Le 15 mai 2008

No mosquito. Droit des jeunes et vivre ensemble.

Le « Mosquito » est un boîtier destiné à éloigner les adolescents indésirables par l’émission d’un son strident que seules les jeunes oreilles peuvent percevoir. Dans cette analyse, l’auteur rappelle les questions que pose l’installation d’un tel appareil : pour la santé sans doute, mais aussi et surtout pour le respect des droits humains, tels que les énonce la charte européenne des droits fondamentaux. Il met en évidence la nécessité du dialogue humain pour établir le mieux vivre ensemble. Un défi que nous avons tous à relever, personnellement et ensemble, en unissant nos forces, jusqu’au niveau politique, pour que les droits soient respectés et que soient effectivement menées les actions qui permettent et favorisent un vivre ensemble harmonieux.
 

Printemps 2008. Force est de constater que le « Mosquito » fait du bruit. Alors que la commercialisation de ce système anti-jeunes est passée sous silence en Grande-Bretagne, en Suisse, aux Pays-Bas[1]… la Belgique se positionne très clairement contre ces émetteurs d’ultrasons uniquement captés par les jeunes oreilles[2]. La mobilisation vise tant à empêcher le débarquement du système sur notre territoire[3] (et son expansion sur le territoire européen) qu’à en condamner la raison d’être : l’éloignement des jeunes « indésirables ».

Un problème de santé publique…
 

L’invention est tout aussi étonnante que simple. Il s’agit d’un petit haut-parleur[4] émetteur de sons ultra-aigus utilisé pour faire fuir des bandes de jeunes délinquants. Elle est aujourd’hui au centre d’une importante polémique et à l’origine de diverses craintes.

Parmi celles-ci, certaines sont bien sûr d’ordre sanitaire et il est légitime de s’interroger sur les éventuels effets nocifs que pourrait générer la trouvaille.

Aucune étude scientifique n’a encore été réalisée à ce sujet et il n’existe que trop peu de données pour tirer quelque conclusion. Au vu de la relativement faible intensité des sons émis[5], des spécialistes affirment qu’ils ne voient pas, en l’état actuel des choses, de risques majeurs. Pas de dommages corporels donc pour la plupart des gens mais bien une réelle gêne auditive. Le système provoque néanmoins chez certaines victimes de violents maux de tête dont on ignore les effets réels. Par ailleurs, on peut craindre qu’il soit également particulièrement gênant pour les personnes souffrant d’hypersensibilité aux sons[6].

Il ne nous semble donc pas inapproprié de parler d’atteinte à l’intégrité physique et de penser raisonnablement que, tant qu’aucune étude sérieuse n’aura été faite sur les effets de ces ondes sonores à haute fréquence, la prudence devrait s’imposer[7].

… et d’éthique
 

Mais l’inquiétude la plus profonde concerne l’aspect éthique du procédé. Sa force discriminatoire. La criminalisation et l’évacuation des jeunes qu’il sous-entend.

Cette mesure porte en effet atteinte à toute une catégorie de personnes, sans aucune distinction. L’assignation identitaire à laquelle nous assistons vise à priver toute une classe d’âge de certains droits élémentaires pourtant inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

L’article 3 de cette charte, relatif au droit à l’intégrité de la personne, stipule en effet que « toute personne a droit à son intégrité physique et mentale. (…) »[8]. L’article 6 que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté »[9]. L’article 21 qu’ « est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou tout autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle »[10]. L’article 24 que « les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être.(…) » et que « dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »[11].

Autant de droits qui sont ici bafoués. C’est ce que souligne le centre d’éducation à la tolérance et à la résistance « Territoires de la Mémoire » qui déclare que ce « répulsif est tout simplement contraire aux droits humains les plus fondamentaux »[12] et que « sa simple commercialisation est digne des idées fascistes les plus cyniques »[13]. Sa pétition intitulée « les jeunes ne sont ni des parasites ni des nuisibles pour la société ! »[14] a déjà recueilli plus de 11.000 signatures[15]. L’initiative est soutenue par le Ministre de la Jeunesse à la Communauté française, Marc Tarabella, qui dénonce « des méthodes dignes de l’extrême droite : exclure ce qui dérange ! C’est terriblement disqualifiant pour une jeunesse qui dans 98 % des cas ne pose aucun problème »[16].

Catherine Fonck, Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé (Communauté française), s’insurge contre un tel procédé et déclare : « Je tiens à rappeler qu’en Communauté française, seul un jeune sur mille est délinquant et que les délinquants majeurs sont bien plus nombreux. Je plaide donc pour une société qui n’a pas peur de sa jeunesse et qui ne traite pas les jeunes comme des « nuisibles ». C’est d’autant plus choquant que ce même procédé d’éloignement est utilisé contre certains insectes et rongeurs (…). Je pense, par ailleurs, que ce système constitue une réponse inadéquate aux problèmes de délinquance ou de nuisances occasionnés par des groupes de jeunes, puisqu’il ne peut conduire qu’à un phénomène de déplacement : les jeunes iront faire du bruit ailleurs »[17]. Dans le même temps, le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, s’est opposé à l’utilisation du Mosquito[18].

Quelles alternatives ?
 

Par définition, le « Mosquito » n’est donc en rien une solution et au vu de certaines initiatives citoyennes et prises de position politiques, il semblerait que son débarquement sur notre sol ne soit pas programmé.

Mais cette réjouissante nouvelle ne le sera véritablement qu’à condition de trouver une solution efficace pour mieux vivre ensemble. Si nous n’y parvenons pas, fort est à parier (hélas) que le débat « Mosquito » se réinvitera chez nous. La mobilisation a aussi donné la parole aux pro-« Mosquito »[19] et la violence des échanges entre les deux camps nous rappelle que nous n’éviterons pas la souffrance de l’un sans écouter celle de l’autre. L’indignation contre le Mosquito est essentielle, tant l’usage de celui-ci risquerait d’être nuisible pour notre société. Mais sans doute insuffisante, sous peine de trop simplifier la réalité dont la présente affaire est un symptôme. Nous n’avons que trop à perdre à nier le malaise révélé. Profitons plutôt de l’indignation pour y faire face. Pour le comprendre. Et pour agir.

Les alternatives auxquelles nous croyons se définissent en parfaite opposition au système Mosquito.

Là où il poursuit des objectifs individuels[20] (en déplaçant le problème), nous pensons au contraire que l’objectif poursuivi, la baisse de la délinquance et de certaines incivilités, s’apparente davantage à un mieux être collectif. Face à l’apparente perte de sens du collectif, nous ne pouvons en aucun cas attendre ou espérer une autorégulation. Il est au contraire impératif de transmettre les valeurs sur lesquelles repose le bien public.

Là où le système Mosquito néglige le dialogue (pire, il le compromet !), nous pensons au contraire que celui-ci doit être au cœur des solutions envisagées. Le décalage entre le monde des adultes et celui des adolescents semble frappant. Les résultats d’une récente enquête menée en France confirment l’impression : alors que 82% des adultes pensent les jeunes « mal dans leur peau », seulement 19 % des jeunes l’estiment[21].

Entre la noirceur et le pessimisme utilisés pour décrypter la jeunesse et les difficultés qu’elle rencontre (alcool, drogues, chômage,…), le sentiment d’incompréhension semble dominant. A l’heure où l’on propose une piqûre de rappel identitaire à toute une génération de parents qui se demande à quelle société leurs enfants peuvent bien s’identifier, il est urgent de se (re)connaître les uns les autres.

Là où le système Mosquito contraint et exclut, nous pensons qu’il faut au contraire éduquer et inscrire la prévention au cœur même de nos orientations politiques, qui sont dès lors « condamnées » à se définir sur le long terme. En d’autres mots, Il est urgent de porter haut la confiance que nous avons en notre jeunesse. Les pistes d’actions pour favoriser l’intergénérationnel et le mieux vivre ensemble sont nombreuses (animations, mouvements de jeunesse, fêtes de quartier,…) et doivent être soutenues et encouragées.

Nous constatons que nous sommes dans une époque où les inventions les plus immondes se succèdent. Rappelons qu’avant celle du « Mosquito » nous avions eu droit à celle du « Malodore », un spray anti-SDF[22]. Ces inventions manifestent une certaine forme de découragement, de capitulation face aux difficultés, difficile à comprendre tant l’enjeu social est de taille. Dans l’affaire « Mosquito », les parents sont les premiers accusés. Ils porteraient la responsabilité de cet abandon. Mais, si on les invite à mieux s’occuper de leurs enfants, que fait-on pour qu’il en soit ainsi ? Veille-t-on par exemple à ce que les horaires de travail le permettent ? Accorde-t-on nos projets politiques  aux objectifs de mieux être collectif, de dialogue, d’éducation ?  La notion de lien social est fondamentale et au cœur même de notre discussion. Si certains célèbres slogans (« travailler plus pour gagner plus ») ne nous permettent pas d’être très optimistes quant à l’importance qui lui est accordée, nous restons convaincus que nous n’avons pas d’autre choix que de la favoriser à tout prix.

L’exemple belge
 

La Belgique semble être aujourd’hui le leader européen du combat anti-« Mosquito » et c’est indiscutablement sur notre territoire que les boucliers se sont levés en plus grand nombre, avec un certain effet contagieux[23]. Soyons fiers de notre exemplaire résistance. Restons convaincus qu’une machine ne répondra jamais à une question sociale. Et encourageons nos hommes politiques à continuer le combat, tant au niveau national qu’européen.

A l’heure actuelle, la Commission Européenne a refusé la demande de notre Ministre Marc Tarabella pour inscrire le système mosquito sur la liste Rapex[24] et en interdire l’usage dans toute l’Europe. De quoi se poser (encore) d’inquiétantes questions quant aux priorités et compétences de la Commission. Car, même si le recours à la liste Rapex n’est pas possible, il s’agirait de trouver une réponse adéquate à un réel problème qui met en jeu – on l’a vu – des droits inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Et une réglementation des usages de ce type d’appareil nous paraît d’une importance et d’une urgence capitales[25].

Nous sommes tous concernés par la non atteinte à des droits fondamentaux qui est ici en question. À titre personnel, mais aussi en unissant nos forces, jusqu’au niveau politique, pour que les droits soient respectés et que soient effectivement menées les actions qui permettent et favorisent le vivre ensemble. Les différentes actions menées en Belgique nous rappellent d’ailleurs que nous ne sommes pas démunis pour faire face à ce qui s’apparente à une terrible régression.

Le récent aveu d’inefficacité du large système de vidéo-surveillance en Grande-Bretagne[26] doit nous conforter dans notre volonté de construire une société libre et sans peurs. En Europe comme en Belgique. Et souhaitons fermement que l’Union Européenne puisse finalement nous entendre et faire sienne la volonté d’investir dans la jeunesse.

Notes :

  • [1] 5.000 boîtiers sont utilisés en Europe. Principalement en Grande-Bretagne (3.500), mais aussi aux Pays-Pas, en Suisse, en Allemagne… Dans Le Soir, Édition du 02/05/08.

    [2] Ces sons ont une fréquence de 17.000 hertz. Ils sont inaudibles pour la majorité des adultes (90%) mais bien audibles pour la majorité des adolescents (90%).

    [3] C’est suite au mosquito d’Aywaille que la controverse a éclaté chez nous. Le système a rapidement été enlevé suite à une plainte déposée par la mère d’un adolescent victime de l’appareil. Très peu d’autres cas sont recensés en Belgique, on parle d’une dizaine de commandes. Dans Le Soir, Édition du 02/05/08.

    [4] Appelé « Mosquito » en Belgique ou « Beethoven » en France.

    [5] 80 décibels

    [6] Certaines formes d’autisme sont caractérisées par cette hypersensibilité.

    [7] La ministre Onkelinx (Santé, PS) a commandé une étude d’incidence. Dans Le Soir, Édition du 02/05/08.

    [9] Idem.

    [10] Idem, nous soulignons.

    [11] Idem.

    [12] Dans Le Soir, édition du 13 mars 2008.

    [15] A la date du 7 mai 2008. Signalons la position du Vlaamse Jeugdraad (5.03.2008 « Doodmeppen die Mosquito ! » www.vlaamsejeugdraad.be) et l’article de Benoît Lambo du Conseil de la Jeunesse Catholique « Pour l’Europe, il paraît que le mosquito ne pique pas » (4/04/2008 – www.cjc.be).

    [16] Dans Le Soir, édition du 15 mars 2008.

    [18] En réponse à l’interpellation de plusieurs parlementaires, notamment flamands (La Libre Belgique, 31/03/2008).

    [19] Morceau choisi sur le site de la Ministre Catherine Fonck, en réponse à la réaction de celle-ci : « Et bien moi, si je pouvais trouver un Mosquito, je l’installerai illico ! Depuis plusieurs années, tous les midis, des jeunes prennent le coin de ma rue pour un réfectoire, encombrent tout le coin avec leurs sacs et quand on veut passer, on a droit à un “Vous la vieille, allez sur la rue, vous voyez bien qu’on est là!”. Elles bloquent le passage et si on veut le forcer, car elles ne bougent pas d’un millimètre, on se fait enguirlander parce qu’on ne s’est pas excusé de vouloir passer sur un trottoir qu’elles encombrent. Il y a deux agents “prévention-sécurité”, présents après plusieurs constats de nuisances effectués par la police, qui poireautent devant l’école ou sur le trottoir en face de celui qui est occupé par les jeunes mais ne bronchent pas. Alors, oui au Mosquito, le dialogue ne sert à rien, les jeunes veulent avoir tous leurs droits mais aucun devoir. »

    [20] L’argumentaire publicitaire de l’appareil est explicite à ce sujet : « Votre activité commerciale souffre du comportement antisocial des jeunes ? Vous êtes perturbés par des rassemblements de jeunes qui vous rendent la vie impossible ?  Mosquito peut résoudre votre problème ».

    [21] Enquête citée dans l’émission « Ce soir ou jamais » du 27 mai 2008.

    [22] Dans Canoe infos, Édition du 26/04/08 : « En Europe, certaines municipalités utilisent un spray pour éloigner les sans-abri. Vous avez bien lu. Ca s’appelle le Malodore. Comme son nom l’indique, c’est un vaporisateur qui sent la bombe puante. Un pouilleux couche dans l’entrée de votre commerce ?  Vous le vaporisez comme un rat, et il prendra ses cliques et ses claques. » Le principe est  assez proche du mosquito.

    [23] Il semble que plus la polémique grossit, plus les pays concernés se montrent prudents. Montréal vient par exemple de renoncer au projet (cf. Martin Croteau dans La Presse, 29/04/2008) et, en France, la ministre de la Santé et de la Jeunesse Roselyne Bachelot juge le procédé inacceptable.

    [24] Cette inscription aurait comme effet d’alerter tous les États membres quant à la dangerosité du produit. Rappelons que RAPEX est le système européen d’alerte rapide qui concerne tous les produits de consommation (autres que les denrées alimentaires, les produits pharmaceutiques et les appareils médicaux) présentant des risques importants pour la santé et la sécurité des consommateurs.

    [25] Plusieurs communes (Ixelles, Farciennes, Mons, Turnhout, Antwerpen…) ont déjà interdit l’installation de tels appareils. Dans La Meuse (05/05/2008), Het Nieuwsblad (19/03/2008), Provincie Antwerpen / Nieuwsbrieven (19.04.2008).

    [26] Times online, 6 May 2008.