Le 01 avril 2012

Vers une Wallonie bas carbone

La Wallonie s’est fixée comme objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80% en 2050 par rapport à l’année de référence 1990. Une première phase dans cette démarche est une prise de connaissance approfondie de la problématique pour se donner un cadre d’action. La Wallonie l’a fait en commanditant deux études, l’une intitulée : Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, a été réalisée par Climact, un bureau d’étude qui assiste les pouvoirs publics et les entreprises dans leur réduction d’émissions de GES ; l’autre intitulée : L’adaptation au changement climatique en Wallonie, a été réalisée par EcoRes. Ce document Analyse revient sur leurs forces et leurs faiblesses et ce, afin de renforcer les pistes qui seront trouvées pour l’action.
 

Malgré l’absence d’accord au niveau international, la Wallonie, suivant la dynamique impulsée par l’UE, s’est fixé comme objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30% en 2020 et de 80% en 2050 par rapport à l’année de référence 1990. Selon le 4ième rapport du GIEC, une limitation à 2°c du réchauffement climatique par rapport à l’époque préindustrielle implique une réduction des émissions de GES de 50% au niveau mondial. Etant donné le niveau d’émission passé et présent des pays industrialisés, une stabilisation du réchauffement nécessiterait une réduction de 80% à 95% des émissions de leur part. De 1990 à 2008, la Wallonie est déjà parvenue à réduire ses émissions de 12%, le processus doit cependant être accéléré si elle veut atteindre ses objectifs pour 2050.

La menace du réchauffement climatique déjà enclenché[1] implique un équilibre entre trois attitudes : la prévention, l’adaptation et la souffrance. Plus il y aura des uns, moins il y aura des autres. Selon l’adage mieux vaut prévenir que guérir, la prévention doit être mise en place au maximum, mais dans la mesure où le réchauffement climatique est déjà enclenché il faut aussi prévoir la façon dont on s’y adaptera. Comme le soulignent les chercheurs d’EcoRes[2], « même avec des politiques vigoureuses de réduction des émissions de GES […] le territoire sera confronté à des changements climatiques, il lui sera nécessaire de s’y adapter. » [3] Ou, comme le mentionne Jean-Pascal van Ypersele, Vice-président du GIEC, il faudra un taux d’émissions de GES proche de 0% pour stabiliser totalement le réchauffement climatique.

L’adaptation doit être mise en place aujourd’hui sans attendre que les conséquences se fassent durement sentir. Pour reprendre l’image que Johan Bogaert de Leefmilieu, Natuur en Energie[4], a utilisée lors de son intervention « La stratégie belge aux changements climatiques », l’arbre doit être planté aujourd’hui pour qu’il ait le temps de grandir et puisse nous procurer de l’ombre quand les canicules ne seront plus exceptionnelles. De cette façon, plus il y aura eu de prévention, et mieux l’adaptation aura été anticipée, moins la population souffrira du réchauffement climatique. Cette urgence d’enclencher la prévention marque une première difficulté politique, celle de devoir prendre des mesures essentielles pour les décennies à venir mais qui pourraient ne pas paraitre prioritaires aujourd’hui et donc être impopulaires – comme certaines mesures d’aménagement du territoire. Cette adaptation doit se faire en tenant compte de la nécessité d’une réduction des émissions de GES et non par des moyens qui impliqueraient une consommation accrue d’énergie.

Une première étape : la prise de connaissance
 

Dans cette perspective l’Agence wallonne de l’air et du climat a commandité deux études, l’une concernant la limitation des émissions de GES et l’autre sur l’adaptation au changement climatique. La première, intitulée Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, a été réalisée par Climact, un bureau d’étude qui assiste les pouvoirs publics et les entreprises dans leur réduction d’émissions de GES. La seconde, L’adaptation au changement climatique en Wallonie, a été réalisée par EcoRes, organe de l’ONG Groupe One, active dans le développement durable appliqué aux entreprises. Ces deux études ont été présentées le 17 février devant un public particulièrement nombreux et varié, preuve de l’intérêt que suscite cette question.

Ces études n’ont pas pour fonction de faire des prédictions ni de déterminer une marche à suivre mais de dessiner les différents scénarii possibles afin d’éclairer le pouvoir régional dans ses prises de décisions. Elles marquent une première étape dans le processus de réduction des émissions de GES qui est celui de la prise de connaissance du phénomène et des possibilités d’action. Ces projections comportent bien entendu des incertitudes qui dépendent des évolutions socio-économiques qui doivent être prises en compte dans les politiques qui seront mises en place. Comme le souligne EcoRes, « Ces incertitudes ne doivent en aucun cas servir de prétexte à l’inaction »[5].

Nous voudrions nous arrêter sur ces deux études, revenir sur leurs points forts et leurs limites dans la perspective que ces documents, nous l’espérons, ne resteront pas lettre morte au fond des tiroirs de nos représentants mais induiront des politiques qui iront dans le sens d’une réelle lutte contre le réchauffement climatique. Aucun savoir n’est neutre. Il nous semble donc important de revenir sur certains points, et tout particulièrement dans l’étude Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, afin que la lutte contre le changement climatique n’ait pas de dommages collatéraux ou simplement ne soit inefficace parce que des éléments essentiels n’auraient pas été pris en compte[6]. Dans cette perspective, deux des hypothèses de travail de Climact qui si elles sont justifiées par la nécessité de circonscrire l’étude, devront être remises en question lorsqu’il s’agira de mener des politiques. Ces hypothèses sont reprises dans ce paragraphe :

 « L’étude considère une approche « comptable » des émissions : elle s’attache à la réduction des GES émis sur le territoire wallon et exclut les émissions liées aux importations (que ce soit de matières premières, d’énergie ou de produits finis) ainsi que l’utilisation de compensation ou de crédits d’émissions venant de l’étranger. Cette approche sous-entend que des efforts similaires et conjoints seront réalisés dans d’autres régions. »[7]

Cette dernière hypothèse, au vu des résultats des derniers sommets climatiques, ressemble malheureusement plus à un vœu pieux qu’à une probabilité sur laquelle il est réaliste de s’appuyer. Or, cela a un impact considérable sur la capacité d’action de la Région wallonne et sur les possibilités d’enrayer le réchauffement climatique en général. Sans l’effort conjoint de toutes les régions du monde, les entreprises polluantes délocalisent là où les réglementations en matière d’émissions sont plus laxistes, pour ensuite exporter leurs productions dans nos contrés ce qui, cela va sans dire, augmente l’empreinte écologique. Cela n’a pas beaucoup de sens de continuer à consommer massivement des objets dont la production et l’importation émettent des GES, tout en ayant la bonne conscience d’un bilan carbone comptable diminué en Wallonie. Si la délocalisation aura permis de faire diminuer de façon comptable les émissions des GES sur le territoire wallon, l’échec est pourtant double : non seulement les émissions au niveau global n’auront pas diminué[8] mais par ailleurs le personnel wallon de l’usine délocalisée viendra gonfler les rangs des chômeurs.

La question de la réduction des émissions de GES dans le secteur de l’industrie est également particulièrement sensible dans la mesure où l’industrie est le secteur qui a diminué le plus fortement ses émissions : 30% entre 1990 et 2008 alors que le résidentiel a diminué ses émissions de 5% et l’agriculture de 12%. Il n’en reste pas moins que, malgré cette diminution, le secteur industriel reste le plus gros émetteur de GES. En effet en 2008, il était responsable de 43% des émissions de GES wallonnes. Le fait est aussi que, si le calcul de cette réduction est comptable, alors la réduction apparente des émissions est en réalité le résultat de la désindustrialisation de la Wallonie[9]. Cependant cette apparente réduction sert d’argument aux acteurs du secteur industriel pour soutenir qu’ils ont fait leur part et que c’est maintenant aux autres secteurs de s’y mettre. Pourtant, si l’industrie est un secteur par nature polluant, et qu’une désindustrialisation de la Wallonie n’est pas souhaitable, il n’en reste pas moins que le secteur industriel, comme tout les autres secteurs, doit intensifier ses efforts. Comme le souligne les auteurs de l’étude : « Les trajectoires d’évolution de la production industrielle ont un impact massif : des trajectoires basses amèneront des émissions de GES plus basses et donc un besoin moins fort d’implémentation des différents leviers de décarbonation. Cet impact représente plus ou moins la moitié de la variation de coût des scénarios »[10]. Les auteurs de l’étude Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050 sont formels: une décarbonation de 80% de l’économie wallonne est possible moyennant une approche volontariste dans tous les secteurs.

Ces questions de délocalisation, de conflit entre intérêt social et écologique et ces logiques corporatistes sont évidement particulièrement délicates. Elles ne doivent cependant pas freiner la Région wallonne dans la poursuite des objectifs qu’elle s’est assignés, même si ce travail est rendu beaucoup plus difficile par la concurrence mondiale et le fait que d’autres régions du monde n’adhèrent pas à ces objectifs.

La prochaine étape : le passage à l’action
 

Une première piste de solution est financière : la Région wallonne doit soutenir les pôles de recherche et développement ainsi que la transition technologique vers une économie décarbonée. Le gouvernement wallon doit dès aujourd’hui déterminer les objectifs et les responsabilités de chacun, fixer les échéances et les moyens financiers octroyés dans une perspective transversale en s’articulant avec les actions menées aux différents niveaux de pouvoir du communale à l’internationale. En cela la Wallonie peut être précurseur et servir d’exemple aux autres régions européennes.

Mais ce n’est pas tout. S’il existe différentes technologies pour permettre d’électrifier l’offre énergétique[11] et ainsi diminuer la consommation d’énergie carbone émettrice de GES, il n’en reste pas moins que, pour atteindre l’objectif des – 80% à 95% et ce au niveau global, de réels changements de comportements sont indispensables. Il faut donc décarbonner l’offre mais également réduire la demande. En cela les pouvoirs publics peuvent être un réel soutien en développant les transports en commun, en soutenant les travaux de rénovation qui améliorent l’efficience énergétique des bâtiments, en mettant sur pied une fiscalité progressive sur l’énergie pour mettre un frein à la surconsommation, en mettant sur pied des campagnes de sensibilisation pour informer les citoyens sur la problématique du réchauffement et les façons d’y remédier, en repensant l’aménagement du territoire et de l’urbanisme… En tant que consommateurs ils peuvent également réduire leurs émissions.

Au niveau individuel, il nous faut également réévaluer nos besoins et remettre en questions certains aspects de notre mode de vie[12]. C’est une évidence : l’énergie et les objets non consommés – et donc on peut l’espérer non produits – sont des objets dont les émissions de GES et plus généralement l’empreinte écologique sont nulles. Pour donner un exemple typique : mieux vaut prendre l’habitude d’utiliser le train et le vélo plutôt que de rouler dans des voitures « vertes » – dont la production et l’utilisation laissent une empreinte écologique certes moindre que les voitures « traditionnelles » mais importante tout de même.

Nous avons besoin d’histoires, de récits pour imaginer et nous projeter dans un futur décarbonné. Les études que nous avons abordées participent à l’ébauche de cet avenir avec cette immense qualité de mettre en lumière qu’il est possible et réaliste. Il nous reste à donner de la chair, par des actions concrètes, à cette future réalité, qu’elle ne soit pas synonyme d’austérité mais de sobriété heureuse[13]. Notre développement actuel s’est construit sur une énergie qui était abondante, son utilisation massive montre aujourd’hui ces effets néfastes. Il nous faut, d’un commun effort de tous les acteurs de la société, réinventer un modèle de développement moins énergivore.

Notes :

  • [1] L’Institut Royal Météorologique a publié en 2009 un rapport sur le climat belge récent : « Vigilance Climatique» qui souligne entre autres que « Le climat belge a évolué au cours du 20e siècle. En particulier, des augmentations très marquées et assez brutales des températures saisonnières et annuelles (de l’ordre de 1 °C) se sont produites à deux reprises, tout d’abord dans la première moitié du 20e siècle et ensuite dans les années 1980 ». Et que « pour les précipitations, entre le début des relevés en 1833 et la fin du 20e siècle, on observe en région bruxelloise une augmentation d’environ 7 % des cumuls annuels et d’environ 15 % des cumuls hivernaux et printaniers ». Par ailleurs, selon les prévisions de EcoRes, en 2050 la température aura augmenté de 1,3 à 2.8 degrés par rapport à la période de référence 1961-1990 Voir EcoRes, L’adaptation au changement climatique en Wallonie, Agence wallonne de l’air et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 8 & p. 12.

    [2] Voir infra.

    [3] EcoRes, L’adaptation au changement climatique en Wallonie, Agence wallonne de l’air et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 22.

    [4] Pilote belge d’adaptation aux changements climatiques.

    [5] EcoRes, L’adaptation au changement climatique en Wallonie, Agence wallonne de l’aire et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 11.

    [6] Il ne s’agit pas ici d’infirmer les résultats de ces recherches qui ont été réalisées de façon très rigoureuse et objective et qui d’ailleurs signalent leurs propres limites

    [7] Climact, Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, Agence wallonne de l’air et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 5.

    [8] Comme le font d’ailleurs remarquer les chercheurs de ClimAct : « cette étude ne soutient en rien l’utilité d’une désindustrialisation de la Wallonie : non seulement une industrie wallonne forte aura d’autres impacts positifs, mais le déplacement de production wallonne à l’étranger n’amènera pas forcément de réduction dans les émissions de GES au niveau global. » (Climact, Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, Agence wallonne de l’air et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 32).

    [9] Par exemple, la production d’acier brut a diminué de 24% de 1990 à 2004 en raison de la délocalisation de ces entreprises vers les pays émergents. http://environnement.wallonie.be/enviroentreprises/pages/etatenviindustrie.asp?doc=syn-met-pro. Autre indicateur : l’emploi dans l’industrie manufacturière en Wallonie est passé de 186.000 en 1990 à 143.000 en 2009 http://www.uwe.be/uwe/presse/communiques/conference-de-presse-rapport-eco-2011_150611.pdf. Par ailleurs, notons que La réduction peut être également due au ralentissement de l’économie ou à la récession et donc n’avoir qu’un caractère provisoire, à moins que des mesures adéquates soient prises dès maintenant pour réellement réduire les émission GES. Voir IWEPS, Tendances économique n° 42 (http://www.iweps.be/sites/default/files/Communique_Tendances_42.pdf) et surtout IWEPS, Note mensuelle de conjoncture wallonne mars 2012 (http://www.iweps.be/sites/default/files/2012mars.pdf

    [10] Climact, Vers une Wallonie Bas-carbone en 2050, Agence wallonne de l’air et du climat, résumé exécutif, décembre 2011, p. 31.

    [11] Notons que le nucléaire est exclu à partir de 2025 de ces technologies pour électrifier l’offre énergétique sur base de la loi votée en 2003  pour la sortie du nucléaire.

    [12] Sur la thématique de la réorientation de nos modes de vie voir, Brandeleer Claire, Environnement et justice sociale. Invitation à une spiritualité engagée, Centre Avec, décembre 2011. http://www.centreavec.be/pages/Pub_etudes_synopsisEnvironnement%20et%20justice%20sociale.htm

    [13] C’est par exemple dans cette dynamique que s’inscrivent les villes en transition où des citoyens s’organisent pour créer collectivement une société bas-carbone. Voir : Wiliquet Claire, les villes en transition, vers une économie conviviale post-pétrole, Centre avec, août 2011. http://www.centreavec.be/pages/Pub_analyses_les%20villes%20en%20transition.htm