En Question n°155 - décembre 2025

Nos vœux pour le bicentenaire de la Belgique en 2030

25 août 1830, théâtre de la Monnaie, Bruxelles. La représentation de La Muette de Portici, opéra romantique d’Auber, prend une tournure révolutionnaire. Avant la fin de la pièce, plusieurs spectateurs quittent leur place et se mettent à crier : « Vive la liberté ! ». À la sortie du spectacle, une foule se forme place de la Monnaie. Ce soir-là, l’étincelle artistique met le feu aux poudres politiques, sociales et culturelles accumulées depuis des années. En quelques jours, la révolte se transforme en révolution. Le 4 octobre 1830, un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique. « L’union fait la force » : telle sera sa devise.

En 2030, la Belgique fêtera donc son 200e anniversaire. Mais au fond, que voulons-nous célébrer ? Quels rêves portons-nous pour la Belgique de demain ? Et de quelle manière faudrait-il « faire la fête » ? Cinq ans avant le bicentenaire, nous avons voulu amorcer une réflexion collective, en donnant la plume à quatre personnalités engagées au sein de la société civile belge : Michel Visart, Axelle Fischer, Ben Kamuntu et Patrick Dupriez.


Avant même que les grandes puissances de l’époque s’accordent en 1830 pour créer ce petit État tampon au centre de l’Europe, notre pays a toujours été et reste une terre de passage, de diversité et de mixage. Nous sommes tous des enfants d’immigrés d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier.

Au 1er janvier 2025, nous étions très exactement 11.825.551 habitants. D’où ces questions : qu’est-ce qui nous rassemble, qu’est-ce que nous pourrions fêter ensemble en 2030 ?

La déclaration d’indépendance ? Le souvenir des grandes figures belges disparues ? Deux siècles de progrès ? Le talent internationalement reconnu de nos artistes dans de multiples disciplines ? Le renom de nos athlètes ? Les frites, le waterzooi, les choesels, le boulet liégeois, sans oublier la bière ? Et si nous nous fêtions les uns et les autres tout simplement et, à travers chacune et chacun d’entre nous, la mémoire de toutes celles et ceux qui nous ont précédés depuis des siècles ?

À toi qui habites ici, que tu aies ou non la carte d’identité belge, je souhaite de vivre deux cents ans de plus dans un pays, un continent, une planète en paix. Un rêve ? Non, une réalité possible que nous construirons en commun grâce la richesse inouïe de nos différences. C’est naïf ? Pas du tout, le défi est aussi beau qu’indispensable. Prenons toutes et tous nos responsabilités de citoyens, écoutons-nous, respectons-nous, engageons-nous.

Pour débuter l’aventure de cette Belgique 3.0, organisons simultanément des dizaines de fêtes populaires aux quatre coins du pays. Chantons, dansons, partageons le bonheur d’être les acteurs de l’avenir de cette Belgique qui est la nôtre au cœur d’un monde où les frontières ne peuvent en aucun cas être des barrières.
Michel Visart


En 2030, à l’heure du bicentenaire de la Belgique, je souhaite que nous fêtions ce qui fait vivre notre pays : l’engagement collectif, la démocratie associative, l’unité, la capacité à faire lien malgré les fractures. Dans un contexte de crises multiples – écologique, sociale, démocratique – il faudra appuyer les rêves des jeunes et leur proposer des espaces pour s’engager.

Fêtons avec nos concitoyens et concitoyennes ; avec ou sans papiers. Préservons avec elles et eux un espace civique libre, critique, solidaire. Une Belgique sans repli identitaire, où les associations ne sont pas réduites au silence par manque de moyens ou par des logiques de contrôle idéologique. Une Belgique qui valorise l’éducation permanente, les débats contradictoires, la rencontre des différences. Une société où l’action collective, loin d’être ringarde ou moquée, est reconnue comme essentielle pour redonner du pouvoir d’agir à chacune et chacun. Il y a urgence à reconnaître le rôle fondamental du monde associatif comme acteur de transformation et de résistance face aux crises.

Célébrer, ce sera raconter : donner la parole à celles et ceux qui, chaque jour, agissent pour plus de justice sociale, climatique, démocratique. Ce sera créer des espaces de dialogue intergénérationnels, montrer que l’action associative produit des effets concrets, ici et ailleurs.

Ce sera dire « merci » et « bedankt », et redonner le goût du « nous » et du « ons »..
Axelle Fischer


C’est devenu une habitude pour moi de croiser Maria, ma voisine au rez-de-chaussée de 93 ans, avec qui je discute régulièrement en Swahili. À part se réveiller tôt nous deux, nous avons un autre point commun : avoir vu le jour au Congo, le Congo belge pour elle et le Zaïre pour moi. Elle garde de bons souvenirs de la ville de Kolwezi où elle a passé son enfance. Son père fut administrateur colonial, développant la province et sa mère infirmière, soignant les Congolais. Pour elle, la colonisation fut quelque chose de positif. Elle ne se rend pas compte, tout comme un certain nombre d’autres Belges aujourd’hui, que le colonialisme était avant tout un système de prédation, qu’il était laid, violent, raciste et mortifère.

En marge de la célébration de son bicentenaire, mon vœu est que la Belgique regarde son passé colonial, « ce passé qui refuse de passer », avec courage. Qu’elle assume son tort moral d’architecte de déshumanisation. Que son gouvernement et son roi présentent des excuses officielles et prennent des mesures de réparation face à la responsabilité historique, politique et économique de son roi, de ses citoyens, de ses médias, de ses banques, de ses entreprises, de ses universités, de son administration, de ses musées… qui ont alimenté et légitimé ce colonialisme qui a causé blessures, morts et désolation aux populations du Congo, du Rwanda et du Burundi.

Mon vœu est que la Belgique commémore l’armistice de chaque 11 novembre en se souvenant des soldats « noirs » de la Force publique, morts lors des campagnes d’Afrique durant la Première et la Seconde Guerre mondiale au nom de la liberté d’une Belgique qui leur niait paradoxalement la leur. Je pense à mon arrière-grand-père Ntalushika et au caporal Albert Kunyuku.

Mon vœu, en tant que congolais, refugié, est que le plat pays incarne l’accueil, l’ouverture, les nouvelles possibilités pour ses habitants et pour les nouveaux arrivants. Qu’elle soit un endroit où l’on a envie de venir explorer d’autres possibles en commun. Mon vœu est que la Belgique soit avant tout un pays de bonjour avant d’être un pays d’au revoir.

Ben Kamuntu


Célébrer, c’est honorer ? Honorer ce que notre histoire – qui n’est pas que belle… – porte d’avenir ; éclairer ce que notre improbable et funambulesque pays peut offrir au futur.
Nos institutions culturelles et scientifiques constituent un patrimoine extraordinairement riche, d’audace créative, de connaissances partagées et de recherche.

La Belgique fut terre d’asile pour les victimes de pouvoirs arbitraires, elle fut espace de libertés, capable de défendre et étendre les droits fondamentaux.

Notre tradition démocratique est forte de sa Constitution, solide grâce à la reconnaissance de la diversité et du pluralisme, robuste par sa tradition de dialogue formel et informel.

Notre petite monarchie, arrangée par plus puissants qu’elle, a pesé dans le concert des nations, grâce à sa disposition à l’ouverture au monde, la négociation multilatérale et la coopération : des compétences cruciales pour l’humanité menacée par sa frénésie prédatrice.

Souhaitons à la Belgique de cultiver ses atouts menacés pour faire de la transition écologique une nouvelle étape de son histoire. En des temps marqués par le repli, elle peut incarner, modestement mais ambitieusement, un soft power éthique et écologique incarnant cette belle idée : la solidarité est la tendresse des peuples !

Célébrons joyeusement ce que nous en ferons ensemble davantage qu’un passé magnifié.

Faisons de la fête un commencement qui réinvestirait la culture, la science, la démocratie et la coopération, qui libérerait notre capacité à métisser un récit commun de transition juste.

Mobilisons ces ressources autour d’un « pacte écologique belge » et marquons 2030 de gestes symboliques : un « parlement des futurs » réunissant des jeunes, une année de gratuité culturelle et des transports publics, un programme de renaturation des communes…

C’est ce que je souhaite à la Belgique pour son nouveau siècle, ce que j’espère pour les enfants qui l’habitent, d’où qu’ils viennent, et pour leurs partenaires terrestres.

Patrick Dupriez