comme la Chine et le Brésil va de pair avec une augmentation des inégalités en leur sein. D’autre part la hausse du niveau de vie s’accompagne pratiquement dans tous les cas d’une empreinte écologique plus importante[51].

L’émergence d’un monde multipolaire avec la nouvelle donne des pays émergents et la décentralisation progressive de l’économie mondiale pose évidemment des questions de gouvernance. Pour Arnaud Zacharie[52], il s’agit d’adapter l’architecture institutionnelle internationale de sorte que les modes de décision y soient plus démocratiques en prenant en compte la démographie, le poids économique et l’équilibre Nord-Sud. Il convient aussi d’établir une hiérarchie de normes de droit international : les droits humains fondamentaux devraient primer sur le droit de commercer et d’investir. Actuellement, les règles édictées par l’OMC sont contraignantes, et une partie des prêts émanant des institutions financières internationales (FMI, BM) est conditionnée à des mesures de libéralisation. Ces institutions devraient, selon Zacharie, être intégrées à un système contraignant des Nations Unies, où leur action serait subordonnée aux droits fondamentaux. Cela supposerait que les institutions telles que l’OIT, la FAO, l’OMS, l’UNESCO, le PNUE, le PNUD, la CNUCED[53], etc. se coordonnent et se voient leur autorité renforcée. « Dans ce schéma, continue Zacharie, la mission du FMI devrait être recentrée sur la stabilisation du système financier international, celle de la Banque mondiale sur le financement des biens publics mondiaux et celle de l’OMC sur la régulation équitable et durable du commerce international des biens et des services marchands »[54].

Mondialisation et culture : la victoire du consumérisme
 

La mondialisation est porteuse de tensions au niveau culturel également. Elle favorise les contacts entre cultures (entre autres via les réseaux sociaux, ou par le développement et la relative démocratisation des moyens de transport). Le « village global » est une chance pour se laisser bousculer par l’autre qui vit différemment de soi et ainsi remettre en question ses propres manières d’être au monde et ses propres modes de pensée. Mais la rencontre des cultures, c’est aussi le difficile vivre ensemble[55]. On peut évidemment penser à la ligne de rupture entre le monde occidental et le monde arabo-musulman. On pourrait aussi parler de la difficulté de vivre la réalité multiculturelle qui découle des immigrations. Ou encore de la montée de l’extrême droite en Europe[56], et de celle-ci qui se dresse comme une forteresse pour se protéger des migrations. On aurait d’ailleurs pu commencer cette étude par un autre récit illustratif de la mondialisation actuelle : celui du naufrage, le 3 octobre 2013, d’un demi-millier de migrants africains au large de Lampedusa, dont plus de 300 n’ont pas survécu au drame. Un drame loin d’être isolé[57]. Le Pape François, qui s’était rendu le 8 juillet 2013 sur l’île italienne, avait dénoncé « la mondialisation de l’indifférence ».

Une manière de réconcilier les tensions culturelles est avancée par le philosophe français Patrick Viveret[58]. Il propose de prendre le meilleur des cultures traditionnelles et le meilleur des cultures modernes. Pour lui, le meilleur des cultures modernes, c’est l’émancipation sous toutes ses formes, la liberté de conscience, l’individuation et la capacité à raisonner comme sujet. Le meilleur des cultures traditionnelles repose sur la capacité à être en lien : lien social fort mais aussi lien avec la nature. Cependant, cet exercice est difficile car il y a des pièges des deux côtés. La face sombre de la modernité, c’est quand l’individuation vire à l’individualisme, quand l’émancipation face au fatalisme de la nature se transforme en chosification de la nature, etc. Le côté sombre des cultures traditionnelles, c’est quand le lien se fait dépendance, soumission à la fatalité. Edouard Herr met en avant un critère de discernement, celui de la capacité à humaniser[59] : quels sont les traits culturels qui font de nous des êtres plus humains ? Quels sont ceux qui portent atteinte à la dignité humaine ?

En réalité, le plus grand piège de la mondialisation au niveau culturel pourrait être d’un tout autre ordre. Le consumérisme gagne du terrain et s’immisce dans les cultures traditionnelles. Jean De Munck résume cette réalité d’une expression éloquente : c’est la McDonaldisation du monde[60]. La mondialisation du capitalisme, c’est en effet, le productivisme d’un côté, et le consumérisme de l’autre. Il nous semble important de prendre conscience que le consumérisme est devenu la « culture » prédominante et que nous en sommes tous complices en tant que consommateurs.
 « Si les biens matériels et l’argent deviennent le centre de la vie,ils nous happent et nous rendent esclaves ». Pape François, Tweet du 30 octobre 2013

Si nous voulons humaniser nos modes de vie, il faut changer la culture consumériste. Mettons d’abord en évidence quelques points de repère pour mieux saisir la logique du consumérisme. Premièrement, il s’agit de bien comprendre son caractère addictif. Tim Jackson n’hésite pas, dans ce contexte, à parler de la « cage de fer » du consumérisme[61]. Pour survivre, en effet, le capitalisme a besoin de consommateurs qui sont mus par l’envie d’avoir toujours plus. D’où la nécessité de créer des besoins artificiels. D’où, également, la nécessité de brouiller la différence entre besoins, envies et désirs, afin que nous prenions nos désirs et nos envies passagères pour des besoins essentiels à combler sans tarder. Pour orchestrer cette confusion : la publicité. Etre au clair sur le caractère addictif de la consommation permet de mieux cerner l’enjeu spirituel sous-jacent : notre liberté. S’ouvre ici tout un champ de réflexion et d’action pour l’éducation, notamment le développement d’une « pédagogie du désir »[62].

Un deuxième point de repère est l’aspect ostentatoire de la consommation : la consommation de masse sert souvent à s’assurer un statut social et à construire son identité[63]. On (sur)consomme pour être reconnu d’autrui et pour « dire qui on est », soit en se distinguant, soit en imitant. Dans ce cas-là, il ne s’agit plus de consommation répondant à des besoins fondamentaux, mais de consommation symbolique. C’est le règne de la marque, de l’image. Olivier De Schutter voit là un levier d’action important : créer plus d’égalité des conditions matérielles par des politiques redistributives afin de diminuer la surconsommation liée à un souci de positionnement social. « Promouvoir une plus grande égalité, dit-il, est une manière d’arrêter cette course folle à la surconsommation où chacun veut avoir un jardinet plus grand que celui de son voisin »[64]. Cet aspect ostentatoire du consumérisme concerne tout le monde : pas seulement ceux qui ont des moyens plus ou moins importants mais aussi ceux qui n’arrivent pas à combler leurs besoins de base. Même ceux qui luttent contre le consumérisme ne sont pas à l’abri…

Un troisième aspect de la culture consumérisme est celle de l’extension de la sphère marchande et de sa logique du marché (avec le principe de la fixation de prix et le mobile du gain comme moteur). Outre cette logique du marché, Karl Polanyi distingue trois autres logiques économiques, c’est-à-dire des modes de circulation de biens et services que les sociétés combinent de manières diverses selon le temps et l’espace : la redistribution (avec le principe de l’autorité centrale), la réciprocité (avec le principe de symétrie) et enfin l’administration domestique (avec le principe de l’autoproduction). Ces trois dernières logiques permettent l’insertion des activités économiques dans les liens sociaux et la sociabilité. Dans son œuvre La grande transformation[65], publiée en 1944, Polanyi met en lumière le double mouvement de l’économie : d’une part un mouvement de désencastrement de l’économie du reste de la société (social, politique et culturel – on pourrait ajouter éthique), où l’économie est de plus en plus restreinte à un marché autorégulateur (le marché ne devient dominant sur les autres formes qu’à partir du 19ème siècle), et d’autre part le mouvement de réencastrement, qui est la réponse de la société qui se protège en soumettant l’économie à des institutions garantes d’une pluralité de logiques autres que le mobile du gain (y compris les institutions régulatrices socialisant le marché, et toutes les manières dont la société reprend des droits sur le marché régulateur). Comme nous l’avons déjà vu plus haut, la logique du marché a pris une place démesurée : des biens ou services, qui ont longtemps relevé des principes d’autoproduction, de redistribution ou de réciprocité sont passés sous l’emprise du marché. En suivant Polanyi, on pourrait dire que l’enjeu aujourd’hui n’est pas seulement la diversification des modes de circulation des biens et services en soi, mais aussi l’enchâssement des échanges dans les liens sociaux. Bref, c’est mettre fin à la toute-puissance du marché autorégulateur.

Un quatrième point à relever pour mieux saisir la logique du consumérisme est le lien entre consommation de masse et temps de travail. Dans son livre La véritable richesse. Une économie du temps retrouvé[66], Juliet Schor, économiste et sociologue américaine, met bien en lumière la manière dont nous sommes enfermés dans le cycle « travail-dépense », c’est-à-dire comment l’aspiration à acheter toujours plus nous rend esclaves du travail, mais aussi comment la part de notre temps allouée au marché a augmenté : « Depuis des décennies, les Américains consacrent un pourcentage croissant de leur temps et de leur argent au marché : en travaillant plus, en saturant leurs loisirs d’activités qui exigent davantage de revenu par unité de temps et en achetant une part toujours plus large de ce qu’ils consomment au lieu de le confectionner »[67]. Cette tendance de fond est présente également en Europe, même si, en ce qui concerne les heures de travail, les Américains travaillent plus que les Européens (soit 270 heures de plus par an ; sur base d’une semaine de 40 heures, cela fait six semaines et demi)[68] et que la tendance en Europe est à la baisse du nombre d’heures de travail. Cela dit, on voit ici pointer une question essentielle, dont on pense souvent qu’elle nous échappe : celle de notre emploi du temps. Pour Juliet Schor, le temps retrouvé en cas de diminution du temps de travail est une véritable richesse. Le principe vaut la peine qu’on s’y attarde : disposer de plus de temps permet d’investir d’autres logiques économiques que celle du marché (par l’autoproduction et l’auto-approvisionnement par exemple) et donc de dépenser moins – et ainsi compenser la perte salariale. Disposer de plus de temps permet de prendre soin de nos relations sociales, et de réencastrer les activités économiques dans le tissu social. L’enjeu est également la solidarité : en utilisant la croissance de productivité pour réduire les heures de travail associées à chaque poste, on peut intégrer dans le marché du travail les chercheurs d’emploi[69]. Enfin, Juliet Schor montre que plus la durée de travail annuelle est longue dans un pays, plus son empreinte écologique sera lourde[70].

En évoquant l’empreinte écologique, nous arrivons à un cinquième et dernier aspect de la culture consumériste : c’est le règne du jetable et de l’éphémère, une « culture du déchet », comme le dénonce le Pape François. Il y a non seulement les gaspillages, alimentaires et autres, mais aussi les pollutions. En outre, les modes sont passagères et l’obsolescence programmée des appareils rend ceux-ci rapidement désuets et souvent impossibles à réparer. La combinaison entre innovation rapide de produits et baisse des prix fait qu’un tourbillon de choses entre dans la danse de nos vies quotidiennes. Ce profond mouvement de « destruction créatrice »[71] du capitalisme se fait au prix d’une pression exagérée sur les ressources naturelles non renouvelables et produit des déchets, les gaz à effet de serre notamment. Cela pèse sur notre empreinte écologique[72] et pose de sérieux défis climatiques, environnementaux et sociaux[73]. Un focus sur le gaspillage alimentaire : la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a récemment publié un rapport[74] fort éclairant montrant que « le gaspillage de 1,3 milliard de tonnes de nourriture chaque année est une perte économique considérable de l’ordre de 750 milliards de dollars par an et porte aussi un grave préjudice aux ressources naturelles dont l’humanité dépend pour se nourrir ». Non seulement les impacts sont colossaux pour le climat (avec le rejet dans l’atmosphère de 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre), mais également en termes de biodiversité, d’utilisation des terres et de la quantité d’eau requise (« la nourriture produite sans être consommée engloutit un volume d’eau équivalant au débit annuel du fleuve Volga en Russie »). Nous ne pouvons que joindre notre voix à celle de José Graziano da Silva, le directeur général de la FAO quand il déclare que « nous ne pouvons tout simplement pas permettre qu’un tiers de toute la nourriture que nous produisons soit gaspillé ou perdu à cause de pratiques inadéquates lorsque 870 millions d’êtres humains sont affamés chaque jour ». Ce sont toujours les mêmes défis qui reviennent à la surface : la réduction de notre empreinte écologique et la solidarité. Pour cela, nos modes de vie devront être plus frugaux (et pas uniquement au niveau de l’alimentation). L’enjeu culturel et spirituel est que cette réduction se fasse dans la liberté intérieure – par attrait pour un mode de vie qui rend plus heureux –, sans quoi cela se passera sous la contrainte et probablement dans la violence.

Le décodage de la culture consumériste nous aide à prendre conscience du système de valeurs et de sens qui lui est sous-jacent. Cette prise de conscience n’est qu’une première étape pour changer la culture. Si nous voulons humaniser nos modes de vie, il nous faut travailler sur le système de valeurs et de sens pour transformer les mentalités, les attitudes, les perceptions, les manières d’être en relation les uns avec les autres. En effet, « le changement social ne consiste pas seulement dans la transformation des structures économiques et politiques, car ces structures sont elles-mêmes enracinées dans des valeurs et des attitudes socio-culturelles »[75]. Le fait que des individus et des groupes luttent contre la consommation de masse et inventent des « contre-cultures », dit toute la prégnance de la culture consumériste. Cela dit aussi qu’agir sur les valeurs et le sens est possible et ouvre un chemin…

Enjeux de paix dans le monde
 

Par ailleurs, à la mondialisation sont aussi liés des enjeux de paix dans le monde. En effet, on ne peut, dans de nombreux cas, se passer des lunettes de la mondialisation pour comprendre les conflits.

Prenons l’exemple des « minerais des conflits ». Certains pays parmi les moins développés sont très riches en ressources minières. Alors que les ressources naturelles pourraient être une opportunité de développement au bénéfice de la population, elles sont souvent exploitées par des entreprises multinationales sans que les populations locales en voient les bienfaits. Bien au contraire, elles sont victimes des externalités négatives (pollutions, problèmes sanitaires, etc.)[76]. C’est pourquoi on parle de « malédiction des ressources ». Là où l’Etat est très faible et n’arrive pas à contrôler les territoires miniers, les industries hésitent à s’installer. Dès lors, ce sont des creuseurs artisanaux qui exploitent les richesses des sous-sols. Mais des groupes armés s’interposent et détournent illégalement les bénéfices de l’exploitation et de la commercialisation des minerais en vue de leur financement. Le cas de l’Est de la RDC est emblématique à ce sujet[77]. Le lien avec la mondialisation est simple : ces minerais des conflits se retrouvent sur le marché mondial, pour satisfaire nos appétits insatiables d’appareils ou gadgets électroniques, ordinateurs, voitures, et autres objets de notre quotidien. Pour leur confection, en effet, des matériaux comme l’étain, le coltan, le tungstène sont nécessaires. Avec l’arrivée des pays émergents dans le paysage économique mondial, la demande en minerais explose et la pression sur les ressources s’accroit, alors qu’elles ne sont pas renouvelables. Cela fait monter les prix des minerais et renforce ainsi le développement de l’exploitation artisanale.

Le changement climatique est aussi devenu un élément incontournable dans les enjeux de paix dans le monde. Le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni à ce sujet en juillet 2011, a exprimé « sa crainte de voir les effets préjudiciables éventuels des changements climatiques aggraver à long terme les menaces existantes à la paix et à la sécurité internationales ». Le secrétaire général, M. Ban Ki-Moon, a insisté : « Nous ne devons pas nous tromper. Les faits sont clairs : le changement climatique est réel et s’accélère dangereusement. Non seulement il exacerbe les menaces à la paix et la sécurité internationales ; il est une menace à la paix et la sécurité internationales »[78].

Une interpellation spirituelle
 

De cette première partie de l’étude se dégage une question importante : celle de la démesure et donc de la limite. Interpellation spirituelle s’il en est : quel rapport entretenons-nous avec la limite ? Plus fondamentalement encore, il s’agit du rapport à nos propres limites et à notre finitude. Cette question de la limite est essentielle, d’autant que la mondialisation dans ses modalités actuelles semble incapable de répondre de façon juste aux deux défis majeurs de notre temps : celui des inégalités et celui de la limite écologique de notre planète. Quel prix une grosse partie de l’humanité doit-elle supporter pour la course au profit, la recherche sans fin de plus de rentabilité d’agents économiques et financiers peu scrupuleux et mus par leur cupidité ? Jusqu’où les dégâts humains, sociaux, sanitaires, psychologiques, écologiques, etc., produits par le système doivent-ils aller pour que soient mises en place les conditions d’une mondialisation juste et solidaire ? Jusqu’à quand le sort de la planète, dont nous dépendons toutes et tous, doit-il être laissé à la soi-disant « discipline » du marché ? Jusqu’où la dignité des êtres humains peut-elle être en jeu ?

La réalité est là : les inégalités socio-économiques augmentent entre pays développés et ceux en développement[79] (malgré « l’essor » de certains), mais aussi au sein des pays développés et au sein des pays émergents. Les effets de la crise se font sentir : en Europe, le chômage, en particulier des jeunes, est inquiétant et plonge des centaines de milliers de personnes dans la précarité, la peur du lendemain et le découragement. Un rapport[80] du European Anti Poverty Network analyse les conséquences sociales de la crise en Europe et pointe l’augmentation des inégalités : les 10% les plus riches sortent gagnants de la crise alors que les groupes les plus vulnérables (jeunes, personnes moins qualifiées, migrants, minorités ethniques, personnes âgées, enfants, parents isolés) sont le plus durement frappés[81]. Un récent rapport de la Commission européenne signale qu’ « entre le début de la crise en 2008 et 2012, le nombre d’Européens exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale a connu une hausse inquiétante de 8,7 millions, pour atteindre 25,1% de la population de l’UE-28 en 2012 »[82]. A un niveau global, les « Objectifs du Millénaire pour le Développement » fixés en 2000 par la communauté internationale et visant la réduction voire l’éradication de l’extrême pauvreté, censés être atteints pour 2015, sont loin de l’être. Même si l’on peut noter certains progrès, ceux-ci sont contrebalancés par de nombreux reculs[83].

A cela s’ajoute ce fait que nous ne pouvons plus ignorer : la limite écologique de la Terre[84]. Le cinquième et dernier rapport du GIEC[85] nous confirme, avec plus de certitude encore qu’avant (c’est-à-dire avec une probabilité de 95%), l’origine anthropique du changement climatique et les conséquences de celui-ci (hausse du niveau des mers et des océans, zones humides qui deviennent plus humides, zones de sécheresse qui deviennent plus sèches, etc.). Par ailleurs, la question des ressources énergétiques[86] met en évidence l’impasse dans laquelle nous mène notre modèle de développement. Les atteintes à l’environnement et à la biodiversité, la pression exercée sur les ressources naturelles, les pollutions et les gaspillages : tout cela nous indique qu’une limite a été dépassée.

La crise actuelle nous offre l’occasion de repenser notre rapport à la limite. Selon l’étymologie du mot crise, celle-ci n’est pas une étape critique avant de retourner au business as usual, mais bien le « moment du jugement, du discernement, de la décision ». Ainsi, elle est plutôt une occasion pour changer le cours des choses. En Chinois, le mot crise se dessine par un double idéogramme signifiant obstacle et opportunité. Si ce discernement nous concerne individuellement (quel est mon rapport à la limite ?), il importe aussi de porter cette question dans l’espace public. C’est dans l’arène publique que doivent s’élaborer et se décider des projets de société communs porteurs de sens et ambitieux au regard des défis écologiques et sociaux.

Plus fondamentalement encore, surgit une question de sens : quel est le sens de la démesure actuelle, alors que la trajectoire que nous avons empruntée ne nous rend pas plus heureux – bien au contraire ? Paradoxe : les sociétés plus égalitaires sont des sociétés plus heureuses, comme le montrent brillamment Richard Wilkinson et Kate Pickett[87]. Mieux encore : dans les sociétés plus égalitaires, et les classes les plus démunies et les plus nantis sont plus heureux ! Il vaut donc mieux être riche en Suède que riche aux Etats-Unis. En outre, au-delà d’un certain niveau de vie, encore et toujours plus de consommation ne conduit pas à plus d’épanouissement et de satisfaction de vie[88]. Et enfin, d’après le rapport Stern[89], le coût (en termes de PIB) de l’inaction face au changement climatique est bien supérieur au coût de l’action à mener pour le limiter – pour autant qu’elle soit prise rapidement.

Pourquoi donc s’entêter à poursuivre dans cette voie ? Ne serait-il pas temps de remettre en question la boussole qui nous guide, afin de changer de cap ? C’est ce que Claire Wiliquet s’attache à faire dans la deuxième partie de cette étude.

Deuxième partie : Repenser les fondements de notre modèle de développement
 

« Il faut prendre acte du caractère inéluctablement parcellaire, fragile et contingent de toute science et de ses rapports avec les pratiques éventuelles qu’elle fonde » Lévy-Lebon

La recherche du bien-être joue un rôle central dans la vie en société. L’objectif de toute organisation collective d’une société est de répondre aux besoins de cette collectivité pour atteindre le bien-être. Doivent alors être définis ce que sont les besoins et la façon d’y répondre. La réponse à ces questions repose sur un consensus implicite de l’ensemble des forces sociales. Le bien-être étant par essence la finalité du développement, c’est sur base de ce consensus qu’on détermine ce qu’est un pays développé ainsi que les politiques publiques qui doivent être mises en place pour atteindre ce statut. La conception qu’une société se fait du bien-être et du développement a donc des conséquences sur tous les aspects de la vie des individus qui vivent dans cette société. Au fil de son application à la réalité, ce consensus devient paradigme : un système cohérent reposant sur un système de valeurs et de principes qui modèle notre représentation du monde et nos façons d’agir. Ce consensus n’est alors plus débattu et les principes qui le sous-tendent passent pour naturels. Théorisés par la science d’économie politique, ils acquièrent force de vérité et passent pour naturels. Or, ce consensus relève avant tout de choix collectifs. Cette réflexion qui en rejoint d’autres, de plus en plus nombreuses, a pour objectif d’expliciter ce consensus et de le remettre en question afin d’ouvrir le débat sur une redéfinition des besoins, et de la manière de les satisfaire.

Les fondements de notre modèle de développement
 

Du libéralisme au néolibéralisme
 

Selon Adam Smith, père de l’économie politique, la poursuite du bonheur individuel mène au bonheur collectif. Chaque individu poursuivant son intérêt contribue à la richesse de la nation, l’enrichissement individuel est légitime puisqu’il permet l’enrichissement collectif. Cela implique qu’il faut laisser un maximum de liberté à l’individu et minimiser l’intervention publique, en ce inclus l’impôt. Le rôle de l’Etat est d’assurer un cadre légal aux transactions économiques qui se réalisent sur le marché. C’est à ce dernier à assurer la coordination entre les individus. Cela dit, comme le fait remarquer Hespel[90], le système d’Adam Smith ne repose pas sur un laisser-faire économique total, l’intervention de l’Etat est acceptée en tant qu’elle permet le bien-être collectif, lui-même nécessaire au bien être individuel qui garantit la liberté des individus et donc leur capacité de produire des richesses. Dans un premier temps, le libéralisme est d’ailleurs associé à une certaine liberté politique, la proclamation de la liberté individuelle dans l’activité économique protège d’un pouvoir totalitaire, en réaction au pouvoir totalitaire qu’exerçait la noblesse jusqu’à la révolution française et à la relation de servage qu’elle entretenait avec la paysannerie.

Ce n’est que plus tard, avec l’avènement de ce qu’on appelle le néolibéralisme, que l’Etat et les régulations qui en émanent seront vus comme un frein à la prospérité économique qu’il faut minimiser au maximum. Il en découle une dérégulation des marchés. Plus que la décision politique, ce sont les règles des marchés qui gouvernent aujourd’hui l’économie mondiale ainsi qu’une part importante des économies nationales. De plus en plus, les Etats sont subordonnés à ces règles. L’influence des agences de cotation sur les décisions politiques ne vient pas contredire ces propos.

Comme le fait remarquer Hespel[91], la réflexion d’Adam Smith est avant tout une réflexion morale, qui dit comment s’organiser collectivement pour faire le bien, et par ailleurs son concept de main invisible n’est pas très éloigné de l’idée d’une transcendance : deux éléments qui sont difficilement acceptables comme fondement d’une science « naturelle ». Or c’est bien comme cela qu’est trop souvent considérée aujourd’hui l’économie politique héritée d’Adam Smith. Avec l’accession de l’économie au statut de science exacte[92], les concepts de libéralisme, de croissance, les valeurs consuméristes et matérialistes,… sont passés de l’idéologie à des vérités préétablies. C’est là un aspect du paradigme : un ensemble de règles fixées et qui n’ont donc plus à être remises en question. La définition du bien-être et des moyens d’y accéder ne serait plus alors à produire dans le débat social mais à découvrir par l’application d’une méthodologie scientifique. On voit ici poindre la menace d’une technocratie anti-démocratique.

Productivisme et consumérisme
 

Dans les représentations collectives actuelles, la principale voie d’accès au bien-être passe par la consommation. A ce titre, le modèle de Rostow sur lequel se base la théorie classique[93] du développement est très éclairant. Selon celui-ci, le développement d’un pays se fait en 5 étapes : au commencement il y a une société traditionnelle dominée par les traditions et les croyances, puis peu à peu cette société réunit les conditions préalables au démarrage : l’accumulation du capital nécessaire qui permettra l’industrialisation ; ensuite vient la troisième étape du modèle de Rostow, le démarrage de l’industrialisation, puis le progrès vers la maturité et enfin l’aboutissement : l’ère de la consommation de masse. Au-delà de tout ce que ce modèle a de critiquable en matière de vision linéaire et occidentaliste du développement, il est très significatif que c’est bel et bien l’accomplissement de la consommation de masse qui est considérée comme l’accomplissement social, le bien-être pour tous. Les sociétés traditionnelles seraient caractérisées par la rareté et une lutte incessante pour la satisfaction des besoins de base, alors que les sociétés modernes, occidentales, seraient des sociétés d’abondance. Pour parvenir à cette consommation de masse, les revenus de la population doivent augmenter, cette augmentation des revenus est en principe permise par une augmentation de la production, en d’autre terme du PIB. L’accès à la consommation de masse nécessite donc une croissance économique rendue possible, selon la théorie classique du développement, par l’industrialisation. Celle-ci en réalisant un gain de productivité – le passage de la charrue au tracteur – permet une augmentation sans précédent du confort matériel.

Des valeurs qui conditionnent nos représentations et nos actions
 

Le paradigme qui domine aujourd’hui la vision de ce que sont le développement et le bien-être est sous-tendu par des concepts tels que le productivisme, le consumérisme, le progrès technique, l’individualisme, le néolibéralisme ou encore le matérialisme. Dans cette perspective, la croissance du PIB est considérée comme l’indicateur par excellence du développement.

Ces différents concepts hérités de l’économie politique et de l’industrialisation ne sont pas purement théoriques, ils sont profondément ancrés dans notre culture occidentale et  conditionnent nos représentations du monde. Ils font en quelque sorte partie de l’inconscient collectif[94]. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir à ce qu’évoquent pour nous les termes de richesse, de progrès ou de prospérité ; il y a de fortes chances pour que les premières choses qui nous viennent à l’esprit soient la richesse monétaire, le progrès technique, la prospérité comme abondance. Ces associations ne vont pourtant pas de soi mais sont culturellement construites. Cela ne les empêche pas d’avoir peu à peu modelé notre société.

De même, le consumérisme et son corollaire le matérialisme sont deux concepts particulièrement structurants de la culture occidentale, ils conditionnent en grande partie nos façons d’être ; la façon dont nous organisons nos vies : travailler plus pour gagner plus, pour consommer plus ; nos rêves souvent liés à l’avoir,…[95] Quant aux privatisations des services publics, l’ouverture des marchés au commerce international, les dérégulations de tout poil, elles découlent d’une conviction que la libéralisation amène une maximisation des bénéfices pour toutes les parties prenantes. C’est parce que nous croyons au progrès et que des solutions techniques vont être trouvées que nous n’avons pas encore réduit drastiquement notre consommation d’énergie malgré les menaces que font peser le réchauffement climatique et l’imminente diminution des ressources des énergies fossiles.

La croissance comme indicateur de développement
 

La volonté de faire croitre le PIB sous-tend un grand nombre de décisions publiques. En effet, n’est-ce pas la volonté d’accroitre et d’étendre l’activité économique qui a poussé hier les pays européens à la colonisation et qui aujourd’hui pousse les gouvernements à adopter des plans d’austérité ? Le choix même du PIB comme indicateur de bonne santé d’une société détermine la façon dont on agit sur celle-ci : c’est la quantité de biens et de services échangés sur le marché intérieur qu’il faut faire croitre pour que la société se porte bien.

Si l’on considère les pays occidentaux, la croissance et l’industrialisation ont bel et bien permis une amélioration de la qualité de vie. Les besoins fondamentaux de la grande majorité de la population des pays industrialisés sont satisfaits. Et même plus : une large partie de celle-ci s’inscrit dans une classe moyenne ayant une vie confortable. En vertu de la théorie fordiste, le gain amené par une augmentation de la productivité est traduit en une augmentation sensible des salaires qui permet aux travailleurs d’acheter les produits industriels. D’autre part, grâce à l’Etat social, l’efficacité et la performance des entreprises rendent possible l’extension de la sécurité sociale. Croissance et Etat social qui applique un impôt progressif, permettent une réduction des inégalités et le développement d’une classe moyenne.

Nous sommes donc ici dans une perspective où la croissance permet de lutter contre la rareté. Si l’on en croit Arnsperger, c’est la hantise de la faim, à une époque où disettes et famines étaient encore fréquentes, qui initialement a fait adhérer à la théorie de la croissance : l’éradication matérialiste de cette hantise. Mais une croissance pour lutter contre la rareté n’est pas tout à fait la même chose que le maintien de la croissance dans une société d’abondance. En effet, si dans le premier cas la croissance permet la consommation pour la satisfaction des besoins, dans le deuxième, la croissance est alimentée par la création de besoins[96]. Moyen et finalité sont inversés. La croissance oui, mais jusqu’à quel point et surtout à quel prix ?

Les limites de la croissance
 

Le choix même du PIB comme indicateur de bonne santé d’une société influence et détermine la façon dont on agit sur celle-ci : c’est la quantité de biens et de services échangés sur le marché intérieur qu’il faut faire croitre pour que la société se porte bien. L’exemple du Brésil est à ce titre signifiant et mérite qu’on s’y attarde. Le Brésil est considéré à ce jour comme la sixième puissance mondiale : classement effectué sur base du PIB. Mais le géant latino-américain n’entend pas en rester là et ambitionne la troisième place. L’un des projets qui lui permettra d’atteindre cet objectif est la construction d’un barrage hydroélectrique à Belo Monte, au cœur de l’Amazonie. Ce chantier provoquera des dommages socio-environnementaux énormes : terres inondées, populations déplacées,… couts sociaux plus importants que les bénéfices de croissance que le projet occasionnera à supposer qu’ils soient correctement redistribués. Mais il y aura bénéfice net pour les entreprises minières, l’agrobusiness et l’armée qui pourront emprunter les infrastructures au milieu de la jungle pour transporter leurs marchandises[97].

De même, si l’indicateur de bonne santé de nos sociétés consiste en une augmentation constante des biens et des services qui se vendent et s’achètent dans un pays, leur nature importe peu. Si la FN, industrie de l’armement wallonne, augmente sa production le PIB croit. De même, en cas de maladie, la consultation de médecins et l’achat de médicament augmente le PIB. De cette façon, il existe toutes sortes de dépenses défensives qui pallient au mal-être engendré par notre modèle productiviste et font augmenter le PIB.

Le PIB ne tient pas non plus compte de tout ce qui est de l’ordre de la gratuité : le coup de main à une vieille voisine pour tondre sa pelouse ne sera pas comptabilisé dans le PIB, par contre si cette voisine engage un jardinier, cela le sera. Une autre faiblesse du PIB est qu’il calcule la quantité de biens et de services produits mais ne dit rien sur leur qualité. Le bien ou le service peut être très bon ou au contraire très mauvais, ce qui est compté dans le PIB ce n’est pas sa qualité mais ce qu’il coute. Ainsi on pourra avoir un très mauvais journaliste ou médecin, ils compteront autant dans le PIB que des bons. Et puis surtout, il y a ce problème d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies. On le voit, le PIB est un indicateur parcellaire de la réalité mais pourtant possède un poids important dans les politiques publiques.

Ainsi on en arrive à cette situation somme toute paradoxale où pour assurer la croissance en situation de récession, l’Etat en vient à diminuer les droits sociaux, qui sont les conditions sine qua non du partage des bénéfices de la croissance. Celle-ci n’a en effet de sens que si elle assure le bien-être de tous et réduit les inégalités. Or, en supprimant les droits sociaux, l’Etat certes permet la croissance mais celle-ci ne remplit plus sa fonction initiale. Par ailleurs, la nécessité de croissance impose une participation maximum des individus à l’activité productive : tout le monde doit travailler le plus de temps et le plus longtemps possible. La pression que cela engendre sur les individus n’est pas pour contribuer à leur bien-être, bien au contraire.

Et au Sud ?
 

Parler de limiter la croissance est difficilement audible dans les pays du Sud, puisque c’est le modèle qui a permis aux pays industrialisés d’accéder au confort de vie que la majorité d’entre nous connait Par ailleurs, ce modèle de développement a engendré une série d’injustices au niveau international : c’est dans les pays pauvres, qui polluent le moins, que les effets du réchauffement climatique se font le plus sentir. Il suffit pour s’en convaincre de penser aux sécheresses de plus en plus fréquentes dans les pays de l’Afrique subsaharienne et aux famines qui en résultent. Par ailleurs, les pays riches peuvent plus facilement se prémunir contre ce réchauffement : les Pays-Bas construisent des digues pour se protéger de la montée de la mer, ce que le Bangladesh ne peut pas s’offrir… Enfin les pays riches asseyent leur prospérité sur l’exploitation des ressources des pays du Sud au détriment de la sécurité alimentaire, des droits sociaux et de l’environnement des pays qu’ils exploitent. Le développement industriel laisse les pays du Nord débiteurs d’une dette écologique qui selon Tim Jackson, auteur de La prospérité sans croissance, n’a d’égal que notre dette financière.

Par ailleurs, nous l’avons vu plus haut, dans un premier temps, la croissance bien répartie est nécessaire pour permettre à tous de rencontrer leurs droits fondamentaux. La mise en place de la possibilité de satisfaction des besoins de base produira automatiquement de la croissance. Cependant le modèle de développement suivi par les pays industrialisés ne doit pas pour autant être considéré comme le modèle à suivre : il conduit tout droit dans une impasse écologique. En effet, si la population du monde vivait comme les Européens, il faudrait trois planètes. Il en faudrait cinq si nous vivions tous comme les Américains. Nous devons donc libérer de l’espace écologique pour que les pays du Sud puissent se développer dans une voie qui leur est propre et non plus sur base du modèle occidental.

Repenser notre modèle de développement
 

Les politiques publiques doivent être délivrées de cet impératif de la croissance. Ce n’est pas simple : tout notre système social est construit sur ce postulat et un ralentissement de la croissance ou une récession provoquent bel et bien une crise sociale. C’est tout un système social, une manière de penser la prospérité qui est à réinventer. Inventer une société moins basée sur la possession mais davantage sur les biens partagés et l’entraide. Aujourd’hui, quand on parle de prospérité on pense essentiellement à une abondance matérielle, à la richesse monétaire. Pourtant, il peut exister une prospérité où l’accès aux biens matériels est limité sans pour autant limiter le bien-être. Si on prend l’exemple du transport, la croissance a permis à beaucoup d’avoir un salaire suffisant pour s’acheter une voiture. Dans une société sans croissance, il devrait exister suffisamment de transports en commun et de voitures partagées à disposition gratuitement ou presque, pour que tous puissent se déplacer sans forcément posséder leur propre voiture. Il n’est pas ici question de croissance ni même de décroissance. L’indicateur n’est simplement plus jugé pertinent pour indiquer le cap que les décisions collectives doivent suivre.

La poursuite du bien-être a depuis plusieurs siècles pris un chemin économique, se basant sur une série d’hypothèses et en délaissant d’autres, occultant par là tout un pan de la vie. Peu à peu, cette voie a semblé devenir la seule praticable, elle a semblé être la voie naturelle, la seule possibilité à suivre. Mais cette voie aujourd’hui nous mène dans une impasse. Les hypothèses sur lesquelles se basait une approche strictement économique du bien-être ne paraissent que trop réductrices. Ce chemin ne tient en effet tout simplement pas compte des rapports de gratuité, de la recherche de sens. Le modèle de développement que nous avons suivi jusqu’à nos jours est dans une impasse sociale et écologique. L’heure est venue aujourd’hui de réinterroger les valeurs qui le sous-tendent et de se réinterroger collectivement sur ce qu’est le bien-être et quels sont nos besoins. A-t-on réellement besoin de produire toujours plus, de consommer toujours plus ? Le libéralisme effréné est-il vraiment la meilleure chose pour notre société ? D’autres éléments ne devraient-ils pas être pris en compte ? Quels éléments centraux doivent guider les politiques publiques ? La remise en cause du paradigme et sa modification impliquent des changements culturels profonds, tant ce modèle a forgé notre organisation sociale, nos comportements, nos aspirations, nos représentations, qui aujourd’hui sont en marche.

Une transition vers un modèle de développement durable est indispensable. C’est le chemin que Claire Brandeleer explore dans la troisième et dernière partie de cette étude.

Troisième partie : La transition à espérer
 

Les effets de la mondialisation dans ses modalités actuelles sont dévastateurs. Le mode de développement tel que déployé par le capitalisme néolibéral est non seulement inacceptable d’un point de vue éthique (au regard des valeurs de respect de la dignité humaine et de la recherche du bien commun), mais aussi, d’un point de vue pragmatique, non viable. Sans vouloir verser dans le dramatique, il n’est pas exagéré de dire qu’il en va de la survie de l’humanité. En ce début de millénaire, un nouveau paradigme de développement est donc souhaité. Pour cela, il est inutile de chercher les recettes dans le passé. Il nous faut regarder vers l’avant et créer du neuf. Cela dit, on ne part pas de rien : la préoccupation internationale au sujet de l’état de la Terre et la prise de conscience du lien entre croissance économique et dangers écologiques datent du début des années 1970 (premier Sommet de la Terre en 1972 et rapport Meadows The Limits to Growth[98] la même année). Cette prise de conscience progressive a préparé le terrain pour l’élaboration d’un nouveau modèle de développement : celui de développement durable (ou soutenable). De plus, des citoyens, à travers le monde, ébauchent déjà les traits de ce nouveau paradigme.

Le développement durable
 

Le développement durable est défini pour la première fois dans le rapport Brundtland Notre avenir à tous[99], publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU : « Le développement soutenable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Et le rapport continue : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : (1) le concept de ‘besoins’ et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité et (2), l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ». Cette définition a servi de base aux négociations qui ont eu lieu au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, dont le document central, l’Agenda 21, définit le développement durable comme un développement dans lequel l’équilibre social, l’usage des ressources et l’efficience économique sont compris comme des facteurs qui se conditionnent mutuellement[100]. Reste que souvent cette exigence de conditionnement mutuel entre les trois piliers du développement durable (économique, social, environnemental) passe à la trappe. Cela donne lieu à ce que certains nomment la « durabilité faible », quand des choix stratégiques et des conflits d’intérêts imposent la prépondérance d’un des piliers sur les deux autres. Cependant, c’est plutôt une logique de « durabilité forte » qu’il faut rechercher, qui comprend la production économique comme un moyen au service de la justice sociale, en tenant compte des limites écologiques de la Planète.

La définition donnée par le rapport Brundtland est intéressante pour le parcours que nous avons fait jusqu’ici dans cette étude, dans le sens où elle répond aux deux questions soulevées dans les finales des deux premières parties : celle de la limite (partie un), et celle des besoins (partie deux). Elle entre également en résonance avec notre parti pris pour les plus démunis. Le paradigme du développement durable nous donne un cadre pour penser et jeter les bases d’une autre mondialisation, qui serait juste et solidaire.

En route pour la « grande transition »
 

Notre avis est qu’une « grande transition »[101] est nécessaire : le paradigme du développement durable n’est pas un modèle clé-sur-porte mais il offre un cadre qui pose des limites et dit notre responsabilité. A l’intérieur de ce cadre, nous avons à exercer notre liberté et à user de notre créativité pour imaginer « l’avenir que nous voulons »[102]. Dans ce sens, une dimension nous parait importante à ajouter : celle de la démocratie, qui certes doit sans cesse être approfondie pour assurer sa légitimité[103] mais qui n’en reste pas moins incontournable. C’est en effet dans le débat démocratique que doivent s’élaborer les projets porteurs de sens pour l’avenir de nos sociétés.

L’exigence d’un développement durable nous sollicite collectivement, puisque des mesures politiques et structurelles sont nécessaires. Mais nous sommes également sollicités personnellement et au niveau de nos communautés locales : il s’agit également d’un changement dans nos réflexes, nos manières de penser et d’appréhender le monde, dans nos habitudes, nos comportements et la manière dont nous sommes en relation les uns avec les autres. Bref, il en va aussi d’un changement culturel profond. Tout cela n’est pas facile et ne se règle pas en deux coups de cuillère à pot. Nous ne pouvons nier la force de nos résistances au changement et le poids de nos habitudes… C’est pourquoi le terme de transition nous parait bien à propos : il comporte l’idée de se mettre en marche, de progression, ainsi que l’idée d’un passage. Non seulement la transition est nécessaire, mais elle est aussi désirable. C’est un aspect à ne pas négliger, dans la mesure où la perspective d’une vie bonne est enthousiasmante et mobilisatrice, là où l’urgence et l’ampleur des défis peuvent paralyser et générer un sentiment d’impuissance…

Ouvertures
 

Quels sont donc les leviers et les forces de changement pour tracer un chemin qui refuse la fatalité et ne se résigne pas à l’impuissance, mais ne tombe pas dans le travers du sentiment de toute-puissance (on n’a qu’à…)[104]. Voici, pour alimenter la réflexion sur la transition, quelques ouvertures possibles pour inventer une autre mondialisation.

Encadrer la finance et ordonner l’économie au service du bien commun
 

Dans la perspective d’un développement durable, il importe de remettre le marché et la finance à leur place, c’est-à-dire au service du bien commun et de la dignité de chaque être humain, des générations actuelles, en tenant compte de celles à venir et donc des limites écologiques du monde. Pour cela, il faut que la finance et l’économie soient subordonnées au politique.

Ce n’est pas notre objectif, dans le cadre de cette étude, d’entrer dans les détails[105]. Soulignons seulement que l’encadrement de la finance apparait comme une condition sine qua non de la transition vers un développement durable : si le secteur financier dérégulé continue à promettre des rendements de 15% par an, il sera impossible d’investir l’épargne (considérable en Europe, notamment en Belgique) dans des secteurs qui ne rapportent que sur le long terme[106].

Verdir la croissance : solution ou illusion ?
 

Dans le cadre du développement durable, le développement d’un certain « capitalisme vert » est tout à fait pertinent et à encourager : efficacité énergétique, approvisionnement en ressources renouvelables, technologies propres et sobres en carbone, rénovation écologique du parc immobilier, etc. Cela dit, ce ne sera pas suffisant, pour plusieurs raisons. Il y a d’abord le fait que cela ne remet pas en question le business as usual et la logique de consommation de masse. Ensuite, croire que la technologie peut nous sauver est un leurre. D’une part, parce que certaines innovations créent d’autres problèmes : c’est le cas des agrocarburants qui confisquent des terres arables et dont la promotion a exacerbé la spéculation sur les marchés agricoles, ce qui a eu pour résultat d’aggraver les effets de la crise alimentaire en 2008[107]. D’autre part, en raison de l’effet rebond[108], c’est-à-dire le phénomène qu’on observe quand les coûts de l’énergie diminuent grâce à des gains d’efficacité : la baisse de prix incite le consommateur à consommer davantage d’énergie (typiquement, c’est l’exemple de la voiture qui consomme moins et l’économie ainsi faite dépensée dans des billets d’avion courte distance). Par ailleurs, il y a ce que Tim Jackson appelle le « mythe du découplage ». Le découplage est le concept invoqué en réponse au dilemme de la croissance dans un monde aux ressources limitées : le fait que la production économique s’affranchit progressivement de sa dépendance aux flux de matière[109] – autrement dit, on fait plus avec moins (plus d’activités économiques, moins de ressources et moins d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Cela dit, Tim Jackson invite à faire la différence entre découplage relatif et découplage absolu pour démontrer le mirage que cette apparente solution représente. Globalement, les intensités énergétique, matérielle et en émission de GES ont diminué de façon significative au cours des trente dernières années[110]. C’est le découplage relatif – qui est évidemment nécessaire et souhaité. Cependant, parallèlement à la diminution de ces intensités, l’accroissement de la production et de la consommation ont pour résultat que le découplage est loin d’être absolu[111]. Bref, si les investissements dans l’économie « verte » sont nécessaires et utiles, notamment pour la création d’emplois, ils ne sont pas la panacée. Il nous faudra emprunter également d’autres voies : réduire, recycler, récupérer, réparer.

Par ailleurs, dans une perspective de mondialisation solidaire, il s’agit que les progrès technologiques soient au service du bien commun et donc de tous les peuples, dans une logique de coopération. Cela pose la question de la propriété intellectuelle.

Une fiscalité au service de la justice sociale
 

Dans la recherche d’un développement durable, la recherche de plus d’égalité apparait comme une fin désirable en soi, et comme un moyen.

Plus d’égalité est une fin à rechercher en elle-même, tout simplement parce que les sociétés plus égalitaires sont des sociétés plus heureuses. C’est ce que montrent Richard Wilkinson et Kate Pickett[112] : plus d’égalité profite à tous, même aux plus nantis. Ils nous montrent la corrélation entre le niveau d’inégalité et la santé physique et mentale, l’espérance de vie, la mortalité infantile, le degré de confiance entre les personnes, la force de la vie communautaire, la violence, le taux d’emprisonnement, le taux de grossesses adolescentes, la toxicomanie, la réussite scolaire, etc. Selon les deux auteurs britanniques, l’égalité des chances ne suffit pas. Ce n’est pas qu’il faille viser l’égalitarisme matériel absolu, mais pour que l’égalité des chances soit effective, il faut viser plus d’égalité des conditions économiques au sein de nos sociétés. On pourra répliquer qu’il ne s’agit que d’une corrélation, et non d’une relation causale. Cependant, le prétendu « effet de ruissellement » (qui suppose que l’enrichissement des plus riches profite à toute la société) n’a rien de scientifique à faire valoir pour se défendre, pas même une corrélation. Commentant leur démonstration, Olivier De Schutter invite à la « double convergence » : l’écart doit diminuer entre les personnes en situation de précarité et les plus nantis dans les pays industrialisés, mais également, au niveau mondial, entre pays en développement et pays industrialisés[113]. Pour cela, ajoute-t-il, la croissance économique doit être soutenue dans les pays en développement, tandis que dans les pays industrialisés il nous faut accepter une « contraction » de l’économie, et donc une modification de nos modes de vie et de consommation.

Pour opérer ce changement dans nos modes de vie, plus d’égalité apparait aussi comme un moyen. En effet, si la consommation de masse dans nos pays industrialisés est affaire de positionnement social, la question de l’égalité entre en jeu. Olivier De Schutter résume : « Plus égalitaire est une société, moins chacun de ses individus se sent contraint à participer à la quête infinie du statut par la consommation »[114].

Le levier politique à mettre en œuvre est tout naturellement la fiscalité : progressivité de l’impôt, impôt sur les hauts revenus, taxation de produits de consommation de luxe ou nocifs à l’environnement, lutte contre l’évasion fiscale (des entreprises et des particuliers), taxation des transactions boursières, etc. A ce sujet, l’harmonisation fiscale en Europe est un chantier important[115].

Passage d’une économie de marché à une économie avec marché
 

La transition consistera aussi au passage d’une économie de marché vers une économie avec marché, où d’autres ressorts d’organisation de l’économie peuvent coexister avec la logique du marché. L’économie est en soi plurielle, mais le dérapage a lieu quand le marché absorbe les autres logiques que sont la redistribution, la réciprocité et l’administration domestique (ou l’auto-production/auto-approvisionnement) selon la grille d’analyse proposée par Polanyi[116]. Ainsi, en Belgique par exemple, le secteur de l’économie sociale (qui regroupe les mutuelles, les associations, les coopératives et les fondations) atteste du caractère pluriel de l’économie et est sans doute un pilier sur lequel s’appuyer pour la transition. A ce titre, le secteur mérite d’être mieux (re)connu et mieux soutenu. Deux secteurs d’activités où l’économie sociale est déjà présente nous semblent mériter des investissements : celui des relations de proximité et de soin (ce que l’on appelle le care, avec l’accueil de la petite-enfance mais aussi le soin aux personnes âgées) et celui de la rénovation des bâtiments en fonction de normes environnementales. Ce sont là deux secteurs qui répondent à des défis essentiels, et qui plus est, représentent des viviers d’emplois non délocalisables. N’y aurait-il pas moyen, pour financer ces activités, d’utiliser l’épargne des ménages, très importante en Belgique ?

Par ailleurs, un tas d’initiatives plus ou moins nouvelles contribuent à remettre le marché à sa place ou à modifier ses modalités : groupes d’achat commun, réseaux d’échange de savoirs, monnaies locales et systèmes d’échange locaux, donneries, ressourceries, friperies, écovillages, quartiers durables, buen vivir, voisins solidaires, vélos et voitures partagées, composts et potagers collectifs, fermes alternatives, repair cafés, les commons (ou biens partagés), le mouvement de slow food, celui de simplicité volontaire, celui des villes ou quartiers en transition, le commerce équitable, les entreprises d’insertion par le travail et de travail adapté, les coopératives financières, etc. Elles sont initiées par la société civile, le secteur public, le secteur de l’économie sociale. Les banques éthiques sont le signe que le secteur privé peut modifier les règles du marché. De même, ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises et le social business sont des voies à approfondir pour la recherche d’un développement durable. En revanche, il ne faudrait pas que le secteur privé se limite à utiliser ces stratégies pour soigner son image de marque à des fins commerciales. C’est ce qu’on appelle le greenwashing (écoblanchiment), une version édulcorée, voire mensongère, du développement durable.

Ces initiatives à la recherche d’alternatives au système dominant incarnent le changement et la transition. Souvent, elles sont déconsidérées, sous prétexte qu’elles sont marginales. C’est vrai. Pourtant, nous pensons qu’elles ont beaucoup de valeur et de potentiel en regard des enjeux de ce début de millénaire, pour plusieurs raisons.

Premièrement, ces initiatives mobilisent une pluralité de logiques économiques en les combinant. De la sorte, elles participent au réenchassement des échanges économiques dans les relations sociales (dans le sens donné par la grille d’analyse de Polanyi). Ainsi, elles participent au caractère pluriel de l’économie. Pour une part, ces initiatives mobilisent notamment le principe de gratuité et la logique du don. Dans l’encyclique Caritas in veritate (CV), réintroduire les principes de gratuité et de don, comme expression de la fraternité, dans les relations marchandes de l’économie mondialisée, est présenté comme un des grands défis qui se présentent à nous, tant au niveau de la pensée que des comportements (CV, 36). Cette idée qu’il faut remettre la sphère marchande à sa place dans le cadre d’une économie plurielle est soutenue par toute une série de penseurs avisés[117].

Deuxièmement, si ces initiatives n’ambitionnent pas de remplacer le système dominant, leur simple existence le questionne et l’invite à remettre en question ses fonctionnements et ses valeurs sous-jacentes. Existant au Nord comme au Sud, elles ont le potentiel d’être un réel contre-pouvoir en participant à l’émergence d’une société civile mondiale. Les réseaux sociaux sur le net, que ces initiatives mobilisent déjà, nous semblent être un bon moyen pour aider à cela.

Troisièmement, ces initiatives peuvent paraitre toute petites face à un système qui est tellement grand. Pour répondre à cette impression, nous suivons volontiers le raisonnement de Michael Reder : la mondialisation nous invite à comprendre le monde comme un réseau de relations de différents acteurs. Si l’on reconnait cette interconnexion des acteurs (« on est tous dans le même bateau »), il y a une obligation de solidarité : une vie digne dépend de la globalité. Dans cette perspective, les communautés locales sont parties intégrantes d’une solidarité mondiale. Dans la mesure où la solidarité est toujours une valeur ancrée dans des cultures et des traditions différentes, une solidarité mondiale ne fait sens que si elle est basée sur des communautés locales de solidarité[118]. Les groupes de citoyens qui tracent des nouveaux chemins de solidarité dans leur communauté locale, tout en étant conscients de la dimension globale du vivre-ensemble, participent à une solidarité mondiale et inventent une autre mondialisation.

Quatrièmement, il y a aussi un enjeu culturel et pédagogique : ces citoyens ouvrent la voie à d’autres, par un effet d’exemple. Ils trouvent, à tâtons, des espaces de liberté pour choisir les logiques dans lesquelles ils désirent vivre. En vivant davantage en cohérence avec leurs valeurs et ajustés à leur désir profond, ils sont signes de contradiction : oui, il est possible de répondre à ses besoins essentiels autrement que par la consommation de masse. Ceci requiert une réflexion pour prendre conscience des besoins qu’on essaie de combler en surconsommant. Ces besoins sont à prendre au sérieux : besoin de reconnaissance sociale, besoin de sécurité, besoin de vivre en paix la conscience de sa fragilité et de sa finitude, etc. Pour cela, il faut prendre le temps du discernement sur ses besoins essentiels, et s’exercer à y répondre autrement. Le sociologue Manuel Castells[119] dit de ces initiatives qu’elles participent d’une « recréation de la vie ».

Cinquièmement, et en lien avec la question des besoins, plusieurs de ces initiatives montrent bien que ce n’est pas la propriété qui compte mais l’usage d’un bien. Ainsi, c’est bien de mobilité dont nous avons réellement besoin, et pas nécessairement de la propriété d’une voiture. L’exemple de biens partagés ou biens communs (commons) comme les systèmes de carsharing ou de vélos partagés, ouvrent une voie qui nous parait porteuse d’avenir : pourquoi ne pas mettre en commun tout ce qu’on peut : les tondeuses à gazon, les outils, etc. Certaines communes font des essais : ainsi au coin d’une rue, on peut trouver de quoi réparer son vélo, par exemple. Cela suppose une transformation radicale de notre rapport à la propriété privée.

Sixièmement, il y a un enjeu de sens. Dans la liberté intérieure, ces personnes choisissent un autre mode de vie, plus frugal, par attrait pour une vie bonne et parce que ça les rend plus heureux. En explorant les frontières de la frugalité, on se désencombre et autre chose peut émerger. C’est ce que suggère le mot frugalité, qui a la même racine que le mot fruit. Les fruits récoltés sont variés : la satisfaction d’avoir fait quelque chose soi-même plutôt que d’acheter, la joie de la simplicité et de se donner, être partie prenante du retissage du tissu social et de la convivialité, le sentiment d’exercer sa responsabilité de citoyen et de reprendre prise sur les évènements et sur sa vie, le bonheur de plus de cohérence, etc. In fine, il s’agit d’émancipation (individuelle et collective), dans le sens de capacité à choisir une vie qui fait sens pour soi. Ainsi, il n’y a pas de définition unique de ce qu’est une vie bonne.

Septièmement, on peut dire que toutes ces initiatives sont marginales dans le sens où elles émergent à la marge du système dominant. Si par marginales, on entend que leur nombre est insignifiant, nous préférons plutôt dire qu’elles sont minoritaires : quiconque se renseigne se rendra compte du fourmillement d’initiatives fort diversifiées. Certes, il s’agit d’un fourmillement assez éparpillé. Ce foisonnement inattendu parait assez fragile parce qu’il est diffus, mais en revanche il a déjà des relais et des partenaires parmi des acteurs plus traditionnels (société civile organisée, associations, acteurs de l’économie sociale, autorités locales).

Quatre défis nous paraissent importants à relever pour que ces initiatives puissent faire bouger les lignes de fracture générées par la mondialisation d’un mode de vie consumériste. 1) Tout d’abord, il s’agit que ces initiatives s’articulent entre elles pour participer à l’émergence de la société civile mondiale. S’articuler ne veut pas dire s’uniformiser, mais plutôt assumer collectivement la diversité : il est bon que les types d’alternatives soient variés, car cela dépend de la sensibilité de chacun. 2) Ensuite, il y a l’articulation aux différents niveaux de pouvoir politique : s’organiser pour interpeller le politique et mettre à l’agenda du débat démocratique le choix des finalités que la société se donne collectivement. 3) Un autre défi est celui de la mixité sociale et de l’inclusion. A cet égard, il y a un effort de dialogue à initier. 4) Lié à ce souci d’inclusion, pour que les personnes en situation de précarité, qui subissent la frugalité plutôt que de la choisir, ne perçoivent pas comme arrogantes les démarches pour plus de frugalité, il s’agit d’articuler cette recherche avec une lutte collective pour plus d’égalité, afin que chacun puisse vivre dans une « zone de justesse économique », située entre « un seuil d’aisance minimale en dessous duquel il ne faut pas tomber » et un « seuil d’opulence maximale à ne pas dépasser»[120]. Un double mouvement est donc à combiner : une transition dans nos modes de vie, mais aussi un changement au niveau structurel et politique. L’un ne va pas sans l’autre. Mieux : ces deux mouvements se nourrissent l’un l’autre. Il serait dangereux de croire que le travail à la base s’oppose au politique et que les citoyens qui se mobilisent quotidiennement pour « recréer la vie » oublient leur devoir politique, incontournable pour inventer une autre mondialisation.

En brève conclusion, toutes ces initiatives sont, selon nous, ce que l’Eglise appelle un « signe des temps »[121]. Porteuses de promesses, elles élargissent le champ des possibles. Pour beaucoup, elles combinent ce que le philosophe Patrick Viveret appelle le « trépied transformateur », c’est-à-dire la résistance créatrice, l’expérimentation anticipatrice et la vision transformatrice[122]. Ainsi, elles inventent, dans la liberté, un autre présent et anticipent un autre avenir. Plus essentiellement encore, elles sont signes d’espérance dans le monde d’aujourd’hui non seulement en affirmant qu’un autre monde est possible, comme le slogan du Forum Social Mondial le dit, mais en incarnant et anticipant cet autre monde qu’elles veulent voir advenir. Deux auteures britanniques[123] proposent d’ailleurs de nommer ces mobilisations citoyennes les « mouvements d’espérance » (Hope Movements), puisqu’elles ne correspondent pas vraiment à ce que l’on appelle les mouvements sociaux.

Invitation à l’espérance
 « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Proverbe africain   « Un homme devient véritablement libre lorsqu’il décide d’espérer ». J. Ellul.

Les constats dressés dans cette étude peuvent être vécus comme accablants. Prendre au sérieux la réalité peut, de manière tout à fait légitime, générer de l’angoisse et un sentiment d’impuissance et de fatalité. On ne sait pas par où commencer, on se sent tout petit face au système, on est paralysé. La résignation guette, de même que les stratégies de déni. On désespère que quelque chose puisse changer… Et le manque d’espérance se déguise souvent en un certain « réalisme » de bon ton.

Mais si, conscients des enjeux, on se résigne, n’est-ce pas une forme de lâcheté ? N’est-ce pas une manière de fuir ses responsabilités ? Très souvent aussi, nous sous-estimons la liberté et les marges de manœuvre que nous avons pour faire changer les choses… A la racine de tout changement social, pensons-nous, il y a l’espérance[124]. L’espérance nous enlève toutes nos bonnes raisons, alibis et prétextes pour ne pas agir. En effet : à quoi ça sert d’être solidaires ou généreux s’il n’y a pas d’espérance ? Sans espérance, on peut échapper à nos responsabilités. Dans ce sens, on peut dire que l’espérance change le monde et que rien n’est plus responsable que d’espérer, comme nous l’annoncions au début de cette étude.

L’espérance se distingue de l’optimisme : tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’espérance ne fait sens que si elle est vécue en connaissance de cause[125]. Elle est un choix, une décision à prendre, une « disposition de l’âme, une sensibilité qu’il faut mettre en mouvement »[126]. C’est un pari, un acte de foi dans ce que l’être humain a de meilleur en lui.

Si nous observons la multitude d’initiatives prises pour humaniser nos modes de vie (les « mouvements d’espérance ») et les actions engagées pour humaniser les structures injustes de la mondialisation, ne pouvons-nous pas reconnaitre un autre monde qui germe sans bruit ? L’espérance, c’est faire le choix d’écouter ce monde-là, qui silencieusement dément l’adage qu’ « il n’y a pas d’alternative ». C’est aussi faire le choix de participer à sa construction. L’invitation que nous voudrions faire au lecteur est donc une invitation à l’ « espérance agissante »[127].

Manuel Castells[128], qui analyse les mobilisations citoyennes comme le mouvement des Indignados, Occupy Wall Street, la « révolution » islandaise, etc., observe que c’est le fait de se rassembler qui permet de dépasser la peur et que, dans la délibération collective, ces citoyens transforment leur indignation en espérance. Dépasser le sentiment de peur et d’impuissance pour emprunter la voie de l’espérance n’est certes pas la solution de facilité : c’est être mis face à sa responsabilité. Mais sur ce chemin, nous ne sommes pas seuls. Se rassembler ou joindre des groupes déjà existants peut être un moyen pour dépasser la peur et voir s’ouvrir en nous un sentiment de prise sur les évènements.

L’espérance, une tâche pour les chrétiens
 « Voici que je fais une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? » Is 43,19   « Vois-tu quelque chose Jérémie ? Je vois fleurir la fleur d’amandier ». Jr 1,11.   « On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su transmettre aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer » (Gaudium et Spes, 31).

Les grandes religions et mouvements spirituels sont des acteurs mondiaux qui disposent de tout un relais de communautés locales. C’est pourquoi ils ont un rôle à jouer dans l’humanisation de nos modes de vie et la transition vers une mondialisation juste et solidaire. A partir de notre propre ancrage, nous voudrions explorer les ressources de la foi chrétienne au regard de notre invitation à l’ « espérance agissante ». Nous espérons que le lecteur non chrétien trouvera une source de réflexion supplémentaire dans ces quelques paragraphes.

Dans la foi, nous pensons que l’espérance est avant tout un don de Dieu. Cela pourrait paraitre contradictoire avec ce que nous avons écrit plus haut où nous considérions l’espérance comme une décision à prendre. En réalité, et c’est là le paradoxe, recevoir ce don engage notre liberté : c’est donné, encore faut-il y consentir et la recevoir effectivement.

Une tentation pour les chrétiens serait de se réfugier dans une espérance restreinte à la vie dans l’au-delà, manière de se dédouaner de ses responsabilités à agir ici et maintenant. Pour l’Eglise, « l’espérance eschatologique [liée à la fin des temps] ne diminue pas l’importance des tâches terrestres, mais en soutient bien plutôt l’accomplissement par de nouveaux motifs » (Gaudium et Spes 21). Ces nouveaux motifs sont liés à l’espérance de s’entendre dire « recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde » (Mt 25,34). L’évangile énumère ensuite les tâches terrestres accomplies pour ce motif : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi » (Mt 25,35-36). Voilà ici, présentée de façon radicale, la révélation de l’Evangile que l’amour pour Dieu s’exprime à travers l’amour du prochain et par la solidarité avec les plus petits d’entre nous aux yeux de ce monde[129].

Une tension apparait donc : le Royaume de Dieu, c’est un « déjà là, mais pas encore ». Il est déjà là, mais si discret qu’on ne le voit pas : il est comme la plus petite des semences, comme un grain de moutarde, comme le levain enfoui dans trois mesures de farine (Mt 13). Si nous prêtons attention, nous pouvons le reconnaitre dans cet « autre monde qui germe sans bruit » et dans toutes les actions et tous les gestes posés pour humaniser nos modes de vie et les structures injustes de la mondialisation. Mais il reste une incomplétude au Royaume annoncé par l’Evangile. Dans la foi, nous croyons qu’ultimement, le Royaume atteindra son accomplissement. Si la souffrance générée par l’état actuel de la mondialisation et par la crise que nous connaissons peut parfois nous donner l’impression, tel Abraham, d’espérer contre toute espérance (Ro 4,18), nous pouvons avoir l’assurance que l’espérance ne trompe pas (Ro 5,5) et que « tout le travail accompli en faveur de la justice et du bien commun n’est jamais perdu mais portera du fruit »[130].

Une autre tentation serait celle de la toute-puissance : vouloir faire advenir un monde parfait, quitte à l’imposer par la force et la violence, en usant du pouvoir et en abusant des droits des autres. La parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13,24-30) nous met en garde : « Laissez l’un et l’autre croitre ensemble jusqu’à la moisson ». Si c’est vrai que l’ivraie ne donne pas de fruit, elle n’empêche pas le bon grain de donner du blé. En lien avec ceci, un autre danger serait de faire abstraction de la réalité mêlée de la vie humaine : l’ivraie et le bon grain poussent dans le même champ. Nous sommes parfois tentés par des solutions qui ne tiennent pas compte du désordre ordinaire de la vie humaine, mais qui nous permettraient de nous soustraire à l’usage responsable de la liberté[131].

C’est important de discerner les forces du mal à l’œuvre dans la mondialisation. Cependant, l’appel de Saint Pierre indique un chemin tout nouveau pour les chrétiens : « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1P 3,15). Cette espérance, c’est celle de la résurrection. Dans la foi, c’est l’amour et la vie qui ont le dernier mot et sont plus forts que la haine et la mort. Croire en la résurrection donne aux chrétiens la tâche de discerner les signes de vie et d’espérance et d’en témoigner. Peut-être aussi, chacun à notre échelle, d’en susciter. Pour cela, il s’agit de faire preuve d’ « imagination prospective, à la fois pour percevoir dans le présent le possible ignoré qui s’y trouve inscrit et pour orienter vers un avenir neuf » (Octogesima adveniens 37). Cette « imagination prospective », les chrétiens, ensemble avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, doivent la mobiliser pour oser penser les structures de la mondialisation différemment et pour répondre à leurs besoins autrement que par la voie du consumérisme. « Dans [la] recherche des changements à promouvoir, les chrétiens devront d’abord renouveler leur confiance dans la force et l’originalité des exigences évangéliques », dit encore la lettre apostolique Octogesima adveniens (4). Croire que la mort n’est pas la fin de tout change radicalement les perspectives : c’est l’amour qui dure, ce sont les gestes concrets de solidarité et de justice qui comptent. Il est demandé à chacun de faire ce qu’il peut avec ce qu’il a reçu (Parabole des talents, Mt 25,14-30). Notre action peut paraitre toute petite (comme l’obole de la veuve, Lc 21,1-4), elle n’en sera pas moins signe de résurrection et d’espérance. Pour progresser, pourquoi ne pas adopter une perspective dynamique en nous demandant quel pas, si petit soit-il, nous pourrions faire en plus ?

Saint Pierre lie le rôle de témoin d’espérance à une attention à la qualité des relations, en ajoutant : « Faite-le avec douceur et respect » (1P 3,16). C’est une invitation au dialogue. Nous y voyons une double pertinence : celle d’un dialogue qui permet de part et d’autre la découverte de signes d’espérance inattendus et provoque ainsi un effet boule de neige, et celle d’un dialogue qui permet de rompre avec un climat de peur et de repli sur soi et convie à prendre soin des relations humaines.

La joie et l’espérance du Dimanche de Pâques sont toujours précédées du désespoir du Vendredi Saint, ainsi que du vide et de la perte des repères du Samedi Saint. Cela nous invite à prendre patience. Pour être signe d’espérance, il nous faut quelque part mourir à nos façons de penser et à nos habitudes ; cela peut prendre du temps.

Kierkegaard disait que « l’espérance est la passion du possible ». C’est croire, envers et contre tout, qu’il y a des issues et croire que Dieu est à l’œuvre et ouvre un chemin là où tout parait bouché. Les chrétiens peuvent vraiment trouver un appui dans les Ecritures. Saint Paul ne dit-il pas : « tout ce qui a été écrit jadis l’a été pour notre instruction, afin que, par la persévérance et la consolation apportées par les Ecritures, nous ayons l’espérance » (Ro 15,4). Kierkegaard disait aussi : « La prière est la respiration du possible ». Pour traverser des moments de désespérance, prier c’est permettre à Dieu de nous tirer dans la direction de l’amour et de la vie, c’est consentir au travail de l’Esprit en nous qui fait de l’espérance une réalité. Dans ce sens, prier c’est résister à la désespérance. Le Christ nous y appelle sans cesse quand il dit « Va », « Allez », « Lève-toi ». Si nous ne voyons plus d’issues, c’est lui qui ouvre constamment des nouvelles possibilités.

Saint Ignace de Loyola dit que l’amour se révèle à travers des actes. La bonne nouvelle, c’est que l’espérance, dans laquelle « nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (He 6,19), fait de nous des êtres debout, libres et responsables. Elle nous pousse à « pratiquer l’espérance » : remplis de gratitude et sûrs du souffle de l’Esprit en nous, nous pouvons quitter la peur pour aller résolument de l’avant dans un esprit de joie, d’amour et de patience, et agir pour une mondialisation juste et solidaire, devenant ainsi témoins contagieux d’espérance dans le monde.

Postface
 

L’étude est partie d’un récit, celui du Rana Plaza, emblématique de la mondialisation dérégulée qui est à l’œuvre aujourd’hui. La réflexion menée tout au long de l’étude et déployée en trois temps, a ensuite permis de prendre conscience que la mondialisation rejoint nos propres récits : individuels, communautaires, collectifs. La mondialisation a une influence indéniable sur nos vies d’êtres humains, de citoyens, de consommateurs, d’êtres spirituels, etc. Cela dit, comme nous l’avons analysé, les modalités actuelles de la mondialisation n’ont rien de naturel, mais résultent d’un tournant idéologique incarné dans des choix personnels et collectifs. En retour donc, nos propres récits peuvent avoir une influence sur le processus de mondialisation, qui pourrait prendre une toute autre tournure si nous agissons avec persévérance et détermination, en gardant constamment comme point de repère le bien commun universel.

Au terme de cette réflexion, nous voudrions proposer au lecteur d’emprunter des chemins de « relecture », seul ou en groupes… Non pas tant relire l’étude comme telle, mais plutôt prendre le temps de se poser les questions de sens vers lesquelles nous avons tenté de vous accompagner : « En quoi ces questions résonnent en moi ? Comment l’analyse qui y est déployée me touche dans ma vie quotidienne, comme être humain, comme citoyen,… ? Comment cela rejoint ou non ma manière d’être au monde, aux autres (proches, lointains, générations futures,…), à la Création ? Comment l’invitation à l’espérance agissante me mobilise ? Quels déplacements intérieurs cela provoque en moi ? ».

Notre espérance, au Centre Avec, est que ces chemins de relecture vous encouragent à emprunter, personnellement et avec d’autres, des chemins de traverse qui écriront le récit d’une autre mondialisation, juste et solidaire !



Bibliographie

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Interview de Manuel Castells « Networks of Outrage and Hope », disponible sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=X8m66tNPUb0.



Sigles 

BM : Banque mondiale

BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine

CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement

CV : Caritas in veritate (lettre encyclique du Pape Benoît XVI)

FAO : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

FMI : Fonds monétaire international

GES : gaz à effet de serre

GIEC : groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

He : lettre aux Hébreux (Nouveau Testament)

IDE : investissements directs étrangers

Jn : Evangile selon Saint Jean (Nouveau Testament)

Lc : Evangile selon Saint Luc (Nouveau Testament)

Mt : Evangile selon Saint Matthieu (Nouveau Testament)

NTIC : nouvelles technologies de l’information et de la communication

OIT : Organisation internationale du travail

OMC : Organisation mondiale du commerce

OMS : Organisation mondiale de la santé

ONU : Organisation des Nations Unies

PIB : produit intérieur brut

PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement

PNUE : Programme des Nations Unies pour l’environnement

RDC : République démocratique du Congo

Ro : lettre aux Romains (Nouveau Testament)

SICAV : société d’investissement à capital variable

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

IP : première lettre de Saint Pierre (Nouveau Testament)

Notes :

  • [1] Actualisation à l’heure de boucler cette étude (décembre 2013) : le gouvernement a accepté d’augmenter le salaire minimum dès décembre 2013, celui-ci passant de 38 dollars US à 68 dollars US (soit 5.300 taka). Ce qui semble une forte hausse (augmentation de 70%) n’est toujours pas suffisant pour couvrir les besoins vitaux, et des patrons « compensent » en diminuant les primes pour la nourriture et le transport. Voir www.europe-solidaire.org/spip.php?article30505. Par ailleurs, en octobre 2013, l’Organisation internationale du travail (OIT) a lancé le programme « Better Work » visant à « améliorer la conformité à la législation nationale du travail et le respect des normes internationales du travail, tout en favorisant la compétitivité des usines qui y participent ». Ce programme fait partie d’une initiative plus large (« Améliorer les conditions de travail dans le secteur du textile et de l’habillement ») visant en priorité à « minimiser le risque d’incendie et d’effondrement d’immeubles dans les usines textiles et de garantir la sécurité et les droits des travailleurs ». Voir www.ilo.org/global/about-the-ilo/activities/all/safer-garment-industry-in-bangladesh/lang–fr/index.htm.

    [2] Josep F. Mària I Serrano, « La globalización », publication du Centre d’étude Cristianisme i Justicia, collection Quadernos, 2006, p.7.

    [3] Jean-Claude Guillebaud, « La grande inquiétude », in Etudes, janvier 2006, p.16.

    [4] Patrick Viveret, La cause humaine. Du bon usage de la fin d’un monde, Paris, Les liens qui libèrent, 2012, p.22.

    [5] Paul VI, Populorum Progressio, lettre encyclique sur le développement des peuples, 1967, (42).

    [6] Frank Turner, « La solidarité européenne en temps de crise », in En question, n°103, décembre 2012, p.17.

    [7] Nous remercions ici Pedro Walpole qui nous a aidée à prendre conscience et reconnaitre ces mouvements en notre for intérieur, et nous a invitée à la gratitude… (Rencontre entre Pedro Walpole et l’équipe du Centre Avec, le 6 juin 2013).

    [8] Voir Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et pour l’humanisme, Actes Sud, 2008.

    [9] Voir Jean-Baptiste de Foucauld, L’abondance frugale. Pour une nouvelle solidarité, Paris, Odile Jacob, 2010.

    [10] Nous nous inspirons librement de Frère Roger, de Taizé, qui affirmait que « rien n’est plus responsable que de prier ».

    [11] Josep F. Mària I Serrano, « The many faces of globalization », in Luc Bouckaert et Laszlo Zsolnai (éds.), Spirituality as a Public Good, European Spes Cahier 1, Anvers, Garant, 2007, p.69.

    [12] Voir Paul Löwenthal, note pour le groupe de travail « Mondialisation » organisé par le Centre Avec.

    [13] Dominique Plihon, Le nouveau capitalisme, Paris, La Découverte, 2009 (troisième édition), p.24.

    [14] Jean-Claude Guillebaud, loc.cit., p.16.

    [15] Jacques Adda, La mondialisation de l’économie, Paris, La Découverte, 2012 (huitième édition), p.7.

    [16] Dominique Plihon, op.cit.

    [17] Pierre Defraigne, « Intolérables inégalités. Approche macroéconomique des causes de la pauvreté », in En question, n°96, mars 2011, pp.23-24.

    [18] Josep F. Mària I Serrano, op.cit., p.78.

    [19] Jacques Adda, op.cit.

    [20] Idem.

    [21] Idem.

    [22] Pour ce paragraphe, voir Dominique Plihon, op.cit., pp.6-23.

    [23] Op.cit., p.12.

    [24] Ibidem, p.9.

    [25] Pierre Defraigne, « Europe citoyenne et mondialisation : gérer les ruptures », in De la mondialisation à la crise, Cahier du Cepess, Février 2009, p.20.

    [26] Dominique Plihon, op.cit.

    [27] Ibidem, p.37.

    [28] Ibidem, pp.26-27.

    [29] Pierre Defraigne, loc.cit., p.18.

    [30] Détaillé par John Williamson en 1989.

    [31] Dominique Plihon, op.cit., p.28.

    [32] Ibidem, p.30.

    [33] Ibidem, p.31.

    [34] Dominique Plihon, Les enjeux de la mondialisation, Paris, La Découverte, 2013 (deuxième édition), p.26.

    [35] Ibidem.

    [36] Dominique Plihon, Le nouveau capitalisme, op.cit., p.34.

    [37] Pour ce paragraphe, voir Dominique Plihon, op.cit., pp.35-36 et 57-66.

    [38] Une de ces techniques – qui a fait polémique dans les années 2000 et est mieux encadrée aujourd’hui – est celle des stock-options, c’est-à-dire un « droit d’acquisition futur » sur les actions de l’entreprise, à des conditions favorables. Finalement, cette technique censée servir les intérêts des actionnaires se retourne contre eux, puisque les managers sont incités à prendre des risques démesurés. Voir Dominique Plihon, op.cit., pp.64 et 87.

    [39] Pour approfondir le sujet, voir Gaël Giraud, « Pour un second Bretton Woods », in Revue Projet, n°309, mars 2009, pp.67-75. Voir aussi Frédéric Baule, « Valoriser le salariat pour redonner sens à l’entreprise », in Gaël Giraud et Cécile Renouard (éds.), Vingt propositions pour réformer le capitalisme, Paris, Flammarion, 2012 (nouvelle édition), pp.95-129.

    [40] Mathilde Dupré et Jean Merckaert, « Paradis fiscaux : la souveraineté à l’épreuve de la mobilité des capitaux », in En question, n°107, décembre 2013, p.14.

    [41] Dominique Plihon, op.cit., p.82.

    [42] Pierre Defraigne, loc.cit., p.18.

    [43] Dominique Plihon, op.cit., p.88.

    [44] Ibidem, pp.83-84.

    [45] A ce sujet, voir « Quelle maîtrise politique des activités commerciales et financières mondiales ? », étude de la Commission Justice et Paix Belgique francophone, mars 2013. Voir www.justicepaix.be/?article660.

    [46] Pour cette partie, voir Arnaud Zacharie, « Les défis politiques des crises globales : vers quelle gouvernance mondiale ? », in  En question, n°103, décembre 2012, pp.11-14.

    [47] Arnaud Zacharie, loc.cit, p.14.

    [48] L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié. Rapport sur le développement humain 2013. Programme de Nations Unies pour le Développement (PNUD), New York, 2013.

    [49] Pour une lecture critique de ce rapport, voir Jean Marie Faux, « L’essor du Sud : vers un monde moins inégalitaire ? », analyse du Centre Avec, juin 2013. Disponible sur www.centreavec.be/l%E2%80%99essor-du-sud-vers-un-monde-moins-in%C3%A9galitaire-0.

    [50] Pour ce paragraphe, voir Arnaud Zacharie, « Gagnants et perdants de la mondialisation », in Demain le monde, n°22, novembre-décembre 2013, pp.32-34.

    [51] Voir L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié, op.cit., pp.38 et 83.

    [52] Pour ce paragraphe, voir Arnaud Zacharie, « Les défis politiques des crises globales : vers quelle gouvernance mondiale ? », loc.cit.

    [53] Dans l’ordre : l’Organisation internationale du travail, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, le Programme des Nations Unies pour le Développement et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.

    [54] Arnaud Zacharie, loc.cit., p.12.

    [55] Pour ces questions, voir Solidarité et responsabilité politique. Un défi pour la démocratie, étude du Centre Avec, 2012, particulièrement Jean Marie Faux, chapitre 1, section « L’état des conflits ». Disponible sur www.centreavec.be/solidarit%C3%A9-et-responsabilit%C3%A9-politique-un-d%C3%A9fi-pour-la-d%C3%A9mocratie.

    [56] A ce sujet, voir Claire Wiliquet, « La montée de l’extrême droite en Europe. Un urgent devoir de mémoire », analyse du Centre Avec, septembre 2013. Disponible sur www.centreavec.be/mont%C3%A9e-de-l%E2%80%99extr%C3%AAme-droite-en-europe-un-urgent-devoir-de-m%C3%A9moire.

    [57] A ce sujet, voir Danièle Madrid, « Contrôles aux frontières et naufrage des valeurs européennes. La situation en Méditerranée », analyse du Centre Avec, décembre 2010. Disponible sur www.centreavec.be/contr%C3%B4les-aux-fronti%C3%A8res-et-naufrage-des-valeurs-europ%C3%A9ennes.

    [58] Patrick Viveret, op.cit., pp.65-68.

    [59] Edouard Herr, « Mondialisation et justice », in Evangile et Justice, n°83, décembre 2007, pp.12-19.

    [60] Jean De Munck, « Les critiques du consumérisme », in Isabelle Cassiers et alii, Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public, La Tour-d’Aigues, l’Aube, 2011, pp.101-126. A ce sujet, signalons également l’article de Benjamin Barber, « Le consumérisme dans la culture américaine » in En Question, n°95, déc. 2010, pp.22-25.

    [61] Tim Jackson, Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, Bruxelles, De Boeck, 2010, p.95.

    [62] Gerry O’Hanlon, « Voices of Hope : Echoes of the Divine », conférence du 26 octobre 2013, organisée à Galway par le Jesuit Centre of Spirituality and Culture.

    [63] Tim Jackson, op.cit., pp.105-107.

    [64] Olivier De Schutter, « ‘Homo consumens’, les origines culturelles de la consommation sans fin », conférence du 23 août 2012, lors du Forum One people one planet, p.9.

    [65] Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, (traduit de l’anglais : The Great Transformation, 1944), Paris, Gallimard, 1983.

    [66] Juliet B. Schor, La véritable richesse. Une économie du temps retrouvé, (traduit de l’anglais : True Wealth, 2010), Paris, Charles Léopold Mayer, 2013.

    [67] Op.cit., 2013, p.26.

    [68] Ibidem, p.142, note 10.

    [69] Ibidem, p.207.

    [70] Ibidem, p.151.

    [71] Les termes sont de Joseph Schumpeter (voir son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1951).

    [72] Une autre mesure intéressante, en plus de celle de l’empreinte écologique, est celle de l’ « empreinte eau », qui « indique la quantité d’eau dont dépend un pays, en y intégrant à la fois les usages domestiques et ceux liés aux produits importés » (Juliet B. Schor, ibidem, p.95).

    [73] Pour le lien entre environnement et justice sociale, voir Claire Brandeleer, « Environnement et justice sociale, invitation à une spiritualité engagée », étude du Centre Avec, 2011.

    [74] Disponible sur www.fao.org/news/story/fr/item/196268/. En plus de ce rapport, la FAO a publié un guide pour lutter contre le gaspillage alimentaire, à l’intention des gouvernements, des agriculteurs, des industries de l’agro-alimentaire et des consommateurs. Disponible sur www.fao.org/docrep/018/i3342e/i3342e.pdf.

    [75] Congrégation Générale des jésuites 34 (1995), décret 3, n°10.

    [76] Voir par exemple Emmanuelle Piccoli, « Cajamarca (Pérou) : quand l’avenir se débat autour de l’eau et des mines », analyse du Centre Avec, juin 2013. Disponible sur www.centreavec.be/cajamarca-p%C3%A9rou-quand-l%E2%80%99avenir-se-d%C3%A9bat-autour-de-l%E2%80%99eau-et-des-mines.

    [77] Voir Frédéric Triest, « Minerais des conflits : l’Amérique latine elle aussi concernée ! », analyse de la Commission Justice et Paix, décembre 2012. Voir aussi  Géraldine Duquenne, « Ressources naturelles : une richesse au détriment du Sud », analyse de la Commission Justice et Paix, septembre 2013.

    [79] Les termes « pays sous-développés » (ou encore « pays du tiers-monde ») ne sont aujourd’hui plus utilisés, étant jugés inadéquats. Aujourd’hui, l’ONU et notamment le PNUD, préfère parler de « pays en développement » ou « pays en voie de développement », parmi lesquels se trouvent les « pays les moins avancés ».

    [80] European Anti Poverty Network, « Relancer l’espoir et renouer avec les attentes : sortir de la crise ensemble. Approches alternatives pour une relance inclusive », mars 2012.

    [81] Robin Hanan, « The Social Impact of the Economic Crisis in Europe », in Working Notes, n°69, (publication du Jesuit Center for Faith and Justice, Dublin), juillet 2012, pp.16-21.

    [83] A ce sujet, voir Amy Pollard, « Les Objectifs du Millénaire pour le Développement : une fin et un nouveau commencement », in En question n°101, juin 2012, pp.8-11.

    [84] A ce sujet, voir Claire Brandeleer, « Environnement et justice sociale, invitation à une spiritualité engagée », étude du Centre Avec, 2011.

    [85] Voir le rapport Climate Change 2013, The Physical Science Basis publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le rapport ainsi que le résumé à l’attention des décideurs sont disponibles sur www.climatechange2013.org.

    [86] Voir Claire Wiliquet, « La transition énergétique ou comment se sevrer du pétrole ? », analyse du Centre Avec, mars 2013. Disponible sur www.centreavec.be/la-transition-%C3%A9nerg%C3%A9tique-ou-comment-se-sevrer-du-p%C3%A9trole.

    [87] Richard Wilkinson et Kate Pickett, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous ?, (traduit de l’anglais : The Spirit Level : why more equal societies almost always do better, 2009), coédition Etopia, Les petits matins, Institut Veblen, 2013.

    [88] Isabelle Cassiers et Catherine Delain, « La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? », in Regards économiques, n°38, Institut de recherches économiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain, 2006.

    [89] Le rapport « Stern Review on the Economics of Climate Change » est disponible à l’adresse suivante : http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http:/www.hm-treasury.gov.uk/sternreview_index.htm. Un résumé en français est disponible : http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http://www.hm-treasury.gov.uk/d/stern_shortsummary_french.pdf.

    [90] Bertrand Hespel, « La richesse des nations d’Adam Smith. Notes de lectures et premiers commentaires », in Stéphane Leyens et Alexandra de Heering, Stratégies de développement durable. Développement, environnement ou justice sociale ?, Namur, PU Namur, 2010, pp.83-114.

    [91] Op.cit., p.110.

    [92] A ce titre on peut noter aussi la modélisation de la théorie économique : on traduit en langage mathématique des interprétations de comportements humains et on confère à la théorie une valeur explicative et même prédictive.

    [93] Classique en opposition aux nouvelles théories  du développement qui se sont développées successivement par opposition aux précédentes. Voir Walt Whitmen Rostow, Les étapes de la croissance économique, (traduit de l’anglais : The Process of Economic Growth, 1952), Paris, Seuil, 1963.

    [94] Ou devrais-je dire l’inconscience collective…

    [95] Pour une analyse plus approfondie de la culture consumériste voir Claire Brandeleer, « Environnement et justice sociale, invitation à une spiritualité engagée », Etude du Centre Avec, décembre 2011.

    [96] Ces besoins sont créés par une omniprésence de la publicité ou encore par des pratiques comme l’obsolescence programmée.

    [97] Situation mise en lumière par Fernando Lopez lors du séminaire Environnement et justice sociale. Regards croisés Nord/Sud organisé le  8 novembre 2011  par le Centre Avec. Les actes de ce séminaire sont disponibles sur le site www.centreavec.be.

    [98] Trad. fr. : Halte à la croissance ? Le Club de Rome présenté par Jeanine Delaunay. Rapport Meadows, Paris, Fayard, coll. Écologie, 1972.

    [99] En anglais Our Common Future.

    [101] L’expression fait allusion au titre de l’ouvrage, déjà cité, de Karl Polanyi, La grande transformation, et est reprise d’un document publié par le think tank New economics foundation (voir www.neweconomics.org) : Josh Ryan-Collins, « The Great Transition », octobre 2009. Disponible sur www.neweconomics.org/publications/entry/the-great-transition?iframe=true&width=100%2525&height=100%2525

    [102] C’est le titre du document final de la conférence de Rio+20 sur le développement durable (juin 2012), adopté par les Etats membres de l’ONU.

    [103] Au sujet de la crise de légitimité de la démocratie, voir « Solidarité et responsabilité politique. Un défi pour la démocratie », étude du Centre Avec, 2012 (particulièrement le chapitre 2, « L’impuissance du politique », par Jean Marie Faux).

    [104] Voir Edouard Herr, « Bible et mondialisation », in Françoise Mies (éd.), Bible et économie, Bruxelles, Lessius, 2003, p.147.

    [105] Pour cela, nous renvoyons volontiers le lecteur intéressé vers le document « Quelle maîtrise politique des activités commerciales et financières mondiales », étude de la Commission Justice et Paix, 2013. Nous recommandons également les ouvrages suivants : Gaël Giraud et Cécile Renouard (éds.), Vingt propositions pour réformer le capitalisme, Paris, Flammarion, 2012 (nouvelle édition), et Gaël Giraud, Illusion financière, Paris, L’Atelier, 2013 (nouvelle édition).

    [106] Gaël Giraud, Illusion financière, op.cit., p.172.

    [107] Arnaud Zacharie, loc.cit., p.11.

    [108] Juliet B. Schor, op.cit., p.124.

    [109] Tim Jackson, op.cit., p.77.

    [110] Ibidem, pp.79-80.

    [111] Ibidem, pp.77-86.

    [112] Richard Wilkinson et Kate Pickett, op.cit.

    [113] Olivier De Schutter, « Contraction et double convergence : vers des stratégies de développement durable », in Autour de Tim Jackson, inventer la prospérité sans croissance, (deuxième partie), Revue Etopia, n°9, juillet 2011, p.20.

    [114] Ibidem.

    [115] A ce propos, voir Guy Cossée de Maulde, « Pour une plus grande justice, la question de l’harmonisation fiscale en Europe », analyse du Centre Avec, décembre 2011. Disponible sur www.centreavec.be/pour-une-plus-grande-justice.

    [116] Karl Polanyi, op.cit.

    [117] Entre autres Tim Jackson, Gaël Giraud, Juliet Schor, Christian Arnsperger, etc.

    [118] Michael Reder, « Communities of Solidarity », conférence du 19 septembre 2013, organisée par le réseau Scribani à l’UCSIA.

    [119] Interview de Manuel Castells « New economic cultures », disponible sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=ohHXEfbQgFg.

    [120] Christian Arnsperger, L’homme économique et le sens de la vie, Petit traité d’alter-économie, Paris, Textuel, 2011, pp.17 et 93.

    [121] L’expression « signe des temps » a été mise à l’honneur par Jean XXIII dans la lettre encyclique « Pacem in terris ».

    [122] Patrick Viveret, op.cit., p.152.

    [123] Dinerstein, A.C. et Deneulin, S., « Hope movements: naming mobilization in a post-development world », Development and Change, 43 (2), 2012, pp.585-602.

    [124] Notre réflexion sur l’espérance a été alimentée notamment par un atelier animé par frère Emile, de la communauté œcuménique de Taizé (août 2013).

    [125] Jean-Claude Guillebaud, Une autre vie est possible, Paris, L’Iconoclaste, 2012, p.30.

    [126] Op.cit., p.22.

    [127] Expression de Sébastien Carcelle, « Face au pessimisme sur l’avenir du monde, quelles ressources offre la foi chrétienne ? », conférence du 20 juin 2013, organisée par le Centre Avec.

    [128] Interview de Manuel Castells « Networks of Outrage and Hope », disponible sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=X8m66tNPUb0.

    [129] Gerry O’Hanlon, « Hope », in Promotio Iustistiae, n°97, 2007/4, p.35.

    [130] Frank Turner, loc.cit., p.17.

    [131] Gerry O’Hanlon, loc.cit., p.3.