RDC, les principaux défis de l’après élections
Construire la démocratie est un travail long et patient, toujours à reprendre avec détermination. Ce qui se passe en République Démocratique du Congo mérite l’attention de toutes les personnes éprises de démocratie de par le monde : le présent document analyse les résultats du referendum constitutionnel qui a été mené à bien (décembre 2005), dans des conditions pourtant difficiles. Il fait remarquer combien, pour la population congolaise, la démocratie est moins définie en termes de libertés individuelles que de revendications collectives. Il présente les principaux défis à relever par les responsables politiques : accepter les résultats des élections (2006), rencontrer les aspirations de la population, développer une politique extérieure dynamique autonome, au bénéfice des populations. En RDC, comme partout ailleurs, la démocratie est affaire de tous les citoyens. Pour sa part, la communauté internationale se doit de lui apporter l’appui d’une solidarité effective. Cette analyse est également publiée dans le dossier « RDC, une longue route vers la démocratie… », paru dans Évangile et Justice, juin 2006 (revue du Centre AVEC).
Le processus démocratique au Congo n’est pas une nouveauté. La démocratisation y est un phénomène général qui transforme toutes les relations sociales, faisant accepter des divergences d’opinion et des mécanismes pacifiques de résolution des conflits, notamment les élections. Celles-ci marquent la vie académique, où les représentants des étudiants et certaines autorités académiques sont élus pour un mandat déterminé. La vie professionnelle s’est aussi démocratisée : les dirigeants des associations professionnelles sont également élus pour un mandat déterminé. Des élections sont aussi le mode de désignation des responsables des Communautés Ecclésiales Vivantes de Base dans l’Église catholique et des délégués des Églises aux synodes chez les protestants. La démocratisation marque de même les relations familiales : la plupart des maris reconnaissent qu’ils doivent dialoguer avec leur épouse et leurs enfants pour trouver ensemble un compromis aux problèmes qui peuvent les opposer.
Les élections prévues pour le 30 juillet prochain n’en posent pas moins un certain nombre de défis, parce que le secteur politique est celui où la démocratisation est la moins avancée. De telles forces sont heureusement engagées dans leur organisation qu’on ne peut plus douter d’y arriver. Mais de lourds défis se poseront ensuite. Le premier sera celui de l’acceptation des résultats. Les suivants seront ceux auxquels les nouveaux dirigeants auront à faire face : celui des aspirations de la population et celui des ingérences de l’extérieur, qui aura majoritairement financé les élections.
L’acceptation des résultats
La longue transition vécue en RDC depuis 1990 n’a pas été sans résultat. La population avait vécu lors de la Conférence Nationale Souveraine de 1992 une forte expérience de démocratie, dans la mesure où les débats de l’assemblée étaient retransmis en direct à la radio et à la télévision, qui couvraient alors la majorité du territoire national. La guerre de 1996-1997 et de nombreux faits d’armes ont ensuite été l’occasion d’un apprentissage de la géographie nationale jamais égalé auparavant. Depuis 2003, les Églises en général et l’Église catholique en particulier, outre diverses organisations de la société civile, se sont engagées dans une campagne d’éducation civique qui a contribué à une maturation sensible de la conscience politique nationale. Enfin, l’expérience du référendum constitutionnel des 18 et 19 décembre 2005 a montré la capacité de la RDC d’organiser un scrutin crédible. Elle a aussi fait prendre conscience de la diversité des opinions politiques selon les provinces et de leur nécessaire intégration dans la vie nationale.
Le taux de participation au référendum a été très variable. Il y a 30 territoires ou villes sur 166 où moins de 50 % des enrôlés ont voté, 12 où le pourcentage est inférieur à 25,5 %, avec des chiffres extrêmement faibles au Kasai, au cœur de la région luba : Kabeya-Kamwanga (1,4 %), Mbuji-Mayi (3,0 %), Tshilenge (5,1 %), Lupatapata (9,8 %). Le contraste est fort avec les territoires voisins à majorité songye de Kabinda (80,1 %) et Lubao (76,4 %). Plus au sud, la participation n’est aussi que de 47,3 % dans le territoire de Mwene-Ditu (Luilu). Pour l’ensemble du Kasai Oriental, le taux de participation n’est que de 33,3 %.
Le Kasai est aussi la province où se situent tous les territoires (sauf un) où le non est majoritaire. Nombre d’entre eux sont précisément ceux où le taux de participation au vote était faible : Kabeya-Kamwanga (62,4 %), Mbuji-Mayi (58,7 %), Tshilenge (65,5 %), Lupatapata (61,9 %). Au Kasai Occidental, le non l’a emporté à Kananga (57,4 %), Dibaya (70,6 %), Demba (64,3 %), Dimbelenge (65,7 %), Luiza (60,0 %) et Luebo (54,0 %). En dehors du Kasai, une majorité de non n’a été enregistrée qu’à Matadi (57,8 %).
Une autre zone de faible participation au référendum s’étend de Kinshasa (46,8 %) au lac Mai-Ndombe (Inongo 43,6 %), par Kwamouth (34,5 %), Mushie (47,9 %) et Yumbi (45,7 %). Parmi ceux qui ont voté, il n’y a pas autour de Kinshasa de zone où le non est majoritaire, mais il atteint 48,5 % à Kinshasa, ce taux de non étant d’ailleurs plus élevé que dans la zone s’étendant du Bas-Congo au sud de la province de l’Équateur en passant par le Mai-Ndombe. Au Bas-Congo, la revendication du fédéralisme est sans doute la base principale du faible succès du référendum.
A l’inverse, les trois provinces du Kivu et du Maniema ont un fort taux de participation. C’est une volonté d’être réintégré dans la vie nationale qui s’est ainsi exprimée. Il en est de même en Province Orientale pour les territoires de l’Ituri et en Equateur, pour les territoires du nord qui ont été sous le régime de la rébellion. Des taux élevés de participation au référendum existent aussi dans d’autres territoires, mais ils ne forment aucun ensemble de la même ampleur. Lors du scrutin, le oui l’a emporté à plus de 90 % dans les grandes zones de forte participation que nous avons signalées, mais également au nord du Katanga et dans le Kwilu. Le oui massif du Maniema et des deux Kivu, ainsi que d’une bonne part de la Province Orientale et du nord de l’Equateur nous semble relever d’une logique d’urgence, déjà apparente dans la carte de la participation au vote. Les populations de cette région ont vraiment craint que la transition ne soit relancée pour une durée indéterminée en cas d’échec du référendum. Il en est de même pour des territoires restés sous contrôle du gouvernement de Kinshasa, mais qui ont vécu sous contrôle militaire parce que menacés par la rébellion.
Au niveau national, le oui l’a emporté par 84,3 %, mais chacun a pu constater que ce n’est pas Kinshasa, ni la région qui l’entoure, du Bas-Congo au sud de la province de l’Equateur qui a déterminé le résultat du scrutin. Ce ne sont pas non plus les deux Kasai et, dans ces deux provinces, ce n’est pas le noyau luba et lulua qui a déterminé le vote : il y a eu 80,8 % de oui parmi les votants au Kasai Oriental et 84,3 % au Kasai Occidental. Il est donc clair qu’un Président peut être élu sans avoir la majorité ni à Kinshasa, ni au Bas-Congo, ni au sud de l’Equateur, ni au cœur des deux Kasai. Il nous semble qu’au niveau de la population, l’acceptation des résultats des prochaines élections ne posera pas de problèmes majeurs. Nous sommes même convaincus qu’elle ne se laissera pas facilement entraîner dans de nouveaux conflits internes.
Les politiciens par contre, se sont battus pour le pouvoir et se le sont partagé sans vrai souci de la population. Il est presque inévitable qu’un certain nombre soient de mauvais perdants. La communauté internationale elle-même le redoute à tel point qu’elle demande étonnamment que les élections soient « inclusives », comme elle a imposé jadis le « partage équilibré du pouvoir » concrétisé par la formule inédite de 1 (Président) + 4 (Vice-Présidents). La population a dû l’accepter, mais elle n’y a jamais cru et elle se demande pourquoi les élections ne pourraient pas être sélectives au Congo comme partout ailleurs.
Une grande différence existe cependant entre la situation actuelle et celle de 1998. A ce moment, ceux qui sont entrés en rébellion et se sont alliés à des envahisseurs étrangers bénéficiaient de soutiens extérieurs qui ne leur seront plus acquis aujourd’hui. Le nationalisme de Laurent Désiré Kabila n’effraie plus et l’espoir de voir un groupe international fort assurer la paix dans toute l’Afrique centrale s’est effondré. Les pays occidentaux n’accepteront plus de financer une nouvelle guerre ni de voir les richesses du Congo pillées dans le désordre. On peut donc espérer que les résultats des élections permettront à un gouvernement revêtu d’une assez large légitimité de s’imposer à l’issue des élections.
Ce gouvernement sera cependant immédiatement confronté à des aspirations de la population difficiles à satisfaire et à des problèmes d’ingérence extérieure.
Les aspirations de la population
Pour la population, la démocratie est moins définie en termes de libertés individuelles que de revendications collectives. De nombreuses personnes interrogées dans le cadre d’une enquête organisée à l’échelle du pays à la fin de l’année 2002 ont insisté sur le caractère « inculturé » que devait avoir la démocratie[1]. Un leader d’une Eglise indépendante du Bas-Congo a dit que La démocratie telle que présentée ne se marie pas avec nos réalités culturelles. L’Occident ne voit que ses intérêts économiques. Un fonctionnaire du Nord-Kivu a dit de même que la démocratie n’est pas un bien, parce qu’elle est imposée de l’extérieur. Le sens de ces affirmations a été vigoureusement exprimé par des bana mayi, ou cambrioleurs attitrés du port de Matadi, judicieusement approchés par des enquêteurs qui avaient reçu pour directive de différencier autant que possible les personnes interrogées : Les dirigeants qui sont au pouvoir gèrent comme des gangsters. Tant qu’ils ne changeront pas, c’est-à-dire tant qu’ils ne travailleront pas en faveur de la population nous ne cesserons pas de voler les biens déposés au port de Matadi […] Ce sont des voleurs comme nous, sauf que eux volent sans être inquiétés.
Tous ces exemples montrent que la population congolaise ne se réfère pas à des maîtres étrangers pour définir la démocratie. Elle en a une vision propre, qui s’enracine dans son expérience. De nombreuses références ont été faites à des proverbes locaux et à l’organisation traditionnelle où, contrairement à la caricature qu’en avait donnée la deuxième république, le chef idéal n’était pas un homme autoritaire, mais quelqu’un qui écoutait et qui était contrôlé par diverses instances. Un enseignant retraité de Goma a dit que la démocratie, c’est le fait d’associer tout le monde à la gestion, comme à l’époque traditionnelle avec les Bami. Comme on l’a déjà indiqué, l’originalité de cette vision est de s’exprimer en termes de promotion collective beaucoup plus que de droits individuels.
Le gouvernement qui sera mis en place à l’issue des élections aura de grandes difficultés à répondre aux aspirations qu’elles suscitent. Il lui faudra autant de qualités pédagogiques que politiques pour faire comprendre les objectifs et les stratégies qu’il adoptera en vue de satisfactions qui seront surtout des espérances. Mais le nouveau gouvernement ne gardera sa crédibilité que s’il réussit à réduire les inégalités criantes qui se sont développées depuis une quinzaine d’années. On voit aujourd’hui au Congo une misère criante qui n’y existait pas en 1980 : les enfants de la rue, les jeunes chassés de l’école par incapacité de leurs parents de payer les frais de minerval, des sans logis dormant sur les trottoirs. De nombreux dirigeants voyagent par contre régulièrement à l’étranger et y envoient leurs enfants pour études. Cette inégalité criante est explosive et la seule pédagogie ne peut suffire pour la contenir.
De la pédagogie et des efforts d’éducation civique n’en resteront pas moins nécessaires, car si la population a un sens de la démocratie et du bien commun suffisamment éveillés, elle n’a qu’une compréhension très déficiente des mécanismes qui peuvent les assurer. Un chauffeur s’arrête sans mauvaise conscience au milieu de la route pour charger ou décharger un passager. De multiples comportements relèvent d’une mentalité construite à des époques où on ne pouvait survivre qu’en contournant les règlements de régimes oppresseurs. Un large travail d’éducation à la vie démocratique sera donc encore à faire après les élections. Pour les amis du Congo, le secteur de la formation restera une priorité.
Les ingérences de l’extérieur
Plus personne ne peut vivre aujourd’hui de façon autarcique. Mais la situation actuelle de la RDC, où le budget national est financé à 53 % par l’extérieur et où l’organisation des élections est presque totalement prise en charge par l’étranger n’est pas saine. Près d’une moitié du budget des élections est consommé par les salaires des expatriés qui y collaborent et une part importante de l’autre moitié du budget est consacrée à des achats de matériel et de services à l’étranger.
Aux yeux de l’étranger, les objectifs prioritaires sont de rétablir un ordre social qui permette la reprise des activités économiques, dont il peut tirer de larges profits. Ces activités contribueront certes à la relance des circuits économiques intérieurs. Mais il est clair que les priorités dans les secteurs d’investissements ne sont pas les mêmes si on vise la rentabilité des entreprises étrangères ou, comme ce devrait être le premier objectif du gouvernement, le relèvement du niveau de vie ou même du niveau de formation des habitants.
Pour garder et renforcer la crédibilité que lui donneront les élections, le nouveau gouvernement aura donc à développer une politique extérieure dynamique, d’alliances avec d’autres pays d’Afrique et du sud en général, pour réussir à sortir des marchés de dupes que sont trop souvent les contrats pétroliers et les conventions minières. Cette reconquête d’une autonomie et d’une dignité nationales est un défi de taille.
Une autre facette du même problème est celle de l’unité nationale. La population du Congo a montré pendant les rébellions son attachement à l’unité du pays. Elle est convaincue que son avenir est plus prometteur si elle reste unie que si elle se laisse diviser. Cette volonté de grandeur nationale risque aussi de se heurter à des résistances de l’étranger.
L’histoire de la RDC après les élections est donc loin d’être jouée. Elle est une histoire à écrire. Même l’issue des élections n’est pas acquise. Puissent tous ceux qui y ont un rôle le concevoir, non en fonction de leurs intérêts immédiats, mais dans une vision qui ouvre un avenir d’espérance.
Notes :
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[1] L. de SAINT MOULIN e.a., La perception de la démocratie et de l’Etat de droit en RDC, Kinshasa, 2003, 128 p.