Mondialisation. Quelles responsabilités pour plus de solidarité ?
Avant propos
Le mot mondialisation est sur toutes les lèvres. On en parle en bien des lieux, il est l’objet d’une interrogation croissante, d’une préoccupation partagée par de nombreux acteurs, tant du côté de la recherche, des pouvoirs publics que du secteur associatif et des citoyens. De nombreuses études sont consacrées au processus de mondialisation, reflétant la diversité des positions à son égard. En concevant celle que nous présentons ici, nous avons été animés par une triple préoccupation :
- faire un travail de vulgarisation, utile pour les associations comme pour les personnes, qui incite à mener une réflexion rigoureuse allant au-delà des idées manichéennes ou trop simples ;
- examiner la mondialisation en partant de ceux qui sont laissés pour compte dans le processus actuel de mondialisation ;
- rappeler combien il est indispensable d’assumer nos responsabilités et au niveau personnel et au niveau collectif…
C’est avec cette triple préoccupation que nous invitons le lecteur à cheminer en trois étapes :
- refaire brièvement l’histoire de la mondialisation actuelle, pour en mieux percevoir les origines et les évolutions, marquées par une idéologie néolibérale, ultralibérale ;
- examiner avec rigueur et esprit critique les impacts de la mondialisation néolibérale ;
- réfléchir aux manières de faire – sur les plans personnels et collectifs – qui optent délibérément pour l’équité et la solidarité.
Nous espérons que, si modeste soit-il, ce travail puisse rendre service.
Cette étude a été réalisée par Hélène Laigneaux en collaboration avec Jean-Marie Faux et Guy Cossée de Maulde. Nous remercions Philippe Defeyt pour sa relecture critique et ses avis.
Introduction
Il est difficile d’écrire sur la mondialisation, tant ce processus est complexe et revêt de multiples facettes. D’emblée, il est utile de préciser de quelle mondialisation nous allons parler. Nous abordons dans cette étude le processus de mondialisation qui prend ses racines dans le Consensus de Washington (1989)[1], qu’on pourrait qualifier de « projet politico-économique néolibéral »[2]. Il s’agit donc bien d’une mondialisation qui suit les règles du néolibéralisme – et même de l’ultralibéralisme, si nous osons dire.
Au cours de ces 30 dernières années, l’humanité dans son ensemble a enregistré des progrès certains (même si l’Afrique reste à la traîne) : hausse de l’espérance de vie à la naissance et du taux d’alphabétisation, accroissement du revenu moyen dans les Pays en Développement, etc. Ces progrès sont encourageants, mais ils se limitent à certains domaines et à certains pays. La stagnation sinon la régression du développement de nombreux pays se confirme d’année en année, la pauvreté et les inégalités s’accroissent : aggravation des inégalités entre économies puissantes et économies dépendantes, entre les personnes qui bénéficient sans cesse de nouvelles opportunités et ceux qui sont laissés pour compte dans le monde, mais aussi à l’intérieur d’un même pays… Malgré la croissance, l’inégalité a gardé son caractère mondial et régional[3]. Et ces disparités touchent bien souvent à des droits humains fondamentaux (accès aux soins de santé, à l’éducation, à la participation à la vie de la société, …), mettant en péril la liberté et la capacité de nombreuses personnes à mener une vie telle qu’ils la souhaitent, une vie digne.
L’augmentation des disparités, la dégradation de l’environnement, et plus récemment la crise financière qui secoue le monde, ne sont que les tristes conséquences des modèles de développement choisis et mis en œuvre par les pays pour la plupart occidentaux, principalement depuis le Consensus de Washington ; modèles qui ne sont ni équitables ni durables… A titre d’illustration, l’empreinte écologique d’un Américain du Nord est de 10 ha, celle d’un européen de 5,1 ha alors que celle d’un africain est de 1,2 ha[4].
En dépit de ces inégalités, de nombreux gouvernements ainsi que les institutions issues des accords de Bretton Woods[5] continuent à défendre que la libéralisation des marchés est et sera profitable à l’ensemble des habitants de la planète. Or, comme le dit Joseph Stiglitz, « les politiques et les économistes qui promettent que la libéralisation du commerce va améliorer le sort de tous sont des imposteurs. La théorie économique (comme l’expérience historique) indique le contraire : même s’il est possible que la libéralisation des échanges améliore globalement la situation d’un pays, elle aggravera celle de certaines catégories de sa population. Et la théorie suggère que, du moins dans les pays industriels avancés, ce sont les travailleurs du bas de l’échelle – les non qualifiés – qui souffriront le plus »[6].
En de nombreux pays et dans des secteurs de plus en plus divers, les évolutions sont préoccupantes, tant sur le plan social qu’environnemental.
Par cette étude, le Centre Avec entend modestement joindre sa voix à toutes celles qui luttent pour que soit pris en compte le cri des pauvres et des exclus de la mondialisation. Ce texte est une amorce pour la réflexion qui sera menée dans les années à venir, il ouvre des pistes qui devront être approfondies et réinterrogées au fil de l’histoire mondiale.
Dans les premier et deuxième chapitres, le lecteur trouvera des repères pour une meilleure prise de conscience des enjeux liés à la mondialisation : tout d’abord, des éléments historiques et descriptifs au sujet de ce processus, et ensuite un panorama de ses impacts dans divers domaines et régions du monde (agriculture,emploi, …). Mais la prise de conscience ne saurait suffire… C’est pourquoi, dans le dernier chapitre, nous entendons insister sur la responsabilité et les possibilités que nous avons pour que soient mis au premier plan de la mondialisation la dignité et le développement humains, l’équité et la solidarité. En effet, nous avons beaucoup plus de pouvoir que nous le pensons, à condition de bien vouloir unir nos forces…
1. Histoire et contours du processus de mondialisation actuel
1.1. Les racines de la mondialisation
Comprise comme un processus qui transforme le monde en « village global », la mondialisation, selon Guy Caron de la Carrière[7], « exprime le stade de développement planétaire sans barrières où tout est proche, accessible, où tout communique et où, par conséquent, les solidarités et les interdépendances s’accroissent ». C’est un phénomène qui prend ses racines dans l’histoire où le processus de mondialisation existe depuis bien longtemps. Déjà au IIe siècle avant J-C, Polybe écrivait : « Avant, les événements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres »[8]. La Rome antique des premiers siècles après Jésus-Christ administrait déjà en un empire les territoires immenses sur lesquels elle rayonnait. Plus tard l’Espagne et les puissances européennes vont régner sur l’espace atlantique. Avec le début des échanges commerciaux et les comptoirs commerçants sur la route des Indes, une première ère de mondialisation des échanges commerciaux va voir le jour mais sous une forme limitée.
Fin du XIXe siècle, ce sont principalement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui vont monter en puissance : « ouverture de nouvelles routes maritimes, […], doublement de la flotte marchande mondiale et extension du chemin de fer, multiplication par 6 des échanges, déversement dans le monde de 50 millions d’Européens, qui peuplent de nouvelles terres et annexent d’immenses empires coloniaux… »[9]. On assiste donc à la naissance d’un espace mondial de libre-échange, comparable à ce que nous connaissons aujourd’hui.
Mais après la première guerre mondiale et avec la grande dépression des années 1930, on assiste à une interruption du processus de mondialisation et à une montée en puissance du protectionnisme. Les Etats-Unis, qui sont devenus la première puissance économique mondiale, sont en pleine politique du « New Deal »[10]. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que le « premier monde »[11] se retrouve, malgré quelques fluctuations, dans une période d’expansion économique continue, accompagnée de progrès social. Dans le monde occidental, c’est la politique économique du « fordisme » qui est mise en œuvre : en référence à la doctrine du fabricant d’automobiles, selon laquelle un bon niveau de salaires permet aux travailleurs d’acheter une voiture et favorise ainsi le bon fonctionnement de l’entreprise. Le fordisme s’appuie donc sur la consommation intérieure (accroissement des salaires) pour stimuler la production nationale.
En Europe Occidentale, ce processus est renforcé par l’influence politique des syndicats et de la social-démocratie. Les fondements de l’Etat social se mettent en place, c’est ce qu’on a appelé « l’économie sociale de marché ». Philippe Van Parijs, non sans un peu d’emphase, évoque « le somptueux mariage de la justice sociale et de l’efficience économique qui a constitué le substrat du grand consensus social-démocratique de l’après-guerre»[12]. Mais il faut tout de même souligner que cette évolution harmonieuse est cantonnée au « premier monde ». Sans même parler du monde communiste, elle coïncide avec le sous-développement du tiers monde et a pour contrepartie (en Belgique tout particulièrement) l’importation d’une main-d’œuvre immigrée qui assure les emplois lourds et peu qualifiés.
Le phénomène de mondialisation est donc ancien, mais ce sont ses modalités d’existence qui se sont transformées au cours de l’histoire.
1.2. La mondialisation néolibérale
C’est à partir des années 1970 que le processus de mondialisation va commencer à prendre une dimension nouvelle avec l’ampleur et les caractéristiques que nous lui connaissons aujourd’hui. Selon Arnaud Zacharie, « le terme « mondialisation » désigne en réalité deux notions distinctes : d’une part, le fait que les progrès technologiques réduisent les notions d’espaces-temps, en rendant les biens, les cultures, etc. plus proches et accessibles, et qu’ils transforment le monde en un « village global ». D’autre part, le fait que la planète économico-financière se métamorphose en un vaste « marché global », au sein duquel les gouvernements laissent les investisseurs opérer où ils veulent, quand ils veulent et à leurs conditions, selon les principes idéologiques néolibéraux »[13] (ceux du « Consensus de Washington », que nous exposons plus loin) et le pouvoir de la finance. La mondialisation entendue dans ce second sens et telle qu’elle se vit aujourd’hui peut être qualifiée de mondialisation néolibérale[14].
1.2.1. Triomphe et contours du discours néolibéral
Le tournant qu’a pris la mondialisation coïncide avec l’avènement et le succès du néolibéralisme, qui peut être considéré à la fois comme une idéologie, une vision du monde et un ensemble de théories économiques. Il est né d’une vive réaction contre l’interventionnisme étatique et l’Etat-providence[15].
Durant la période d’après guerre, ce sont des mesures de solidarité sociale qui prévalent. La conférence de Bretton Woods[16] amène « à une régulation de la mondialisation reposant sur la concertation entre les Etats »[17]. On entre dans une période d’expansion économique, les « Trente Glorieuses » (1945 – 1975), peu propice aux diffusions de théories anti-keynésiennes. C’est au cours des années 1970 que les choses changent, suite à la suspension des accords de Bretton Woods par Richard Nixon[18]. A ce moment, le taux de croissance est bas et se combine avec un taux d’inflation élevé et une hausse du chômage (on parle d’une situation de stagflation). L’ensemble des pays développés entre dans une profonde récession tandis que commence pour les pays en voie de développement la crise de la dette[19]. Ces évènements vont ébranler le modèle économique d’après-guerre. Les tentatives de relance de l’activité par la consommation et la revalorisation des bas revenus échouent : le terreau est donc favorable à l’infiltration des idées néolibérales.
C’est dans ce climat que, dès la fin des années septante, arrivent au pouvoir Ronald Reagan aux USA et Margaret Thatcher au Royaume Uni, ce qui annonce l’avènement des doctrines libérales. Une nouvelle logique économique va être mise en œuvre, celle de la libéralisation totale du marché, découlant du rejet de la régulation intergouvernementale telle qu’elle avait fonctionné après Bretton Woods. Le marché va devenir le seul principe de la régulation.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, le discours néolibéral devient dominant et exclusif. Pour les théoriciens de cette relance du libéralisme, l’effondrement du monde communiste apparaît comme la confirmation historique du bien fondé de leur doctrine. C’est « la fin de l’histoire »[20], rien ne peut aller au-delà car le capitalisme semble avoir triomphé. C’est aussi en 1989 que l’économiste américain John Williamson définit dans le « Consensus de Washington » les dix éléments clés du nouveau paradigme néolibéral[21] :
- limitation du déficit budgétaire ;
- réduction drastique des dépenses publiques afin d’atteindre l’équilibre budgétaire ;
- réforme des impôts en élargissant le nombre des contribuables tout en diminuant les taux les plus élevés ;
- ouverture totale des marchés par la suppression des barrières douanières ;
- augmentation des exportations ;
- libéralisation des marchés financiers ;
- taux d’intérêt élevés, pour attirer les capitaux étrangers avec une rémunération élevée ;
- introduction de la concurrence dans les différents secteurs de l’économie ;
- garantie du droit de propriété ;
- privatisations massives des entreprises publiques.
Ces principes sont les fondements de la mondialisation néolibérale. Ils reflètent la foi profonde des fondateurs de ce consensus dans les vertus du libre-échange pour assurer la croissance et le développement et, par là, le bien-être de tous. Ils devaient permettre une augmentation des revenus d’exportation et des investissements privés internationaux et une diminution des déficits publics des Etats. Cet attrait pour la production axée sur l’exportation est sous-tendu par la célèbre théorie de l’avantage comparatif. Etablie par David Ricardo (1772-1823), cette théorie défend l’idée que si chaque pays se spécialise dans la production pour laquelle il dispose de la productivité la plus forte ou la moins faible, comparativement à ses partenaires (production pour laquelle il détient un « avantage comparatif »), il accroîtra sa richesse nationale. Selon cette théorie, chaque pays ne devrait produire que les biens ou services pour lesquels il a un avantage comparatif. Dans cette optique, il faut totalement ouvrir le commerce international et supprimer toute entrave à la concurrence. Nous verrons dans la deuxième partie les dégâts causés par de tels choix économiques.
Le credo des néolibéraux est qu’il n’y a qu’une vérité : celle du marché. Ce dernier est vu comme un mécanisme naturel qui, de lui-même, engendre spontanément équilibre, stabilité et croissance, les interventions des pouvoirs publics ne pouvant que perturber cet ordre. Le cheval de bataille des néolibéraux est le mécanisme de la « main invisible » d’Adam Smith (1723-1790). Cette formule résume bien le programme idéologique qui vise à faire du marché l’unique régulateur de l’ensemble de la vie économique[22]. Une façon de dire que l’Etat n’a pas à se mêler de la vie économique et que le marché est autorégulateur et alloue au mieux les biens et ressources. Pour Friedrich von Hayek[23], « le marché est un processus impersonnel qui permet de satisfaire les besoins humains plus abondamment que ne pourrait le faire aucune organisation délibérée ».
Quant au discours néolibéral sur la mondialisation, il « s’est affirmé comme un discours totalitaire niant la pluralité des possibles et l’idée même de projet national historique. Dans celui-ci, il n’existe plus qu’une voie possible vers la croissance et la réduction de la pauvreté : celle de l’intégration dans l’économie mondialisée et par conséquent de l’acceptation de ses normes en terme de compétitivité et de flexibilité »[24]. Il constitue une pensée unique et envoie le message d’une mondialisation vécue comme un processus inexorable et positif. Il n’y a pas à le remettre en doute car il n’y a pas d’autre option. « There is no alternative » (TINA) disent ces libéraux, présentant comme naturelle et inéluctable une évolution qu’ils ont en bonne partie provoquée ou accélérée par des choix politiques.
1.2.2. Transformation des rapports de forces entre acteurs internationaux
Une deuxième caractéristique du processus de mondialisation tel qu’il se développe depuis une trentaine d’années est qu’il a progressivement fait apparaître de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Certains d’entre eux sont de nature privée, dont les entreprises « trans » ou « multi » nationales[25] qui ont acquis énormément de puissance. D’autres sont de nature publique et ont comme rôle (en théorie !) la régulation de la mondialisation. En outre, le rôle des Etats s’est également transformé.
a) Les firmes transnationales
Premièrement, la mondialisation de l’économie ne peut se comprendre qu’en tenant compte de l’augmentation du poids des sociétés transnationales et de la « globalisation financière »[26]. Les marchés sont de plus en plus dominés par ces firmes qui agissent à l’échelle de toute la planète. Dans le dictionnaire de la mondialisation, la firme multinationale est définie comme « une entreprise dont le siège social se trouve dans un pays déterminé et qui exerce son activité dans plusieurs autres pays par l’intermédiaire d’entités plus ou moins autonomes mais dont la stratégie est conçue au niveau d’un centre de décision unique qui dirige l’ensemble en vue de maximiser le profit du groupe »[27].
Les profits enregistrés par ces firmes en font de véritables empires financiers. A titre d’exemple, le profit du Groupe ING pour l’année 2007 s’élève à 12,649 milliards de dollars et celui de Total à 18,042 milliards de dollars[28]. Pour rendre compte de leur importance, ces chiffres peuvent être mis en parallèle avec le PIB 2007 de certains pays[29]. Par exemple, la Bolivie (environ 9,1 millions d’habitants) a un PIB de 13,120 milliards de dollars, le Sénégal (environ 12,5 millions d’habitants) de 11,151 milliards de dollars, le Cambodge (environ 13,1 millions d’habitants) de 8,628 milliards de dollars, etc.
Divers facteurs ont participé au développement spectaculaire des sociétés multinationales : dérégulation des marchés financiers, ouverture des frontières commerciales, technologies de l’information et de la communication. La vitesse de transmission de l’information et des communications a complètement transformé les stratégies des multinationales en matière de production (décentralisation) et a permis au secteur des services de s’internationaliser. Dans ce contexte, le pouvoir de négociation des pays dans lesquels elles s’installent se trouve très affaibli. Au lieu d’imposer ou encore de négocier avec les firmes les conditions de leur implantation, les gouvernements, se faisant concurrence entre eux, font tout pour attirer les investisseurs potentiels.
L’influence de ces firmes est renforcée par la proximité de nombreux dirigeants avec le monde politique et par leur capacité à s’allier à de réels lobbies de pression pour promouvoir leurs intérêts communs auprès des Etats ou d’institutions internationales telles que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) [30].
b) Les organisations internationales
Deuxièmement, on a assisté à l’émergence ou à la transformation d’organismes publics internationaux auxquels les Etats – qui les ont créés – ont octroyé des pouvoirs réglementaires et financiers. Ceux-ci sont perçus comme exerçant leur autorité sur la mondialisation alors qu’ils ne disposent pas véritablement de légitimité démocratique : il s’agit principalement du FMI, de la BM et de l’OMC.
La volonté de ces institutions n’est souvent que le reflet de celle des acteurs les plus puissants. Il en va ainsi par exemple du FMI, que les Etats-Unis dominent avec 16.77 % [31] des droits de votes[32]et l’OMC où, malgré une égalité factice entre Etats, l’agenda est décidé par les pays ayant le plus de poids sur la scène internationale. En principe, les règles de fonctionnement de l’OMC sont le consensus et la transparence, chaque pays disposant d’une voix. « Dans les faits, les principaux protagonistes de l’OMC sont sans conteste les plus grandes forces économiques du globe, soit les Etats-Unis, le Canada, l’UE et le Japon, tandis que les nouvelles puissances économiques (Inde, Chine, Brésil) sont devenus des acteurs dont les puissances occidentales doivent désormais tenir compte »[33].
Nous nous trouvons donc face à un déficit démocratique dans le processus de prise de décision, avec de grandes disparités de pouvoir et de capacité entre les divers Etats. « Les inégalités profondes entre les pays au regard de la puissance économique se traduisent par un pouvoir de négociation inégal, qui désavantage souvent les pays pauvres. On observe également une différenciation grandissante dans les rangs des pays en développement, les PMA (Pays les Moins Avancés) se trouvant généralement dans la position la plus faible pour négocier »[34]. Et il est clair que la gouvernance mondiale a plutôt tendance à favoriser les intérêts des acteurs puissants, basés pour la plupart dans les pays les plus riches.
C’est dans ce contexte que les piliers de l’ordre économique international que sont le FMI, la BM, l’OMC et le G8 (Groupe des huit)[35] vont se retrouver aux commandes d’une sorte de « gouvernance mondiale »[36]. En observant le consensus de Washington, ils vont orienter la mondialisation dans le sens de la doctrine néolibérale.
c) L’affaiblissement de l’Etat
La montée en puissance des multinationales et la création de nouvelles instances internationales ont fortement diminué la possibilité d’action des États. Indépendamment de la convergence d’intérêts, voire des complicités, qu’il peut y avoir entre des dirigeants politiques et ces firmes géantes (assez claire notamment en ce qui concerne les Etats-Unis), et même si la volonté de défendre les intérêts de leurs populations les anime, il faut reconnaître que la marge de manœuvre des politiques nationales est réduite. Les États semblent aujourd’hui se comporter « toujours moins comme des ménages, toujours plus comme des entreprises et ils ne peuvent pas faire autrement. Pourquoi ? Fondamentalement parce que les facteurs de production dont l’État a besoin, comme du reste les débouchés qu’il peut offrir, sont de moins en moins des choses dont il a la maîtrise, dont il peut dire « c’est à nous », notre épargne, notre entreprise… Ce sont au contraire des choses toujours plus mobiles, insaisissables qu’il faut attirer et retenir en assurant des conditions financières suffisamment attrayantes […] la communauté politique dont nous sommes membres voit sa marge de manœuvre graduellement réduite à celle d’une entreprise qui a à « mériter » l’offre de ses facteurs de production et la demande pour ses produits au lieu de pouvoir, à la manière d’un grand ménage, en disposer souverainement »[37].
Avec les transformations se produisant dans le cadre de la mondialisation et la mise en œuvre progressive des politiques néolibérales, les pouvoirs des Etats-nations se trouvent donc peu à peu affaiblis. Par là, l’Etat fait l’objet, un peu partout dans le monde, d’une redéfinition restrictive et réductrice de son rôle et de ses pouvoirs. « Sa « souveraineté » en a pris un sérieux coup : qu’il s’agisse de la « souveraineté » monétaire ou militaire ou de la souveraineté en matière de régulation économique ou d’information et de communication, elle est amoindrie, amputée, en lambeaux »[38]. Les échanges s’inscrivent désormais dans des cadres transnationaux.
1.2.3. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication
Le succès et l’accélération spectaculaire du processus de mondialisation néolibérale ont aussi pour cause l’importante révolution dans les moyens de communication qui a lieu depuis la fin du XXe siècle grâce aux NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication). Les NTIC ont puissamment contribué à la globalisation des marchés, par trois séries d’effets : l’accélération de la circulation de l’information à l’échelle de la planète ; la mise en réseau des entreprises dans le monde grâce à l’informatique et aux nouveaux moyens de communication ; le développement de l’économie immatérielle et virtuelle non localisée, et donc difficile à contrôler. Le phénomène le plus spectaculaire a été le phénomène « Internet », inter-réseau, né aux Etats-Unis dans les années 1970. Depuis sa création, il est en perpétuelle évolution, c’est un processus continu que l’innovation ne cesse de renouveler.
L’impact des NTIC donne un caractère particulier au processus actuel de mondialisation. Les barrières naturelles du temps et de l’espace ont été largement réduites ; le coût de la circulation des informations, des biens et des personnes a baissé de façon impressionnante et la communication mondiale coûte de moins en moins cher. Le terme mondialisation a ainsi été enrichi d’une nouvelle signification : la transmission universelle et instantanée des informations.
2. Impacts de la mondialisation néolibérale
On juge un arbre à ses fruits. Dans cette deuxième partie, nous voudrions examiner de façon critique les impacts de la mondialisation actuelle. Permet-elle ou non, à tous les habitants de notre planète – en ce compris ceux qui risquent d’être laissés de côté – de bénéficier des ressources de celle-ci équitablement et durablement, dans le respect des droits humains ? La mondialisation a-t-elle réellement en vue ce qu’on peut appeler le bien commun de la société humaine à tous ses niveaux, du local au mondial ?
Quels sont donc les fruits de la mondialisation ? La réponse de Joseph Stiglitz est nette. « Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale »[39]. Bien que cette affirmation mérite probablement d’être nuancée, nous proposons dans cette partie de voir d’un peu plus près quels peuvent en être les fondements.
Reconnaissons-le, le processus de mondialisation actuel a ouvert la voie à de nombreux avantages et il dégage des possibilités de développement économique et de croissance partout dans le monde, en ouvrant les frontières et en supprimant la distance et le temps. Les avancées accomplies dans les domaines des services, de la communication, de l’information et, plus globalement, des nouvelles technologies ont permis la réalisation et l’accès à une série d’opportunités positives, facteurs de progrès. Comme le dit la commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, la mondialisation a « favorisé l’ouverture des économies et des sociétés et encouragé la libéralisation des échanges de biens, d’idées et de connaissances. Dans de nombreuses parties du monde, on a vu fleurir l’innovation, la créativité et l’esprit d’entreprise. En Asie de l’Est, la croissance a permis à plus de 200 millions de personnes de sortir de la pauvreté en une seule décennie. L’amélioration des communications a entraîné une prise de conscience des droits et des identités et permis à des mouvements sociaux de mobiliser l’opinion et de renforcer la transparence démocratique. Il en résulte qu’une véritable conscience planétaire est en train d’émerger, sensible à l’injustice que représentent la pauvreté, la discrimination entre les sexes, le travail des enfants et la dégradation de l’environnement, où que ce soit dans le monde »[40]. L’interdépendance, l’interconnexion croissantes entre les habitants du monde entier impliquent un sentiment d’appartenance à une même communauté mondiale, qui peut être source de mobilisations pour un monde plus juste et plus fraternel.
Mais ne nous leurrons pas, la mondialisation a aussi déclenché toute une série de changements de grande ampleur auxquels personne n’échappe et elle fait peser sur le monde une série de menaces : augmentation des inégalités, changements environnementaux, déficit démocratique, hégémonie de la sphère financière, (sur)endettement des pays en voie de développement, etc. En dépit de progrès considérables enregistrés, la dure réalité est celle d’inégalités dramatiques entre les pays, entre les peuples, entre les individus. Malgré la croissance, l’inégalité a gardé son caractère mondial et régional et la pauvreté dans le monde est loin de reculer[41]. En dépit de ce qui est vanté par les discours de la théorie de « l’avantage mutuel », la mondialisation néolibérale a pour résultat de rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, et cela non seulement à l’échelle du monde mais aussi dans nos États de prospérité et de démocratie occidentaux, y compris en Belgique. Selon la BM, une plus grande ouverture au commerce mondial est négativement corrélée avec la croissance des revenus des 40 % les plus pauvres de la population et positivement avec la croissance des revenus des autres 60 %. On assiste à un morcellement de la planète entre ceux qui bénéficient des opportunités que permet la mondialisation (en général, ceux qui possèdent des capitaux et autres actifs, des capacités d’entreprendre, les élites dirigeantes, etc.) et ceux qui en sont exclus (souvent les plus pauvres, les travailleurs non qualifiés, les paysans du Sud, les peuples indigènes, etc.). Le fossé se creuse entre les gagnants et les perdants…
Dans notre réflexion, il convient bien sûr de ne pas simplifier les choses. Les problèmes que nous abordons ci-dessous ne sont, pour la plupart, pas uniquement dus à la mondialisation néolibérale. Dans certaines situations, celle-ci n’est qu’une cause parmi d’autres des faits observés, qu’ils soient positifs ou négatifs. Nous devons dès lors éviter une généralisation quant aux impacts de la mondialisation, les situations étant complexes et variant d’un pays à l’autre. Mais en vue d’une prise de conscience et de responsabilité, tant individuelle que collective, et d’une mobilisation citoyenne pour la construction d’un monde nouveau, il nous semble important d’attirer l’attention sur les inégalités et injustices qui ont pris place dans le processus de mondialisation néolibérale, tant au Nord qu’au Sud.
2.1. Sur le plan économique, social et environnemental
Pendant la période des « trente glorieuses », on a parlé du Tiers Monde en termes de retard de développement. L’évolution des dernières années a fortement diversifié le paysage mais le moins qu’on puisse dire est que ça n’a pas été au profit de tout le monde (même en «avantage mutuel »[42]). Les pays émergents sont devenus des puissances industrielles et financières. C’est le cas, en tout premier lieu, de la Chine et de l’Inde. Mais ces deux pays sont aussi ceux qui hébergent la plus grande population de pauvres : à eux deux ils ont plus d’un milliard de personnes en situation précaire. Et les conditions dans lesquelles se développe leur industrie et est traitée leur main-d’œuvre (horaires, salaires, conditions de travail, travail des enfants) reproduisent les heures les plus noires de la première industrialisation européenne. Comme le note à ce sujet Edouard Herr, « il ne faut pas espérer que la solidarité viendra de chez eux : beaucoup d’autres pays du Sud sont plus menacés par eux que nous »[43]. Autre pays émergent, le Brésil est le champion des inégalités entre riches et pauvres.
2.1.1. Libéralisation agricole et paysans du Sud
La libéralisation sauvage du commerce agricole mondial semble aujourd’hui être la principale cause de la pauvreté et de la faim chez les paysans du Sud. « Dans la bouche de ses promoteurs – l’OMC et les Institutions financières internationales en particulier – cette libéralisation doit bénéficier à l’ensemble des pays, car elle permet à chacun d’eux de se spécialiser dans le domaine de production dans lequel il est le plus compétitif, donc d’exporter davantage, d’accumuler des devises et d’importer des biens plus difficiles à produire sur place »[44]. C’est la théorie de l’avantage comparatif, exposée dans le premier chapitre. En réalité, elle est loin d’avoir bénéficié à tous les Etats. Au contraire, ce modèle de développement axé sur l’exportation a provoqué une dégradation de la situation de centaines de millions de paysans.
Tout d’abord, de nombreux pays du Nord et quelques pays du Sud ont pu, grâce à la modernisation de l’agriculture, produire des excédents qu’ils peuvent écouler sur le marché mondial des produits agricoles à un prix très bas. Une des raisons de ce bas prix est la quantité de subsides octroyés aux producteurs d’Europe et d’Amérique du Nord, qui leur permet de vendre leurs produits à des prix inférieurs à leur prix de revient[45]. Avec l’ouverture du marché mondial aux économies du Sud, ces produits sont arrivés en masse sur les marchés locaux, ce « qui a fait chuter les prix pratiqués à l’intérieur de ces pays et a provoqué une baisse tendancielle du pouvoir d’achat du petit paysan. […] Conséquence inévitable de ce processus implacable, le paysan ne gagne bientôt plus de quoi alimenter convenablement sa famille ou plonge dans un cycle d’endettement effroyable »[46]. Dans cette situation, la sécurité alimentaire[47] de nombreuses populations du Sud est menacée.
C’est en vue d’une alternative à ces politiques néolibérales que Via Campesina[48] a développé le concept de souveraineté alimentaire. Il s’agit du « droit des peuples et des Etats de définir des politiques agricoles qui répondent de manière spécifique aux enjeux économiques, sociaux, environnementaux et culturels de chaque région du monde »[49]. C’est un préalable à la sécurité alimentaire. Bien que la souveraineté alimentaire soit souvent mise en danger (par des cultures intensives, des firmes multinationales peu soucieuses de l’environnement et de la qualité de vie des travailleurs et des populations locales), ce concept est de plus en plus présent dans l’opinion publique et dans les grandes institutions de développement. En effet, il part du constat d’une contradiction fondamentale : « Alors que, selon les chiffres de la FAO[50], le nombre de malnutris chroniques dans le monde est actuellement de 854 millions, la même FAO estime que le monde peut nourrir jusqu’à 10 milliards de personnes avec la production actuelle »[51]. Cette contradiction semble de plus en plus évidente et ne peut plus être niée. Le défi à relever pour plus de justice et d’équité dans le système agro-alimentaire mondial est énorme et complexe, mais « tous les leviers qui pourront être actionnés dans le sens d’une plus grande souveraineté alimentaire méritent d’être pris en compte »[52].
Autre problème, lié à la théorie de l’avantage comparatif et à la question de la sécurité alimentaire : celui des monocultures. Dans diverses parties du monde, notamment en Amérique latine, en Afrique mais aussi en Asie du Sud Est, le développement de monocultures industrielles occupe de vastes territoires au détriment des cultures vivrières traditionnelles, privant ainsi les populations de leur subsistance, forçant une bonne partie d’entre elles à l’exode vers les villes ou les bidonvilles et, en plus, détruisant durablement l’écosystème. Les coûts sociaux additionnés aux coûts environnementaux s’élèvent à des milliards de dollars. A ce sujet, une autre question, qui fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats. est celle des agrocarburants.
Leur succès n’est pas sans poser de sérieux problèmes. Citons deux exemples. Au Nord de la Colombie[53], se développe la culture intensive du palmier à huile pour la production d’agrodiesel (un hectare de palmiers donne 5.000 litres d’agrodiesel). La forêt est déboisée, les paysans sont chassés de leurs terres, éventuellement par la force (les paramilitaires). Cette question des agrocarburants est particulièrement « vicieuse », si nous osons dire : car ses promoteurs mettent en avant une préoccupation écologique, une alternative au pétrole, la production d’un carburant non polluant. Mais le développement à grande échelle de la culture de plantes qui peuvent fournir un carburant réduit d’autant la production d’aliments de première nécessité et engendre la misère. Le cas du Mexique est également très éclairant à ce sujet. « Le succès croissant de l’éthanol aux Etats-Unis est en train de réduire la quantité de maïs disponible pour la consommation humaine et de pousser les prix de cette céréale vers des niveaux sans précédent. Les consommateurs mexicains les plus pauvres ont été pris au piège : le prix de la tortilla mexicaine, faite à base de maïs aujourd’hui largement importé, ne cesse d’augmenter »[54].
Les révoltes de la faim dans de nombreux pays du Sud, dont une des causes est une demande en hausse pour la production de ces agrocarburants industriels (éthanol et diester), témoigne de l’importance de ce problème.
2.1.2. Coûts et droits environnementaux
Le processus de mondialisation néolibérale auquel nous nous attachons dans cette étude ne se développe évidemment pas sans coûts environnementaux, dont les principales victimes sont les populations du Sud (mais nous commençons aussi à en être !). Ces coûts sont nombreux et divers : épuisement des ressources naturelles, pollutions en tous genres (des sols, de l’air, de l’eau, etc.), réchauffement climatique, menace de la biodiversité, déforestation, etc. L’« exploitation à grande échelle de la terre, de l’eau, des forêts et des sous-sols se fait généralement au détriment de communautés locales, dont la survie repose depuis des temps immémoriaux sur l’utilisation durable des écosystèmes »[55]. A l’échelle mondiale, la mondialisation néolibérale a donc pour conséquence la mise en danger de la planète elle-même, en tout cas de régions entières, par l’exploitation éhontée de ses ressources, y compris les plus élémentaires comme l’eau. Les conséquences à moyen ou long terme de cette surconsommation sont dramatiques : pour la biodiversité, le climat et les citoyens les plus pauvres de la planète. Les effets de dévastations comme celle de la forêt amazonienne sont de plus en plus dénoncés mais pas encore réellement pris en compte, tant les enjeux financiers sont importants.
L’Afrique, malgré les richesses potentielles de certains pays comme la République Démocratique du Congo (RDC), reste absolument à la traîne et paraît même tout simplement larguée. On a beau jeu d’accuser la mauvaise gouvernance, la corruption, les divisions internes (très réelles certes) mais on fait mine de ne pas voir que tous ces dysfonctionnements sont souvent non seulement tolérés mais encouragés, voire provoqués parce qu’ils permettent une exploitation incontrôlée des ressources de ces pays. En témoigne l’exploitation du coltan et d’autres minerais dans l’Est de la RDC. Divers accords, comme ceux qui ont été conclus depuis longtemps entre l’Europe et les ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), en pratique les anciennes colonies, sont aujourd’hui mis en cause et l’on prétend que le libre échange sera plus favorable au développement de ces régions. Mais, en l’absence de protection douanière, l’afflux de produits agricoles européens à des prix (soi-disant) avantageux risque de tuer l’agriculture indigène.
D’autre part, l’accélération de l’exploitation dévastatrice des ressources naturelles a provoqué l’apparition de conflits entre les communautés locales et les gestionnaires de grands projets de « développement » (tels barrages, exploitations minières, etc.), tant en Amérique latine qu’en Afrique et en Asie. Cette question des conflits liés aux ressources naturelles, qui risque de prendre davantage d’ampleur dans les années à venir, est au cœur des préoccupations de la commission Justice et Paix (Bruxelles)[56].
2.1.3. Globalisation et migrations
Dans l’immédiat, un des effets des transformations liées à la mondialisation est l’exode de populations qui se retrouvent sans terre et sans ressource. La menace des droits environnementaux, la dégradation du niveau de vie de nombreux paysans du Sud, les inégalités grandissantes entre pays sont parmi les causes d’un phénomène sur lequel nous voulons attirer l’attention, celui des nouvelles migrations (migrations de travail ou écologiques). Dans une analyse publiée par le Centre Avec, Thierry Linard de Guertechin, démographe vivant au Brésil, voit une des principales causes des migrations contemporaines dans la globalisation des marchés. Entraînées dans le marché mondial, les économies des pays moins développés ou émergents sont bouleversées et le niveau d’emploi baisse drastiquement. Des secteurs entiers de production disparaissent, « la flexibilité des marchés accule des contingents toujours plus nombreux de travailleurs dans la voie sans issue de l’exclusion sociale » [57]. « On en reviendrait à la parabole du banquet de Malthus : un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut leur demander et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit à réclamer la moindre part de nourriture et en réalité il est de trop »[58]. Le phénomène des migrations internationales est sans doute l’indice le plus clair du « désordre économique mondial », de la dérégulation globale du marché dominé par la recherche exclusive du profit maximum.
2.1.4. Le domaine de l’emploi
L’emploi est également un domaine particulièrement bouleversé par la mondialisation néolibérale. Au Sud, le travail se fait trop souvent dans des conditions inhumaines (horaires très lourds, rythme de travail harassant, etc.), pour un salaire misérable. Et cela dans un contexte où les firmes multinationales n’hésitent pas à profiter du fait que, dans de nombreux pays, le droit des travailleurs et les libertés syndicales sont souvent inexistantes. Dans de nombreux cas, le plus bas salaire devient la norme et le droit au travail, l’ennemi à abattre. C’est un gigantesque nivellement par le bas !
Lié au processus de mondialisation néolibérale, le développement des technologies – robotisation, informatisation, remplacement des hommes par des machines – entraîne en fait la restructuration et la délocalisation des entreprises et, partant, le licenciement de travailleurs et donc le chômage. Celui-ci a toujours existé mais on peut dire que, pendant les « trente glorieuses », il restait, soit marginal, soit occasionnel. Aujourd’hui, on peut perdre son emploi parce que la technologie évolue et qu’on n’a plus la compétence requise pour l’utiliser ni la capacité de se recycler ; parce que la capacité de production de l’équipement technologique s’est fortement accrue et qu’on a besoin de moins de main-d’œuvre ; parce qu’il est moins coûteux pour l’entreprise de remplacer des emplois stables par des emplois temporaires et flexibles ou de sous-traiter telle ou telle étape de la production ; parce que la direction, devenue lointaine et impersonnelle, a décidé de délocaliser les secteurs qui ont besoin de plus de main-d’œuvre vers des pays où celle-ci est moins chère[59]. Notons que, jusqu’à présent, la délocalisation de la production vers les économies à bas salaire a principalement touché la main-d’œuvre non qualifiée, mais certains travailleurs qualifiés et cadres ont également été affectés par différentes évolutions. Le paradoxe de l’entreprise mondialisée, c’est qu’elle ne licencie pas lorsqu’elle va mal mais lorsqu’elle va bien, qu’elle se développe et prend des dimensions toujours plus importantes.
Les travaux du Bureau International du Travail (BIT) peuvent nous éclairer au sujet de l’impact de la mondialisation au niveau de l’emploi. Bien que le développement technologique soit loin d’en être l’unique cause, les chiffres font apparaître une augmentation du chômage déclaré au niveau mondial au cours des dix dernières années. « En 2003, on dénombrait quelque 188 millions de chômeurs. L’évolution de l’emploi sur les vingt dernières années a été variable selon les régions »[60]. Mais, contrairement à ce que peuvent nous faire croire les défenseurs des délocalisations (notamment en prétendant une augmentation du taux d’emploi dans les économies à bas salaire), « on remarque que, dans le monde en développement, le chômage a augmenté depuis 1990 dans la région Amérique latine et Caraïbes et en Asie du Sud-Est, et depuis 1995 en Asie de l’Est »[61]. En 2007, le nombre de chômeurs dans le monde était de 190 millions. Et le BIT a annoncé récemment que ce nombre pourrait passer à 210 millions d’ici fin 2009, à cause de la crise financière mondiale.
En outre, avec le développement technologique, il y a belle lurette que l’emploi s’était tertiarisé (que la majeure partie des emplois s’était déplacée des ateliers vers les bureaux). Aujourd’hui, avec l’informatique, ce vivier se resserre à son tour. Tout un nouveau vivier se développe : les services aux personnes. Il nous semble que ce qu’on appelle (ou ce qu’on appelait) le non-marchand est sans doute aujourd’hui le secteur qui pourrait procurer le plus d’emplois : santé, éducation, travail social, information, etc[62].
Avant de poursuivre, nous souhaitons préciser que le développement technologique ne nous apparaît pas mauvais en soi, mais que la manière dont il est géré dans le processus de mondialisation actuel – c’est-à-dire selon les lois du « management ultralibéral » – entraîne de nombreux dégâts. En Europe essentiellement, ce développement pourrait en effet être la source d’une libération pour l’homme, c’est-à-dire d’un travail moins lourd et moins exigeant, notamment au niveau des horaires. Diminuer le temps de travail pourrait en effet permettre aux travailleurs de consacrer davantage de temps à leur famille ou à d’autres activités (culture, loisirs, bénévolat, etc.) et pourrait conduire à une baisse du taux de chômage.
La perte d’emploi n’est pas la seule conséquence de l’exacerbation de la concurrence et de la recherche du profit. Celles-ci affectent aussi l’organisation du travail, ses rythmes, ses conditions. La flexibilité est devenue le mot d’ordre. Les plus qualifiés, les « hyperperformants » sont soumis à de telles sollicitations qu’ils n’ont plus le temps de vivre. On observe aussi un phénomène de surqualification : le marché de l’emploi se resserre tellement que des demandeurs de niveau universitaire par exemple sont engagés pour des postes pour lesquels une formation technique supérieure suffirait : de fil en aiguille, ce sont toujours finalement les moins qualifiés qui restent sur le carreau. Sous le beau nom de flexibilité, c’est la précarité qui régit le marché de l’emploi. En Europe, « la suppression des ‘rigidités’ du marché du travail a conduit à des problèmes socio-économiques aigus auxquels il convient de faire face, à savoir : les disparités croissantes des niveaux de vie et de l’emploi […] et la détérioration des conditions de travail, qui s’est traduite depuis quelques années par la multiplication spectaculaire d’emplois précaires »[63]. Parallèlement, on observe également le phénomène de la stratégie des bas salaires (en lien aussi avec les délocalisations). « La libéralisation des échanges et des flux de capitaux, la révolution informatique et le développement de larges bassins d’ouvriers qualifiés dans les pays émergents ont créé une ‘course à la compétitivité’ mondiale qui pousse les salaires vers le bas »[64]. Cette stratégie des firmes provoque une « compétitivité » des Etats qui « repose sur un facteur unique et déterminant : la faiblesse des salaires de la main-d’œuvre, synonyme de coûts moindres pour les firmes avides de profits à court terme »[65]. Cette recherche effrénée du profit se fait généralement au détriment de la majorité des acteurs de la production des biens et services, puisqu’une part sans cesse croissante des profits des entreprises est absorbée par les actionnaires, au détriment des salaires des travailleurs.
Cela pose évidemment de nombreuses questions à propos de la décence du travail et, par là, de la vie des travailleurs.
C’est pour répondre à toutes ces injustices que l’Organisation internationale du travail (OIT) a défini en 1999 le concept du travail décent, qui repose sur quatre piliers : garantir un revenu qui permet de satisfaire les besoins essentiels des travailleurs et leurs familles ; respecter les libertés syndicales ; assurer un système de protection sociale ; construire le dialogue social. Au Nord comme au Sud, les Etats doivent s’engager à coopérer pour soutenir des normes garantissant des conditions de travail décentes, de sorte que les travailleurs ne soient plus considérés comme de simples outils censés créer de la croissance économique, mais comme des citoyens ayant le droit de vivre décemment de leur travail. M. Somavia, directeur du BIT, l’a rappelé lors d’une conférence internationale sur le travail décent qui s’est tenue à Oslo en septembre 2008 : « Nous avons besoin d’un nouveau paradigme de croissance, basé sur le développement des possibilités de travail décent […]. Une mondialisation durable sur le plan politique doit fournir du travail décent »[66].
Nous insistons sur la nécessité que le FMI, la BM et l’OMC considèrent le thème de l’emploi comme une priorité. En théorie, c’est-à-dire dans leurs déclarations, ces institutions le reconnaissent, mais dans la pratique, elles semblent respectivement donner la priorité aux intérêts financiers, à la croissance mondiale et à l’ouverture des marchés. Le premier pas à faire vers le travail décent est le respect, dans l’économie mondiale, des normes internationales du travail[67] telles qu’elles sont définies par l’OIT.
2.1.5. Intensification de la consommation
Le domaine de la consommation est fortement marqué par le processus de mondialisation, entre autres sous l’influence de nombreuses entreprises qui cherchent continuellement à développer et encourager la consommation. On n’a de cesse de créer « de nouveaux produits et des services – des biens culturels, de la communication, de la sécurité, de la distraction, du bien-être psychologique, des soins du corps, de la mode, des gadgets innombrables, mais aussi du sexe, de la drogue, des émotions fortes, de la violence, de l’horreur dont les conséquences sur les consommateurs, particulièrement sur les jeunes, sont souvent inquiétantes »[68]. On peut évoquer ici la concurrence des marques, le matraquage de la publicité, ses ruses et quelquefois ses mensonges. Ce qui doit particulièrement être souligné, c’est la distorsion qui existe trop souvent entre l’offre et le besoin réel. La main invisible, écrit Philippe de Woot, « ne sert que les besoins solvables, car ses critères sont exclusivement commerciaux et financiers ». Il cite l’exemple particulièrement éloquent de la recherche pharmaceutique. « Faute d’un marché solvable, les firmes ne privilégient pas la découverte de médicaments destinés à soigner les maladies des pays pauvres : elles investissent beaucoup plus d’argent pour étudier les problèmes d’obésité et d’impuissance dans les pays riches. Sur les 1.393 nouveaux médicaments approuvé entre 1975 et 1999, 16 seulement, soit à peine plus de 1 %, ont été développés spécifiquement pour les maladies tropicales et la tuberculose, qui représentent 11,4 % du poids global des maladies »[69].
La publicité est l’instrument de l’idéologie néolibérale. On se prend parfois la tête pour percevoir le lien entre l’image projetée et le produit qu’elle est censée recommander. Comme le dit fort bien Bajoit : « La plupart des messages culturels (publicités, films…) […] proposent des modèles d’identification (le gagneur, le top modèle, le consommateur heureux) qui deviennent indispensables à la fierté identitaire de ceux auxquels ils sont adressés, et suscitent chez eux le désir d’y ressembler… Paradoxalement c’est en consommant, c’est-à-dire en faisant comme des millions d’autres, que chacun est appelé à se réaliser comme individu singulier […] »[70]. En outre, on s’aperçoit que les publicitaires et autres défenseurs de la mondialisation ont tout intérêt à nous faire croire que notre rôle se limite à celui de consommateur passif…
2.1.6. Remise en cause du principe de solidarité
Autre effet de la course effrénée pour le profit : la remise en question de la sécurité sociale[71]. Le régime de la sécurité sociale repose sur la solidarité entre les actifs et les inactifs (retraités, malades ou accidentés, chômeurs) et sur le partage de la charge entre les employeurs et les travailleurs. Le régime est notamment fragilisé par l’évolution technologique qui, combinée au modèle ultralibéral qui se mondialise, diminue le nombre des travailleurs : les entreprises les plus performantes aujourd’hui sont les plus automatisées, fonctionnant avec un nombre de plus en plus réduit de travailleurs. En outre, pour garder ou augmenter la compétitivité des entreprises, les employeurs réclament et obtiennent souvent une réduction de la charge patronale. C’est pour remédier à cette évolution alarmante que les gouvernements veulent aujourd’hui augmenter la durée de la vie active. Mais le problème du refinancement de la sécurité sociale est posé. Il serait normal qu’elle soit au moins autant financée par un impôt sur l’ensemble des revenus : tant sur le capital financier et immobilier que sur le travail. Malheureusement, ce n’est pas du tout dans ce sens-là qu’évolue aujourd’hui la pensée politico-économique[72].
2.1.7. Souci de rentabilité
Parallèlement à la remise en cause du principe de solidarité, nous soulignons le paradoxe suivant : la logique de la concurrence et de la conquête de marchés envahit aujourd’hui le secteur tertiaire non-marchand. Le souci de la rentabilité (et d’une rentabilité qui doit être plus élevée que celle des concurrents) a pour conséquence qu’on va de plus en plus vers des services « à deux vitesses » : de haute qualité pour ceux qui peuvent se les payer, plus ou moins élémentaires pour les autres. Et la pression de la concurrence se fait sentir jusque dans les institutions les plus « honorables » (cliniques, maisons de personnes âgées, services de soins à domicile…), ne fût-ce que par les réductions de personnel ou l’activation des rythmes de travail.
2.1.8. Globalisation et financiarisation
Enfin, l’universalisation du marché et sa dérégulation, la libéralisation des échanges et des investissements, la puissance des fonds d’investissement, la possibilité d’opérations en temps réel, toutes ces évolutions favorisent l’hégémonie de la rente, du capital. La conduite du système économique passe des entrepreneurs aux financiers. Le marché financier suit une logique propre, autonome, dans laquelle l’économie réelle n’apparaît plus qu’en toile de fond. Mais ce marché, régi par la confiance, est ultra-sensible, sujet à des crises qui peuvent avoir des répercussions infiniment graves pour les économies et les peuples. Nous avons connu, il y a quelques années, l’éclatement de la « bulle informatique » qui a touché particulièrement les pays émergents d’Asie. Et, depuis début 2007, on voit poindre une récession à cause de prêts risqués des banques américaines dans le domaine du logement. Il s’agit de la crise des subprimes, qui a eu de terribles conséquences pour de nombreux ménages américains et qui a provoqué un bouleversement du paysage financier international et l’a plongé dans une crise que d’aucuns n’hésitent pas à comparer à celle de 1929[73]… Le marché financier est spéculatif, cherche le résultat à court terme, le profit maximum, quelle que soit la manière dont il est procuré. Il y a indéniablement une tension (ou peut-être plutôt une torsion) entre l’état réel de l’économie et l’image que le marché financier en donne. Et cette torsion peut être lourde de conséquences…
2.2. Sur le plan politique et idéologique
2.2.1. L’idéologie néolibérale : une pensée unique
L’idéologie néolibérale telle que décrite dans les pages précédentes comporte deux dimensions fondamentales : le compétitivisme et le consumérisme. Comme dans l’image qu’on se fait du sport de compétition (avec toutes les dérives que cela peut entraîner) ou celle des concours télévisés, les individus sont supposés égaux sur la ligne de départ, et que le meilleur gagne. C’est ainsi que – a-t-elle déclaré – la société sera le mieux gérée, qu’elle sera le plus prospère, le plus performante. S’il en résulte des inégalités, elles seraient légitimes puisqu’elles résulteraient d’une compétition censée loyale. Le gagneur étale sa réussite sans vergogne et apparemment sans dommage, au moins jusqu’à un certain point : nous pensons par exemple à la longue réussite d’un Berlusconi en Italie.
Ce discours envoie le message d’une mondialisation vécue comme un processus inexorable et positif. Il n’y a pas à le remettre en doute car il n’y a pas d’autre option. Le phénomène est inéluctable. « Le discours néo-libéral sur la mondialisation s’est affirmé comme un discours totalitaire niant la pluralité des possibles et l’idée même de projet national historique. Dans celui-ci, il n’existe plus qu’une voie possible vers la croissance et la réduction de pauvreté : celle de l’intégration dans l’économie mondialisée et par conséquent de l’acceptation de ses normes en terme de compétitivité et de flexibilité »[74]. Il constitue une sorte de mythe de l’inévitabilité.
Bref, « l’hégémonie de la doctrine néolibérale tend à faire croire au caractère inéluctable de ses préceptes dans une sorte de déclaration autoréalisatrice »[75]. Mais la mondialisation néolibérale n’est ni logique, ni inévitable, ni l’unique solution. Elle découle, ainsi que les traités de libre-échange, d’une volonté forte des gouvernements et grandes institutions internationales (G8, OMC, FMI, BM) qui, à travers leurs politiques, orientent le monde vers les règles de l’ordre néolibéral. Mais elle n’est pas un phénomène naturel incontournable. Le tournant néolibéral qu’a pris la mondialisation peut être interpellé, renversé par la volonté et la mobilisation citoyennes, comme l’a par exemple démontré la campagne contre l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI)[76].
2.2.2. Le recul de l’Etat
Nous l’avons déjà abordé au chapitre précédent, le recul de l’Etat est une caractéristique de la mondialisation néolibérale mais c’est aussi un effet de celle-ci. Vulgarisé et universalisé par les medias, le discours néolibéral tend à convaincre que la meilleure manière de gérer les ressources est de supprimer toute régulation politique par l’État, de stimuler la compétition la plus libre possible et de faire entièrement confiance à la régulation automatique par le marché. La requête du capitalisme néolibéral a toujours été le moins de régulation et de contrainte, donc le moins d’État possible, avec l’idée fausse que la gestion publique est par elle-même inefficace. Le Consensus de Washington a accentué et concrétisé la tendance : c’est ce qui a amené depuis une vingtaine d’années la privatisation ouverte ou larvée des entreprises publiques : téléphone, radio télévision, poste, chemins de fer, transport urbain, lignes aériennes, les soumettant à des plans de rationalisation d’esprit marchand et les amenant à sacrifier peu à peu leurs finalités de service au public.
Parallèlement, le libéralisme attise et justifie une réticence « humaine, trop humaine » des possédants par rapport à l’impôt : il fait de la réduction des impôts un objectif prioritaire, oubliant que l’impôt est l’instrument irremplaçable d’une politique sociale et d’une redistribution de la richesse. La doctrine en faveur d’une réduction du rôle de l’Etat, à laquelle s’est ajoutée l’exacerbation de la concurrence fiscale, a ainsi provoqué une réduction de la capacité de l’Etat en matière de fiscalité. Dans de nombreux Etats, cela a impliqué une baisse des dépenses publiques vitales pour les plus démunis. Un exemple flagrant est celui de l’éducation dans de nombreux pays du Sud. Or, dans une logique de réduction de la pauvreté et d’accroissement du bien-être de la population, ces dépenses sont essentielles [77]!
Un dernier effet de cette relative impuissance de l’État et de sa dépendance à l’égard de contraintes extérieures, est un certain recul de la démocratie et une montée du populisme. Le ressort du populisme (des extrêmes droites) est le rejet global d’une société dont on ne comprend plus le fonctionnement. La gestion d’un État moderne dans un monde soumis à toutes sortes d’influences insaisissables est une tâche très complexe ; la fonction des gouvernants devrait être de l’expliquer mais beaucoup ne le font pas, se contentant d’invoquer des raisons indépendantes de leur (bonne) volonté. Les affirmations massives des populistes (c’est la faute aux étrangers, c’est la faute à l’Europe, c’est la faute aux hommes politiques) trouvent alors de l’audience auprès de gens désorientés.
2.3 Conclusion
Toutes ces influences, ces processus marquent notre société. Ils déterminent un nouveau modèle culturel dans lequel de nouvelles valeurs émergent. On ne peut résister aux dérives inégalitaires et destructrices de la modernité mondialisée en s’arc-boutant purement et simplement sur les acquis sociaux et les habitudes d’esprit d’une période antérieure plus équilibrée mais qui avait aussi ses failles. La prise de conscience vive des pièges idéologiques qui parsèment notre société ne peut cependant pas nous empêcher de vivre dans le monde contemporain avec ce qu’il a de nouveau. Est-il alors possible, dans les tourbillons de notre époque, de faire des choix responsables, d’esquisser des chemins d’espérance, d’inventer de nouvelles formes de vie bonne, à un niveau tant individuel que collectif ? Comment, de la colère face aux conséquences désastreuses de la mondialisation actuelle passer à une attitude d’espoir pour l’avenir ? C’est notre tâche à tous, hommes et femmes, êtres humains, citoyens et citoyennes.
3. Vers une mondialisation solidaire ?
Nous l’avons vu au fil des pages qui précèdent, la situation et les enjeux du processus de mondialisation néolibérale sont complexes, et trop peu nombreux sont ceux qui en récoltent les fruits. Trouver des solutions qui apporteraient des effets immédiats à toutes les dérives actuelles du système n’est pas simple… Mais cela ne nous autorise pas à penser que tout est « hors de portée des citoyens et citoyennes que nous sommes et, pis encore, d’en prendre prétexte, soit pour nous en désintéresser, soit pour nous satisfaire […] de dénonciations sans actions »[78]. Cela ne dispense pas non plus nos gouvernements et les structures existantes aux niveaux supranational et international, de prendre leurs responsabilités dans les choix et prises de décision, en veillant tout particulièrement à la justice sociale et au respect de la dignité de chaque être humain.
Les pistes d’action que nous exposons ne sont aucunement des impératifs mais plutôt des invitations adressées à chacun et chacune de s’interroger, librement et en conscience, sur des comportements et attitudes qui puissent contribuer à une véritable mutation du système économique et financier actuel et à l’avènement d’un « monde nouveau ».
3.1 Au niveau personnel
Bien que le combat pour une humanisation du processus de mondialisation et pour plus de justice sociale soit une tâche énorme et demande du temps, nous avons chacun notre responsabilité dans ce processus. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, nous ne sommes pas tout à fait démunis… Nous sommes invités à faire preuve d’un engagement personnel responsable et réfléchi, dans divers aspects de notre vie quotidienne.
3.1.1. A titre de consommateurs : devenir un consommateur éclairé…vers une sobriété heureuse
Le système économique néo-libéral tend à déresponsabiliser tant les intermédiaires de la production que le consommateur final, mais il existe de nombreuses expériences alternatives concrètes qui visent à mobiliser le consommateur comme acteur de changement !
Le fondement de toute attitude responsable est de devenir un « consommateur éclairé », c’est-à-dire de s’informer sur les produits achetés (provenance, conditions de production, etc.). Mieux nous serons informés, plus nous pourrons « choisir des produits qui font du bien à notre monde plutôt qu’ils ne lui nuisent »[79]. En matière de choix, il s’agit de consommer en tenant compte des valeurs de solidarité et de respect, d’être attentifs aux coûts humains et environnementaux de nos achats[80], aux conditions de production et de distribution, etc.
En matière d’alimentation, cela implique concrètement d’opter, dans la mesure du possible, pour des produits de saison[81] et locaux et, pour les produits qui ne peuvent être cultivés localement avec notre climat, opter pour ceux issus du commerce équitable. En Belgique, de nombreux produits équitables sont disponibles sur le marché, y compris dans la grande distribution. Ils garantissent le respect de certaines valeurs et principes tels que : la solidarité et la justice ; un commerce équitable et solidaire avec des partenaires du Sud ; la paix et le désarmement en faveur du développement ; l’interdiction du travail des enfants ; le refus de toute forme de racisme et de xénophobie ; un développement durable et solidaire au Nord comme au Sud de la planète ; la liberté syndicale ; le respect de l’environnement[82].
Il existe également de l’artisanat et des vêtements issus du commerce équitable. Notons que le secteur textile est particulièrement touché par les dérives du processus de mondialisation, entre autres à cause des multinationales qui sous-traitent massivement dans des pays à bas salaire (ce qui implique souvent le travail des enfants, le harcèlement des travailleurs, des semaines de 7 jours allant jusqu’à 16h de travail par jour, etc.).
Notre consommation a donc un impact direct sur le droit à un travail et à un revenu décents, dont des milliers de paysans du Sud ne jouissent actuellement pas. Par nos choix quotidiens de consommation, nous pouvons contribuer à ce que ces droits soient appliqués, et ce principalement au Sud de notre planète !
Mais un comportement responsable face aux défis sociaux, écologiques et économiques actuels implique également, au-delà d’une consommation responsable, une réflexion plus large sur la logique de consommation et d’accumulation dans laquelle nous sommes (trop) souvent plongés. Il s’agit de rompre avec le mythe de la croissance, véhiculé en grande partie par la publicité qui veut nous persuader qu’avoir plus nous rendra heureux, et d’adopter un style de vie plus sobre[83]. « On a été formaté par cet imaginaire du ‘toujours plus’, de l’accumulation illimitée, de cette mécanique qui semblait vertueuse et qui, maintenant, apparaît infernale par ses effets destructeurs sur l’humanité et la planète »[84]. Comme le disait Gandhi, nous sommes invités à « vivre plus simplement, pour que d’autres puissent tout simplement vivre », à adopter un style de vie sobre pour laisser aux autres la possibilité de profiter eux aussi des fruits de la terre dans le respect de l’écosystème. Cela passe nécessairement par une diminution individuelle et collective de notre « train de vie » et par une sobriété de vie…heureuse !
3.1.2. A titre d’épargnants et d’investisseurs
Un deuxième domaine dans lequel nous pouvons également œuvrer personnellement est celui de l’argent. En effet, il est de notre propre responsabilité de nous soucier de la destination de notre argent une fois placé. Que nous ayons 50 euros à placer sur un compte épargne ou 200.000 euros en actions, nos décisions financières peuvent influencer le cours des choses !
Actuellement, la majorité des banques investissent l’argent sur les marchés internationaux. Elles soutiennent ainsi l’industrie pétrolière et minière, le commerce d’armes, les grandes compagnies pharmaceutiques, et bien d’autres filières encore[85]. Mais elles le font souvent au détriment de la dignité de nombreux êtres humains et de l’environnement. Dans certains cas, ces groupes bancaires vont même jusqu’à avoir des accords avec des régimes dictatoriaux auxquels ils apportent ainsi un soutien de fait même lorsqu’ils s’en défendent (songeons aux plaintes déposées, en matière de non respect des droits de l’Homme, à l’encontre d’une grande entreprise pétrolière travaillant en Birmanie : Total – dernièrement les plaignants ont été déboutés…).
Parallèlement aux banques, de nombreuses personnes sont actionnaires dans des grandes entreprises dont les soucis éthiques ne sont pas évidents.
Or, il peut en être autrement : finance, éthique et solidarité ne sont pas incompatibles. Il est possible de placer son argent tout en contribuant à la construction d’une société plus juste et plus responsable, en investissant dans des projets ou des produits qui, au-delà des critères financiers traditionnels, respectent des valeurs sociales et environnementales précises.
En Belgique, la Banque Triodos[86] propose ce type de placements. Elle recourt aux outils bancaires classiques (divers types de comptes d’épargne, investissements en actions d’entreprises cotées en bourse, obligations d’entreprises ou de pouvoirs publics) mais finance uniquement des projets qui ont une plus-value culturelle, sociale ou environnementale et qui offrent une fiabilité financière suffisante. De façon plus générale, l’action menée par le RFA (Réseau Financement Alternatif) en vue de concilier argent, éthique et solidarité, mérite d’être soulignée et encouragée[87].
Et si vous êtes actionnaire, vous avez également le pouvoir d’interpeller les responsables et dirigeants sur leurs politiques et les orientations données à l’entreprise (quel respect des travailleurs, des parties prenantes, de l’environnement … ?).
3.1.3. A titre de travailleurs
Comme travailleurs, nous pouvons aussi apporter notre contribution – si modeste soit-elle – pour humaniser le processus de mondialisation. Nous pensons particulièrement à trois façons de le faire.
Tout d’abord, nous pouvons nous interroger sur notre éthique personnelle dans l’exercice de notre métier. Est-ce que je dispose d’un espace de liberté pour orienter l’action de mon entreprise, de mon association, de mon école… ? Bien souvent, nous pouvons répondre par l’affirmative à cette question. Car, même si cela s’avère exigeant et demande généralement courage, patience et persévérance, nous disposons de plus de liberté que ce que nous pensons… ! Nous pouvons influencer certaines politiques et décisions dans notre milieu de travail, afin qu’elles reflètent au mieux nos valeurs sociales et écologiques. Par exemple, acheter du café équitable pour les pauses café ; investir une part des revenus dans un investissement socialement responsable ; promouvoir les transports en commun et le covoiturage ; faire le tri sélectif des déchets, etc.
Deuxièmement, nous pouvons soutenir l’action menée par les syndicats et/ou devenir membre de l’un d’eux, afin d’améliorer nos conditions de travail et celles de milliers d’autres à travers le monde.
Et enfin, il existe des coopératives de travailleurs dont nous pouvons devenir membres. Ces coopératives abandonnent la structure d’entreprise hiérarchique et sont gérées par leurs membres qui en sont collectivement propriétaires et gestionnaires.
Nous abordons ci-dessous l’action qui peut être menée par ces deux types d’acteurs – syndicats et coopératives.
3.1.4. A titre de citoyens
En tant que citoyen, le premier moyen dont nous disposons pour mettre un frein aux conséquences négatives de la mondialisation est bien sûr le vote. Mais nous pouvons également, au-delà du vote, soutenir l’action et le travail menés par les nombreuses organisations engagées sur le terrain des droits humains, de la justice sociale et de l’environnement. Car un engagement citoyen, une participation à la vie politique sont eux aussi nécessaires et peuvent prendre diverses formes. Nous présentons celles qui nous semblent importantes et à la portée de tout qui veut bien s’en donner la peine…
S’informer sur les mécanismes et enjeux liés à la mondialisation néolibérale, sur le fonctionnement des institutions internationales, spécialement celles de Bretton Woods, et sur l’impact de leurs politiques chez nous mais surtout dans le Sud.
Organiser une pétition (en ligne) solide et efficace ou signer celles qui circulent, particulièrement celles qui interpellent nos politiciens sur des décisions importantes à prendre ou sur des lois susceptibles d’influencer le cours actuel de la mondialisation.
Dans le même ordre d’idées que la pétition, écrire des lettres à nos élus, les interpellant sur des enjeux liés à la mondialisation.
Participer à des campagnes (nationales ou mondiales) qui remettent en cause ou rejettent des politiques économiques néo-libérales qui menacent la justice et la solidarité mondiales.
Se joindre aux divers mouvements de solidarité locale, nationale et internationale qui existent.
Soutenir et organiser des forums locaux, des espaces de discussion pour échanger les expériences, confronter les idées sur toutes ces questions liées à la globalisation.
3.2. Au niveau intermédiaire
Si tous ces gestes et engagements quotidiens sont essentiels, ils ne peuvent être séparés d’une responsabilité et d’un engagement collectifs, avec la dimension politique (au sens large) qu’ils comportent. Les enjeux sont tels que personne ne pourrait prétendre avoir, individuellement, une influence suffisante sur les mécanismes qui régissent le processus de mondialisation actuel. Les dimensions personnelle et structurelle du processus de changement sont indissociables l’une de l’autre. Et ce qui ne peut être fait seul et dans l’immédiat devient possible à travers une action et un engagement collectifs.
3.2.1. L’engagement de la société civile
Tout d’abord, nous songeons au travail mené par de nombreuses associations qui, en s’appuyant sur l’engagement des citoyens, vont mener des actions à l’égard du grand public et vont agir sur les gouvernements (et autres niveaux de pouvoir) pour qu’ils prennent davantage leurs responsabilités au niveau politique. En lien avec les engagements individuels, nous exposons les diverses formes que peut prendre l’engagement de la société civile.
Tout d’abord, il y a l’action des ONG (Organisations Non Gouvernementales) – dont le pouvoir semble s’être renforcé depuis quelques années[88] – qui jouent et doivent jouer un rôle important dans les orientations données à la mondialisation, entre autres à l’égard des multinationales. Nous songeons notamment aux campagnes de sensibilisation, menées généralement par de grandes ONG, qui ont mobilisé ces dernières années des milliers de personnes autour de questions telles que l’annulation de la dette du tiers-monde, le droit à la sécurité alimentaire, l’interdiction des mines terrestres, la protection de l’environnement. Dans de nombreux cas, ces campagnes d’information publique débouchent sur de nouvelles législations (par exemple, l’indication obligatoire sur les emballages de produits contenant des Organismes Génétiquement Modifiés), sur l’amélioration des conditions de travail dans certaines usines au Sud[89], sur le retrait de certains produits du marché, etc.
Actuellement, se déroule une campagne d’ampleur mondiale qui appelle à « un travail décent pour une vie décente ». Lancée au FSM (Forum Social Mondial) de Nairobi en 2007, elle est relayée en Belgique par la coalition belge pour le travail décent (CNCD-11.11.11- Vlaanderen ; CSC, FGTB, Oxfam-magasins du monde, etc.), sous le slogan « Les travailleurs ne sont pas des outils »[90]. A l’appel de la Confédération syndicale internationale, syndicats et ONG se sont mobilisés dans 120 pays, le 7 octobre 2008, pour réclamer un travail décent pour tous les travailleurs du monde. L’engagement de l’Europe dans ce combat est à souligner[91].
L’action menée par les ONG peut donc avoir un réel effet de limitation du pouvoir des grandes multinationales mais également influencer des prises de décisions à des niveaux de pouvoir élevés.
Ensuite, les divers mouvements de solidarité locale, nationale et internationale mènent également une action qui va dans le sens d’une mondialisation plus juste. Nous pensons particulièrement aux syndicats qui, tant en Belgique qu’au niveau mondial, agissent pour : l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleuses et des travailleurs et de leur famille ; les droits humains ; la justice sociale ; l’égalité de genre ; la paix ; la liberté et la démocratie ; le développement durable ; et bien d’autres choses encore. Les actions que les syndicats belges mènent pour que les mesures en vigueur en Belgique s’étendent au niveau international contribuent ainsi à la lutte pour le travail décent et contre le « dumping social ».
Les syndicats sont aujourd’hui un partenaire incontournable pour les pouvoirs publics et ils jouent un rôle important dans le processus de consultation et de concertation, ainsi en Belgique dans le cadre d’institutions telles que le Conseil Central de l’Economie et le Conseil National du Travail. Ils ont donc – tout comme les organisations patronales – d’importantes responsabilités sociétales à assumer[92].
Toujours dans le domaine du travail, les coopératives de travailleurs, dont nous avons parlé ci-dessus, proposent un nouveau modèle d’entrepreneuriat allant dans le sens d’une humanisation de notre système économique et financier. Inscrite dans la durée, leur action consacre la primauté du facteur humain sur le capital, et démontre ainsi qu’il est possible d’être performant économiquement tout en se souciant d’objectifs sociétaux. Elles remettent le processus économique au service des hommes et permettent à ces derniers de créer collectivement de nouvelles manières de satisfaire leurs besoins socio-économiques[93].
Enfin, des forums nationaux, régionaux et mondiaux s’organisent chaque année à divers endroits du globe. Ils représentent une critique, parfois radicale, de la mondialisation néolibérale, et dénoncent la logique du marché qui veut réguler la vie en société. Les acteurs qui y participent, aussi pluriels soient-ils, prônent une mondialisation solidaire, respectueuse des diversités, des cultures, de l’environnement, et dans laquelle l’économie doit en priorité être orientée vers la satisfaction des besoins de tous. Critiques, ces Forums font aussi des propositions constructives. Ils constituent de réels lieux de formation citoyenne où peuvent être débattus les questions et défis qui surgissent de la mondialisation. S’il ne nous est pas possible d’y être présents, tenons-nous au courant de ce qui s’y fait et s’y dit.
Nous pensons donc qu’il est essentiel d’encourager l’action du monde associatif et des collectivités, qui par rapport aux individus disposent de forces plus grandes , forces de résistance et de créativité alternative.
3.2.2. Les organisations qui brassent des sommes d’argent considérables
Parallèlement aux ONG et associations diverses, le niveau que nous avons appelé intermédiaire se compose également d’acteurs tels que les fonds de pensions, les mutualités, les entreprises, les personnes morales, qui ont chacun à gérer d’importantes sommes d’argent.
Compte tenu des sommes considérables qu’ils brassent quotidiennement, nous nous intéressons particulièrement aux fonds de pension et à l’importance de leur responsabilité sociétale. En vue de fournir une pension convenable à leurs affiliés, ils ont pour objectif d’obtenir des rendements financiers importants, en plaçant en bourse ou en un portefeuille d’actions et d’obligations les sommes recueillies. Il s’agit dès lors de s’interroger sur les orientations de ces placements. Permettent-ils de conduire à un développement durable et viable de nos sociétés ? Ou au contraire, participent-ils à la domination du capital et du profit sur la dignité et le respect de l’être humain ?
Or, il arrive que certains fonds n’accordent que peu d’importance aux conséquences sociales (et environnementales) de leurs placements, en adoptant des politiques purement financières. Seul le rendement compte… et ce même au détriment des personnes qu’ils prétendent servir[94]. Pourtant, ils ont le pouvoir de choisir un investissement socialement responsable et d’infléchir la logique de fonctionnement des entreprises dont ils sont actionnaires. Nous rejoignons ainsi un des combats menés par le Réseau Financement Alternatif : « ces investisseurs institutionnels, devenus des acteurs économiques de première importance, ont un rôle à jouer pour promouvoir l’investissement socialement responsable tant en investissant au sein d’entreprises responsables qu’en étant actionnaires actifs pour inciter les entreprises à le devenir »[95].
Un autre exemple, très simple, peut également illustrer le pouvoir des apporteurs de capitaux. A l’époque de l’Apartheid, certains groupes religieux disposaient de capitaux investis dans des activités qui soutenaient ou en tous cas contribuaient au maintien de ce régime. L’ayant découvert, nombre d’entre eux ont retiré leurs placements, refusant de soutenir indirectement le régime de l’Apartheid. Certaines Banques ont également été sensibles à cette question.
3.3. Au niveau politique
Si ces deux niveaux d’action – individuel et intermédiaire – sont essentiels, des changements durables et profonds sont irréalisables sans des politiques efficaces et responsables, sans une « bonne » gouvernance et une réforme des structures internationales. Des règles, des politiques et des institutions internationales plus équitables, plus démocratiques et plus transparentes sont nécessaires. Bien que cela puisse paraître utopique, c’est l’espoir d’une réforme aux niveaux local et global qui doit nous mettre en route et nous faire avancer.
Nous distinguons trois niveaux de pouvoir politique au sein desquels il convient d’agir : le national (communes, régions, communautés, Etat fédéral), le supranational et enfin le mondial. Pour chacun de ces niveaux, il y a bien sûr beaucoup à faire et à développer. Loin d’être exhaustifs, nous nous limitons à donner quelques indications et orientations qui, tout en restant sans doute très générales, nous semblent essentielles pour que les décisions politiques soient prises avec davantage de responsabilité.
3.3.1. National
En Belgique, l’Etat, les entités fédérées ainsi que les communes[96] ont, chacun dans la limite de leurs compétences, le pouvoir d’influer sur le cours actuel de la mondialisation. A chacun de ces niveaux, il est nécessaire que soient prises en compte les préoccupations sociales, éthiques et environnementales.
A titre d’exemple, les jumelages entre communes sont un moyen de rendre concrète la solidarité avec les pays du Sud. Nous saluons d’ailleurs l’appel en faveur de jumelages avec les pays en voie de développement lancé par le Commissaire Louis Michel en vue des Journées européennes du Développement, qui se tiennent du 15 au 17 novembre 2008 à Strasbourg, autour du thème « autorités locales et développement ».
Globalement, nous soulignons l’importance d’un Etat qui puisse assurer la gestion des objectifs sociaux et écologiques (emploi, sécurité sociale, réduction des émissions de gaz à effet de serre, etc.), de l’intérêt général et du plein exercice des droits fondamentaux (éducation, santé, sécurité, etc.). Or, on constate aujourd’hui que ces fonctions sont souvent confiées à l’initiative privée, entre autres par le biais des transnationales, et cela parfois sans que les pouvoirs publics mettent réellement des conditions fermes pour que le service public soit bien assuré.
3.3.2. Supranational
A ce niveau, nous attirons l’attention sur l’importance d’une Europe unie et forte qui pourrait s’appuyer sur sa tradition de démocratie et d’économie sociale pour assumer pleinement ses responsabilités et jouer un rôle nouveau dans le juste développement du monde[97]. L’Union européenne a encore beaucoup de progrès à accomplir avant de s’exprimer « d’une seule voix » et d’être un acteur crédible sur la scène diplomatique stratégique et politique du monde. Mais s’agissant des négociations commerciales, elle exerce progressivement une influence dans le monde quand elle s’exprime « d’une seule voix ». L’action menée par la société civile et les ONG a ici encore toute son importance, pour rappeler à l’Union la nécessité de prendre en compte les valeurs de solidarité, d’équité et de dignité dans ses décisions.
L’Europe a également le pouvoir d’être un espace au sein duquel pourraient se déployer efficacement de nombreuses initiatives, principalement celles que l’on dit irréalisables au plan national.
De façon générale, les regroupements économiques régionaux constituent un niveau de pouvoir intéressant dans le contexte de la globalisation. « Ceux-ci correspondent, en effet, à deux perspectives alternatives : d’une part, mieux répondre aux besoins des populations, en diversifiant les échanges internes et de l’autre, constituer une base plus solide de négociations dans une économie mondialisée, offrant ainsi un point de départ à une pluralité économique et politique future, face à l’unipolarité actuelle, celle de la Triade Europe, Japon, Etats-Unis, sous l’hégémonisme de ces derniers »[98]. A condition que ces regroupements et accords puissent conduire à resituer les préoccupations sociale et environnementale au cœur des intérêts économiques et financiers, et qu’ils permettent un dialogue avec les acteurs de la société civile !
3.3.3. Mondial
Le « village global » actuel semble sans règle, sans cohésion et sans justice. Bien que la situation mondiale soit très préoccupante (tant sur le plan social qu’économique et environnemental – sans parler de la situation en matière de paix…) et qu’elle fasse l’objet de nombreuses rencontres internationales, jusqu’ici aucun dispositif de régulation efficace n’a vu le jour. Mais des institutions existent, et des tentatives de régulation aussi. Les supprimer en raison de leurs insuffisances et défaillances ne nous semble pas être une solution appropriée. Nous défendons au contraire la création d’une nouvelle architecture de la gouvernance mondiale, une re-fondation de celle-ci.
Et cela passe inévitablement par l’existence d’institutions économiques et sociales qui régulent le marché mondial et soient capables de relever de manière responsable les défis qui résultent de la mondialisation. Nous songeons particulièrement aux institutions économiques internationales (FMI, BM et OMC) qui établissent en grande partie les règles du jeu mondial. Jusqu’à présent, elles l’ont trop souvent fait « en fonction des intérêts des pays industriels avancés – et d’intérêts privés en leur sein – et non de ceux du monde en développement »[99], avec des effets désastreux sur les pays pauvres. Or, ces institutions ont le pouvoir de donner un visage humain et juste au processus de mondialisation. Pour qu’elles retrouvent leur fonction originelle de régulation du système économique mondial se basant sur d’autres critères que l’unique primat du capital, le rôle des citoyens et des associations est essentiel. Ils ont le pouvoir, entre autres à travers le lobbying et les campagnes internationales, de les sensibiliser et de les influencer dans le sens d’une plus grande justice.
Notons que, aussi bien au FMI qu’à la BM et l’OMC, des changements semblent être à l’œuvre, du moins dans les discours[100]! Nous attendons néanmoins de réelles transformations dans les politiques qu’ils mènent.
Les pays isolés ne pourront parvenir seuls à de telles réformes, mais une organisation politique, un ordre politique mondial est un objectif à viser. Il est urgent qu’une nouvelle forme de gouvernance mondiale se mette en place, et qu’elle vise la promotion des valeurs de liberté, solidarité, transparence, diversité, équité. Elle devrait également garantir le respect des droits de l’homme, de la dignité humaine, de la démocratie et de la participation, et adhérer aux principes de responsabilité, d’efficacité et de subsidiarité[101].
A travers toutes ces réformes, c’est finalement le marché qu’on cherche à réglementer. Son but premier étant de servir les gens, les règles auxquelles il est soumis devraient servir les intérêts des communautés. Certaines évolutions allant dans ce sens sont déjà à l’œuvre aujourd’hui, et c’est une bonne nouvelle ! Elles témoignent que la dérive financière au niveau de l’économie ne serait pas fatale…
En effet, les économistes, les entrepreneurs, les investisseurs même commencent peut-être à se rendre compte que la course à la compétitivité et au profit sans règles conduit à la catastrophe. Certains se battent pour faire prévaloir la logique économique de l’entreprise pas uniquement comme source de profit mais également comme productrice de biens au service de l’intérêt général, et comme respectueuse des hommes et des femmes qui y collaborent. Nous pensons par exemple aux entreprises qui participent à l’économie de communion[102] et au secteur de l’économie sociale. Outre ces pas vers une humanisation de l’économie, la prise de conscience écologique que les ressources de la terre ne sont pas inépuisables s’impose aujourd’hui à tous les décideurs. Elle a, entre autres, donné naissance au concept de développement durable, qui occupe une place de plus en plus importante dans certaines entreprises et la majorité des institutions et organisations (inter)nationales (Union Européenne, Nations Unies, etc.). Mais l’attention accordée aux questions environnementales dans les mécanismes de production doit aussi s’accompagner d’un souci pour les ressources et les droits humains. Dans une perspective de développement durable, les dimensions écologique, sociale et économique sont indissociables[103].
Conclusion
La réflexion menée par le Centre Avec tout au long de cette étude ainsi que les propositions ici exposées rejoignent les nombreuses initiatives existantes qui tentent de résister aux dérives actuelles de la mondialisation et d’humaniser celle-ci.
Ces initiatives sont nombreuses, et c’est une bonne nouvelle. Elles témoignent d’une prise de conscience et d’un intérêt croissants pour qu’advienne une « autre mondialisation », au sein de la société civile mais également au niveau des États et des institutions. Bien qu’elles soient lentes et parfois trop timides, il y a des évolutions dans les discours et prises de position des principaux acteurs politiques, économiques et scientifiques, qui semblent accorder davantage de place au développement humain et à la sauvegarde de l’environnement. En témoigne par exemple un article paru récemment dans la Libre Belgique, où Louis Michel et Josep Borrell (respectivement membre de la Commission européenne, responsable de l’aide au développement, et président de la Commission du développement du Parlement européen) s’expriment au sujet de la crise financière actuelle : « En un mot, il s’agit de redonner du sens à la mondialisation et de faire en sorte que le capitalisme redevienne un instrument de liberté et d’émancipation, au service d’une prospérité durable et partagée. En ce XXIe siècle, cela requiert un meilleur encadrement du marché par l’État, à l’échelle d’une gouvernance mondiale. Une occasion historique se présente à nous pour le faire. Ne la ratons pas »[104].
Mais pour porter du fruit, toute parole doit ouvrir à l’action. Nous pouvons et devons agir face aux inégalités, aux exclusions de notre monde. Dénoncer les dérives du néolibéralisme à outrance est nécessaire, mais ne saurait suffire. Il nous faut, tant à un niveau individuel que collectif et global, en nous confrontant avec honnêteté et rigueur aux duretés des réalités, oser remettre en cause nos idées souvent toutes faites et contribuer concrètement à ce qu’adviennent des alternatives crédibles, capables de créer les conditions d’un développement mondial et local qui soit synonyme de justice et d’équité, et qui offre des conditions de vie digne à chaque homme et chaque femme de notre Terre.
Pour que survienne un « monde nouveau », il faut la volonté de s’engager et être persévérant. Même si des obstacles sont là – visibles – et que le découragement peut nous guetter face au blocage apparent de certaines situations, ne cessons pas de semer. Car il y a toujours quelque part de la bonne terre qui donne du fruit, même si nous ne savons ni où ni quand… Certes il y a beaucoup d’obstacles et la tâche est longue et compliquée, tant l’enjeu est grand, mais nous sommes tous concernés Il n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’alternative (« There is no Alternative »), il y a des milliers d’alternatives (« There are thousand alternatives »). Chez nous, sur le terrain de tous les jours, pour ne pas céder aux sirènes du néo-libéralisme, du compétitivisme et du consumérisme, pour inventer de nouveaux rapports sociaux et de nouvelles formes de vie. Et avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté du monde. Croire, non seulement qu’un autre monde est possible mais qu’il est déjà là, qu’il grandit partout où des hommes et des femmes s’unissent pour améliorer les rapports humains, construire la solidarité, promouvoir la justice. Les chrétiens diront que c’est le Royaume de Dieu, le monde selon le cœur de Dieu qui grandit.
C’est bien la gestion néolibérale du processus de mondialisation – fruit d’un choix et d’une volonté politiques – qui est à la source de nombreux problèmes évoqués dans cette étude, et non la mondialisation en soi. Le cours actuel des choses n’est donc pas inéluctable… Au contraire, nous croyons qu’une « mondialisation heureuse » est possible, à condition qu’elle « rende plus impérative l’exigence éthique de non-discrimination, qu’elle facilite le rapprochement entre les peuples et l’émergence d’une solidarité mondiale et pose, dans le concret des défis qu’elle provoque, la question de la subsidiarité et de la capacité à mettre en place et à faire fonctionner, au niveau mondial, des institutions transparentes et contrôlées »[105].
Une société et une mondialisation sont réussies si chacun peut y exprimer sa pleine humanité, y apporter sa participation active et si elles cherchent la croissance du bien-être de tous et non uniquement de certains privilégiés (en général ceux qui détiennent capitaux et pouvoir). Il nous semble que la solidarité en est la pierre angulaire, elle est la base de relations équitables et fraternelles et « le cœur invisible du développement humain »[106]. Sommes-vous prêts à la mettre au cœur de notre vie ? Car, même si des choix politiques en faveur des plus démunis sont à engager, le grand défi n’est pas seulement dans les institutions, il est aussi et surtout dans les esprits…
Bibliographie
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Banque Mondiale : http://www.banquemondiale.org/
Organisation Internationale du Travail : www.ilo.org
Conférences des Nations Unies sur le Commerce et le Développement: http://www.unctad.org
Programme des Nations Unies pour le Développement : www.undp.org
La Libre Belgique : www.lalibre.be
Réseau Eco consommation : www.ecoconso.be
Réseau Financement Alternatif : www.rfa.be
Confédération Syndicale Internationale : http://www.ituc-csi.org/
Campagne Travail décent : www.travaildecent.be
Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde : www.cadtm.org
Articles
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Piccoli Emmanuelle, Souveraineté alimentaire : dynamiques de résistance pour le respect d’un droit humain fondamental, Centre Avec, 2007,
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Trépant Inès, Mondialisation et érosion du pouvoir d’achat, Etopia, septembre 2008.
Williamson John, « Un train de réformes devenu un label galvaudé », Finances et Développement, magazine trimestriel du FMI, septembre 2003.
Zacharie Arnaud, « La stratégie des bas salaires est une impasse ! », Imagine, demain le monde, juillet et août 2008, n°68, p. 31.
Notes :
-
[1] Pour plus de détails, voir page 11.
[2] Raoul-Marc Jennar, « Pourquoi s’opposer à la globalisation ? », Pour une mondialisation à finalité humaine, Bruxelles, Attac, 2002, p. 44.
[3] D’après le Rapport Mondial pour le développement humain de 2000, le revenu des 20% les plus riches est 25 fois plus élevé que celui des 20% les plus pauvres. A titre d’exemple, celui de la Suisse représente 200 fois celui du Niger, alors qu’il y a 250 ans l’écart n’était que de 1 à 5. Voir également le rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques), Croissances et inégalités, octobre 2008, ainsi que le rapport du BIT (Bureau International du Travail), Global Wage Report 2008/09: Minimum wages and collective bargaining: Towards policy coherence (Rapport mondial sur les salaires 2008/09: Salaire minimum et négociation salariale: vers une cohérence politique, uniquement en anglais), novembre 2008.
[4] L’empreinte écologique propose une mesure, en hectares globaux, de la consommation humaine des ressources naturelles. Elle est comparée à la capacité de la nature à renouveler ces ressources, qui est actuellement estimée à 2,1 ha par habitant et par an. L’empreinte écologique du Belge d’aujourd’hui se monte à 5,1 ha. (Source : www.wwf.be).
[5] Pour plus de détails, voir page 10.
[6] Joseph E. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Paris, Fayard, 2006. Economiste américain, Joseph Stiglitz fut économiste en chef et vice-président de la Banque Mondiale de 1997 à 2000, et Prix Nobel d’économie en 2001. Il enseigne actuellement à la Graduate School of Business de l’Université de Columbia.
[7] Guy Caron de La Carrière, In Pascal Lorot (dir.), Dictionnaire de la mondialisation, Paris, Editions Ellipses, 2001, pp. 309-312.
[8] Cité par Sylvie Brunel, « Qu’est-ce que la mondialisation ? », Sciences humaines, n°180, mars 2007. Consulté sur http://www.scienceshumaines.com/qu-est-ce-que-la-mondialisation-_fr_15307.html
[9] Idem.
[10] Le New Deal (Nouvelle donne) est le nom de la politique économique mise en place à l’instigation du président américain Franklin Roosevelt pour lutter contre les effets néfastes de la grande dépression et redynamiser l’économie du pays.
[11] Durant la Guerre froide, la Terre fut divisée en trois « mondes ». Le « premier monde » était composé du bloc de l’ouest (pays occidentaux), le « deuxième monde » était le bloc de l’Est (URSS et pays alignés) et le « troisième monde » (tiers-monde) désignait les pays sous-développés (appelés aujourd’hui pays en développement).
[12] Philippe Van Parijs, « L’éthique à l’épreuve du marché mondial », in Jacques Delcourt et Philippe de Woot (dir.), Les défis de la globalisation. Babel ou Pentecôte ?, Presses universitaires de Louvain, 2001, p. 602.
[13] Arnaud Zacharie, Quels antimondialistes ?, Réponse à la lettre de Guy Verhofstadt parue dans La Libre Belgique du 26 septembre 2001. Consulté sur : http://users.skynet.be/cadtm/pages/francais/DebatsLLBZac.htm
[14] Notons que certains auteurs utilisent le mot globalisation pour désigner le processus de mondialisation néolibérale tel que nous l’abordons dans cette étude.
[15] Partant des théories keynésiennes, ce système s’est structuré après la seconde guerre mondiale et consolidé jusque dans les années 1970.
[16] Conférence monétaire et financière des Nations Unies, qui s’est tenue à Bretton Woods, du 1er au 22 juillet 1944. L’objet de cette conférence était de discuter de la reconstruction de l’Europe d’après-guerre et de divers problèmes monétaires, dont l’instabilité des taux de change et les pratiques commerciales protectionnistes. Elle a débouché sur la création du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), appelée aujourd’hui Banque Mondiale (BM). Le FMI a été fondé dans le but de garantir la stabilité du nouveau système monétaire international. A partir des années 1980, il sera chargé de faire respecter par les pays en voie de développement la mise en application de Plans d’Ajustement Structurel (PAS) et les conditionnalités diverses liées à l’octroi de prêts. La BM a quant à elle été fondée dans le but de fournir les crédits nécessaires à la reconstruction et au développement du commerce international. Elle a, elle aussi, dû s’adapter à la détérioration de la situation dans les pays en voie de développement en modifiant sa politique d’attribution de prêts.
[17] Charles-Albert Michalet., Qu’est-ce que la mondialisation ?, Paris, La Découverte, 2002, p. 96.
[18] En effet, en 1971, Richard Nixon décide de supprimer la convertibilité-or du dollar.
[19] En 1979, le Sénégal inaugure le premier PAS. Imposés par le FMI et la BM, ces types d’ajustements ont pour finalité d’assurer que le pays pourra rembourser sa dette extérieure (paiement des intérêts et remboursement des prêts). Il s’agit en réalité d’un prêt à taux élevé, obligeant les pays à mener la politique décidée par les experts du FMI (privatisations, ouverture totale des marchés et suppression des barrières douanières, …). Nombreux sont ceux qui dénoncent les conséquences catastrophiques de ces PAS (endettement sans cesse accru, baisse des revenus des populations locales, hausse des prix, réduction des budgets sociaux « non productifs », etc.). A ce sujet, voir notamment « Les effets sociaux des Programmes d’Ajustement Structurel dans les sociétés du Sud », Alternatives Sud, Vol I 1994/2.
[20] Nous devons cette expression à l’ouvrage de Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier homme, la révolution libérale mondiale, Paris, Flammarion,1992.
[21] Pour une description détaillée du consensus voir John Williamson, « Un train de réformes devenu un label galvaudé », Finances et Développement, magazine trimestriel du FMI, septembre 2003, pp. 10-13. Consulté sur le site du FMI.
[22] Notons que la défense du libre-échange par Adam Smith n’était pas sans réserve (voir entre autres le Chapitre V de son ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations).
[23] Friedrich August von Hayek (1889-1992) était philosophe et économiste de l’École autrichienne. En 1944, il publie The Road to Serfdom (La route de la servitude), ouvrage qui configure les fondements du néolibéralisme et constitue une attaque passionnée à l’encontre de toute limitation par l’Etat du libre fonctionnement des mécanismes de marché.
[24] Frédéric Lapeyre, « De la légitimité du discours néo-libéral sur la mondialisation face à la réalité des processus de fragmentation sociale », in Jacques Delcourt et Philippe de Woot (dir.), op. cit., p. 189.
[25] Lors de la 57ème édition du Conseil économique et social des Nations Unies, en 1974, on substitua le terme transnational à celui de multinational pour marquer qu’il s’agissait d’entreprises transcendant les frontières à partir d’un espace national déterminé. Dans la suite de cette étude, nous utiliserons les termes transnationale et multinationale comme équivalents.
[26] Denis Horman, Les sociétés transnationales dans la mondialisation de l’économie, GRESEA, Bruxelles, 1996, p. 7.
[27] Jean-François Daguzan., Firmes multinationales, in Pascal Lorot (dir.), op. cit., p. 180.
[28] Ces chiffres ont été tirés du Global 500, classement annuel des 50 plus grandes entreprises mondiales. Consulté sur : http://money.cnn.com/magazines/fortune/global500/2008/full_list/
[29] Ces chiffres sont à traiter avec précaution. Nous les mettons en parallèle uniquement pour aider le lecteur à mieux cerner le poids de ces firmes multinationales.
[30]L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été fondée en 1994, prenant la place de l’Accord Général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Elle va constituer une instance de négociation pour la libéralisation du commerce et se faire le défenseur du libre-échange.
[31] La Belgique détient 2,09 % des droits de vote. Consulté sur le site du FMI : http://www.imf.org/external/np/sec/memdir/members.htm.
[32] Au FMI, toutes les décisions importantes doivent recueillir une majorité de 85 % des suffrages, ce qui donne, de facto, aux Etats-Unis un droit de veto.
[33] Paul Lannoye et Inès Trépant, L’OMC. Quand le politique se soumet au marché, Couleur livres, Charleroi, 2007, p. 21.
[34] Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous, Rapport de la commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, BIT, Genève, 2004, p. 86.
[35] Le G8 est un groupe de discussion et de partenariat économique de huit pays parmi les plus puissants économiquement du monde : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Canada, et la Russie.
[36] Le terme de « gouvernance mondiale » est défini par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) comme le système de règles et d’institutions établi par la communauté internationale et les acteurs privés pour gérer les affaires politiques, économiques et sociales. Il s’est peu à peu imposé au point de vue international comme étant l’ensemble des règles et des instances qui permettent de gouverner, sans gouvernement, la mondialisation.
[37] Philippe Van Parijs, « L’éthique à l’épreuve du marché mondial », in Jacques Delcourt et Philippe de Woot (dir.), op. cit., pp. 599-600.
[38] Ricardo Petrella, L’(auto)dépossession de l’Etat, in Jacques Delcourt et Philippe de Woot (dir.), op. cit., p. 215.
[39] Joseph Stiglitz, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, p. 341.
[40] Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous, op. cit., p. 25.
[41] Selon The least Developed Countries Report 2008, (Rapport 2008 sur les pays les moins avancés – ‘Croissance, pauvreté et modalités de partenariat pour le développement’) de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), les taux de croissance économique supérieurs ou égaux à 7 % enregistrés dans l´ensemble des Pays les Moins Avancés (PMA) en 2005-2006 auraient dû permettre une amélioration notable des conditions de vie. Cependant, 581 millions de personnes vivaient toujours dans le dénuement en 2005 sur une population totale de 767 millions. La plupart du temps, un revenu inférieur à 2 dollars par jour est insuffisant pour répondre aux besoins élémentaires en matière d´alimentation, d´accès à l´eau, de logement, de santé ou d´éducation (source : communiqué de presse du 17 juillet 2008, consulté sur le site de la Cnuced : http://www.unctad.org/Templates/webflyer.asp?docid=10126&intItemID=1634&lang=2 ).
[42] Selon la théorie de « l’avantage mutuel », l’extension mondiale du rayon d’action des acteurs décideurs entraînerait une extension des ressources et des capacités, même des membres de l’humanité les plus limités en biens et en pouvoir. En d’autres termes, l’accroissement global de la richesse, même très inégalement répartie, rendrait moins pauvre la masse de l’humanité, y compris les plus pauvres.
[43] Edouard Herr, « Mondialisation et justice », Evangile et justice, n°83, décembre 2007, p. 16.
[44] François Polet, Le Sud, entre mondialisation et altermondialisation, Couleur livres, Charleroi, 2008, p. 10.
[45] Cette situation d’importations agricoles et alimentaires à un trop bas prix est qualifiée de « dumping agricole ».
[46] François Polet, Ibidem, p. 12.
[47] La sécurité alimentaire est définie par les institutions internationales de développement comme l’accès physique et économique de chaque individu à chaque instant à une alimentation suffisante, salubre et nutritive qui doit permettre à chacun de satisfaire ses besoins énergétiques et ses préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.
[48] Via Campesina est un mouvement international de paysans, qui défend les valeurs et les intérêts de base de ses membres. Autonome, pluraliste, multiculturel et indépendant de toute organisation politique, économique ou autre, ses membres viennent de 56 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques.
[49] Emmanuelle Piccoli, Souveraineté alimentaire : dynamiques de résistance pour le respect d’un droit humain fondamental, Centre Avec, 2007, p. 3.
[50] FAO (Food and Agricultural Organization, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation).
[51] Sophie Charlier et Gérard Warnotte (dir.), La souveraineté alimentaire. Regards croisés, Presses universitaires de Louvain, 2007, p. 14.
[52] Emmanuelle Piccoli, op. cit., p. 8.
[53] Cet exemple a été cité par François Houtart lors d’une conférence au Centre Avec, le 25 septembre 2007.
[54] François Polet, op. cit. p. 15.
[55] François Polet, op. cit., p. 62.
[56] A ce titre, voir Des conflits liés aux ressources naturelles ? Les cas du Pérou et de la R.D.Congo. Quel impact sur la souveraineté alimentaire, Commission Justice et Paix (Bruxelles), 2007.
[57] Thierry Linard de Guertechin, Globalisation des marchés et migrations internationales , Centre Avec, juillet 2006, p. 4.
[58] Idem, p. 5.
[59] Les délocalisations renvoient aussi à la question du transfert d’industries polluantes vers des pays du Tiers-Monde, dans lesquels les réglementations environnementales sont plus faibles et plus permissives, où la fiscalité est plus intéressante et où la protection des travailleurs est quasi inexistante. Ces transferts posent de nombreuses questions en matière de respect de l’environnement et de droits humains.
[60]Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous, op. cit., p.45.
[61] Idem.
[62] A propos du secteur non-marchand, voir la Confédération des Entreprises Non-Marchandes (C.E.N.M.) et son site : www.cspo-cenm.be.
[63] Inès Trépant, « Le néolibéralisme à la sauce européenne », in Politique, n°52, décembre 2007, p. 51.
[64] Arnaud Zacharie, « La stratégie des bas salaires est une impasse ! », Imagine, demain le monde, juillet et août 2008, n°68, p. 31.
[65] Idem.
[66] Communiqué de presse du 5 septembre 2008 (consulté sur : www.ilo.org).
[67] Sur le site de l’OIT www.ilo.org , on peut consulter ces normes.
[68] Guy Bajoit, « La Wallonie face au défi de la mondialisation », In Les défis de la globalisation. Babel ou Pentecôte ?,op.cit., p. 366.
[69] Philippe de Woot, Responsabilité sociale de l’entreprise. Faut-il enchaîner Prométhée ? Paris, Economica, 2004, p.77.
[70] Guy Bajoit, op cit., p. 369.
[71] Voir à ce sujet le dossier « Notre modèle économique et social : remises en cause et perspectives », En Question, n°84, mars 2008.
[72] Voir à ce sujet Patrick Feltesse et Pierre Reman, Comprendre la sécurité sociale pour la défendre, Charleroi, Couleur livres, 2006.
[73] Pour une explication simple des mécanismes de la crise financière internationale actuelle (son origine, ses répercussions sur l’économie, les interventions des pouvoirs publics), nous conseillons la lecture de La crise financière expliquée à ceux qui n’en peuvent rien, par Nicolas Bednar (octobre 2008, consultable sur www.etopia.be, rubrique « Publications »).
[74] Frédéric Lapeyre, op. cit., p. 189.
[75] Martin Rose, Le mouvement altermondialiste. De la naissance de la contestation à la production d’alternatives, mémoire de sciences politiques, UCL, janvier 2005, p. 25.
[76] L’AMI est un accord qui vise à libéraliser (tous) les investissements et à mieux protéger les investisseurs. Les négociations ont commencé en avril 1995, à l’OCDE mais ont été suspendues en avril 1998 en raison des vives oppositions suscitées par le projet dans la société civile.
[77] Il n’est pas inutile de rappeler que la réduction de la pauvreté dans le monde est un des huit Objectifs du Millénaire visé par les Nations Unies. Ces objectifs se trouvent dans « la Déclaration du Millénaire » (adoptée lors du Sommet Mondial des Nations Unies qui se déroula du 6 au 8 septembre 2000), et devraient être atteints, pour la plupart, d’ici 2015.
[78] Commission Justice et Paix, Malheur à nous qui jouons avec l’argent du monde, Bruxelles, 2000, p. 21.
[79] John Cavanagh, Jerry Mander (dir.), Alternatives à la globalisation économique, Ed. Ecosociété, Montréal, 2005, p. 445.
[80] Pour de plus amples informations sur la consommation responsable, voir le site du Réseau Eco-Consommation : http://www.ecoconso.be/
[81] Un calendrier des fruits et légumes de saison est disponible sur la site de Nature et Progrès, à l’adresse suivante : http://www.natpro.be/pdf/calendrier.pdf.
[82] Voir les sites d’Oxfam magasins du monde (http://www.madeindignity.be) et de l’organisme de certification Fairtrade Max Havelaar (http://www.maxhavelaar.be/fr#).
[83] Voir à ce sujet André Degand, Equité, sobriété, solidarité, Centre Avec, 2008.
[84] Serge Latouche, « Rompre avec la religion du ‘toujours plus’ ». Entretien avec Christophe Schoune, Le Soir, lundi 19 février 2007. Voir aussi le blog du Soir : http://blogs.lesoir.be/empreinte-eco
[85] Pour découvrir à quoi est utilisé l’argent que vous placez dans votre banque, voir http://www.bankgeheimen.be/
[87] « Concilier argent, éthique et solidarité » afin de contribuer à une société plus juste et plus responsable est l’objectif visé par le Réseau Financement Alternatif depuis plus de 20 ans. Pour de plus amples informations, voir www.rfa.be.
[88] La BM a recensé que le nombre d’ONG internationales serait passé de 6.000 en 1990 à 26.000 en 1999 (source : http://www.worldbank.org/).
[89] Voir à ce sujet l’analyse d’Oxfam-magasins du monde « Quand un T-shirt et une paire de baskets deviennent symboles de la mondialisation ».
[90] Voir pour la Belgique le site http://www.travaildecent.be/ ; pour la campagne mondiale, voir http://www.decentwork.org/. Nous vous invitons à signer l’appel à l’action.
[91] En effet, la commissaire et vice-présidente de la Commission européenne Margot Wallström a signé l’appel à l’action, et commente : « Le travail décent et une vie vécue dans la dignité sont des droits de tous les peuples, qu’ils vivent en Europe ou à l’extérieur. En signant cet appel à l’action, nous reconnaissons que nous ne pouvons rester sans rien faire ».
[92] Au sujet du syndicalisme en Belgique, voir « Originalité du syndicalisme belge », Evangile et Justice n° 69, juin 2004.
[93] Pour une analyse complète et détaillée du mouvement coopératif, voir Sybille Mertens, Peter Bosmans et Carol Van de Maele, Entrepreneuriat coopératif. Coup de projecteur sur une économie humaine, Bruxelles, mai 2006 (consulté sur le site de la Fédération Belge de l’économie sociale et coopérative : www.fedeccop.be).
[94] Nous songeons par exemple à un investissement qui serait fait dans une société qui, adoptant une politique de bas salaires, délocalise ses centres de production. Ce placement réalisé par le fonds de pension pourrait porter préjudice aux travailleurs qui se verraient licenciés pour cause de délocalisation, alors qu’ils se sont assurés auprès du dit fonds de pension !
[95] Voir www.rfa.be
[96] Au sujet des communes, nous soutenons l’action menée par les divers acteurs de la campagne « Ca passe par ma commune ». Initiée par 10 associations partenaires la veille des élections communales 2006, cette campagne regroupe divers groupes locaux de citoyens actifs et engagés en vue d’avancer vers un développement durable de leur commune. Pour de plus amples informations, voir www.capasseparmacommune.be.
[97] A ce sujet, voir l’ouvrage d’Ignace Berten, Pour une Europe forte et puissante – un défi éthique pour une Europe politique, Luc Pire – Espaces – Commission Justice et Paix, Bruxelles, 2001.
[98] François Houtart, “Des alternatives crédibles au capitalisme mondialisé”, Pour un mondialisation à finalité humaine, Attac, 2002, p. 156.
[99] Joseph Stiglitz, op. cit., p. 341.
[100] Nous songeons par exemple à un rapport de la Banque Mondiale publié en mai 2001, Attacking extreme poverty: Learning from the Experience of the International Movement ATD Fourth World, qui reflète un intérêt réel pour la question de la pauvreté. L’appel à la contribution d’ATD quart Monde nous semble témoigner d’une volonté de la Banque Mondiale de comprendre la pauvreté dans ses dimensions structurelles et individuelles.
[101] Pour une analyse détaillée de la réforme de la gouvernance mondiale, nous vous conseillons la lecture de l’article de Pierre Calame « Pour une gouvernance mondiale légitime, efficace et démocratique » (janvier 2003), consultable à l’adresse suivante : http://ecorev.org/spip.php?article118.
[102] A ce sujet, voir Hélène Laigneaux, Economie de communion : vers plus de solidarité et de responsabilité dans les entreprises, Centre Avec, 2008.
[103] Pour de plus amples informations au sujet du développement durable, nous vous conseillons le site web de l’Institut pour un Développement Durable : http://users.skynet.be/idd/.
[104] « Réconcilier morale et intérêts », article paru dans La Libre Belgique du 29/10/2008. Voir : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/456151/reconcilier-morale-et-interets.html
[105] Raoul-Marc Jennar, op. cit., pp. 43-44.
[106] Rapport pour 1999 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement).