Le 10 septembre 2013

Montée de l’extrême droite en Europe, un urgent devoir de mémoire

Cet article se joint aux voix qui tirent la sonnette d’alarme face à cette menace d’une extrême droite montante qui plane sur l’Europe et se veut de participer au travail de mémoire afin que reste vivant le « plus jamais ça ! »

Allemagne. 1932. Six millions de chômeurs, soit près d’un quart de la population active. Le pays est dans une situation économique désastreuse, la production industrielle connait une forte baisse. De plus en plus d’Allemands ont des difficultés à se nourrir et à se loger. L’Allemagne humiliée qui avait été mise à genoux par le traité de Versailles, signé sans sa présence et l’astreignant entre autres à de lourdes réparations pour les dommages causés par la guerre dont elle est considérée comme la seule responsable, est terrassée par la crise économique de 29 et la Grande Dépression qui s’en suit. Cette année-là, le partit Nazi obtient 32% des votes, popularité qui ne cessera d’augmenter au fil des années pour terminer avec les conséquences qu’il n’est plus besoin de rappeler. Le désastre économique et social a été un terreau fertile à l’ascension fulgurante de ce parti qui promettait aux Allemands de pure souche de leur rendre prospérité, fierté et dignité.

Grèce. 2012. 3,3 millions de chômeurs, soit plus d’un quart de la population active. Les conditions de vie des Grecs se dégradent. La crainte des créanciers que le pays ne puisse rembourser sa dette a amené la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI à imposer au pays des plans d’austérité qui l’ont plongé dans la pauvreté : restriction drastique des budgets (système de santé, éducation,…), licenciements, non remplacement des fonctionnaires, gel des salaires, augmentation des taxes, baisses des retraites, privatisation des services publics… et cela dans un contexte de crise économique et financière mondiale qui ne fait qu’enfoncer le pays un peu plus profondément. Cette année-là, l’Aube Dorée, parti néo-nazi, fait son entrée au parlement avec un score de 6,97% de voix. Presque 7% des Grecs ont voté pour un parti qui défend des idées profondément racistes, xénophobes, un parti violent qui fait porter le chapeau de la dégradation des conditions de vie aux personnes issues de l’immigration, dans un contexte où la proportion d’immigrants et notamment d’immigrants clandestins est importante[1]. Ainsi, en Grèce le racisme n’a plus honte de se cacher mais est revendiqué haut et fort[2]. Discours haineux, insultes, humiliations et passages à tabac parfois à mort sont monnaie courante et réalisées en plein jour. La police est soupçonnée d’être sympathisante du mouvement, 20% des électeurs au sein de la police auraient voté pour l’Aube Dorée soit trois fois plus que dans le reste de la population et aucun militant de l’Aube Dorée n’a jamais été inquiété alors que les militants antifascistes attendent leur procès[3].

Cette montée de l’extrême droite ne se limite pas à la Grèce, mais se répand dans toute l’Europe en crise. Qu’elle soit brutale ou plus policée, elle n’en est pas moins raciste, xénophobe, hostile aux minorités et à l’immigration avec comme corollaire un nationalisme radical[4].

Le parallèle est peut-être un peu vite fait entre l’Allemagne des années trente et l’Europe d’aujourd’hui. Les faillites économique et sociale ne sont pas les seules raisons de la montée de l’extrême droite[5] et, heureusement, une crise n’amène pas systématiquement une montée de l’extrême droite. Il n’en reste pas moins que, lorsqu’une population est acculée à la misère, réduite au désespoir par des partis traditionnels qui, au mieux, manquent de courage politique pour prendre les mesures vigoureuses nécessaires pour sortir de la crise, et au pire adoptent des plans d’austérité qui aggravent la récession et dégradent toujours plus les conditions de vie, cette population aura tendance à se tourner vers les partis qui proposent des programmes différents et des mesures fortes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Ces groupes radicaux gagnent entre autres des sympathisants grâce à leur capacité à canaliser le mécontentement et les scores plus élevés qu’ils obtiennent aux élections sont souvent des votes de protestation.

La crise demande des actes vigoureux, des mesures radicales, des mesures qui doivent avoir pour base la solidarité de tous, à la stricte exclusion de toute forme de racisme ou de discrimination. Or, c’est typiquement ce que fait l’extrême droite ; désigner des boucs émissaires faciles à détester parce que différents de nous : l’étranger. Ce qui revient à se tromper de cible[6] et donc à se couper des possibilités de sortir de la crise en s’attaquant aux vraies causes et aux vrais responsables. Par exemple en Grèce, le secteur financier qui, avec la complicité d’un Etat corrompu, a creusé un déficit public abyssal, la BCE, le FMI et la Commission Européenne qui démantèlent les services public et la sécurité sociale pour rembourser les créanciers,… là sont les réels responsables de la souffrance des grecs aujourd’hui. Il en va de même dans les autres pays européens qui, à des degrés plus ou moins variables, subissent la crise, la dérive du secteur financier et les plans d’austérité.

La précarité au cœur de la cible
 

Si la précarité que connaissent souvent les migrants peut mener à des méthodes illégales de survie, voire à des comportements délinquants, ce n’est pas contre l’immigration qu’il faut lutter mais contre la précarité. Ce faisant, on s’attaque au problème à la source, ce qui permettra de couper l’herbe sous le pied des extrémistes de tous bords qui entrainent la société dans une spirale de haine. En effet, c’est dans les quartiers plus pauvres que prolifèrent les groupuscules extrémistes religieux qui font si peur à de nombreux occidentaux. Avec un avenir bouché par l’absence d’emploi, la religion peut devenir l’unique facteur d’espoir.

Le contexte de ghettoïsation et le manque d’échanges entre les différentes communautés entrainent l’incompréhension culturelle qui accentue les replis identitaires, provoque la montée de l’extrémisme dans les différents camps, nourrit la méfiance de ceux d’en face, « non extrémistes » compris, et accroit le rejet de l’autre. Ainsi fonctionne l’infernal cercle vicieux qui conduit à la déshumanisation alimentée par la peur qui peu à peu se transforme en haine. Et de plus en plus s’ancre un racisme banal, basé sur des généralisations stigmatisantes faites avec de moins en moins de gêne, que nous avons le devoir de traquer chez nous-mêmes et chez nos interlocuteurs. Au contraire, encourager et vivre des échanges entre les différentes communautés permet d’enrayer le cycle des préjugés.

Notons qu’il ne faudrait pas non plus tomber dans l’angélisme qui consisterait à ne pas voir les tensions que provoque la mixité sociale, qu’elle est plus souvent source de friction que d’harmonie. Le nier, ce serait faire le jeu des groupes racistes qui, eux, sont à l’écoute de ceux qui vivent des expériences difficiles avec les personnes issues de l’immigration et leur proposent leurs solutions qui renforcent ces tensions. Reconnaitre ces difficultés sociales et culturelles que comporte la mixité, les comprendre, aidera à les surmonter. Nier, minimiser ou se détourner des problèmes laisse la porte grande ouverte à ceux qui mettront à mort l’Etat de droit.

Pour enrayer la montée de l’extrême droite, il est urgent de recentrer le débat public sur les questions de pauvreté, de chômage, sur la régulation de la finance et non de le focaliser sur les fausses racines du problème que sont la criminalité ou l’immigration. Que de ce débat public sortent des mesures fortes qui redonnent espoir aux citoyens. Cela nécessite également d’informer les victimes de la crise en particulier et tous les citoyens en général sur les causes de la crise économique et sociale afin d’éviter de se tromper de responsables et que celle-ci ne fasse de nouvelles victimes collatérales.

Notes :

  • [1] La Grèce reste une des portes d’entrée les plus importantes de l’Europe : selon l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), durant les trois premiers mois de l’année 2012, environ 64% des migrants en situation irrégulière présents dans l’Union européenne (UE) sont arrivés clandestinement par la Grèce. Selon les chiffres du gouvernement grec et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2010, les migrants clandestins représentaient près de 10% des 11 millions d’habitants que compte la Grèce, soit environ 810 000 personnes.

    [2] Dans une vidéo qui a fait le tour de la Grèce, le candidat de l’Aube Dorée Alexandros Plomaritis déclare : « Nous sommes prêts à ouvrir les fours (…), nous en ferons des savons pour laver les voitures et les trottoirs (…), on fabriquera des abat-jour avec leur peau » en parlant des militants de gauche et des immigrés. Aujourd’hui parlementaire, il vient armé et accompagné de gardes du corps au parlement, démonstration de force virile bien éloignée de l’Etat de droit.

    [4] Sur cette question : CAMUS Jean-Yves  « L’extrême droite : émergence d’une nouvelle génération autour des thèmes identitaires », in En question n°98, pp.4-6, septembre 2011.

    [5] En Grèce par exemple, il n’y a pas eu de purge antifasciste à la fin de la guerre (cf.www.lalibre.be/actu/international/la-police-accusee-de-collusion-avec-aube-doree-51b8f506e4b0de6db9c8be8a). Le charisme du leader joue un rôle aussi dans l’adhésion plus ou moins importante de la population au mouvement. Jouent également le sentiment plus ou moins nationaliste dans la population et sa tradition et son histoire politique. Le besoin de réaffirmer une identité en crise n’y est sans doute pas pour rien non plus.

    [6] Au contraire, « la contribution aux budgets publics des immigrés est positive » et s’élève à 12 milliards d’euros. Soit 2.250 euros par personne immigrée, contre 1.500 euros pour les natifs. www.20minutes.fr/economie/722873-immigres-rapportent-plus-coutent-economie-francaise